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L'unité de traduction : une construction ?

FONTANET, Mathilde

Abstract

Dans le présent article, il est proposé de renoncer au terme d'unité de traduction (dont la définition ne fait l'objet d'aucun consensus) au profit du terme, moins ambitieux, d'unité de travail, afin de désigner la portion de texte traité à un moment donné. Pour rendre compte du processus à l'œuvre dans le traitement de chaque unité de travail, il est proposé d'adopter la notion de halo herméneutique, qui regroupe les divers facteurs exerçant une influence sur les choix traductifs. Une attention particulière sera portée sur la manière dont le traducteur appréhende le texte au fil de sa restitution.

FONTANET, Mathilde. L'unité de traduction : une construction ? Équivalences, 2018, vol. 45, no. 1-2, p. 45-66

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:126151

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L’unité de traduction : une construction ?

Mathilde Fontanet Professeure associée à l’Université de Genève

Dans le présent article, il est proposé de renoncer au terme d’unité de traduction (dont la définition ne fait l’objet d’aucun consensus) au profit du terme, moins ambitieux, d’unité de travail, afin de désigner la portion de texte traité à un moment donné. Pour rendre compte du processus à l’œuvre dans le traitement de chaque unité de travail, il est proposé d’adopter la notion de halo herméneutique, qui regroupe les divers facteurs exerçant une influence sur les choix traductifs. Une attention particulière sera portée sur la manière dont le traducteur appréhende le texte au fil de sa restitution.

Mots clés

Choix de traduction, Unité de travail en traduction, Unité de traduction, Halo herméneutique, Processus de traduction.

Abstract

This article begins by discussing the limitations of the terms “unit of translation” and

“translation unit” by highlighting the lack of agreement about what they actually refer to.

They are replaced by “working unit”, which denotes the portion of the text being translated at a particular time. In order to describe the processing of each working unit, the concept of

“hermeneutical halo” is put forward. This includes the various factors affecting the translator’s choices. Particular attention is paid to the way the translator comes to understand the text while rendering it in the target language.

Keywords:

Hermeneutic halo, Translation choices, Translation process, Working unit of translation, Translation unit.

Introduction

Le présent article1 a pour objet de montrer que l’unité de traduction est une notion paradoxale, qui pose un problème fondamental. Les définitions qui en ont été données à ce

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jour sont soit trop restrictives pour prendre en compte tous les facteurs concernés, soit trop larges pour pouvoir être appréhendées clairement.

Plutôt que de poursuivre le débat sur les limites à établir pour mieux cerner ce concept, je proposerai de renoncer à s’y référer et de se contenter du terme d’unité de travail (la portion du texte sur laquelle le traducteur2 travaille à un moment donné), et de compléter celui-ci par la notion de halo herméneutique pour désigner l’ensemble des facteurs exerçant une influence sur le traitement de l’unité de travail.

1. L’unité de traduction : une entité paradoxale

Nombreux sont les auteurs qui se sont intéressés à la fonction et à la nature de l’unité de traduction. Une analyse de la question peut notamment être trouvée dans The problem of the unit of translation, de Leonid Barkhudarov (1993) et dans The Unit of Translation Revisited, de Rosa Rabadán (1991). Il en est également question dans le Dictionary of translation studies, de Mark Shuttleworth et Moira Cowie (1997) et dans le Handbook of Translation Studies d’Yves Gambier et Luc van Doorslaer (2010).

1.1. L’évolution du concept d’unité de traduction

Parmi les définitions les plus minimalistes de l’unité de traduction figure celle de Vinay and Darbelnet, qui la conçoivent comme

le plus petit segment de l’énoncé dont la cohésion des signes est telle qu’ils ne doivent pas être traduits séparément. (Vinay et Darbelnet 1958)

Pour eux, l’unité peut se réduire à un mot, un syntagme ou une expression idiomatique.

Parallèlement, pour Daniel Gouadec, qui adopte lui aussi une perspective pragmatique,

c’est la plus petite partie de l’énoncé qui suffit à évoquer un élément complet de la situation décrite. Il s’agit du groupe verbal. (Gouadec 1974 : 18)

Cette conception, qui se fonde sur des unités sémantiques et non pas sur l’ensemble des facteurs à prendre en compte, est loin de faire l’unanimité. La tendance est en fait de plus en plus à envisager une entité plus étendue et plus complexe. Ainsi, selon Christiane Nord :

a functionalist approach can also deal with ‘vertical’ units (…). In this view, the text is seen as a hyper- unit comprising functional units that are not rank-bound, with each unit manifested in various linguistic or non-linguistic elements that can occur at any level anywhere in the text. (Nord 1997: 70)

Nord insiste notamment sur la nécessité de déceler les différentes parties du texte qui entrent en résonnance pour produire des effets particuliers. À cet effet, elle préconise le découpage d’un texte en unités fragmentaires, constituées d’éléments dissociés. Elle relève par ailleurs

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que plus l’unité de traduction est large, moins elle est gérable (1997: 69) et préconise parallèlement de se référer à des unités plus petites et plus faciles à traiter (Nord, 1997: 72).

Selon d’autres auteurs, l’unité de traduction est le texte donné à traduire. D’autres encore, comme

Susan

Bassnett et André Lefevere (1990: 8) ou Munday (2004: 209), estiment que l’unité s’étend à la culture dans laquelle s’inscrit le texte.

Michel Ballard a quant à lui une vision complexe de l’unité de traduction, qu’il situe entre les langues source et cible. Bien que sa définition soit difficile à saisir, elle apporte des éléments intéressants dans le débat. Tout d’abord, Ballard fait intervenir une dimension subjective dans l’unité de traduction :

L’unité de traduction est un élément constituant d’un tout qui a sa source, ou base formelle, dans le texte de départ, son aboutissement dans le texte d’arrivée, et qui passe pour sa réalisation par le cerveau du traducteur ; il s’agit donc d’un ensemble à configuration variable selon l’individu qui le construit ; ce qui signifie qu’il faut intégrer la subjectivité dans l’UT. (Ballard 2006 : 9)

Ensuite, il établit clairement une distinction entre unité de traduction et unité de travail :

À partir de là, on peut dire que l’objet étant le texte, il y a constitution d’une unité de travail en traduction lorsque le traducteur, après interprétation des formes, met en rapport une unité constituante du texte de départ avec le système de la langue d’arrivée en vue de produire une équivalence acceptable, susceptible de contribuer à la réécriture d’un texte dont l’équivalence globale par rapport au texte de départ doit s’accommoder d’ajustements internes dictés par sa cohérence et sa lisibilité. (Ballard 2006 : 9)

Ballard, comme Nord, fait valoir l’utilité de disposer d’une unité de travail distincte de l’unité de traduction.

En bref, deux tendances se dessinent. Un groupe d’auteurs (praticiens et didacticiens pour la plupart) se focalisent sur le segment de texte traité par le traducteur à un moment donné. Cette portion de texte est malheureusement trop limitée, car elle exclut de nombreux éléments qui agissent directement sur les choix traductifs. D’autres auteurs envisagent une unité beaucoup plus vaste, qui peut même englober l’intégralité du texte à traduire et aller bien au-delà. Cette unité est toutefois si chargée qu’elle en devient insaisissable.

Même si elle ne mérite pas le nom d’unité de traduction, l’unité de travail (la portion de texte que le traducteur cherche à restituer dans la langue cible à un moment donné) est un concept utile pour les traductologues et les traducteurs, dans une perspective didactique ou professionnelle, car c’est sur cette base que l’on peut examiner des choix de traduction ou comparer des solutions.

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1.2. Le paradoxe

À mon sens, pour rendre compte de la réalité de l’activité traduisante, l’unité de traduction devrait comprendre tous les éléments qui ont un impact sur les choix traductifs lors de la gestion d’une unité de travail. Or, ces éléments peuvent être très divers. Il peut tout d’abord s’agir d’une autre partie du texte : de la phrase précédente (si celle-ci détermine le genre d’un pronom ambigu) ou d’un syntagme apparaissant tout à fait ailleurs dans le texte (si on le retrouve dans la phrase concernée). À des fins de cohérence terminologique ou de respect des effets littéraires ou rhétoriques, le traducteur prend en considération tous les éléments parsemés dans le texte. Par exemple, il ne traduira pas deux fois un même refrain et, dans un texte technique, s’en tiendra à un terme précis malgré la présence de synonymes.

Par ailleurs, le traducteur est conditionné par sa perception globale du texte. Dans un roman, il assurera par exemple la continuité de la voix narrative et de la personnalité (accent et niveau de langue) des personnages. La traduction est donc tributaire de ce qui a frappé le traducteur dans l’original.

La manière de traduire est également influencée par le genre de texte : on ne traduit pas la même formule de politesse s’il s’agit d’une lettre, d’un message électronique ou d’un discours destiné à être lu à voix haute.

Dans certain cas, c’est la lecture d’autres œuvres d’un auteur qui permet d’interpréter une phrase. Ainsi, le passage suivant, tiré de The Awful German Language, de Mark Twain, pourrait donner à penser que l’auteur est hostile aux Allemands. Le narrateur, ironique, prétend y dénoncer la perversité de la syntaxe allemande.

We have the Parenthesis disease in our literature, too; and one may see cases of it every day in our books and newspapers: but with us it is the mark and sign of an unpracticed writer or a cloudy intellect, whereas with the Germans it is doubtless the mark and sign of a practiced pen and of the presence of that sort of luminous intellectual fog which stands for clearness among these people. (Twain 1880 : 604)

Toute personne ayant lu d’autres œuvres de Twain, et en particulier The Adventures of Huckleberry Finn, sait que cet auteur, très intéressé par les langues, tourne en dérision la tendance à considérer sa propre langue comme plus naturelle que les autres (voir Twain : 1884: 134).

Parmi les éléments nécessaires pour bien traduire une unité de travail peuvent aussi figurer des textes non littéraires ou des détails de la biographie de l’auteur. Pour reprendre l’exemple de Mark Twain, le passage cité précédemment se poursuit ainsi :

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For surely it is not clearness – it necessarily can't be clearness. Even a jury would have penetration enough to discover that. (Twain 1880 : 604)

La référence à un jury n’est pas claire. S’il semble évident que le texte est ironique, on peut se demander ce qui est tourné en dérision : les compétences des jurés ou les critiques à l’égard du système judiciaire ? Une recherche documentaire permet de trouver des lettres, des discours et des articles que Twain a publiés pour dénoncer la sélection systématique de jurés manipulables dans sa région des États-Unis (voir Twain 1872 et 1992).

Même un élément extralinguistique peut avoir une incidence sur un choix de traduction. Ainsi, pour traduire raisonnablement la phrase suivante de The Bluest Eye, de Toni Morrison, il est utile de procéder à une recherche pour voir à quoi ressemble la tasse évoquée :

Frieda brought her four graham crackers on a saucer and some milk in a blue-and-white Shirley Temple cup. She was a long time with the milk, and gazed fondly at the silhouette of Shirley Temple’s dimpled face. (Morrison 1970)

De fait, dans l’original, l’idée qu’on puisse voir sur une tasse la silhouette d’un visage prête à confusion. Il s’agit en fait d’une tasse sur laquelle est imprimée une photographie du visage de l’actrice.

Enfin, d’autres facteurs, plus subjectifs, exercent aussi une influence, notamment l’humeur du traducteur, ce que le texte évoque pour lui, sa notion des lecteurs cibles et les normes prévalant dans la culture cible.

L’unité de traduction, si elle doit englober tous les éléments précités, prend des dimensions considérables. Le terme même semble d’ailleurs absurde, car une unité, au sens où on l’entend dans ce contexte, est une sous-partie d’un tout. Le Grand Robert en donne la définition et les exemples d’usage suivants :

Élément simple d'un ensemble homogène. Le département, unité administrative, résultat d'un découpage arbitraire de la France. Le bassin fluvial, unité naturelle régionale (…). Le morphème, le monème, unité sémantique minimale. La phrase (…), unité syntactique. La syllabe (…), unité phonique. Le gène, unité héréditaire (…). (Le Robert 2017)

L’unité, telle que nous l’avons décrite, loin d’être un élément simple d’un ensemble homogène, serait un ensemble hétérogène d’éléments complexes.

À cela s’ajoute que divers facteurs subjectifs influent sur la lecture d’un texte. Pour contenir tout ce qui a une incidence sur les choix de traduction, l’unité de traduction devrait englober tous les éléments subjectifs qui amènent le traducteur à opter pour une solution plutôt que pour une autre.

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2. L’apport de l’herméneutique

Dans le cadre de sa réflexion sur l’herméneutique, Schleiermacher (1826) a décrit le processus de compréhension comme conjuguant un élan intuitif (Divination), par lequel le lecteur se projette dans le texte, et un mouvement rigoureux (Komparation), plus analytique, par lequel il procède à une analyse plus objective de ce qu’il a perçu. Par ailleurs, la notion de cercle herméneutique est utilisée pour décrire le mouvement de va et vient qu’opère le lecteur entre les différentes parties du texte et le tout, afin de corriger et d’affiner progressivement sa compréhension.

Dans Vérité et méthode, Hans-Georg Gadamer émet des idées d’un intérêt particulier.

Il montre tout d’abord que la compréhension d’un texte est un phénomène évolutif, qui amène le lecteur à passer progressivement d’une phase d’a priori à une phase de compréhension. À mesure qu’il lit, il révise ses opinions préconçues, mais aboutit à une compréhension qui garde toujours quelque trace de ses anticipations (Gadamer, 1990 [1960] : 298). Par ailleurs, Gadamer conçoit la lecture comme une forme de négociation : le lecteur tend à se projeter dans le texte, mais celui-ci résiste dans une certaine mesure à sa subjectivité. En fin de compte, un compromis est atteint : la fusion des horizons. L’apport qu’amène le lecteur dans l’interprétation explique qu’un même texte peut donner lieu à des compréhensions différentes à des périodes différentes. Résumée par Jean Grondin, sa pensée est la suivante :

Le sens d’un texte se transforme au fil de l’histoire de sa réception, (…) qui devient par la suite constitutive du sens à interpréter. Le sens du texte à comprendre se fusionne ainsi avec l’horizon du présent à chaque fois nouveau qui l’interprète et, en lui trouvant de nouvelles applications, en fait ressortir les possibilités de sens. (Grondin : 63)

Le texte impose une trame dominante (son horizon), qui se prête toutefois à diverses lectures.

Lors de la fusion de celle-ci avec l’horizon du lecteur, le potentiel du texte s’actualise dans une nuance particulière. L’horizon du lecteur étant marqué culturellement (par l’époque et l’origine de celui-ci), chaque époque tend à avoir sa propre lecture des œuvres anciennes.

2.1. Une perspective herméneutique de la traduction

L’herméneutique a progressivement fait sa place dans la réflexion traductologique. Le traducteur n’est-il pas un lecteur spécialisé dans la recherche du sens et de la portée des textes ?

Il est un lecteur soumis à des contraintes particulières, car il doit rendre compte de sa lecture en produisant un autre texte qui permettra de faire l’économie du premier. Il la mène donc à bien avec un soin particulier. Pour reprendre les idées de Gadamer, on peut dire que le

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traducteur, lors de sa lecture, ne peut négocier le sens et la portée du texte comme un simple lecteur : en tant que représentant de tous ses futurs lecteurs cibles présumés, il doit veiller à sacrifier davantage de subjectivité dans son interprétation du texte. Il a pour mission de mettre au jour tout ce qu’un texte a à offrir, mais doit respecter un principe d’universalité dans son filtrage : il reste plus en retrait et réfrène davantage sa tendance à se projeter qu’un lecteur commun. Dans le cadre de la traduction, la fusion des horizons s’opère donc davantage au profit du texte que lors d’une lecture anodine.

De plus, dans le cas de la traduction, cette fusion des horizons est triple, car elle comprend le texte cible. Trois horizons sont ainsi confondus : celui de l’original, du texte cible et du traducteur en tant qu’ambassadeur de ses lecteurs présumés.

Pour approfondir sa compréhension du texte, le traducteur alterne entre les perspectives microtextuelle et macrotextuelle, tout en déployant ses ressources cognitives et créatives (ou émotionnelles), qui interagissent entre elles pour l’amener à une interprétation.

Ce processus reste à l’œuvre pendant l’écriture du texte cible et durant la phase d’auto- révision. Il ne prend fin qu’au terme de l’exercice de traduction – et le texte cible peut être considéré comme le reflet de la compréhension du traducteur, filtrée par les possibilités que lui offre la langue cible et par les compétences qu’il possède dans celle-ci.

2.2. Le halo herméneutique

Selon moi, pour décrire le traitement d’une unité de travail, mieux vaudrait renoncer au concept d’unité de traduction pour adopter celui de halo herméneutique. Celui-ci permettrait de rendre compte, dans une perspective globale ou individuelle, des différents facteurs exerçant une influence – plus ou moins prépondérante – au cours du processus. Le sens (et parfois la forme) du segment source est assurément un élément crucial, mais beaucoup d’autres méritent d’être pris en considération. La figure No 1 présente plusieurs des facteurs qui exercent un effet sur le traducteur. On y voit le passage d’une unité de travail du texte source à l’unité qui y correspond dans le texte cible. Les facteurs peuvent avoir des effets antagonistes ou entrer en concurrence. Ils peuvent aussi nécessiter un travail de recherche de la part du traducteur, notamment quand celui-ci ressent le besoin de compléter ses connaissances encyclopédiques ou sa connaissance de l’auteur.

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Figure No 1 : Éléments du halo herméneutique (perspective de la traduction d’une unité de travail

Il suffit qu’un seul de ces facteurs soit modifié pour que la traduction devienne un peu différente. Si les resources disponibles en langue cible s’enrichissent, de nouveaux mots pourront être utilisés. Si l’humeur du traducteur s’améliore, il aura le souci de mieux servir le texte ou, inversement, s’il est énervé, il prendra peut-être plaisir à traduire le texte tel qu’il l’a trouvé, sans corriger de petites incohérences.

Le halo herméneutique peut également être représenté sous l’angle de sa portée sélective, en tant qu’agent d’orientation et de filtrage des ressources disponibles. La figure No 2 présente le traitement d’une unité de travail du texte source, qui passe par la « boîte noire du traducteur » : à la lecture du segment de texte, une partie des ressources disponibles (c’est- à-dire de toutes les compétences cognitives et émotionnelles) du traducteur sont mobilisées et interagissent avec le texte, produisant des embryons ou des éléments de solution, qui sont éliminés, modifiés ou sélectionnés sous l’effet du halo herméneutique, jusqu’à ce qu’une solution (peut-être provisoire) soit retenue.

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Figure No 2 : Le halo herméneutique dans la boîte noire du traducteur.

(source : Fontanet 2017 : 230)

L’un élément important du halo herméneutique est « la perception globale du texte », qui comprend tout ce que le traducteur anticipe ou a retenu du texte et a un caractère tout à la fois subjectif et évolutif. Elle peut être assimilée à son appréhension synthétique de de l’original comme de la traduction. Au terme de l’exercice, le traducteur n’a pas deux images mentales distinctes (l’une du texte cible et l’autre du texte source), mais bien une seule et même image cohérente des deux. Chaque unité de travail est passée par le filtre de cette perception globale. Si le traducteur ressent une incohérence ou une contradiction entre l’unité de travail et sa perception globale, il s’attelle à les réconcilier.

Le traducteur complète sa perception globale du texte à mesure qu’il progresse dans le traitement des unités de travail, et ce n’est que lorsqu’il a mis la dernière main à sa traduction qu’il conçoit proprement l’original et la traduction comme un tout homogène.

Le halo herméneutique permet de rendre compte des différentes lectures et interprétations d’un même texte. Ainsi, même si, sur le plan objectif, l’original est le même pour tous les traducteurs, la perception qu’ils en ont est nécessairement personnelle et permet d’expliquer une part des divergences entre leurs choix traductifs, à l’échelle macrotextuelle comme à l’échelle microtextuelle. Elle correspond à la compréhension – subjective, mais cohérente – du texte par le traducteur.

Pour illustrer le caractère évolutif de la perception du texte, la figure No 3 présente la vision globale du texte (représenté sous la forme de neuf unités de travail – avec à gauche l’original et à droite la traduction) lors de la traduction de la première unité de travail (en haut) et de la deuxième (en bas). Les couleurs, dont les nuances différentes symbolisent une modification dans la perception, montrent que la traduction de chaque unité a une incidence sur la perception de l’intégralité du texte. Dans la figure 3, le traducteur, qui n’a pas lu le texte

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au préalable, en a toutefois une notion a priori, car il se fait nécessairement une idée de l’original (ne serait-ce que sur la base de son titre, du genre, du support ou du contexte) et a également un projet de traduction (en fonction de ses lecteurs présumés, de son client ou de ses attentes à l’égard de l’original). L’unité en cours de traitement est représentée dans une couleur différente, car le traducteur lui porte une attention particulière, alors qu’il conçoit le reste du texte de manière uniforme. Dans la partie inférieure, toutes les unités ont changé de couleur car, en traitant la première unité, le traducteur a modifié sa perception globale du texte. De plus, l’unité qui a déjà été traitée, parce que le traducteur en a pris connaissance, a un statut différent. Lors du traitement d’une unité, une seule couleur est utilisée pour l’original et pour la traduction, afin de suggérer que les deux s’interpénètrent dans l’esprit du traducteur.

Figure No 3 : Traduction des deux premières unités de traitement (sans lecture préalable)

La figure No 4 illustre la même réalité, mais dans le cas où le lecteur a déjà pris connaissance du texte au préalable. Sa perception globale initiale est certainement plus proche de celle qu’il gardera en fin de parcours, mais il n’empêche qu’elle continue d’évoluer tant qu’il n’a pas terminé sa traduction. À nouveau, dans la partie inférieure de la figure, l’unité déjà traitée a une autre couleur que les autres afin de souligner le fait que le traducteur perçoit une unité traduite différemment des unités qu’il a simplement lues. En tout temps, l’approfondissement de n’importe laquelle des unités entraîne une modification de la vision d’ensemble du texte (symbolisée par une modification de la teinte de toutes les unités).

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Figure No 4 : Traduction des deux premières unités de traitement (avec lecture préalable)

Enfin, la figure No 5 illustre une situation d’autorévision. Le traducteur ayant déjà traduit le texte, il en a une perception très claire, qui est très proche de celle qu’il a de sa traduction (s’il est satisfait de cette dernière). Il n’empêche que le fait de relire chacune des unités exerce une petite influence sur la vision globale, que ce soit parce qu’il capte une nouvelle nuance, ou voit certains éléments d’un autre œil. Au terme de l’exercice, la perception globale de l’original est très proche de celle de la traduction, au point que les deux sont presque indifférenciées.

Figure No 5 : Auto-révision des deux premières unités de traitement Si l’on accepte l’idée que la perception globale de l’œuvre est l’un des facteurs prépondérants pour le traitement de chacune des unités de travail, il en découle que :

1) chaque partie de la traduction reste susceptible d’être modifiée tant que l’intégralité n’a pas été traduite et relue.

2) les mémoires de traduction et logiciels de traduction automatique qui n’intègrent pas l’intégralité du texte dans le traitement des segments risquent de ne pas détecter des liens cruciaux pour la production d’une traduction de qualité.

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3) la traduction d’un texte n’est jamais que le reflet de sa perception globale par le traducteur à un moment donné et dans un contexte particulier.

Conclusion

L’unité de traduction, tout à la fois trop restreinte et trop vaste, est une entité mal définie, paradoxale et peu maniable. Pour décrire l’activité traduisante, mieux vaudrait donc renoncer à elle, en la dissociant en deux concepts : l’unité de travail et le halo herméneutique.

L’unité de travail, qui correspond à la portion du texte traitée à un moment donné, est une entité bien délimitée et facile à concevoir, que ce soit pour le traducteur, le critique ou le lecteur. La notion de halo herméneutique permet quant à elle de rendre compte de tous les facteurs exerçant une influence lors du traitement de l’unité de travail. Elle regroupe des caractéristiques de l’original (le sens des mots et la forme du texte), des compétences du traducteur (son encyclopédie et ses ressources en langue cible) et des aspects plus subjectifs (l’humeur du traducteur et sa perception globale du texte).

La perception globale du texte, qui a un caractère très évolutif, est un facteur particulièrement intéressant, car elle jette une lumière particulière sur chaque unité de travail en cours de traitement. Tant que le texte cible n’est pas achevé, cette perception se module au gré de l’approfondissement de chacune des unités de travail, quelle qu’elle soit. Ce n’est qu’au terme du processus qu’elle est stabilisée – même si elle reste en tout temps susceptible d’évoluer.

Le halo herméneutique présente en outre l’intérêt de constituer un outil simple pour caractériser, avec souplesse mais précision, les divers facteurs qui interviennent dans le processus de traduction. Constitué d’un ensemble d’éléments discrets mais non limités, il permet d’expliquer l’étendue des choix traductifs envisageables pour un seul et même segment, de même que le caractère fluctuant de sa traduction optimale au fil du temps.

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1 Le présent article reprend partiellement des éléments d’un exposé présenté en anglais au Third Hermeneutics and Translation Studies Symposium, tenu à Cologne en juin 2016.

2 Pour ne pas surcharger le texte, le masculin est adopté dans son sens générique, de sorte que les mots traducteur et lecteur renvoient respectivement aussi aux traductrices et aux lectrices.

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