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Partie 3 Les stéréotypes

3.2 Stéréotypes dans la littérature

3.2.1 CRITÈRES DÉFINITOIRES

Jean-Louis Dufays, qui étudie les stéréotypes dans la littérature appelle « stéréotype » : toute structure verbale, thématico-narrative ou idéologique qui se signale par sa fréquence, son caractère inoriginé, son figement et le caractère problématique de sa valeur (esthétique, morale, référentielle). (1993, 80 emphase originale)

Dans son ouvrage Stéréotype et lecture : essai sur la réception littéraire (2010), il ajoute à ces quatre critères du stéréotype (en italique dans la définition ci-dessus) l’idée que tous les

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« niveaux du discours (idées, thèmes, expressions, actions) et tous les domaines de l’expression et de la pensée (art, littérature, conversation) » (Dufays 2010, 65) peuvent en être affectés. Il soutient également que sa signification est « abstraite et schématique » et qu’il est « porteur d’une valeur rhétorique et/ou idéologique qui ne produit pas nécessairement sur le récepteur l’effet visé par celui qui l’énonce et dont l’interprétation varie selon la situation historique, la compétence culturelle et l’idéologie du récepteur » (Ibid. 2010, 65‑66).

3.2.2 LE STÉRÉOTYPE ET LE LECTEUR

D’après Amossy et Herschberg Pierrot, l’analyse des stéréotypes dans un texte dépend uniquement du lecteur (2011, 73). Elles ajoutent qu’ils ne sont pas toujours immédiatement repérables dans un texte, contrairement aux clichés : « En bref, le lecteur active le stéréotype en rassemblant autour d’un thème (jeune fille, Juif, Gascon) un ensemble de prédicats qui lui sont traditionnellement attribués » (Ibid. 2011, 74). Il passe par différents procédés : la sélection, l’élagage, l’assemblage et le déchiffrement36. Toujours selon elles, le stéréotype est une construction de lecture qu’un lecteur active à la fois selon sa capacité « à construire un schème abstrait et [en fonction] de son savoir encyclopédique, de sa doxa, de la culture dans laquelle il baigne » (Ibid. 2011, 75). En revanche, Dufays estime que « le lecteur est libre de lire comme il le veut, mais que sa liberté ne peut s’exercer qu’au départ de la reconnaissance de structures de sens minimales, qui sont précisément les stéréotypes » (1993, 86).

Selon Amossy et Herschberg Pierrot, il existe deux types de scénarios préexistants sur lesquels le lecteur peut fonder son analyse et sa compréhension du texte littéraire : les scénarios communs et les scénarios intertextuels.

Elles soutiennent que les scénarios communs sont un « savoir commun à tous les membres d’une même communauté culturelle » (Amossy et Herschberg Pierrot 2011, 76). Cette définition va dans le même sens que celle de Dufays, qui maintient que les stéréotypes sont des

« structures de sens minimales » et « constituent la compétence culturelle la plus partagée, le plus petit dénominateur cognitif commun aux membres d’une culture » et que le lecteur devrait donc être capable de « manipuler les stéréotypes » (1993, 86).

Les scénarios intertextuels, quant à eux, sont « empruntés à la littérature et [leur]

connaissance n’est pas nécessairement partagée par tous les lecteurs d’une même communauté » (Amossy et Herschberg Pierrot 2011, 76). Ces scénarios comprennent :

36 Le lecteur « choisit les termes qui lui paraissent pertinents […] » ; retient uniquement ce qui entre dans le schéma ; « il réunit des portions de discours dispersés dans l’espace de l’œuvre ; il [les] interprète dans son sens […] » (Amossy et Herschberg Pierrot 2011, 74).

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les formes textuelles génériques (le conte de fées, la comédie, le roman policier…), les scénarios motifs (la jeune fille persécutée ; y sont déterminés acteurs, séquences, décors, mais non la succession des événements) et les scénarios situationnels (le duel du bandit et du shérif). (Ibid. 2011, 76)

Nous voyons donc que les définitions s’accordent sur le point suivant : les stéréotypes sont des compétences culturelles minimales partagées par une communauté. Dans leur définition, Amossy et Herschberg Pierrot ajoutent un élément culturel et considèrent que la construction du stéréotype dépend de l’environnement du lecteur.

Elles expliquent également comment les théoriciens de la lecture décryptent les œuvres : Pour les théoriciens de la lecture, le déchiffrement ne consiste cependant pas à

retrouver dans le texte des stéréotypies, moins encore à réduire le texte aux schémas préfabriqués qu’on connaît déjà. En effet, nombre sont ceux qui jugent la valeur esthétique d’une œuvre à sa capacité à infléchir, modifier et éventuellement bouleverser les habitudes et les idées toutes faites du public de son époque. (2011, 78)

À cet égard, Eve Ensler a-t-elle bouleversé les idées toutes faites de son public ? Cette question pourrait constituer une piste d’analyse.

3.2.3 L’UTILISATION DES STÉRÉOTYPES ET LES OPÉRATIONS DE LECTURE NÉCESSAIRES POUR LES ANALYSER

Analysons maintenant brièvement les « usages textuels possibles de la stéréotypie » (Dufays 1993, 87). Dufays décrit trois cas. Dans le premier, les stéréotypes abondent sans distanciation, comme dans les romans dits « Harlequin », qui respectent des codes précis liés au genre littéraire des romances (François 2009). Dans le deuxième, les stéréotypes sont constamment mis à distance, comme chez Voltaire, qui parodie un « certain discours idéaliste » dans Candide (Dufays 2010, 247). Dans le troisième, les deux « traitements » précédents s’alternent et les stéréotypes « sont tour à tour légitimés et dénoncés, utilisés et déconstruits » (1993, 87). À ce stade de l’étude, nous imaginons que The Vagina Monologues appartient à la troisième catégorie, mais nous aurons l’occasion de détailler ce point dans l’analyse de l’œuvre.

Dufays étudie les « opérations » que le lecteur effectue dans sa lecture du stéréotype : 1° la reconnaissance du stéréotype en lui-même ;

2° l’identification de sa forme d’énonciation (est-il intégré à l’écriture, démarqué de celle-ci, ou les deux à la fois ?) ;

3° l’interprétation de son régime d’énonciation, c’est-à-dire de la valeur qui lui est attribuée par l’auteur (est-il exploité comme un signe ordinaire, comme un symbole, un indice, une icône ou un signe parodique ? son usage relève-t-il de

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l’innocence, de la nécessité, de la conviction, du calcul, de l’ironie, du jeu, de l’indécision, de la dissémination ou encore de l’ambivalence volontaire ?) ; 4° l’évaluation de cette valeur (correspond-elle ou non à celles qu’attend ou approuve le lecteur ?). (2010, 279)

Nous aurons l’occasion de revenir sur ces différentes questions au cours de l’analyse textuelle, plus particulièrement à la section Brève synthèse de la méthode d’analyse des stéréotypes selon Jean-Louis Dufays (2010) (page 65), car elles nous guideront dans notre partie analytique.

3.2.4 LITTÉRATURE CLASSIQUE VS LITTÉRATURE MODERNE

Selon Dufays, la littérature classique devait se conformer aux stéréotypes et, surtout, ne pas s’éloigner des schémas habituels, sous peine d’être qualifiée de « folle » ou de

« monstrueuse ». En effet, ces stéréotypes représentaient les fondements des valeurs telles que

« l’authenticité (le Vrai), la pertinence morale (le Bon) et le bon goût esthétique (le Beau) » (1993, 82). Dans la littérature moderne, au contraire, ces valeurs sont justement écartées. Par conséquent, selon lui, les écrivains modernes, devraient s’éloigner le plus possible du stéréotype (Ibid. 1993, 82). Toutefois, il soutient que :

[…] les lecteurs modernes ont besoin, pour pouvoir apprécier un texte, d’y reconnaître les formules et les représentations qui leur sont familières, et […]

à l’inverse, même le lecteur le plus traditionnel attend que les textes lui apportent un minimum d’information, que les stéréotypes qu’il estime soient actualisés d’une manière quelque peu inédite. (Ibid. 1993, 83)

Ces propos peuvent sembler contradictoires avec ce qui a été dit précédemment. Or, Dufays affirme que les lecteurs cherchent à la fois à être surpris et à reconnaître des éléments qu’ils connaissent à travers les stéréotypes et leur déconstruction (1993, 83).

3.2.5 CONCLUSION INTERMÉDIAIRE

Ainsi, différents critères existent pour repérer un stéréotype : il est fréquent, son origine n’est pas connue, il est figé, sa valeur est problématique, il peut se situer à tous les niveaux du discours et, enfin, chaque lecteur peut interpréter différemment sa valeur. En outre, il existe deux conceptions de la lecture des stéréotypes. Le lecteur peut, d’une part, activer la reconnaissance du stéréotype et il s’agit alors d’une construction de lecture. D’autre part, les stéréotypes peuvent être considérés comme la structure minimale du texte et toute lecture s’appuie alors sur leur reconnaissance. Il existe donc deux points de vue concernant ces stéréotypes : les scénarios communs au sein d’une culture ou d’une communauté, qui sont cette structure minimale, s’opposent aux scénarios intertextuels, qui sont tirés de la littérature.

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Cependant, l’activité lectrice ne réduit pas les textes à ses stéréotypes, mais la valeur d’une œuvre est évaluée selon sa capacité à faire changer les idées préconçues du public. Dans la pratique, trois modes d’énonciation des stéréotypes existent (énonciation simple, mise à distance et les deux à la fois) et l’auteur donne une valeur à ces stéréotypes, que le lecteur interprète en fonction de ses attentes. Il faut également ajouter que le traitement des stéréotypes varie grandement d’une époque à l’autre. En effet, la littérature classique doit se conformer aux stéréotypes tandis que la littérature moderne essaie à tout prix de s’en défaire.