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L’homicide intrafamilial

Titre I – L’IDENTIFICATION DE LA FAMILLE DYSFONCTIONNELLE

A. L’homicide intrafamilial

144. Les qualifications pénales possibles. – Qu’il s’agisse d’un crime passionnel ou d’un infanticide, pénalement ces faits seront qualifiés de meurtre. Au sens de l’article 221-1 du code pénal, le meurtre est le fait de donner volontairement la mort à autrui. Il sera puni de la réclusion criminelle à perpétuité lorsqu’il aura été commis à l’encontre d’un membre de la famille – le conjoint, concubin ou partenaire, un enfant ou un ascendant biologique ou adoptif (article 221-4, 1°, 2° et 9° du code pénal). Matériellement, il consiste dans « un acte positif de

destruction de la vie humaine »617. Intentionnellement, il nécessite que l’auteur ait eu la volonté de tuer et la preuve de cet animus necandi doit être relevée.

Toutefois, les modalités homicides peuvent varier. Il peut s’agir d’un assassinat, dans le cas où le meurtre aurait été commis avec préméditation ou par guet-apens (article 221-3 du code pénal). Un tel comportement emporte une peine de réclusion criminelle à perpétuité. Par ailleurs, lorsque c’est spécifiquement par une administration de substances mortifères618 que l’auteur entend attenter à la vie d’autrui, il s’agira d’un empoisonnement. Il est puni, lui aussi, de la réclusion criminelle dans le cas où il serait commis à l’encontre d’un membre de la

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Délégation aux victimes (DAV), op. cit.

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Délégation aux victimes (DAV), ibidem.

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Cass. crim. 9 juin 1977, Bull. crim. n°211, RSC. 1978. 97, obs. G. Levasseur.

618 N’est pas envisagé ici le cas d’une administration de substances nuisibles, tendant contrairement à l’empoisonnement, non pas à tuer la victime mais à porter atteinte à sa santé physique ou mentale, V. art. 222-15 C. pén.

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famille (article 221-5, 3°). Infraction formelle, l’empoisonnement nécessite pour sa caractérisation que soit constaté l’emploi d’un poison, peu importe que cet acte ait été suivi de l’effet escompté. Intentionnellement, l’auteur doit avoir eu la volonté d’administrer le produit, dans le but précis de tuer la victime.

Toutefois, il arrive que la survenance de la mort ne soit pas recherchée par l’auteur. Dans ce cas, le décès de la victime n’est que la résultante d’un comportement violent antérieur. Le Code pénal capte ce fait sous la qualification spécifique de violences ayant entraîné la mort sans intention de la donner. L’article 222-7 du code prévoit que de telles violences seront punies de quinze ans de réclusion criminelle. Matériellement, cette infraction se caractérise – comme toute violence – par un acte positif et volontaire de violence. Ainsi, si l’auteur n’a pas souhaité donner la mort, il a en revanche eu la volonté de porter les coups.

Les différentes qualifications pénales présentées, il convient d’étudier les formes que peut prendre l’homicide en présence d’un lien de parenté entre l’auteur et la victime. En l’espèce nous ne prétendrons pas à l’exhaustivité. Seules deux formes d’homicides – révélatrices des dysfonctionnements familiaux619 – seront envisagées, le crime passionnel (1) et l’infanticide (2).

1) Le crime passionnel

145. Un crime romanesque à démythifier. – Roland Coutanceau posait une question centrale à propos du crime passionnel : s’agit-il d’un « crime d’amour » ou d’un « crime

d’amour-propre » 620? En effet, longtemps ce crime a été présenté comme une douce folie, un crime romantique. À ce titre, il jouit souvent d’une certaine mansuétude, et même d’une certaine légitimation dans l’imaginaire commun. D’ailleurs, on n’oubliera pas que le meurtre de la femme adultère par son époux était pleinement normalisé, sous l’Ancien droit621. Aussi,

619 Ainsi, par exemple, il aurait été possible d’aborder la question du meurtre dit « utilitaire ». Ici, le meurtre peut être indépendant de toute préexistence de violences intrafamiliales. En effet, dans cette hypothèse, l’auteur recherche simplement à se débarrasser du conjoint, pour des raisons pratiques – souvent d’ordre patrimonial. Ce meurtre fera, parfois, intervenir un coauteur ou un complice ; le nouvel amant du conjoint meurtrier par exemple.

620 R. Coutanceau, « Crimes passionnels. Crime d’amour ou crime d’amour-propre », in Violence et famille.

Comprendre pour prévenir, Paris, Dunod, 2011, p. 357-364.

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les juges se montrent-ils très indulgents vis-à-vis de cette forme de crime, allant parfois même jusqu’à prononcer des peines allégées à leur encontre622.

Aujourd’hui, bien que le nouveau Code pénal ne définisse pas le crime passionnel comme une réalité juridique et ne le traite pas comme un crime à part entière, dans les prétoires les avocats de la défense n’hésitent pas à jouer la carte du sentiment amoureux pour attendrir l’auditoire. Toutefois, l’aspect romanesque du crime passionnel cache des réalités criminologiques autrement plus inquiétantes. Ainsi, Léon Rabinowisz estimait que la première condition nécessaire à la commission d’un tel crime était la « passion sexuelle » et non pas amoureuse. Or, il définissait celle-ci comme « un simple égoïsme des sens mêlé au

sentiment de possession, à la vanité, à l’amour-propre, c’est un jeu attisé constamment par la jalousie […]»623. Plusieurs années plus tard, les psychiatres ont pris du recul sur les modalités

et raisons du passage à l’acte du crime passionnel. Roland Coutanceau, notamment, distingue trois profils généralement impliqués dans la commission de celui-ci624. Il distingue ainsi, premièrement, l’immaturo-abandonnique ; ce sujet présente une immaturité affective coupler à un vécu abandonnique, avec des traits phobiques et obsessionnels. Outreau la perte de l’abandon ces individus son affective moi en dépendant du partenaire. Deuxièmement, l’immaturo-égocentrique être sujet anxieux « très centré sur sa réalité psychique et peu

ouvert à l’autre »625. Cet individu va faire preuve d’une assurance apparente qui masquera sa

peur de la perte. Enfin, le sujet présentant une personnalité à tonalité paranoïaque. Ce sont des individus rigides et sensitifs, surinvestissant dans la relation à l’autre, sans pouvoir concevoir la perte. Ainsi, le crime passionnel est avant tout le fait d’un individu présentant une crainte pathologique de la perte. Ils ne tuent pas par amour de l’autre, mais par convenance personnelle.

146. Un passage à l’acte spontané ou prémédité ?. – Longtemps, le crime passionnel a été perçu par les auteurs comme une perte de contrôle momentanée et brusque. Ainsi, les auteurs concevaient le passage à l’acte comme « immédiat et privé de toute réflexion », dû à

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M. Danti-Juan, « Force majeure », Rép. pén. 2015, n° 50.

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L. Rabinowisz, Le crime passionnel, Rapport présenté à la Séance de la Société générale des prisons et de législation criminelle, 13 mai 1931, p. 226. Léon Rabinowisz est l’auteur de l’ouvrage Le crime passionnel, Paris, Librairie des Sciences politiques et sociales, 1931.

624 R. Coutanceau, op. cit., p. 358.

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« une insuffisance de contrôle du Sur-moi »626. Cela est notamment le cas de l’époux qui rentrerait à son domicile et surprendrait son conjoint avec son amant. Pourtant, on s’aperçoit que le crime passionnel peut aussi être le fait d’un auteur déterminé, ayant décidé en âme et conscience d’éliminer le conjoint « démissionnaire ». Ainsi, le contexte déterminant de l’accomplissement de l’acte passionnel est celui de la séparation, ou plutôt du refus de la séparation627. En effet, lorsque l’auteur est contraint d’admettre la réalité de celle-ci, il conçoit la mort de l’autre comme une alternative à l’abandon. « Même si [l’autre] n’est plus là

physiquement, leur couple n’a jamais été détruit »628.

Comme l’indiquent les statistiques précédentes, l’auteur passionnel retourne souvent son arme contre lui629. Il est intéressant de questionner le rôle du suicide dans la commission de l’homicide à l’encontre de l’autre. En effet, il semble que le projet du suicide succédant au crime ait un effet libérateur pour l’auteur. Il n’a plus rien à perdre et peut se permettre de tuer le conjoint ou ex-conjoint – voire parfois leurs enfants. Il existe donc là une certaine forme de toute-puissance, à savoir celle de décider de la vie et de la mort de ceux qu’il considère comme sa propriété. Par ailleurs, il faut noter que le crime passionnel peut être dirigé également contre le nouveau compagnon de la femme ou de l’homme, c’est-à-dire le rival de l’auteur. La seule présence de celui-ci est vécue par lui comme un affront, une humiliation. Mais, la cible du crime peut également être un simple collatéral, par exemple un proche ou un parent de l’être aimé630. Dans ces deux cas (rival ou collatéral), le tiers représente pour l’auteur, un obstacle direct – réel ou seulement imaginaire – à la relation dont l’auteur refuse la fin.

147. L’indifférence de principe de la contrainte morale interne. – Outre la question du bien-fondé du motif du crime passionnel, celui-ci devrait en principe être indifférent en droit pénal. En effet, selon une jurisprudence constante, seul un fait extérieur à la personne de l’auteur pourrait l’exonérer de sa responsabilité631, à l’exception d’une maladie ou d’un trouble psychique ou neuropsychique632. De sorte que, la contrainte morale qui serait personnelle au délinquant ne saurait emporter une exonération ou une atténuation de

626 G. Stefani, G. Levasseur et R. Jambu-Merlin, Criminologie et science pénitentiaire, 2ème éd., Précis Dalloz, 1970, p. 225, n° 219.

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Délégation aux victimes (DAV), Etude nationale sur les morts violentes au sein du couple, 2015, p. 8

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C. Bellard, Les crimes au féminin, Paris, L’Harmattan, p. 84.

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V. supra, n°142.

630 V. le cas de Michel, supra, n°141.

631 Cass. crim., 11 avril 1908 ; DP. 1908. 1. 261, rapp. Mercier.

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responsabilité de l’auteur, sur le fondement de l’article 122-2 du code pénal. Cela implique que la personne qui ne saurait pas résister à des pulsions internes doit être considérée comme pénalement responsable de son acte633.

2) Le meurtre de l’enfant

148. L’infanticide. – Dans l’Antiquité, l’infanticide ne faisait pas l’objet d’une répréhension sociale. Bien au contraire, il était perçu comme un moyen de régularisation des naissances et une méthode à visée eugénique. Le chef de famille était libre de décider de la vie ou de la mort des nouveau-nés ; et l’infanticide n’était réprimé que dans le cas où il était pratiqué par la mère seule (sans consentement du père)634. Il fallut attendre l’avènement du christianisme au IVème siècle, véhiculant l’idée de respect de la vie humaine, pour que soit réprouvée – du moins, moralement – cette pratique635. Par la suite, l’infanticide a été inséré expressément dans le Code pénal de 1810, en tant qu’infraction sui generis. En effet, l’ancien article 300 dudit code définissait l’infanticide comme « le meurtre d’un nouveau-né », alors que l’ancien article 302 prévoyait que toute personne coupable d’un tel crime serait punie de mort636. L’infanticide était donc assimilé à l’assassinat, au parricide et à l’empoisonnement, selon ce texte. De plus, si aucun lien familial ou de parenté n’était exigé entre l’auteur et l’infans sur le papier, la mère était désignée comme auteur principal de cette délinquance637. Toutefois, l’indulgence des prétoires pour la mère meurtrière et l’avancée des connaissances sur les troubles psychologiques qui pouvaient entourer le moment de la grossesse et de l’accouchement, ont poussé le législateur à intégrer dans le Code pénal, une nouvelle excuse atténuante de responsabilité vis-à-vis de la femme638.

Le nouveau Code pénal de 1994 a opté lui pour une suppression du terme « infanticide » des textes. Il se contente d’incriminer le meurtre aggravé par la qualité de la victime – mineure de moins de quinze ans révolus – en vertu de l’article 221-4, 1° du code pénal. S’agissant du

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Garraud disait d’ailleurs à ce propos que « le droit pénal est précisément édicté pour ceux qui ne savent pas résister à leur passion criminelle », V.R. Garraud, Traité théorique et pratique de droit pénal français, 3ème éd., tome I, Sirey, 1913, p. 315.

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C. Ménabé, La criminalité féminine, Paris, L’Harmattan, 2014, p. 99 sq.

635 C. Ménabé, op. cit. L’infanticide était alors une pratique toujours répandue, en raison notamment de la pression sociale qui condamnait, bien plus sévèrement que l’infanticide, les naissances illégitimes ou naturelles.

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V. anc. art. 302 C. pén. de 1810.

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C. Ménabé, Ibidem.

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La loi du 21 novembre 1901 portant modification des articles 300 et 302 du Code pénal de 1810 est venue préciser que la mère, auteur ou complice de l’infanticide de son enfant nouveau-né serait punie des travaux forcés à perpétuité en cas d’assassinat, ou des travaux forcés à temps en cas de meurtre. Mais cette excuse ne pouvait aucunement s’appliquer à ses complices ou co-auteurs. V. anc. art. 302 al. 2 C. pén. de 1810.

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meurtre du mineur de plus de quinze ans qui serait victime de ses parents, il faudrait donc retenir ici la circonstance aggravante relative à l’état de vulnérabilité de la victime en raison de son âge (article 221-4, 3°). De plus, ces textes font le choix de l’objectivité puisque ni la mère, ni le père de l’enfant ne sont spécialement visés en tant qu’auteur de l’infraction.