• Aucun résultat trouvé

1.1 L’AUTEURE

Eve Ensler est une dramaturge féministe militante, née aux États-Unis en 1953. Elle connaît une enfance difficile, car son père abuse d’elle. Elle finit par lui échapper en se rendant à l’université, mais se tourne alors vers la drogue et l’alcool. À 23 ans, elle se marie avec un homme, qui l’aide à en sortir et dont elle adopte le fils (Shetterly 2006).

Après ses études universitaires, elle écrit différentes pièces de théâtre sur des thématiques qui lui tiennent à cœur, mais ne connaît pas un grand succès avant The Vagina Monologues (Ensler 2008). Elle s’appuie souvent sur des faits réels et des interviews pour composer ses pièces. Elle utilise notamment l’humour pour transmettre ses messages, mais ne traite pas pour autant ses thèmes avec légèreté. Son style mêle humour et violence (« Elle.fr »).

Après cette pièce, elle en écrit d’autres, toujours fondées sur des interviews. Elle publie Necessary Targets: A Story of Women and War (Erguvan 2016), qui traite des femmes réfugiées en Bosnie. Une autre pièce, The Good Body (Ensler 2004) évoque les parties du corps des femmes qu’elles détestent et mettent tout en œuvre pour changer. Elle publie ensuite I Am an Emotional Creature (Ensler 2010), qui s’adresse plus particulièrement aux filles et les encourage à réaliser leurs rêves (« Elle »). En 2010, elle est atteinte d’un cancer de l’utérus et écrit ses mémoires dans In the Body of the World (Ensler 2014) (« Wikipedia » 2018).

1.2 LA PIÈCE

The Vagina Monologues est une pièce de théâtre, écrite par Eve Ensler en 199639. À la suite d’une conversation avec une amie qui traverse la ménopause et lui explique qu’elle s’émerveille de son vagin (Scott 2003, 405), Ensler se rend compte que les femmes ont des histoires à raconter, puis s’entretient avec 200 d’entre elles. Emmanuelle Kaeser, dans un mémoire

39 Cette date varie selon les articles et les auteurs, mais la pièce a été jouée pour la première fois en 1996, puis publiée en 1998.

51

consacré à The Vagina Monologues, dont nous reprendrons certains éléments, explique les intentions de l’auteure :

[L’auteure] leur a demandé de « parler de leur vagin ». Elle disait vouloir en savoir plus sur les femmes, savoir ce qu’elles pensent de leur vagin, comment elles vivent leur sexualité, ce qu’elles ressentent. (2003, 7)

Ensler s’inspire de ces interviews pour écrire une vingtaine de monologues. Elle reproduit des interviews sous forme de verbatim, constitue des monologues à partir de plusieurs interviews et en imagine d’autres selon des idées qui ont surgi au fil des conversations (2008, 7).

Les monologues donnent la parole à des femmes de tous âges et de tous horizons, ils abordent différents thèmes, tels que la sexualité, le viol, les menstruations et l’accouchement, sur un ton tantôt humoristique, tantôt grave. L’auteure explore les normes culturelles et les tabous sociaux qui entourent ces expériences, appartenant généralement à la sphère privée (Hammers 2006) :

Ensler's interest in disrupting the taboos that surround the vagina is driven, in part, by the fact that she believes that these taboos help perpetuate a culture of silence in which women are rendered more vulnerable to various forms of violence. (Hammers 2006, 221)

Ainsi, en plaçant les vagins au centre de cette œuvre, elle les rend visibles et elle estime que si les femmes et leur corps sont mieux connus et moins tabous, la violence à leur encontre diminuera.

Au départ, en 1996, Ensler lit sa pièce seule sur une petite scène de Broadway. Puis, très vite, un trio interprète le texte. Des actrices célèbres se succèdent sur scène et participent au succès grandissant des The Vagina Monologues. La pièce obtient un Obie Award en 1997. Selon le site « evensler.org », depuis sa création, le texte a été traduit en 48 langues et est régulièrement réédité. À ce jour, les Monologues ont été joués dans plus de 140 pays, dont la République Démocratique du Congo et l’Irak (« About Eve »).

1.3 LE MOUVEMENT V-DAY

En 1998, au vu du succès rencontré par The Vagina Monologues, Eve Ensler et un groupe de femmes organisent un événement de bienfaisance à New York. La pièce est mise en scène avec de nombreuses personnalités et le spectacle rapporte 250 000 dollars en une soirée. V-Day est lancé. Dans V-Day, le V équivaut à Victoire, à Valentine (la pièce est originellement jouée à la Saint-Valentin) et à Vagin (« V-day »). Il s’agit d’un mouvement militant qui vise à faire cesser les violences faites aux femmes et aux filles. Dans la version publiée pour le dixième anniversaire des The Vagina Monologues, l’histoire de V-Day est contée à la fin du livre :

52

V-Day is a global movement of grassroots activists dedicated to stopping every kind of violence against women and girls, including battery, rape, incest, female genital mutilation, and sexual slavery. V-Day activists believe that whole communities must name these violations as the crimes they are if the violence is to stop. V-Day’s activities are designed to attack the silence - public and private - that allows violence against women to continue. (Ensler 2008, 170)

Ensler est donc convaincue qu’il faut briser le silence qui entoure le corps féminin et la sexualité des femmes afin de faire cesser la violence contre celles-ci, car « le pouvoir ne passera pour les femmes que par la réappropriation de leur corps, jusqu’à ses aspects les plus intimes » (Sauvage 2008, 183). De plus, le site de V-Day définit l'événement comme :

un mouvement mondial activiste pour faire cesser la violence envers les femmes et les filles. V-Day est un catalyseur qui promeut les événements créatifs permettant aux organisations anti-violence existantes de sensibiliser le grand public, de lever des fonds et de trouver un deuxième souffle. (« V-day »)

Ainsi, les étudiants des différentes universités, américaines pour la plupart, mettent en scène The Vagina Monologues ou d’autres pièces d’Eve Ensler comme A Memory, a Monologue, a Rant, and a Prayer (Ensler et Doyle 2007) sur les campus. Le but de cette manifestation est de sensibiliser les milieux étudiants aux problématiques concernant les violences faites aux femmes ainsi que de lever des fonds pour la campagne V-Day et pour les associations locales. Lors de ces événements, le documentaire intitulé Until the Violence Stops (Epstein 2003) est projeté et des groupes de discussions sont mis sur pied. V-Day ne s’arrête toutefois pas là : grâce aux fonds levés et aux organisations locales, des refuges pour femmes sont ouverts en Égypte et en Irak, des campagnes nationales sont menées en Afghanistan, et une conférence des dirigeantes de l’Asie du Sud est mise sur pied (« V-day »).

Les règles qu’il faut suivre pour organiser un événement V-Day sont très strictes. Le site de V-Day précise notamment que les recettes doivent être redistribuées aux associations locales et que l'organisation doit être gérée par des bénévoles. En ce qui concerne le script, il est demandé de n’utiliser que celui de l’année de l’événement et aucune modification ne peut être apportée à l’ordre des monologues ou à leur contenu. Un maximum de trois représentations est imposé.

Certaines règles concernent également les acteurs : ils doivent marquer la diversité « sous toutes ses formes » (« Organize a V-Day Event »).

Dans l’introduction de l’édition publiée pour le dixième anniversaire de la pièce, l’auteure indique que de nombreuses victoires ont été remportées, mais que, bien sûr, « le monde est

53

encore très peu sûr pour les femmes »40 (Ensler 2008). Les causes profondément ancrées des violences n’ont pas été abordées. Ensler estime que :

We have not yet made violence against women abnormal, extraordinary, unacceptable. […] If we are going to end violence against women, the whole story has to change. […] We have to say that what happens to women matters to everyone and it matters A LOT. (2008, xx, xxi)

Depuis 2012, il existe une nouvelle campagne intitulée One Billion Rising. Sur le site de la campagne on peut lire qu’il s’agit de la « plus grande action collective de l’histoire de l’humanité qui vise à faire cesser les violences faites aux femmes » (« One Billion Rising »)41. Cette campagne se fonde sur un pronostic consternant. En effet, en 2012, la population humaine s’élevait à sept milliards et on a estimé que parmi les filles qui naîtraient cette année-là, une sur trois serait violée ou battue au cours de sa vie. Ainsi, la proportion de femmes maltraitées s’élèverait à un milliard, chiffre qui a influencé le nom de la campagne. Le mouvement prend une ampleur mondiale et des manifestations ont lieu autour du globe pour demander que cessent les violences faites aux femmes (Ibid.).

1.4 LES TRADUCTIONS

La pièce a été traduite trois fois en français. Toutefois, en dehors des éléments communiqués dans le mémoire de Kaeser (2003) sur le sujet, les informations sur les traducteurs sont peu nombreuses.

En 1999, Christine Barbaste traduit cette œuvre pour les Éditions Balland. C’est la version que Kaeser étudie dans son mémoire. En 2005, les Éditions Denoël et D’ailleurs publient une autre version de la pièce, celle de Dominique Deschamps. Il adapte et traduit d’abord la pièce pour la Belgique avant de l’importer en France (« Le Progrès » 2015). La page contenant les mentions légales nous donne davantage d’informations concernant la différence entre les deux versions :

La première édition française des Monologues du vagin est parue en 1999 aux Éditions Balland. La pièce a été créée en France, sur la scène du Théâtre Fontaine, le 20 juin 2000, dans une adaptation sensiblement différente de la première traduction. C’est le texte de cette adaptation scénique que les Éditions Denoël ont choisi de publier aujourd’hui. (Ensler 2005, 6)

Les Éditions Denoël et D’ailleurs publient donc une version fidèle aux premières représentations de The Vagina Monologues. Cette version, qui peut être considérée comme un

40 Citation en langue source: “The world is still profoundly unsafe for women.”

41 Citation en langue source: “One Billion Rising is the biggest mass action to end violence against women in human history.”

54

script, est sensiblement différente de la version des Éditions Balland et ne contient, par exemple, pas d’avant-propos. Voici ce que Dominique Deschamps aurait déclaré sur les motivations qui l’ont poussé à importer la pièce :

La lecture d'abord, puis la vision de [l'auteure] jouant son propre texte à Londres, m'ont bouleversé. Le discours […] d'Eve Ensler était exactement celui que j'avais envie d'entendre en ces temps de parité. J'étais très fier qu'on me demande d'adapter cet ouvrage. Oserai-je dire que je me suis senti investi d'une mission ? J'ose… Si le respect de l'autre commence par la compréhension, ces textes sont une formidable leçon pour nous les hommes et source de haute estime de vous-même pour vous les femmes. (« Theatre Online »)

En 2015, les Éditions Denoël et D’ailleurs publient une nouvelle traduction signée par Lili Sztajn.

Comme l’explique Kaeser, les écrits sur la pièce n’abordent pas la qualité des traductions à proprement parler (2003). Certains évoquent en revanche les difficultés rencontrées lors de la traduction de cette œuvre dans des pays dont la culture est très différente de la culture américaine, notamment en Chine (Yu 2017), en Turquie (Erguvan 2016) ou en Corée (Lee 2009).