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Gestion des stéréotypes dans la traduction de The Vagina Monologues d'Eve Ensler : analyse d'extraits et propositions de traduction féministe

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Academic year: 2022

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Master

Reference

Gestion des stéréotypes dans la traduction de The Vagina Monologues d'Eve Ensler : analyse d'extraits et propositions de

traduction féministe

HERITIER, Myriam

Abstract

Ce mémoire porte sur les stéréotypes présents dans The Vagina Monologues, l'œuvre féministe d'Eve Ensler. Il vise à déterminer si la traduction féministe peut déconstruire ces stéréotypes et, ainsi, servir un but militant. Les différents chapitres théoriques abordent successivement les thèmes du féminisme, de la traduction féministe et des stéréotypes.

L'analyse vise ensuite à déterminer quels types de stéréotypes apparaissent dans les différents niveaux textuels des extraits choisis et la manière dont ils ont été traduits en français. À partir des points soulevés dans cette analyse, une traduction personnelle, axée sur les stratégies de traduction féministe communément appliquées, est proposée. Il en ressort que, le plus souvent, les stéréotypes peuvent être déconstruits par ce biais. De ce fait, le texte modifié peut également être considéré comme plus féministe que l'original.

HERITIER, Myriam. Gestion des stéréotypes dans la traduction de The Vagina

Monologues d'Eve Ensler : analyse d'extraits et propositions de traduction féministe. Master : Univ. Genève, 2019

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:115520

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Gestion des stéréotypes dans la traduction de The Vagina Monologues

d’Eve Ensler

Analyse d’extraits et propositions de traduction féministe

par Myriam Héritier

Directrice : Mme Mathilde Fontanet Jurée : Mme Lucile Davier

Session de janvier 2019

Mémoire présenté à la Faculté de traduction et d’interprétation (Département de traduction, Unité de français) pour l’obtention de la Maîtrise universitaire en

traduction, mention Traduction spécialisée

Déclaration de non plagiat

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DÉCLARATION DE NON PLAGIAT

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3 REMERCIEMENTS

Je tiens particulièrement à remercier ma directrice de mémoire, Mathilde Fontanet, pour son enthousiasme, ses conseils avisés et sa très grande disponibilité.

Merci également ma jurée, Lucile Davier, pour ses commentaires pertinents et ses encouragements.

Je profite de l’occasion pour remercier les traducteurs du « Stamm » des traducteurs littéraires, pour leurs précieux commentaires sur mes traductions et leur bienveillance. Merci à Maryline de m’avoir encouragée à leur soumettre mes textes.

Je remercie Sylvain pour son aide à la création du schéma en annexe ainsi que pour son soutien moral tout au long de ce travail.

Je remercie encore Isaline, Lucie et Ludivine, qui ont relu des parties de ce travail. Merci également à Madeleine, Anne-Sylvaine et Michèle, qui ont pris le temps de corriger et de relire ce travail en entier.

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TABLE DES MATIÈRES

Déclaration de non plagiat ... 2

Remerciements ... 3

Table des matières ... 4

Remarques préliminaires ... 7

Introduction ... 8

Chapitre n° 1 Cadre théorique ... 11

Partie 1 Le féminisme ... 11

1.1 Définitions ... 11

1.2 Les vagues du féminisme ... 12

1.2.1 La première vague ... 13

1.2.2 La deuxième vague ... 13

1.2.3 La troisième vague ... 15

1.2.4 La quatrième vague ... 16

1.2.5 Conclusion intermédiaire ... 18

1.3 Théâtre et littérature féministes ... 19

1.3.1 Survol des « classiques » du féminisme... 19

1.3.2 Survol de la littérature féministe ... 20

1.3.3 Survol du théâtre féministe ... 21

1.4 Conclusion ... 24

Partie 2 La traduction féministe ... 24

2.1 État de la question ... 25

2.1.1 « Re-belle et infidèle » et métaphores autour de la traduction ... 26

2.1.2 Les notions d’autorité et de fidelité ... 27

2.1.3 Les défis techniques ... 28

2.1.4 Les œuvres oubliées ... 30

2.1.5 Les exemples religieux et les classiques du féminisme ... 31

2.1.6 La traduction féministe : une forme de militantisme ... 31

2.1.7 Conclusion intermédiaire ... 32

2.2 Stratégies de la traduction féministe ... 33

2.2.1 Compensation – [ « supplementing »] ... 33

2.2.2 Préface et notes de bas de page – [ « prefacing and footnoting »] ... 34

2.2.3 Détournement – [ « hijacking »] ... 35

2.2.4 Autres stratégies ... 36

2.3 Critique ... 36

2.4 Conclusion ... 39

Partie 3 Les stéréotypes ... 40

3.1 Définitions ... 40

3.1.1 Définition générale ... 40

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5

3.1.2 Distinction entre cliché et stéréotype... 40

3.1.3 Définition sociologique et fonctions ... 41

3.2 Stéréotypes dans la littérature ... 42

3.2.1 Critères définitoires ... 42

3.2.2 Le stéréotype et le lecteur ... 43

3.2.3 Les utilisations des stéréotypes et les opérations de lecture nécessaires pour les analyser ... 44

3.2.4 Littérature classique vs Littérature moderne ... 45

3.2.5 Conclusion intermédiaire ... 45

3.3 Déconstruction du stéréotype ... 46

3.3.1 Jardiel Poncela : humour dans le roman d’amour ... 46

3.3.2 Gustave Flaubert : utilisation « abusive » des stéréotypes ... 47

3.4 Conclusion ... 49

Chapitre n° 2 Texte ... 50

Partie 1 Présentations du texte ... 50

1.1 L’auteure ... 50

1.2 La pièce ... 50

1.3 Le mouvement V-day ... 51

1.4 Les traductions ... 53

Partie 2 Caractère féministe du texte ... 54

2.1 Le message ... 54

2.2 La langue et le style ... 55

2.3 Les personnages ... 56

2.4 Les réactions suscitées ... 57

2.5 Conclusion intermédiare ... 57

Partie 3 Critique ... 58

3.1 Critique liée à la vision réductrice de la femme ... 58

3.2 Critiques liées au féminisme ... 59

3.3 Critiques liées au style ... 61

3.4 Points positifs ... 61

3.5 Solutions proposées ... 62

3.6 Conclusion ... 63

Partie 4 Bilan ... 64

Chapitre n° 3 Analyse ... 65

Partie 1 Présentation de la méthode d’analyse des stéréotypes et de la traduction ... 65

1.1 Brève synthèse de la méthode d’analyse des stéréotypes selon Jean-Louis Dufays (2010) ... 65

1.2 Critères d’analyse des traductions ... 68

1.3 Rappel des stratégies féministes ... 69

1.4 Choix des passages ... 69

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6

Partie 2 Analyse ... 71

2.1 The Little Coochi Snorcher That Could ... 71

2.1.1 Analyse des stéréotypes sur le plan microtextuel ... 72

2.1.2 Analyse de la traduction sur le plan microtextuel ... 74

2.1.3 Analyse des stéréotypes sur le plan mésotextuel ... 77

2.1.4 Proposition de traduction ... 79

2.2 Because He Liked To Look At It ... 83

2.2.1 Analyse des stéréotypes sur le plan microtextuel ... 84

2.2.2 Analyse de la traduction sur le plan microtextuel ... 86

2.2.3 Analyse des stéréotypes sur le plan mésotextuel ... 88

2.2.4 Proposition de traduction ... 90

2.3 I Was Twelve My Mother Slapped Me ... 93

2.3.1 Analyse des stéréotypes sur le plan microtextuel ... 94

2.3.2 Analyse de la traduction sur le plan microtextuel ... 96

2.3.3 Analyse des stéréotypes sur le plan mésotextuel ... 98

2.3.4 Proposition de traduction ... 101

Partie 3 Bilan ... 103

Conclusion ... 106

Bibliographie ... 110

Annexe ... 120

Synthèse de la méthode d’analyse des stéréotypes de Jean-Louis Dufays (2010) ... 120

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REMARQUES PRÉLIMINAIRES

Avant toute chose, nous tenons à préciser certaines conventions que nous respecterons tout au long de ce travail.

Écriture inclusive :

Bien que ce travail porte, en partie, sur le féminisme, nous utiliserons le masculin comme générique afin de fluidifier la lecture. En effet, l’écriture inclusive semble difficile à mettre en œuvre tout au long d’un travail de mémoire.

En revanche, comme nous l’expliquerons, nous dérogerons à cette règle lorsque nous évoquerons les traductrices féministes en général.

Citations traduites :

Sauf précision contraire, toutes les traductions figurant dans le corps du texte sont de notre cru. Pour chaque citation traduite, nous reprenons le texte original en note afin que chacun puisse s’y référer.

Sites web :

Par souci de clarté, lorsque nous citons un site web, nous indiquons le titre de la page en question entre guillemets dans le corps du texte. Lorsque la date de création n’est pas mentionnée, nous renonçons à la mention « s. d. », qui, selon nous, perturbe inutilement la lecture. Nous utiliserons par exemple la mention suivante pour nous référer à une page web dont le titre porte le nom de l’auteure : « Eve Enlser ».

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INTRODUCTION

Au cours d’une discussion avec des collègues de l’institution où nous avons effectué un stage, nous avons évoqué le sujet de notre mémoire : The Vagina Monologues. Une des jeunes femmes présentes nous a alors répondu qu’elle ne savait vraiment pas ce que nous pourrions avoir à dire sur les vagins. Comme nous n’avons pas pu approfondir la discussion avec cette personne, nous pensons qu’elle estimait peut-être, soit que le sujet avait déjà été traité dans son ensemble, soit qu’il n’y avait rien à en dire. Or, il est évident qu'il constitue encore un tabou à part entière, même en 2018, et que, vingt ans après la publication de la pièce d’Eve Ensler, il reste d’actualité. Cette réaction nous a donc confortée dans l’idée que, justement, il y avait des choses à dire sur les vagins, encore très mal connus. Pour preuve, on a représenté le clitoris correctement dans un manuel scolaire français pour la première fois… en 2017 (Combis 2017) !

C’est un jour où nous nous trouvions au rayon du théâtre anglophone d’une librairie de Genève, à la recherche d’un texte à traduire dans le cadre d’un cours de traduction littéraire anglais-français, que notre regard s’est arrêté sur l’œuvre d’Eve Ensler : The Vagina Monologues.

Nous avions déjà entendu parler de cette pièce sans jamais l’avoir lue ou vue au théâtre et, après en avoir feuilleté quelques pages, nous étions convaincue que c’était le texte qui nous correspondrait parfaitement pour ce court travail personnel. L’idée d’axer notre mémoire sur cette œuvre a probablement commencé à germer à cette période. En effet, ce texte nous a paru suffisamment riche pour faire l’objet d’un mémoire, par son sujet (le vagin) et les thèmes encore très tabous qu’il aborde (notamment les violences sexuelles, le plaisir féminin et les menstruations), la manière dont l’auteure les traite, ainsi que ses trois traductions françaises. Au moment de choisir un sujet de mémoire, nous commencions également à nous pencher sur le féminisme et nous souhaitions associer ce mouvement à la traduction. Nous avons alors constaté que ces deux thèmes intéressaient les chercheurs en traduction et que de nombreux articles et ouvrages existaient sur la traduction féministe. Par conséquent, ce texte, qui se prêtait bien à un sujet de mémoire, nous a paru un choix évident.

Dans ce travail, nous aborderons une œuvre théâtrale qui, comme nous le verrons, peut être considérée comme féministe. En effet, The Vagina Monologues vise à raconter les histoires des femmes qui ont répondu aux questions d’Ensler sur leur vagin. En exposant ces expériences liées au corps féminin, l’auteure espère contribuer à réduire les violences que subissent les femmes (Ensler 2008). Or, cette pièce comporte un grand nombre de stéréotypes, concernant notamment la manière de percevoir les femmes, mais également les hommes. Certains stéréotypes semblent encourager une discrimination envers divers groupes sociaux ou des personnes à la sexualité différente de ce qu'on considère habituellement comme la norme. Il

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nous a donc paru intéressant d’aborder notre analyse sous l’angle des stéréotypes et celui de la traduction féministe afin de déterminer si la déconstruction des stéréotypes par la traduction féministe pouvait servir un but militant.

Nous nous poserons quelques questions, qui constitueront notre problématique : la traduction féministe peut-elle préconiser des manières de déconstruire les stéréotypes de The Vagina Monologues ? Dans quel but l’auteure, si elle en est consciente, utilise-t-elle ces stéréotypes ? Le féminisme déjà présent dans une œuvre comme The Vagina Monologues peut-il être renforcé par la traduction dite féministe ?

Pour répondre à ces questions, nous commencerons par un chapitre théorique (page 11) dans lequel nous aborderons le féminisme (page 11), la traduction féministe (page 24) et les stéréotypes (page 40). Nous définirons tout d’abord le féminisme avant de nous pencher sur les quatre vagues qui caractérisent le mouvement jusqu’ici. Nous passerons ensuite à un survol de la littérature de ce courant. Enfin, nous nous attarderons davantage sur le théâtre féministe, notamment afin de déterminer si The Vagina Monologues entre dans cette catégorie. Dans la partie concernant la traduction féministe, nous procèderons à un état de la question avant d’aborder les différentes stratégies de traduction féministe, puis nous résumerons les critiques de cette pièce. Dans la troisième partie, nous nous pencherons sur les stéréotypes en les définissant et en examinant leurs fonctions. Nous étudierons ensuite les critères des stéréotypes dans la littérature ainsi que leur relation avec le lecteur et les opérations que celui-ci doit effectuer pour les analyser. Nous prendrons encore deux exemples concrets de déconstruction des stéréotypes dans la littérature.

Plus avant, nous présenterons le texte de manière détaillée (page 50), en évoquant l’auteure, la pièce elle-même, le mouvement qu’elle a créé et ses traductions françaises. Nous nous pencherons ensuite sur le caractère féministe du texte. Nous en viendrons aux critiques négatives adressées à la pièce avant d’aborder les points positifs. Nous énumérerons alors les solutions que les différents auteurs ont proposées pour résoudre les problèmes soulevés.

Avant de passer à l’analyse du texte à proprement parler (page 65), nous présenterons notre méthode d’analyse des stéréotypes, fondée sur celle de Jean-Louis Dufays (2010), ainsi que les critères d’analyse des traductions en rappelant brièvement les éléments évoqués dans la partie théorique. Nous justifierons également le choix des passages à étudier. Ensuite, nous examinerons trois monologues, dont nous sélectionnerons des extraits, de 300 mots pour chacun. Ces passages seront alors analysés, tout d’abord à partir de quelques phrases, du point de vue des stéréotypes et de la traduction, puis dans leur intégralité. Nous terminerons par une

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proposition personnelle de traduction féministe et visant à résoudre les problèmes soulevés au cours de l’analyse. Enfin, nous dresserons un bilan de ces trois analyses.

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11 CHAPITRE N°1 CADRE THÉORIQUE

PARTIE 1 LE FÉMINISME

Avant de passer en revue l’histoire du féminisme et de ses nombreuses vagues, nous offrirons un aperçu de quelques-unes de ses définitions. Nous aborderons ensuite le sujet de la littérature et du théâtre féministe.

1.1 DÉFINITIONS

Les définitions du féminisme étant nombreuses, nous avons choisi de ne présenter que celles qui nous paraissent les plus concises et les plus précises.

Marion Charpenel et Bibia Pavard, qui sont respectivement sociologue et historienne et s’intéressent toutes deux aux études de genres et au féminisme (« Bibia Pavard »; « Marion Charpenel »), avancent qu’un « positionnement [féministe,] c’est prendre conscience que les femmes subissent une oppression spécifique en raison de leur sexe, et c’est proposer des voies individuelles et/ou collectives pour abolir les inégalités » (2013, 263). Mathilde Fontanet, pour sa part, voit le féminisme comme « toute attitude invitant à réfléchir aux rôles sociaux, politiques ou économiques des femmes par rapport à ceux des hommes ou à remettre es rôles en question dans le but de promouvoir l’égalité entre les sexes »1 (2016, 3). Karine Bergès, spécialiste du féminisme de la troisième vague (« Karine Bergès »), quant à elle, considère le féminisme comme

« un mouvement social et politique œuvrant, de longue date, à l’émancipation des femmes et leur construction en tant que sujet autonome » (2017, 11). Enfin, dans l’ouvrage Les gros mots:

abécédaire joyeusement moderne du féminisme (Edgard-Rosa 2016), la définition du féminisme est la suivante :

Il ne s’agit ni d’un combat contre les hommes (mais contre le patriarcat, ce qui fait une énorme différence), ni d’une doctrine (il n’y a d’ailleurs non pas un mais des féminismes) [ ; …] il s’agit […] de lutter contre les discriminations et les violences. (Edgard-Rosa 2016, 52)

Le dénominateur commun à ces quelques définitions n’est autre que le souci d’égalité entre les hommes et les femmes, doublé de la lutte contre les discriminations. Aucune définition ne précise donc que le féminisme est uniquement une affaire de femmes.

1 Citation en langue source : “In the following text, the word feminism is taken in its broadest sense, and refers to any attitude inviting people to reflect on or challenge the social, political or economic roles of women, as compared to those of men, with a view to promoting equality of the sexes.”

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Plusieurs courants féministes ont été définis par Clarence Edgar-Rosa (2016). Les féministes libérales (ou égalitaristes) revendiquent « l’égalité en politique et au travail » (Edgard-Rosa 2016, 30). Les féministes marxistes veulent renverser le capitalisme, qui serait la cause de l’oppression des femmes. Les féministes matérialistes, quant à elles, estiment que le capitalisme lié au patriarcat force les femmes à accomplir les tâches domestiques. Les féministes anarchistes ou libertaires « [combattent] toutes les formes de hiérarchie sociale » (Ibid. 2016, 31) et les féministes radicales posent « les femmes en tant que classe politique dominée par la classe des hommes » (Ibid.). Alors que les féministes pro-sexes « [placent] la liberté sexuelle au cœur des enjeux de l’égalité » (Ibid. 2016, 32), les féministes queer, elles, se battent contre

« l’hégémonie hétérosexuelle » (Ibid.) et défendent les droits des personnes LGBT+2. Notons aussi les féministes intersectionnelles3, qui traitent toutes les discriminations, « liées à la couleur de peau, [à] la classe sociale [et à] l’orientation sexuelle » (Ibid.) que peut subir une personne.

Enfin, les féministes postcoloniales tiennent compte du « prisme d’une histoire colonisée et racisée »4 afin d’analyser les inégalités (Edgard-Rosa 2016, 32)5. Il existe également plusieurs types de féminismes liés aux diverses cultures ou à la religion, tels que le féminisme noir (black feminism), le féminisme latino et le féminisme islamique (Villaverde 2008, 55‑61).

Encore une fois, les combats des féministes ont beau être différents, tous visent l’égalité entre femmes et hommes et luttent contre les discriminations.

1.2 LES VAGUES DU FÉMINISME

La métaphore des vagues est souvent utilisée pour décrire l’histoire du féminisme.

Christine Bard propose d’expliquer cette récurrence :

[…] la vague est devenue une convention internationale dans l’écriture de l’histoire du féminisme. Elle fonctionne assez bien car le mouvement (ses idées, ses objectifs, ses pratiques militantes) a connu plusieurs transformations majeures et s’est toujours montré perméable à son environnement. (Bard 2017, 44)

Elle précise également qu’elle ressent :

2 Comme le recommande le journal Libération, nous reprendrons ce sigle car il « [englobe] toutes les autres réalités » (Lecaplain 2018). Par « autres réalités », il faut comprendre les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres, queer, intersexes, asexuelles et autres (Termium). Selon Libération, d’autres sigles tels que LGBT ou LGBTQIA sont également utilisés (Lecaplain 2018).

3 Leila Villaverde définit l’intersectionnalité comme suite : « the way sexism, racism, classism, ageism (and any –ism) intersect in lived experience, bringing awareness to the varying degrees of oppression in layered structures of power » (Villaverde 2008, 55).

4 Définition du Petit Robert en ligne : « Personne touchée par le racisme, la discrimination »

5 Le site de la Tribune de Genève propose un test pour déterminer quel féminisme nous correspond le mieux entre le féminisme pro-sexe, intersectionnel, universaliste, différentialiste et pop (« Quel(le) féministe êtes-vous? »). Disponible à l’adresse :

https://www.tdg.ch/extern/interactive_wch/tdg/2018/feminisme/index.html.

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[…] un attachement sentimental pour la « vague » comme un identifiant important dans la culture féministe. Elle nous inscrit dans une chaîne de transmission, de livre en livre, de génération en génération. À nous de la rendre vivante, en l’ouvrant à la discussion, sans jamais la graver dans le marbre. (Ibid. 2017, 45)

Les auteurs font généralement état de trois, voire quatre, vagues. Souvent, les descriptions des deux premières vagues ne varient pas beaucoup. En revanche, des différences, qu’il est difficile de cerner, existent entre les définitions des troisième et quatrième vagues. Comme l’explique Adrienne Trier-Bieniek, quand une vague disparaît, une autre apparaît en s’appuyant sur la structure de la vague précédente (2015, xv).

1.2.1 LA PREMIÈRE VAGUE

Les débuts de la première vague féministe restent difficiles à situer et les avis divergent beaucoup à ce sujet. Michèle Riot-Sarcey explique que c’est « la Révolution française [qui]

inaugure une ère nouvelle : l’aspiration collective à l’égalité de tous et de chacun » (2008, 4) et qu’elle « […] ouvre l’ère du féminisme en posant la question du statut de la moitié de l’humanité, indirectement impliquée par la [Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen] » (Ibid. 2008, 5‑6). Ainsi, pour l’auteure, le début du féminisme coïncide avec la fin du XVIIIe siècle. Edgar- Rosa, pour sa part, estime que la première vague du féminisme correspond à la Révolution industrielle, soit au début du XIXe siècle. Selon Charpenel et Pavard, la première vague commence en 1860 et s’étend jusqu’à la Seconde Guerre mondiale (2013, 265).

Les féministes de la première vague inscrivent le droit de vote des femmes au cœur du débat. Les actions radicales des suffragettes visent à obtenir ce droit : elles s’enchaînent « aux lieux de pouvoir, […] renversent les urnes pendant les élections » et brisent notamment les vitrines des magasins de Londres (Blandin 2017b; Charpenel et Pavard 2013). Les féministes réclament également le droit au travail et à l’éducation (Edgard-Rosa 2016, 186‑87). Eliane Gubin explique que la première vague vise « l’égalité des droits entre les hommes et les femmes » (Gubin et al. 2004, 425) et ce, comme Karine Bergès le précise, sur les plans juridique, civil et politique (Bergès 2017, 16).

1.2.2 LA DEUXIÈME VAGUE

La deuxième vague commence après la Seconde Guerre mondiale et s’étend jusqu’aux années 1980 (Charpenel et Pavard 2013, 265). Le mantra des féministes de la deuxième vague est que « le personnel est politique » (Trier-Bieniek 2015, xvi). L’encyclopédie Encyclopoedia Britannica donne la définition suivante de ce slogan :

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The personal is political, also called the private is political, political slogan expressing a common belief among feminists that the personal experiences of women are rooted in their political situation and gender inequality. (Kelly 2017)

Différentes thématiques, telles que la famille, la sexualité et les violences faites aux femmes, sont abordées pendant cette deuxième vague. Il y est également question de la répartition des rôles, de la domination masculine, du sexisme et du patriarcat (Edgard-Rosa 2016, 186‑87). De plus, le souci de l’égalité salariale commence à être timidement formulé (Trier-Bieniek 2015, xvi). Selon Gubin et collaborateurs, la deuxième vague du féminisme « veut se libérer de la domination masculine, désignée par le concept du patriarcat » (2004, 427). Les femmes revendiquent donc le « libre accès à la contraception, la dépénalisation de l’avortement et la criminalisation du viol [et tout ce qui a trait à la] libéralisation corporelle des femmes » (Ibid.). Elles luttent également « contre la violence symbolique, les images dégradantes des femmes, la pornographie » et les violences quotidiennes, en famille et au travail (Ibid.). Les féministes revendiquent le « droit à disposer de [leur] corps » (Blandin 2017a, 10). À ce sujet, Gubin écrit :

[La deuxième vague] permet aux féministes d’exprimer le plaisir de se retrouver entre femmes. La mise en commun des expériences de femmes, l’analyse des fondements de la hiérarchisation des sexes ouvrent la voie à une redéfinition du genre, comme construction sociale. La sexualité est approchée comme le lieu cardinal de l’oppression, et donc de la libéralisation. (Gubin et al. 2004, 427)

Des groupes de réflexion (consciousness-raising groups) font leur apparition et participent à la transmission des idées féministes pendant la deuxième vague (Kalogeropoulos Householder 2015, 20). Selon Jenn Brandt et Sam Kizer, ces groupes informels sont à l’origine de toutes sortes de manifestations organisées (sits-in, marches, etc.), qui sont devenues la marque de fabrique de la libération des femmes (2015, 116).

Cette deuxième vague voit également émerger le concept de « sororité » (sisterhood) (Kalogeropoulos Householder 2015, 20) : « […] les mouvements issus de la deuxième vague mettent l’accent sur la solidarité entre toutes les femmes (la sororité), faisant du “nous les femmes” un mot d’ordre rassembleur » (Charpenel et Pavard 2013, 271). Toutefois, comme l’expliquent Charpenel et Pavard : « […] très tôt, des militantes et des chercheuses remettent en cause l’unicité et l’homogénéité du groupe femmes en montrant qu’il est traversé par des inégalités de classe, de race et de sexualité » (2013, 271). En effet, la deuxième vague féministe a été très critiquée pour ne pas avoir laissé leur place aux femmes de couleur et aux femmes de toutes les classes sociales (Trier-Bieniek 2015, xvii). Leurs voix ne seront entendues que plus

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tard, au cours de la troisième vague notamment, avec la naissance de mouvements tels que le

« Black Feminism ».

1.2.3 LA TROISIÈME VAGUE

Edgard-Rosa situe la troisième vague du féminisme, qu’elle qualifie de « multiple », à la fin des années 80 (2016, 186‑87). Selon Diane Lamoureux, le concept de « troisième vague » est apparu dans les années 1990 aux États-Unis pour désigner les féministes nées après les années 1970 (2006, 57). Toutefois, elle précise que l’« on ne peut pas aussi clairement distinguer le féminisme de la troisième vague de celui de la deuxième que l’on peut distinguer celui de la deuxième de celui de la première vague » (Ibid. 2006, 58). Et elle ajoute que, d’une part, il n’y a ni

« coupure temporelle » entre les générations, comme ce fut le cas entre les deux premières vagues, ni « volonté de rupture » avec les vagues précédentes. D’autre part, les thèmes sont les mêmes et les structures sont organisées de manière similaire « (comités jeunes à l’intérieur d’organisations féministes existantes) » (Ibid. 2006, 58‑59). Lamoureux nuance son propos :

Pourtant, on peut noter des inflexions qui méritent réflexion et dont le dénominateur commun semble résider dans l’idée de diversité : diversité des acteurs (mixité), diversité des enjeux (intersectionnalité), diversité des stratégies. (2006, 58‑59)

La troisième vague est souvent considérée comme « post-féministe ». Or, comme le fait remarquer Lamoureux, « quiconque un tant soit peu attentive à la réalité sociale ne peut que constater la persistance des inégalités de genre » (2006, 59). Elle explique que la troisième vague provient des études féminines (women’s studies), qui sont ensuite devenues les études de genre (gender studies).

Ce féminisme « universitaire » a été critiqué. En effet, les féministes de la troisième vague veulent « revaloriser le rapport théorie/pratique qui a pesé de façon décisive sur le caractère profondément subversif du féminisme de la deuxième vague » (Lamoureux 2006, 60). La troisième vague féministe veut donc non seulement prendre en compte les inégalités de genre, mais aussi les inégalités « raciales » ou de classe (Ibid.). Adrienne M. Trier-Biniek précise qu’un des chevaux de bataille de la troisième vague est l’inclusion des femmes non occidentales dans les débats sur le droit des femmes (2015, xx). Chandra Mohanty, dans son essai « Under Western Eyes : Feminist Scholarship and Colonial Discourses » (1984), critique le féminisme occidental ainsi que la vision de la femme du tiers monde. Cette troisième vague se veut également « la critique des identités collectives et des politiques identitaires » (Lamoureux 2006, 61). L’identité et les sexualités sont considérées comme plurielles et ne s’excluent plus mutuellement. La binarité est remise en question au profit de l’idée de continuum. Le féminisme de la deuxième

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vague a « suscité une réflexion anti-essentialiste qui récusait la naturalité du sexe et du genre et en faisait des constructions sociales, susceptibles d’un travail de déconstruction pratique, autant sur les plans personnel que politique » (Ibid. 2006, 63). Les féministes luttent également contre le racisme et le capitalisme et elles mettent l’écologie et la santé au cœur des débats (Bergès 2017, 17).

D’après Trier-Bieniek, la culture populaire a été un tremplin pour les militants de la troisième vague. Elle estime également que c’est essentiellement le mélange de la culture populaire et du féminisme qui a fait la troisième vague du féminisme, car « il a permis aux nouvelles générations de féministes d’être ce qu’elles voulaient être, mais avec une conscience politique »6 (2015, xx). April Kalogeropoulos Householder explique que d’autres thèmes ont été abordés pendant la troisième vague, tels que les femmes dans la musique, les droits LGBT et queer, la mondialisation et le harcèlement sexuel (2015, 21).

1.2.4 LA QUATRIÈME VAGUE

Selon certains chercheurs, il existe une quatrième vague du féminisme. Prudence Chamberlain explique qu’il est difficile de la définir précisément (2017, 11), notamment en raison de l’utilisation très récente de ce terme (Dean et Aune 2015; Evans et Chamberlain 2015;

Munro 2013). Selon Jonhathan Dean et Kristin Aune, les nouvelles formes de militantisme ont émergé au milieu des années 2000 (2015).

Chamberlain affirme que la quatrième vague ne peut pas simplement correspondre au besoin de reconnaissance d’une génération de jeunes féministes, mais ne peut pas non plus être écartée au vu de la continuité dans l’histoire du féminisme. Au sujet de la technologie, elle ajoute :

The campaigns and use of technology inevitably alter and impact upon prevailing affects, adding good feelings of solidarity, proactivity and change, into what might otherwise be an unsettling and upsetting environment. (2017, 12)

Comme Chamberlain, la plupart des auteurs s’accordent sur le caractère central, fondamental même, de la technologie et de la culture numérique pour le féminisme de la quatrième vague (Trier-Bieniek 2015, xxii). Selon Chamberlain, la quatrième vague se sert beaucoup de la technologie en général et, plus particulièrement, des réseaux sociaux pour transmettre des messages rapidement. En effet, quelques clics suffisent à créer et à faire circuler

6 Citation en langue source: “Essentially, the combination of pop culture and feminism signified the third wave because it allowed new generations of feminist women to be who they want to be, but with a political consciousness.”

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une pétition ou à organiser une manifestation. Internet a permis de faire du féminisme un sujet mondial où toutes les voix peuvent être entendues. Certains réseaux peuvent avoir des effets concrets et un site Internet tel qu’Everyday Sexism (« Everyday Sexism Project ») « pourrait susciter un effet positif d’émancipation et de visibilité »7 (2017, 151).

À ce propos, rappelons l’émergence sur les réseaux sociaux du hashtag #MeToo à la suite de l’affaire Weinstein, qui faisait les gros titres dans la presse à la fin de 2017. Comme l’explique Chamberlain, Internet, par ses utilisateurs, peut véhiculer un sentiment de solidarité (2017, 149). C’est d’ailleurs de ce schéma qu’a émergé le mouvement #MeToo. Un grand nombre de femmes qui avaient alors été harcelées sexuellement ont publié ce hashtag sur leur profil.

L’ampleur prise par le mouvement #MeToo sur la toile a montré une réalité où le harcèlement était récurrent pour les femmes. Une grande solidarité a émergé de ce hashtag et d’autres campagnes en ligne (Mendes, Ringrose, et Keller 2018).

Le cyberféminisme a émergé au cours de la quatrième vague. Brandt et Kizer le définissent comme une « activité digitale et en ligne qui promeut explicitement les questions de genre et/ou un engagement actif dans les politiques féministes »8 (2015, 118). Les auteurs précisent ce point de vue :

Using the Internet to mobilize action and raise awareness is necessary and good, but there has to be a deeper meaning, direction, and force behind such movements if the fourth wave is going [sic.] make any sort of lasting or permanent change. (Ibid. 2015, 125)

Cependant, Chamberlain souligne qu’en raison de l’anonymat qu’ils favorisent, les réseaux sociaux peuvent également devenir le théâtre de la misogynie, du harcèlement et du « trolling »9, en raison de l’anonymat qu’ils favorisent (2017). Claire Blandin abonde dans ce sens et considère qu’« Internet ne remet pas seulement en cause les hiérarchies de genre, il les réactive également, certains phénomènes tels que le cyber-harcèlement en montrent la prégnance » (2017b, 13).

7 Citation en langue source: “Converging affects do not always complement one another either:

while Everyday Sexism might create positive feelings of empowerment and visibility, the pure volume of submissions also communicates a sense of hopelessness in the face of an overwhelming obstacle.”

8 Citation en langue source: “As a result, “cyberfeminism” has emerged to refer to online and digital activities that explicitly support issues of gender awareness and/or an active engagement with feminist politics.”

9 “Trolling relates specifically to Internet practices, and is used to describe a person or people who relentlessly hassle another person online” (P. Chamberlain 2017, 16).

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18 1.2.5 CONCLUSION INTERMÉDIAIRE

Éliane Gubin et collaborateurs, terminent leur ouvrage Le siècle des féminismes par un bilan que nous reprendrons brièvement en guise de conclusion. Les auteurs reviennent sur les acquis du féminisme, principalement en Occident. Ils estiment que, même si les femmes ont désormais le droit de vote presque partout, celui-ci « ne produit aucune égalité tant qu’il n’est pas couplé aux autres droits » (Gubin et al. 2004, 430). En Occident, les femmes ont obtenu la capacité juridique, ce qui signifie que la femme peut disposer librement de ses biens et que son mari n’a plus les pleins pouvoirs sur elle : il est son égal aux yeux de la loi. Cependant, l’égalité économique n’est pas encore acquise. Même si les femmes occidentales ont de plus en plus accès à toutes les professions, elles se heurtent encore au « plafond de verre »10. Le corps de la femme a été soustrait à son instrumentalisation par les droits reproductifs. Toutefois, le partage inégal des tâches ménagères « pénalise encore les femmes » (Gubin et al. 2004, 433). En effet, selon une étude de l’INSEE « en 2010, les femmes effectuent […] la majorité des tâches ménagères et parentales — respectivement 71 % et 65 % » (Champagne, Solaz, et Pailhé 2015). En dépit de ces réussites, « il faut bien admettre que la fin du XXe siècle n’a pas signifié la fin des inégalités de sexe ni du sexisme » (Gubin et al. 2004, 433). Michèle Riot-Sarcey estime quant à elle que :

Les femmes ont obtenu les droits d’exister socialement et politiquement.

Reste à conquérir le pouvoir de les exercer. Dans ce sens, le féminisme reste une utopie, c’est-à-dire une lutte pour l’égalité en devenir. En France, comme dans tous les autres pays. (2008, 111)

La troisième vague se concentre notamment sur l’inclusion des personnes « exclues » des deux premières vagues du féminisme, tout en s’ouvrant à différents thèmes tels que le capitalisme ou l’écologie.

Le féminisme opère un virage lors de l’arrivée du numérique et c’est à ce moment qu’émerge la quatrième vague. Celle-ci est donc très récente et s’étend au monde entier grâce à Internet et à la technologie.

Il ressort de ce chapitre que, malgré les nombreuses vagues du féminisme, la lutte est loin d’être terminée, car les inégalités et les discriminations subsistent, même si les femmes ont, notamment en Occident, de plus en plus de droits (droit de vote, droit à l’avortement) et accès à des professions dites « d’hommes ».

10 « Le “plafond de verre”, c’est le constat qu’il existe un plafond invisible auquel se heurtent les femmes dans l’avancée de leur carrière ou dans l’accession à de hautes responsabilités, et qui les empêche de progresser aussi vite et autant que les hommes » (Hullot-Guiot 2016).

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1.3 THÉÂTRE ET LITTÉRATURE FÉMINISTES

Le féminisme n’est pas uniquement théorique et apparaît dans différents types d’art, notamment dans la littérature (et, ainsi, la traduction comme nous le verrons à la section La traduction féministe, page 24) et le théâtre. Ainsi, il nous paraît intéressant de nous pencher sur quelques œuvres féministes majeures dans ces domaines. Ce chapitre ne vise toutefois pas l’exhaustivité, mais il a plutôt pour but de présenter brièvement les ouvrages les plus connus.

Nous débuterons par un survol des essais fondateurs de ce courant, puis nous aborderons la littérature féministe et nous nous concentrerons enfin sur le théâtre féministe.

1.3.1 SURVOL DES « CLASSIQUES » DU FÉMINISME

En 1949, Simone de Beauvoir écrit une des œuvres qui constituent les fondements théoriques du féminisme : Le Deuxième Sexe (1949). Ce livre est considéré comme une œuvre de la deuxième vague féministe. Selon Riot-Sarcey « Simone de Beauvoir a été, en partie du moins, le détonateur des changements intervenus dans les années 1960 ; et l’évolution qui en a découlé a été sans doute plus radicale encore qu’on ne se l’est figuré alors » (2008, 93). Elle ajoute que :

La sexualité, refoulée jusqu’alors par les organisations féminines, apparaît dans sa dimension libératrice. Le supposé déterminisme naturel est pensé comme le produit d’une construction sociale et les choix féminins, héritage de l’essentialisme, sont analysés comme des pièges d’une « féminité » dont le sujet doit se répartir pour être en mesure d’exister : la femme – représentation identitaire des femmes – ne trouvait « sa liberté qu’en choisissant la prison ». (Ibid. 2008, 93)

En 1963, Betty Friedan publie The Feminine Mystique (1963). Trier-Bieniek explique que Friedan a perdu son travail, car elle était enceinte. Pendant sa grossesse, elle a posé des questions à d’autres femmes et a réalisé que celles-ci mettaient leurs carrières de côté pour fonder une famille, mais qu’elles n’étaient pas suffisamment stimulées du point de vue intellectuel. C’est la raison qui l’a poussée à écrire son essai (2015, xvii).

Parmi les œuvres « classiques » de la troisième vague, nous pouvons citer Gender Trouble de Judith Butler, essai sur le genre. Butler y aborde notamment les sujets du genre, de l’identité, de la notion de « catégorie femmes »11 (Baril 2007). Ses théories ont beaucoup influencé les études de genre (Ledoux 2011).

En 1974, Luce Irigaray écrit Spéculum de l’autre femme (1974). À ce sujet, Riot-Sarcey écrit : « Tandis que Simone de Beauvoir avait mis au jour la construction de la féminité, Luce

11 Baril explique que, selon Butler, la « catégorie femmes » est « […] fondée sur le social » par opposition à la catégorie femme, qui, elle, est déterminée par la biologie. Pour Butler, « [La] lutte du féminisme “classique” » est fondée sur cette catégorie (Baril 2007, 68‑69).

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Irigaray se préoccupe du sujet qui la porte » (2008, 104). Julia Kristeva, quant à elle, « analyse l’identité des positions féminines (petite fille, mère, femme, etc.) dans le cadre d’un système linguistique qui leur échappe » (Ibid.). Riot-Sarcey explique que ces deux auteures sont souvent associées à Hélène Cixous par les Américains pour former ce qu’ils appellent le « French Feminism » (Ibid.). Cette dernière est reconnue notamment pour son ouvrage Le rire de la Méduse, qui déconstruit le mythe du « continent noir » et celui de la figure mythologique de la Méduse en tant que femme fatale (Segarra 2010). Monique Wittig a également eu une grande influence « théorique sur la pensée et la création féminines » (Plana 2012, 27).

1.3.2 SURVOL DE LA LITTÉRATURE FÉMINISTE

Il serait bien trop ambitieux de vouloir aborder l’ensemble de la littérature féministe. Nous nous concentrerons donc sur une sélection d’auteures célèbres. Nous pouvons commencer par citer quelques auteures de la première vague, telles que Jane Austen, qui publie des œuvres centrées sur des personnages féminins, ou Mary Shelley, auteure du célèbre Frankenstein et fille de Mary Wollstonecraft (une des premières féministes), dont elle s’inspire (Trier-Bieniek 2015, xvi). Il convient également de mentionner Virginia Woolf et Gertrude Stein, les écrivaines

« littéraires féminines du XXe siècle » (Plana 2012, 266). L’écriture réaliste de la première remet notamment en question la domination masculine et la soumission féminine (Aajiz 2013).

Gertrude Stein, quant à elle, rejette consciemment la tradition littéraire patriarcale à travers son langage expérimental (Cengage 2005). En outre, selon Plana, Marguerite Duras incarne, pour sa part, l’écriture féminine (2012, 275). Nous citerons également Germaine de Staël, qui a vécu jusqu’au début du XIXe siècle. Un site consacré à cette auteure résume son point de vue :

La Révolution a fait régresser la condition féminine : voilà la réalité qu’elle constate et proclame, soulignant avec effroi le recul juridique, social, politique des femmes, et les malheurs auxquels les condamne leur position subordonnée dans la famille et dans la société. (« Société des études staëliennes »)

À une époque différente, Françoise Sagan met en scène des « protagonistes désabusés » (St-Jacques, des Rivières, et Savoie 1997, 121) et est également considérée comme féministe, notamment pour son premier roman Bonjour tristesse (1954). Plus tard, la quatrième vague féministe voit naître plusieurs œuvres de la culture populaire, telles que l’autobiographie de Malala Yousafzai : I Am Malala: The Story of the Girl Who Stood Up for Education and was Shot by the Taliban (Yousafzai et Lamb 2013). Co-écrit avec une journaliste et publié en 2013, ce récit autobiographique est considéré comme féministe, car le cheval de bataille de Malala est l’éducation des filles dans le monde entier. Nous pouvons également signaler, même s’il ne s’agit pas d’une œuvre littéraire mais plutôt d’une œuvre audiovisuelle, le film d’animation Frozen

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signé par Disney. En effet, il a remporté un grand succès en 2015 (Trier-Bieniek 2015, xxiii). Par les thèmes que traite la production, notamment l’amour entre sœurs, elle sera rapidement identifiée comme féministe. Trier-Bieniek explique que cette histoire de princesse n’est effectivement pas comme les autres, car elle raconte les histoires des femmes de leur propre point de vue et ajoute que :

This overwhelming acceptance of the film could be attributed to girls and women finding a story which seemingly honored the experience of having a sister (or close female friend) and privileging that relationship above romance or love-interests. (2015, xiv)

Dans une perspective plus proche de ce travail, Lucie Ledoux étudie des œuvres littéraires écrites par des femmes et qui ont trait à la sexualité féminine. Ces œuvres subvertissent les discours masculins à ce sujet en se les réappropriant (2011, vii). Elle compare entre autres Baise-moi de Virginie Despentes (2002), L’Inceste de Christine Angot (1999), Passion simple, Se perdre et L'usage de la Photo d’Annie Ernaux (1991, 2001; Ernaux et Marie 2005) et La Vie sexuelle de Catherine M. de Catherine Millet (2001) sous l’angle de la pornographie et du féminisme. Selon Ledoux, ce sont « des témoignages privés […] et des prises de paroles publiques » (2011, 18).

1.3.3 SURVOL DU THÉÂTRE FÉMINISTE

Selon le point de vue qu’adopte Muriel Plana dans son ouvrage Théâtre et féminin : identité, sexualité, politique, il existe plusieurs catégories de théâtres : le théâtre des femmes, le théâtre féminin, le théâtre féministe et le théâtre queer. Le premier concerne le théâtre écrit et/ou mis en scène par des femmes, mais qui n’est pas pour autant qualifié de féminin ou de féministe. Le théâtre féminin, quant à lui, vise une « esthétique spécifiquement féministe », indépendamment du sexe de son créateur (2012, 295). Le théâtre queer tente de « dépasser les perspectives féministes traditionnelles ou féminines traditionnelles pour interroger plus largement, d’un point de vue politique, les sexes, les genres, les sexualités et l’érotisme » (Ibid.

2012, 295‑96). Enfin, l’auteure donne la définition suivante du théâtre féministe : Dès lors, s’il fallait donner à notre tour une définition provisoire de ce que serait une œuvre dramatique féministe, nous dirions que c’est une œuvre politique qui interroge de façon centrale, complexe et approfondie les représentations du féminin et les relations entre les sexes, qui les travaille selon un mode d’approche dialogique, dans une forme expérimentale, avec des objectifs philosophiques et critiques, éventuellement utopiques et/ou fantasmatiques. (Ibid. 2012, 322)

Notons que, pour l’auteure, le théâtre féministe doit traiter les thèmes suivants : « la domination masculine, les hiérarchies entre les genres, les inégalités entre les sexes et […]

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l’émancipation de la catégorie sexuelle des femmes » (Plana 2012, 285). Au vu de ces éléments, la section Caractère féministe du texte (page 54) traitera de la nature féministe de The Vagina Monologues, dans laquelle tous ces sujets se retrouvent.

À titre d’exemple, Plana cite le théâtre de Marguerite Duras, Nathalie Sarraute, Leslie Kaplan, Nancy Huston et Sarah Kane (Plana 2012, 27). Selon elle, les œuvres de Marguerite Duras sont un théâtre « féminin », même si elle estime que :

[Elle] pouvait, dans son temps, être considérée comme féministe, puisqu’elle était l’œuvre d’une femme et qu’elle ouvrait le féminin […] à la représentation à travers des personnages, une sensibilité, une manière de raconter et de dire différente de ce qui se faisait à l’époque. (Ibid. 2012, 301)

Plana se penche davantage sur des œuvres théâtrales qu’elle considère comme féministes.

Elle étudie les pièces de Nathalie Sarraute, de Rainer Werner Fassbinder et d’Elfriede Jelinek. La première est « souvent opposée à Marguerite Duras » (2012, 306). Alors que le nom, le statut social et le physique de ses personnages ne sont pas décrits, ils sont souvent marqués par leur différence de sexes (Plana 2012, 307). En effet, dans les trois pièces analysées (C’est beau, Pour un oui ou pour un non, Elle est là), les hommes (souvent désignés par un simple H ou LUI) déclenchent le conflit et détiennent le pouvoir. Les femmes (désignées par F ou ELLE), quant à elles, sont « des éléments gênants au sein d’une logique de verbalisation et de qualification du monde dans laquelle elles ne se reconnaissent pas ou dont elles s’excluent d’elles-mêmes » (Ibid.). L’auteure ajoute que :

Le théâtre de Sarraute n’est ni transgressif ni subversif en lui-même, mais il est, à sa façon, politique. Il l’est avant tout parce qu’il est dialogique. Ce dialogisme […] s’exprime dans sa manière expérimentale, juste et exhaustive de se faire l’écho des différences sexuelles (et sociales) dans l’accès au langage et dans l’accès aux idées, dans la manière de se précipiter dans le conflit ou de chercher à le fuir ou à l’esquiver, de transformer l’espace du discours et de la conversation courante en « champ de bataille » ou en espace de consensus mou et conformiste tout aussi délétère, mais sans prendre parti pour ou contre ses personnages. (Ibid. 2012, 312)

Rainer Werner Fassbinder, lui aussi, est conscient « des rapports de domination entre les êtres ». Ses pièces, Les larmes amères de Petra von Kant et Liberté à Brême (Fassbinder, Ivernel, et Müller 1977), « racontent des trajectoires d’émancipation féminine par rapport à ces logiques de domination » (Plana 2012, 314). En effet, dans ces deux pièces, des femmes se confrontent à leur entourage. Fassbinder opte « pour la transgression et pour l’extrémisme dans son esthétique et dans son propos » (Ibid. 2012, 314). Plana considère que le féminisme de Fassbinder est « transgressif et provocateur » (Ibid. 2012, 317).

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Selon Plana, Elfriede Jelinek, en tant qu’écrivaine, ne peut faire qu’un « travail critique, négatif, désillusionnant » de révélation du « Pouvoir patriarcal dans la langue telle qu’elle est » et

« désacraliser » et « démystifier » celle-ci. Elle s’efforce de « dénoncer avec une ironie féroce […]

tout ce qui […] fait la promotion d’une “nature féminine” ». Elle contribue également à désacraliser la « figure de l’auteur créateur, de l’artiste omnipotent en général ainsi que du culte du “génie” hérité du XIXe siècle […] » (Plana 2012, 320).

Sarah Kane est considérée comme féministe par Muriel Plana, car dans son œuvre elle défait le féminin chez les femmes et l’impose aux hommes. Plana y voit « l’expression d’une lutte pour le pouvoir ». En outre, Kane « explore sans jugement, grâce à l’amoralité de la fiction théâtrale développée, sans tabous ni autocensure, la “haine du féminin”, explorant ses causes et expérimentant ses effets jusqu’à leurs plus extrêmes limites » (Plana 2012, 234).

Nicole Boireau cite elle aussi quelques exemples de pièces féministes, dans le théâtre anglais des années 1980. Elle commence par analyser Tanzi (1980) de Claire Luckham (Luckham, Harris, et Mannion 1991) dont elle résume l’intrigue ainsi :

[…] Tanzi va se livrer à des combats de catch pour triompher des obstacles d'ordre patriarcal, pour s'affranchir des servitudes archaïques et pour devenir, véritable exploit, une personne à part entière. (2005, 29)

À la fin de la pièce, Tanzi gagne un combat contre son mari, qui, en tant que perdant, doit rester au foyer tandis qu’elle deviendra catcheuse professionnelle. Boireau analyse ensuite la pièce Rippen Our Darkness (Daniels 1991) de Sarah Daniels qui « dresse une critique en règle de l'autorité patriarcale » dont Mary, l’héroïne, est prisonnière (2005, 29). Ainsi, Boireau considère cette pièce comme « égalitaire et militant[e] ». Enfin, elle analyse la pièce Top Girls (1982) de Caryl Churchill, qu’elle qualifie de « féminisme d’obédience socialiste ». Dans cette pièce, les femmes qui y sont interprétées ont toutes dû se battre pour obtenir un peu de liberté et

« contribuer, sans le savoir, à faire progresser la cause des femmes, à faire entendre leurs voix » (Boireau 2005, 30). Dans ces pièces, les auteures utilisent souvent le monologue. Comme l’explique Boireau :

Le monologue agit comme une confession, comme un secret partagé avec la complicité du public ; il introduit des moments de révélation dérangeants, riches en développements, il cite d'autres discours, il imite d'autres voix, il permet l'empathie, il prend le public en otage en quelque sorte, mais il lui donne aussi les raisons de ses émotions. En effet, il s'affirme comme procédure de distanciation, car il force la réflexion. (2005, 32‑33)

Nous aurons donc l’occasion de revenir sur ce point lorsque nous nous pencherons sur l’analyse des monologues de The Vagina Monologues (section Analyse, page 65).

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Mentionnons qu’il existe également des troupes de théâtre féministes. Aux États-Unis, en 1976, deux collectifs voient le jour : Women’s Experimental Theatre (WET) et At The Foot of the Mountain (ATFM) (Scott 2003). À Londres, le Women’s Theatre Group, créé en 1973 est rebaptisée The Sphinx en 1990 (« Sphinx Theatre Company »).

Ainsi, ce tour d’horizon des « classiques », de la littérature et des pièces de théâtre féministes nous aura permis de constituer une base solide constituée d’éléments, théoriques comme concrets, dans plusieurs domaines sur le thème du féminisme.

1.4 CONCLUSION

Comme nous l’avons vu dans ce chapitre, le féminisme est généralement décrit comme décomposable en trois, voire quatre, vagues. Les deux premières se focalisent sur les droits sociaux et politiques des femmes. La deuxième vague met en plus l’accent sur la libération des corps et de la sexualité. Elle s’étend également à d’autres thèmes plus vastes. La troisième vague se distingue de la deuxième, car elle englobe les personnes et les sujets qui, jusqu’alors, ne constituaient pas une priorité pour les féministes. Enfin, la quatrième vague, grâce à la technologie et à Internet, rend la mobilisation féministe plus aisée. Elle a également une portée beaucoup plus étendue. Cependant, Chamberlain défend l’idée qu’en dépit de l’accent portant sur la division en plusieurs vagues, le féminisme a un but unique : créer une société dans laquelle les hommes et les femmes sont traités de manière égale (2017, 12).

Dans ce chapitre, nous avons également présenté brièvement les œuvres majeures liées au féminisme en évoquant les essais théoriques, la littérature et le théâtre qui ont joué un rôle fondateur. Une grande diversité ressort de cette sélection et montre que le féminisme est très présent dans ce type d’écrits. En effet, aujourd’hui, notamment dans nos sociétés occidentales, il est difficile d’ignorer le féminisme. Des problèmes tels que l’égalité salariale entre les hommes et les femmes, le harcèlement (de rue, au travail) ou encore les droits des personnes LGBT+ sont régulièrement soulevés.

À la section Caractère féministe du texte (page 54), nous reprendrons ces différents éléments afin de déterminer si The Vagina Monologues peut être considéré comme une œuvre féministe et, si tel est le cas, dans quelle vague elle s’inscrit.

PARTIE 2 LA TRADUCTION FÉMINISTE

Dans cette deuxième partie théorique, nous présenterons un état de la question de la traduction féministe, en nous intéressant tout d’abord aux métaphores autour de la traduction, ce qui nous conduira à une discussion sur les notions de fidélité au texte source et de l’autorité

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de celui-ci. Nous aborderons ensuite les défis techniques que rencontrent les traductrices12. Nous expliquerons également que les traductions féministes permettent de mettre en valeur des œuvres et des traductrices oubliées. Nous exploiterons ensuite des exemples de traductions féministes de textes religieux. Enfin, nous évoquerons la question de la traduction comme outil militant. Nous évoquerons ensuite les différentes stratégies de traduction féministe.

Pour ce faire, nous nous réfèrerons notamment aux ouvrages de Louise von Flotow (1997) Translation and Gender : Translating in the “Era of Feminism”, à différents articles de José Santaemilia (2011, 2017) ainsi qu’à Feminist Translation Studies : local and transnational Perspectives (2017) écrit par Olga Castro et Emek Ergun.

2.1 ÉTAT DE LA QUESTION

La traduction féministe est née dans la période allant de la fin des années 1970 au début des années 1980 dans un contexte bilingue, celui du Québec. Des écrivaines comme Nicole Brossard ont commencé à expérimenter une forme radicale d’écriture qui avait pour but de déconstruire la langue patriarcale en la remplaçant par « une langue nouvelle, expérimentale et subversive visant à réinscrire la subjectivité des femmes dans la langue »13 (Santaemilia 2011, 56). Ce mouvement, appelé « écriture féminine » ou feminist writing, est un moyen expérimental qui vise « à ébranler, à renverser et même à détruire le langage quotidien conventionnel »14 (von Flotow 1997, 14).

À la fin du XXe siècle, les féministes ont donc entrepris de changer la langue patriarcale (et non le message porté par la langue) en expérimentant diverses techniques (von Flotow 1997, 14) :

Writers have tried out new words, new spellings, new grammatical constructions, new images and metaphors in an attempt to get beyond the conventions of patriarchal language that, in their view, determine to a large extent what women can think and write. The theory is that the language women have at their disposal will influence their creativity, affecting their ability to think in revolutionary terms and their capacity to produce new work. (Ibid. 1997, 15)

Selon José Santemilia, l’apparition de la traduction féministe est due à une synergie :

12 Comme l’explique Jean Delisle dans son article « Traducteurs médiévaux, traductrices féministes : une même éthique de la traduction ? », peu d’hommes sont considérés comme des traducteurs féministes à l’exception de Howard Scott, traducteur de « l’Eugélionne » (1993). Dans ce travail, nous choisissons donc d’utiliser le féminin lorsque nous nous réfèrerons aux traductrices féministes en général.

13 Citation en langue source : “[…] the main objective of Québec feminist writing was to deconstruct a conventional patriarchal language that ignored women’s experiences and desires, and to propose a new, experimental subversive language in order to reinscribe women’s subjectivity in language.”

14 Citation en langue source : “[The radical feminist writing] was radical insofar as it sought to undermine, subvert, even destroy the conventional everyday language […].”

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it was a fortunate result of the cross-fertilization of Québec’s écriture au féminin, second-wave feminism, which was strong in France and the United States, the “cultural turn” in translation studies, as well as poststructuralism and deconstruction. (2011, 56)

À l’origine, ce mouvement s’inscrivait dans un contexte canadien. Il s’est ensuite propagé en Amérique du Nord, puis en Europe, avant d’atteindre l’Amérique latine, l’Asie et le Moyen- Orient (Castro et Ergun 2017b, 1).

L’écriture féminine a inspiré la traduction féministe. Des traductrices canadiennes telles que Susanne de Lotbinière-Harwood, Barbara Godard, Luise von Flotow et Sherry Simon ont traduit vers l’anglais les textes expérimentaux des écrivaines québécoises francophones. Ces traductions étaient délibérément féministes, car les traductrices y intervenaient ouvertement (Santaemilia 2011). Les traductrices féministes manipulent consciemment la langue afin de rendre les femmes visibles et d’inverser leur position d’infériorité tant dans le discours que dans la traduction (Ibid. 2011, 57).

2.1.1 « RE-BELLE ET INFIDÈLE » ET MÉTAPHORES AUTOUR DE LA TRADUCTION

Selon les féministes, la traduction était considérée comme une pratique sexiste. Prenons l’exemple de la métaphore de la traduction datant du XVIIe siècle appelée Les Belles Infidèles. Les textes étaient alors traduits selon les mœurs littéraires de l’époque et la beauté du texte cible primait sur la fidélité (Salama-Carr 2001). Selon cette métaphore, les traductions (et les femmes) sont par conséquent soit belles, soit fidèles (L. Chamberlain 1988, 455). Elles ne peuvent pas être les deux à la fois. Susanne Lotbinière-Harwood a fait allusion à cette expression pour la dénaturer en appelant son ouvrage « Re-belle et infidèle ». Elle explique son choix ainsi :

J’ai repris l’expression « les belles infidèles » pour décrire la position subversive que j’adopte en traduisant au féminin, c’est-à-dire en me faisant sujet-femme de l’activité traduisante. Cette prise de position s’insurge également contre la passivité et la subordination du corps traduisant, postures traditionnellement assignées aux traductions comme aux femmes. Si les

« belles » du XVIIe étaient « infidèles » aux œuvres d’origine au profit de leurs propres priorités, les « re-belles » du XXe sont infidèles à la loi du langage patriarcal en ce qu’il nous interdit, nous, les femmes. (1991, 21)

Lori Chamberlain reprend les métaphores usuelles autour de la traduction et du genre.

Elle expose notamment le modèle de Georges Steiner, qu’il décrit dans son ouvrage dont le titre français est : Après Babel : une poétique du dire et de la traduction (Steiner et Lotringer 1991). Il y décrit également le lien entre texte et traducteur, qu’il compare à une relation homme-femme, où l’homme (le texte source) aurait davantage de droits que la femme (le texte cible). Selon lui, le processus de traduction est découpé en plusieurs étapes dont une est directement comparée à

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un acte violent de pénétration et de possession érotique (L. Chamberlain 1988, 463). Plus généralement, Jane Wilhelm résume les résultats de Chamberlain en ces mots :

Les métaphores à connotation sexuelle, telles les « belles infidèles », et le problème de la fidélité en traduction, pour Lori Chamberlain, refléteraient plus profondément une certaine anxiété concernant la paternité et la question des origines en lien avec les concepts d’auteur et d’autorité. (Wilhelm 2014, 165 emphase ajoutée)

Les féministes proposent donc de renverser certaines de ces visions sexistes et de les remplacer par des idées plus positives. Par exemple, à la place du célèbre mythe de Babel, Karin Littau propose de se fonder sur celui de Pandore.

[…] L'auteure propose, à l'instar de l'interprétation du mythe de la tour de Babel visant à démontrer les divers liens unissant la traduction à la parole du Père, une représentation du mythe de Pandore révélant la matrice où s'unissent traduction et langue maternelle, et par où s'entrouvrent, par conséquent, de nouvelles voies pour explorer genre et traduction.15 (2000 résumé en français de l'article de Littau)

Ce mythe permet notamment d’évoquer la pluralité du concept de femme et de l’infinitude des possibilités de retraductions (Santaemilia 2011, 60‑61).

Ainsi, la traduction ou le texte source ont souvent été représentés par des métaphores sexuelles, voire sexistes. Certains auteurs proposent d’envisager la traduction sous un angle différent.

2.1.2 LES NOTIONS D’AUTORITÉ ET DE FIDELITÉ

José Santaemilia explique que le rapport entre les traductrices féministes et l’autorité du texte est complexe. D’un côté, elles revendiquent le statut d’auteures ou de productrices du texte. De l’autre, elles remettent en question la notion même d’autorité. Ces théories féministes s’inscrivent dans les courants poststructuralistes qui déconstruisent les concepts dits patriarcaux, tels que l’autorité. Paradoxalement, cette déconstruction permet aux traductrices féministes d’affirmer le pouvoir qu’elles ont sur le texte. Selon Santaemilia :

15 Traditionnellement, le mythe de Pandore renvoie au mythe de la femme qui ne devait pas ouvrir une boîte qui lui avait été confiée par Zeus. Lorsqu’elle lui désobéit, les plus grands maux se répandirent sur la Terre (« Le mythe de Pandore » 2016). Cependant, une autre version que Littau compare à la traduction dépeint « Pandore, tenant une corne d'abondance dans ses bras [qui] représenterait le

"sérialisme" de la traduction, tandis que Babel évoquant une langue idéale, l'unité ou la culture unique, appartiendrait au "phallologocentrisme". » Littau montre en outre que « différentes versions de Pandore peuvent très bien représenter la multiplicité féminine ainsi que la multiplicité qu'est la traduction » (von Flotow 1998, 125).

Références

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