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Partie 3 Les stéréotypes

3.3 Déconstruction du stéréotype

Dans notre partie analytique, nous nous pencherons sur les différents stéréotypes présents dans The Vagina Monologues et nous essaierons de proposer des manières de les déconstruire. Nous prendrons à présent deux exemples de déconstruction du stéréotype dans la littérature afin de montrer différents procédés concrets pour y parvenir. Le premier exemple est celui de l’œuvre de Jardiel Poncela, qui utilise l’humour pour déconstruire les stéréotypes dans les romans « Harlequin ». Le deuxième, plus connu, est celui de Gustave Flaubert, qui multiplie l’usage des stéréotypes dans Bouvard et Pécuchet.

3.3.1 JARDIEL PONCELA : HUMOUR DANS LE ROMAN D’AMOUR

Dans son article « Dénonciation et récupération du stéréotype dans l’œuvre romanesque de Jardiel Poncela », Cécile François analyse une trilogie de Jardiel Poncela. L’œuvre de cet auteur madrilène du XXe siècle s’inscrit dans le courant des Avant-gardes, qui prônent la distanciation des « modèles hérités de la tradition » (2009, 3). Le travail de Poncela nous intéresse, car il déconstruit les stéréotypes en proposant « une parodie du système idéologique, narratif et stylistique de la littérature amoureuse » (Ibid. 2009, 2). En effet, il s’attaque aux scénarios tout comme à la rhétorique et aux figures de style qui reviennent très souvent dans ce type de littérature. Le récit, écrit par un narrateur-auteur soucieux de respecter les règles traditionnelles du roman d’amour, est constamment interrompu par des remarques méta-narratives, des commentaires et des interventions du narrateur. Celui-ci va même jusqu’à écrire une scène typique du roman d’amour sous deux angles différents37 et il désacralise certains éléments poétiques en jouant sur les mots38. Le but étant d’utiliser l’humour, voire la satire, afin

37 Dans son deuxième tome, il écrit une scène clé remplie de stéréotypes en mettant en garde le lecteur : « Voici à présent comment devrait se dérouler le récit si l'auteur était un idiot ». Il réécrit ensuite la scène, qu’il introduit par un autre commentaire : « Mais comme l'auteur n'est pas encore un idiot, le récit se déroule tout autrement ». François observe donc que ce procédé lui permet de prendre ses distances de la littérature que l’auteur critique (François 2009, 3).

38 Les deux protagonistes sont dans un train et regardent le clair de lune par la fenêtre. L’homme s’émerveille de la beauté de la lune, tandis que la femme répond qu’on « dirait un miroir de salle de bain ».

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d’attirer l’attention du lecteur sur « les codes et les conventions qui régissent la construction du roman d'amour traditionnel en jetant un regard oblique et démystifiant sur ce genre de littérature » (Ibid. 2009, 2). Tout, ou presque, est donc à prendre au second degré. « L'art nouveau fondamentalement iconoclaste, ludique et anti-sentimental revendique, en effet, cette insouciance et cette légèreté caractéristiques des « Années folles » en plaçant le jeu, l'humour et la frivolité au cœur de l'œuvre littéraire et artistique » (Ibid. 2009, 9). Le lecteur est donc considéré comme un complice « actif et compétent, capable d'accepter de se livrer aux différentes activités qui lui sont proposées » (Ibid. 2009, 8). L’auteur le fait participer à des jeux tels que des devinettes ou des dialogues à compléter. Ainsi, Poncela attend de ses lecteurs qu’ils exercent leur « réflexion critique » tout au long de l’œuvre. Sa mission est d’exhiber les stéréotypes et de les démonter « dans une pratique ludique du récit, du langage et de l'écriture pleinement consciente d'elle-même » (Ibid. 2009, 9).

Cécile François conclut ainsi :

Dans sa lutte contre la littérature « préfabriquée », Jardiel Poncela pointe du doigt les situations conventionnelles, les motifs récurrents, les dénouements convenus. Mais il ne se contente pas de déconstruire ou de démonter les stéréotypes, […] [il] revitalise des séquences et des motifs figés. Le geste iconoclaste et subversif se transforme en pratique constructive qui lui permet de forger un nouveau concept de littérature humoristique et de s'inscrire dans le vaste mouvement de rénovation de l'écriture romanesque qui est au cœur des préoccupations des écrivains de l'Avant-garde. (2009, 10)

Cécile François nous fait part d’une première technique pour déconstruire les stéréotypes.

Jardiel Poncela attend que son lecteur analyse l’œuvre d’un regard critique et utilise l’humour dans le récit (situations comiques) et dans le méta-texte (commentaires) pour déconstruire les stéréotypes inscrits dans le genre du roman d’amour. Dufays appelle ce procédé la stratégie de la citation : « l’auteur utilise des stéréotypes en usant de procédés métalinguistiques (guillemets, italiques, commentaires) qui montrent clairement qu’il ne les assume pas a priori et perçoit leur faiblesse » (2010, 241).

3.3.2 GUSTAVE FLAUBERT : UTILISATION « ABUSIVE » DES STÉRÉOTYPES

Vincent Stohler étudie Bouvard et Pécuchet (1881), roman de Gustave Flaubert, dans son article intitulé « Du type au stéréotype : analyse des modalités d’insertion des stéréotypes des physiologies dans Bouvard et Pécuchet ». En effet, Flaubert fonde Bouvard et Pécuchet sur de nombreux stéréotypes, classés dans son Dictionnaire des idées reçues, qu’il utilise pour

L’auteur joue ici sur la polysémie du terme espagnol luna qui signifie à la fois « lune » et « miroir » (François 2009, 4).

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« alimenter les discours de ses personnages » (Stohler 2009, 2). Les intentions de Flaubert sont claires. Il veut « se moquer de tous les savoirs » et qualifie lui-même son texte ainsi : « C'est l'histoire de ces deux bonshommes qui copient une espèce d'encyclopédie critique en farce. » (Flaubert, 1975, 149 cité par Stohler 2009, 13).

Stohler se penche sur les « physiologies ». Il explique que « les auteurs de physiologies se donnent […] pour mission de décrire la société de leur temps en étudiant les mœurs de leurs contemporains » (2009, 3). Les auteurs de ce genre, malgré leur noble projet, se fondent sur des stéréotypes qui se propagent à travers leurs œuvres. Au XXe siècle, les types sont critiqués et Flaubert « entend déconstruire les stéréotypes présents dans les physiologies en les réexploitant dans ses romans, mais en leur imprimant un recul critique » (Ibid. 2009, 4). Il en sature donc le texte afin de les disqualifier. Stohler prend l’exemple du bourgeois et observe comment Flaubert récupère ce type tout au long de l’œuvre. Il note que « le texte flaubertien se trouve façonné selon les impératifs du modèle préfabriqué disponible dans les encyclopédies de mœurs et se réapproprie l’ensemble de ses traits constitutifs » (Ibid. 2009, 5). En effet, les deux personnages sont en réalité des représentations du bourgeois stéréotypé. En accumulant ces éléments, Flaubert critique les physiologies. De plus, la trame du roman n’a rien d’original puisqu’elle se fonde sur la « représentation stéréotypée que se font les gens de la vie du “bourgeois campagnard” » – une référence à l’ouvrage de Frédéric Soulié Les Français peints par eux-mêmes (1842), dans lequel ce type est décrit. Le stéréotype permet donc à la narration d’avancer.

Voici donc une autre technique qui permet de déconstruire les stéréotypes. Dufays appelle cette technique la « récupération » et la définit ainsi : « sans subir d’altération, les stéréotypes sont mis dans la bouche ou dans la pensée d’un personnage par rapport auquel l’auteur prend ses distances » (2010, 241). Nous aurons l’occasion de nous pencher davantage sur cette technique à la section Brève synthèse de la méthode d’analyse des stéréotypes selon Jean-Louis Dufays (2010), page 65.

Roland Barthes, sémiologue français, soutenait que « le seul pouvoir de l’écrivain sur le vertige stéréotypique […], c’est d’y entrer sans guillemets, en opérant un texte, non une parodie.

C’est ce qu’a fait Flaubert dans Bouvard et Pécuchet » (1970, 105). Ainsi, Flaubert utilise les stéréotypes à outrance pour créer ses personnages et construire la trame de son roman, si bien qu’il n’y a presque plus trace du langage de l’auteur, puisque tout vient d’ailleurs, et que les stéréotypes sont déconstruits sans intervention « manifeste » de l’auteur (comme le faisait Poncela avec ses commentaires).

49 3.4 CONCLUSION

Après avoir défini le stéréotype et expliqué qu’il diffère du cliché, car celui-ci est d’ordre linguistique, nous avons évalué les fonctions sociales du stéréotype : la cognition et l’identité sociale. Ainsi, les stéréotypes servent à appréhender le monde selon une perspective validée et à renforcer la cohésion du groupe.

Nous nous sommes ensuite penchée sur le stéréotype dans la littérature. Nous avons résumé les critères définitoires ainsi que les modes de lecture de ces stéréotypes. Nous avons également repris la catégorisation de Dufays. Selon lui, il existe trois énonciations possibles des stéréotypes. La première consiste à énoncer les stéréotypes tels quels (premier degré), la deuxième à les mettre à distance (deuxième degré) et la dernière à combiner les deux premiers modes (troisième degré). La valeur de ces stéréotypes doit être interprétée par le lecteur et elle ne sera alors pas forcément celle que l’auteur entendait. Nous aurons l’occasion de revenir sur ces différents types de stéréotypes à la section Brève synthèse de la méthode d’analyse des stéréotypes selon Jean-Louis Dufays (2010) (page 65).

En outre, nous avons examiné différentes stratégies concrètes de déconstruction du stéréotype. La première consiste à utiliser le second degré afin d’attirer le regard du lecteur sur les stéréotypes propre au genre de la littérature romantique. La présence de l’auteur est très marquée, notamment par ses commentaires méta-narratifs. Il renforce également l’aspect comique de certaines scènes. Ainsi, le lecteur est amené à porter un regard critique sur ce genre de textes. La deuxième « solution » proposée revient à faire dire à des personnages ce que pense l’auteur. Ainsi, ce dernier montre qu’il prend du recul par rapport à ces stéréotypes.

Pour les besoins de notre analyse de The Vagina Monologues, nous reprendrons principalement les trois modes d’énonciation des stéréotypes de Dufays. À la section Brève synthèse de la méthode d’analyse des stéréotypes selon Jean-Louis Dufays (2010) (page 65), nous développerons également les valeurs que peut donner l’auteur à ces stéréotypes ainsi que leurs fonctions.

50 CHAPITRE N°2 TEXTE

Dans ce chapitre, nous présenterons tout d’abord l’auteure, la pièce puis les mouvements V-day et One Billion Rising. Ensuite, nous évoquerons les trois traductions françaises de l’œuvre.

Une fois cette partie terminée, nous passerons aux caractéristiques féministes de ce texte avant de présenter les critiques de l’œuvre.