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Partie 1 Le féminisme

1.3 Théâtre et littérature féministes

Le féminisme n’est pas uniquement théorique et apparaît dans différents types d’art, notamment dans la littérature (et, ainsi, la traduction comme nous le verrons à la section La traduction féministe, page 24) et le théâtre. Ainsi, il nous paraît intéressant de nous pencher sur quelques œuvres féministes majeures dans ces domaines. Ce chapitre ne vise toutefois pas l’exhaustivité, mais il a plutôt pour but de présenter brièvement les ouvrages les plus connus.

Nous débuterons par un survol des essais fondateurs de ce courant, puis nous aborderons la littérature féministe et nous nous concentrerons enfin sur le théâtre féministe.

1.3.1 SURVOL DES « CLASSIQUES » DU FÉMINISME

En 1949, Simone de Beauvoir écrit une des œuvres qui constituent les fondements théoriques du féminisme : Le Deuxième Sexe (1949). Ce livre est considéré comme une œuvre de la deuxième vague féministe. Selon Riot-Sarcey « Simone de Beauvoir a été, en partie du moins, le détonateur des changements intervenus dans les années 1960 ; et l’évolution qui en a découlé a été sans doute plus radicale encore qu’on ne se l’est figuré alors » (2008, 93). Elle ajoute que :

La sexualité, refoulée jusqu’alors par les organisations féminines, apparaît dans sa dimension libératrice. Le supposé déterminisme naturel est pensé comme le produit d’une construction sociale et les choix féminins, héritage de l’essentialisme, sont analysés comme des pièges d’une « féminité » dont le sujet doit se répartir pour être en mesure d’exister : la femme – représentation identitaire des femmes – ne trouvait « sa liberté qu’en choisissant la prison ». (Ibid. 2008, 93)

En 1963, Betty Friedan publie The Feminine Mystique (1963). Trier-Bieniek explique que Friedan a perdu son travail, car elle était enceinte. Pendant sa grossesse, elle a posé des questions à d’autres femmes et a réalisé que celles-ci mettaient leurs carrières de côté pour fonder une famille, mais qu’elles n’étaient pas suffisamment stimulées du point de vue intellectuel. C’est la raison qui l’a poussée à écrire son essai (2015, xvii).

Parmi les œuvres « classiques » de la troisième vague, nous pouvons citer Gender Trouble de Judith Butler, essai sur le genre. Butler y aborde notamment les sujets du genre, de l’identité, de la notion de « catégorie femmes »11 (Baril 2007). Ses théories ont beaucoup influencé les études de genre (Ledoux 2011).

En 1974, Luce Irigaray écrit Spéculum de l’autre femme (1974). À ce sujet, Riot-Sarcey écrit : « Tandis que Simone de Beauvoir avait mis au jour la construction de la féminité, Luce

11 Baril explique que, selon Butler, la « catégorie femmes » est « […] fondée sur le social » par opposition à la catégorie femme, qui, elle, est déterminée par la biologie. Pour Butler, « [La] lutte du féminisme “classique” » est fondée sur cette catégorie (Baril 2007, 68‑69).

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Irigaray se préoccupe du sujet qui la porte » (2008, 104). Julia Kristeva, quant à elle, « analyse l’identité des positions féminines (petite fille, mère, femme, etc.) dans le cadre d’un système linguistique qui leur échappe » (Ibid.). Riot-Sarcey explique que ces deux auteures sont souvent associées à Hélène Cixous par les Américains pour former ce qu’ils appellent le « French Feminism » (Ibid.). Cette dernière est reconnue notamment pour son ouvrage Le rire de la Méduse, qui déconstruit le mythe du « continent noir » et celui de la figure mythologique de la Méduse en tant que femme fatale (Segarra 2010). Monique Wittig a également eu une grande influence « théorique sur la pensée et la création féminines » (Plana 2012, 27).

1.3.2 SURVOL DE LA LITTÉRATURE FÉMINISTE

Il serait bien trop ambitieux de vouloir aborder l’ensemble de la littérature féministe. Nous nous concentrerons donc sur une sélection d’auteures célèbres. Nous pouvons commencer par citer quelques auteures de la première vague, telles que Jane Austen, qui publie des œuvres centrées sur des personnages féminins, ou Mary Shelley, auteure du célèbre Frankenstein et fille de Mary Wollstonecraft (une des premières féministes), dont elle s’inspire (Trier-Bieniek 2015, xvi). Il convient également de mentionner Virginia Woolf et Gertrude Stein, les écrivaines

« littéraires féminines du XXe siècle » (Plana 2012, 266). L’écriture réaliste de la première remet notamment en question la domination masculine et la soumission féminine (Aajiz 2013).

Gertrude Stein, quant à elle, rejette consciemment la tradition littéraire patriarcale à travers son langage expérimental (Cengage 2005). En outre, selon Plana, Marguerite Duras incarne, pour sa part, l’écriture féminine (2012, 275). Nous citerons également Germaine de Staël, qui a vécu jusqu’au début du XIXe siècle. Un site consacré à cette auteure résume son point de vue :

La Révolution a fait régresser la condition féminine : voilà la réalité qu’elle constate et proclame, soulignant avec effroi le recul juridique, social, politique des femmes, et les malheurs auxquels les condamne leur position subordonnée dans la famille et dans la société. (« Société des études staëliennes »)

À une époque différente, Françoise Sagan met en scène des « protagonistes désabusés » (St-Jacques, des Rivières, et Savoie 1997, 121) et est également considérée comme féministe, notamment pour son premier roman Bonjour tristesse (1954). Plus tard, la quatrième vague féministe voit naître plusieurs œuvres de la culture populaire, telles que l’autobiographie de Malala Yousafzai : I Am Malala: The Story of the Girl Who Stood Up for Education and was Shot by the Taliban (Yousafzai et Lamb 2013). Co-écrit avec une journaliste et publié en 2013, ce récit autobiographique est considéré comme féministe, car le cheval de bataille de Malala est l’éducation des filles dans le monde entier. Nous pouvons également signaler, même s’il ne s’agit pas d’une œuvre littéraire mais plutôt d’une œuvre audiovisuelle, le film d’animation Frozen

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signé par Disney. En effet, il a remporté un grand succès en 2015 (Trier-Bieniek 2015, xxiii). Par les thèmes que traite la production, notamment l’amour entre sœurs, elle sera rapidement identifiée comme féministe. Trier-Bieniek explique que cette histoire de princesse n’est effectivement pas comme les autres, car elle raconte les histoires des femmes de leur propre point de vue et ajoute que :

This overwhelming acceptance of the film could be attributed to girls and women finding a story which seemingly honored the experience of having a sister (or close female friend) and privileging that relationship above romance or love-interests. (2015, xiv)

Dans une perspective plus proche de ce travail, Lucie Ledoux étudie des œuvres littéraires écrites par des femmes et qui ont trait à la sexualité féminine. Ces œuvres subvertissent les discours masculins à ce sujet en se les réappropriant (2011, vii). Elle compare entre autres Baise-moi de Virginie Despentes (2002), L’Inceste de Christine Angot (1999), Passion simple, Se perdre et L'usage de la Photo d’Annie Ernaux (1991, 2001; Ernaux et Marie 2005) et La Vie sexuelle de Catherine M. de Catherine Millet (2001) sous l’angle de la pornographie et du féminisme. Selon Ledoux, ce sont « des témoignages privés […] et des prises de paroles publiques » (2011, 18).

1.3.3 SURVOL DU THÉÂTRE FÉMINISTE

Selon le point de vue qu’adopte Muriel Plana dans son ouvrage Théâtre et féminin : identité, sexualité, politique, il existe plusieurs catégories de théâtres : le théâtre des femmes, le théâtre féminin, le théâtre féministe et le théâtre queer. Le premier concerne le théâtre écrit et/ou mis en scène par des femmes, mais qui n’est pas pour autant qualifié de féminin ou de féministe. Le théâtre féminin, quant à lui, vise une « esthétique spécifiquement féministe », indépendamment du sexe de son créateur (2012, 295). Le théâtre queer tente de « dépasser les perspectives féministes traditionnelles ou féminines traditionnelles pour interroger plus largement, d’un point de vue politique, les sexes, les genres, les sexualités et l’érotisme » (Ibid.

2012, 295‑96). Enfin, l’auteure donne la définition suivante du théâtre féministe : Dès lors, s’il fallait donner à notre tour une définition provisoire de ce que serait une œuvre dramatique féministe, nous dirions que c’est une œuvre politique qui interroge de façon centrale, complexe et approfondie les représentations du féminin et les relations entre les sexes, qui les travaille selon un mode d’approche dialogique, dans une forme expérimentale, avec des objectifs philosophiques et critiques, éventuellement utopiques et/ou fantasmatiques. (Ibid. 2012, 322)

Notons que, pour l’auteure, le théâtre féministe doit traiter les thèmes suivants : « la domination masculine, les hiérarchies entre les genres, les inégalités entre les sexes et […]

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l’émancipation de la catégorie sexuelle des femmes » (Plana 2012, 285). Au vu de ces éléments, la section Caractère féministe du texte (page 54) traitera de la nature féministe de The Vagina Monologues, dans laquelle tous ces sujets se retrouvent.

À titre d’exemple, Plana cite le théâtre de Marguerite Duras, Nathalie Sarraute, Leslie Kaplan, Nancy Huston et Sarah Kane (Plana 2012, 27). Selon elle, les œuvres de Marguerite Duras sont un théâtre « féminin », même si elle estime que :

[Elle] pouvait, dans son temps, être considérée comme féministe, puisqu’elle était l’œuvre d’une femme et qu’elle ouvrait le féminin […] à la représentation à travers des personnages, une sensibilité, une manière de raconter et de dire différente de ce qui se faisait à l’époque. (Ibid. 2012, 301)

Plana se penche davantage sur des œuvres théâtrales qu’elle considère comme féministes.

Elle étudie les pièces de Nathalie Sarraute, de Rainer Werner Fassbinder et d’Elfriede Jelinek. La première est « souvent opposée à Marguerite Duras » (2012, 306). Alors que le nom, le statut social et le physique de ses personnages ne sont pas décrits, ils sont souvent marqués par leur différence de sexes (Plana 2012, 307). En effet, dans les trois pièces analysées (C’est beau, Pour un oui ou pour un non, Elle est là), les hommes (souvent désignés par un simple H ou LUI) déclenchent le conflit et détiennent le pouvoir. Les femmes (désignées par F ou ELLE), quant à elles, sont « des éléments gênants au sein d’une logique de verbalisation et de qualification du monde dans laquelle elles ne se reconnaissent pas ou dont elles s’excluent d’elles-mêmes » (Ibid.). L’auteure ajoute que :

Le théâtre de Sarraute n’est ni transgressif ni subversif en lui-même, mais il est, à sa façon, politique. Il l’est avant tout parce qu’il est dialogique. Ce dialogisme […] s’exprime dans sa manière expérimentale, juste et exhaustive de se faire l’écho des différences sexuelles (et sociales) dans l’accès au langage et dans l’accès aux idées, dans la manière de se précipiter dans le conflit ou de chercher à le fuir ou à l’esquiver, de transformer l’espace du discours et de la conversation courante en « champ de bataille » ou en espace de consensus mou et conformiste tout aussi délétère, mais sans prendre parti pour ou contre ses personnages. (Ibid. 2012, 312)

Rainer Werner Fassbinder, lui aussi, est conscient « des rapports de domination entre les êtres ». Ses pièces, Les larmes amères de Petra von Kant et Liberté à Brême (Fassbinder, Ivernel, et Müller 1977), « racontent des trajectoires d’émancipation féminine par rapport à ces logiques de domination » (Plana 2012, 314). En effet, dans ces deux pièces, des femmes se confrontent à leur entourage. Fassbinder opte « pour la transgression et pour l’extrémisme dans son esthétique et dans son propos » (Ibid. 2012, 314). Plana considère que le féminisme de Fassbinder est « transgressif et provocateur » (Ibid. 2012, 317).

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Selon Plana, Elfriede Jelinek, en tant qu’écrivaine, ne peut faire qu’un « travail critique, négatif, désillusionnant » de révélation du « Pouvoir patriarcal dans la langue telle qu’elle est » et

« désacraliser » et « démystifier » celle-ci. Elle s’efforce de « dénoncer avec une ironie féroce […]

tout ce qui […] fait la promotion d’une “nature féminine” ». Elle contribue également à désacraliser la « figure de l’auteur créateur, de l’artiste omnipotent en général ainsi que du culte du “génie” hérité du XIXe siècle […] » (Plana 2012, 320).

Sarah Kane est considérée comme féministe par Muriel Plana, car dans son œuvre elle défait le féminin chez les femmes et l’impose aux hommes. Plana y voit « l’expression d’une lutte pour le pouvoir ». En outre, Kane « explore sans jugement, grâce à l’amoralité de la fiction théâtrale développée, sans tabous ni autocensure, la “haine du féminin”, explorant ses causes et expérimentant ses effets jusqu’à leurs plus extrêmes limites » (Plana 2012, 234).

Nicole Boireau cite elle aussi quelques exemples de pièces féministes, dans le théâtre anglais des années 1980. Elle commence par analyser Tanzi (1980) de Claire Luckham (Luckham, Harris, et Mannion 1991) dont elle résume l’intrigue ainsi :

[…] Tanzi va se livrer à des combats de catch pour triompher des obstacles d'ordre patriarcal, pour s'affranchir des servitudes archaïques et pour devenir, véritable exploit, une personne à part entière. (2005, 29)

À la fin de la pièce, Tanzi gagne un combat contre son mari, qui, en tant que perdant, doit rester au foyer tandis qu’elle deviendra catcheuse professionnelle. Boireau analyse ensuite la pièce Rippen Our Darkness (Daniels 1991) de Sarah Daniels qui « dresse une critique en règle de l'autorité patriarcale » dont Mary, l’héroïne, est prisonnière (2005, 29). Ainsi, Boireau considère cette pièce comme « égalitaire et militant[e] ». Enfin, elle analyse la pièce Top Girls (1982) de Caryl Churchill, qu’elle qualifie de « féminisme d’obédience socialiste ». Dans cette pièce, les femmes qui y sont interprétées ont toutes dû se battre pour obtenir un peu de liberté et

« contribuer, sans le savoir, à faire progresser la cause des femmes, à faire entendre leurs voix » (Boireau 2005, 30). Dans ces pièces, les auteures utilisent souvent le monologue. Comme l’explique Boireau :

Le monologue agit comme une confession, comme un secret partagé avec la complicité du public ; il introduit des moments de révélation dérangeants, riches en développements, il cite d'autres discours, il imite d'autres voix, il permet l'empathie, il prend le public en otage en quelque sorte, mais il lui donne aussi les raisons de ses émotions. En effet, il s'affirme comme procédure de distanciation, car il force la réflexion. (2005, 32‑33)

Nous aurons donc l’occasion de revenir sur ce point lorsque nous nous pencherons sur l’analyse des monologues de The Vagina Monologues (section Analyse, page 65).

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Mentionnons qu’il existe également des troupes de théâtre féministes. Aux États-Unis, en 1976, deux collectifs voient le jour : Women’s Experimental Theatre (WET) et At The Foot of the Mountain (ATFM) (Scott 2003). À Londres, le Women’s Theatre Group, créé en 1973 est rebaptisée The Sphinx en 1990 (« Sphinx Theatre Company »).

Ainsi, ce tour d’horizon des « classiques », de la littérature et des pièces de théâtre féministes nous aura permis de constituer une base solide constituée d’éléments, théoriques comme concrets, dans plusieurs domaines sur le thème du féminisme.