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Oncologie : Article pp.36-41 du Vol.4 n°1 (2010)

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ARTICLE ORIGINAL /ORIGINAL ARTICLE DOSSIER

Problèmes posés au cancérologue par la prise en charge d ’ un patient dépressif

Depression and cancer: the point of view of the oncologist

C. Durdux

Reçu le 17 janvier 2010 ; accepté le 7 février 2010

© Springer-Verlag France 2010

Résumé La dépression est une comorbidité fréquente en oncologie qui ne doit pas être négligée mais intégrée d’em- blée au projet de soins en impliquant l’ensemble des acteurs nécessaires, notamment les psychologues, les psychiatres et le médecin traitant. L’oncologue doit s’attacher à dépister précocement tout dérapage dépressif. Lors de la survenue du cancer, un risque de dépression plus élevé est observé dans les mois suivant l’annonce ou la récidive, chez le patient ayant des antécédents psychiatriques, ayant une maladie évoluée ou des symptômes somatiques non contrô- lés. La mise en route d’un traitement antidépresseur et le suivi psychiatrique permettent également d’améliorer l’ad- hésion du patient à son projet de soins et d’améliorer sa qua- lité de vie.

Mots clésCancer · Dépression · Oncologue

AbstractClinical depression is a relatively common source of suffering among patients with cancer. Depression should not be neglected by oncologists but clearly integrated in glo- bal project of cure with an active participation of psycholo- gists and psychiatrists. This article reviews the key notions that may be helpful for oncologists in identifying patients with depression. Depression risk appears greater during months following diagnosis of cancer or recurrence in patients with psychiatric history, in patients with advanced cancer, or in patients with uncontrolled somatic symptoms as pain or dyspnoea. Antidepressants combined with psycho- therapy or psychological support can also improve patient’s compliance with cancer care and provide him/her with a better quality of life.

Keywords Cancer · Depression · Oncologist

Introduction

La dépression est considérée comme l’une des pathologies les plus lourdes par l’Organisation mondiale de la santé.

Dans les pays occidentaux, la prévalence des épisodes dépressifs sérieux au cours de la vie est estimée à 15–20 %, avec un risque de récidive de l’ordre de 40 % après un pre- mier épisode [13]. De même, avec plus de 350 000 nouveaux cas par an en France, la maladie cancéreuse est en constante augmentation en raison du vieillissement de la population et d’un meilleur dépistage. La prise en charge de patients dépressifs par l’oncologue est donc une réalité quotidienne.

Les données publiées sur la prévalence de la dépression chez le patient atteint de cancer sont souvent difficiles à interpré- ter, pouvant varier de 1 à 40 % selon les études. Pour Massie et Popkin, la dépression est une comorbidité affectant 15 à 25 % des patients atteints de cancer [17]. Le but de cet article est de développer le point de vue de l’oncologue sur les inter- actions entre cancer et dépression chez l’adulte, et d’aborder les interrogations, voire les difficultés éventuelles rencon- trées par l’oncologue lors de cette prise en charge.

Pourquoi prendre en charge la dépression chez le patient atteint de cancer ?

Une méta-analyse récente publiée par Satin et al. regroupant les données individuelles de 9 417 patients inclus dans 27 études montre une corrélation significative entre le risque de décès et la présence ou non de symptômes dépressifs. La mortalité est respectivement accrue de 26 et 39 % selon que la dépression est mineure ou majeure. Par contre, les auteurs ne retrouvent pas de corrélation entre risque majoré de progression tumorale et dépression [22]. De plus, la dépression non traitée altère la qualité de vie du patient et

C. Durdux (*)

Service d’oncologie–radiothérapie, hôpital européen Georges-Pompidou, 20, rue Leblanc, F-75015 Paris, France e-mail : catherine.durdux@egp.aphp.fr

Université Paris-Descartes, 12, rue de l’École-de-Médecine, F-75006 Paris, France

DOI 10.1007/s11839-010-0237-7

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majore les coûts de santé, en augmentant la fréquence et la longueur des hospitalisations. Or, de nombreuses études ont démontré que le traitement de la dépression, notamment pharmacologique, améliorait significativement la qualité de vie de ces patients [11,27]. À l’inverse, une administration préventive d’antidépresseurs systématique lors du diagnostic de cancer n’est pas justifiée.

Prise en charge du patient dépressif : quelles difficultés pour l

oncologue ?

Défaut de formation théorique

La première constatation est la méconnaissance de la patho- logie psychiatrique par l’oncologue. De façon générale, sa formation théorique est très limitée et se résume le plus sou- vent aux données de base acquises lors des études médicales générales, même si la pathologie dépressive est la mieux connue. La démarche d’approfondissement des connaissan- ces dans ce domaine devient néanmoins plus facile depuis quelques années avec les facilités d’accès à la bibliographie en ligne et depuis le développement d’enseignements uni- versitaires (plusieurs diplômes universitaires de psycho- oncologie français) et postuniversitaires dispensés par l’École de formation européenne en cancérologie (EFEC) par exemple.

Méconnaître les antécédents dépressifs du patient

Le recueil des antécédents du patient est systématique lors de la consultation initiale. Or, contrairement aux pathologies somatiques, les antécédents de dépression, voire les tenta- tives de suicide, sont volontiers spontanément passés sous silence par le patient lui-même au début de la prise en charge oncologique et peuvent être longtemps méconnus par l’oncologue, notamment en l’absence de compte rendu d’hospitalisation en psychiatrie ou de courrier du psychiatre.

La question « Avez-vous déjà été déprimé ? » mérite donc d’être spécifiquement posée au patient, préférentiellement avant la consultation d’annonce de cancer proprement dite.

Le médecin traitant a un rôle informatif clef, en tant que connaisseur au plus près de l’histoire du patient. Le conjoint peut aussi avoir un rôle aidant dans la divulgation de cette information. Par ailleurs, la vérification des ordonnances à la recherche de la prescription éventuelle de psychotropes doit être systématique.

Méconnaître le diagnostic de dépression

Le diagnostic de dépression est souvent difficile [6]. Quand on aborde le problème de l’évaluation des syndromes dépressifs en cancérologie, on se heurte d’emblée aux ques-

tions de méthodologie. Le diagnostic apparaît en effet complexe du fait de l’ambiguïté d’un certain nombre de symptômes. La perte d’appétit, la perte de poids, les insom- nies, l’asthénie, le ralentissement et les troubles de la concentration peuvent en effet aussi bien participer d’une symptomatologie psychique qu’être provoqués par la mala- die cancéreuse et/ou ses traitements [3].

Parfois, le patient estime à tort que l’oncologue n’est pas concerné par sa dépression et ne lui réserve que ses plaintes somatiques liées au cancer ou à son traitement. Les symp- tômes de dépression peuvent aussi être peu exprimés par le patient, le repli et le ralentissement psychique empêchant son expression. Cela est particulièrement fréquent chez le sujet âgé [15]. De même, les symptômes peuvent être insuffisamment perçus par l’équipe soignante ou bien l’oncologue peut préférer ne pas s’engager dans une telle évaluation pour des raisons diverses : temps de consulta- tion trop court, projection par l’oncologue de ses propres sentiments dépressifs, peur de ne pas pouvoir répondre de façon adaptée au patient… Il y a volontiers une rationali- sation du trouble de l’humeur : « vu le contexte, c’est nor- mal d’être déprimé ; moi aussi, je serai déprimé…». Les troubles de l’adaptation, voire l’anxiété, peuvent poser des difficultés de diagnostic différentiel avec la dépression. En pratique, au moindre doute, il importe de chercher active- ment les deux symptômes princeps que sont l’humeur dépressive et la perte des intérêts ou de la capacité à éprou- ver du plaisir (ou anhédonie) ; s’ils existent, l’oncologue s’attachera à rechercher les autres symptômes, ainsi que leur chronologie d’apparition pour étayer le diagnostic (troubles du sommeil, de l’appétit indépendamment du trai- tement oncologique, ralentissement psychomoteur, fatigue, défaut de concentration, perte de l’estime de soi, idées sui- cidaires, etc.). Pour cela, il est préférable de privilégier les questions simples et ouvertes : « Comment va le moral ? »

« Cette semaine, avez-vous pu vous changer les idées ? », etc. L’utilisation des échelles d’évaluation de la détresse psychologique, comme l’HADS, est concrètement difficile en consultation d’oncologie par manque de formation et de temps.

Évaluer les facteurs aggravant la dépression

Ces facteurs doivent être évalués dès la première consulta- tion et réévalués régulièrement. Les consultations paramédi- cales et/ou de soins de support peuvent être d’une grande aide. De façon schématique, ils comportent quatre volets :

la lourdeur de l’histoire psychiatrique de dépression (jeune âge lors du premier épisode, nombre d’épisodes, hospitalisations en psychiatrie, tentatives de suicide, trouble bipolaire, antécédents familiaux de dépression ou de suicide) ;

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le niveau socioéconomique (chômage, pauvreté, etc.) ;

les événements récents négatifs (isolement, deuil récent, divorce, licenciement, etc.) ;

le stade du cancer et l’importance des symptômes liés au cancer (douleur, saignements extériorisés, dyspnée, traite- ments mutilants, séquelles, etc.).

La multiplicité et la gravité de ces facteurs peuvent faire craindre un risque suicidaire.

L’estimation des décès par suicide chez les patients atteints de cancer reste incertaine. En effet, la plupart des suicides surviennent au domicile et ne sont pas forcément rapportés par les familles, ce qui pose le problème du recen- sement [26]. Dans l’étude de Hem et al., portant sur une cohorte du registre d’enregistrement des cancers survenus en Norvège entre 1960 et 1999, ont été observés 589 suici- des. Le risque relatif de suicide était le double de celui de la population générale et maximal dans les cinq mois suivant l’annonce. Les facteurs significativement corrélés à ce risque étaient le sexe masculin, la douleur, l’incapacité physique, l’isolement social, les antécédents personnels ou familiaux de troubles psychiatriques [8]. Bien que l’incidence de dépression grave et de suicide soit plus importante dans la période diagnostique et/ou en cas de maladie évoluée, ce risque n’est pas à négliger chez les patients en rémission.

Une enquête finlandaise étudiant les comorbidités retrouvées chez des patients qui se sont suicidés a constaté que 4,3 % avaient un cancer, mais que la moitié de ces derniers était en rémission au moment du passage à l’acte [9].

Ne pas hypothéquer le pronostic oncologique en raison de la dépression

Des travaux récents ont montré que certains patients dépres- sifs ne se voyaient pas proposer les mêmes traitements que les autres patients, comme si l’oncologue renonçait à cer- tains moyens thérapeutiques chez le patient déprimé [7].

Impact de la dépression sur le cancer

Les premières études concernant la dépression en tant que facteur de risque remontent aux années 1980. Depuis, une trentaine d’études ont été publiées ; globalement, six d’entre elles seulement retrouvent ce lien. Pour beaucoup d’entre elles la méthodologie est contestable, notamment en termes de nombre de patients évalués, d’hétérogénéité de la prise en charge psychiatrique et en termes de recul pour l’analyse. Il est donc difficile de pouvoir conclure de façon péremptoire sur le sujet [25]. Néanmoins, en l’absence de causalité tan- gible entre les deux affections, il existe indiscutablement un retentissement de la dépression sur la prise en charge oncologique.

Retard diagnostique

Certains symptômes du déprimé comme le repli sur soi, le désintérêt peuvent conduire à la négligence des examens de dépistage classiques comme la mammographie [14], voire à celle de signes d’appel avérés de la maladie cancéreuse, en particulier chez la personne âgée. Il s’en suit un retard diag- nostique et donc un risque d’extension tumorale plus impor- tant. À partir d’une cohorte de 160 patients présentant un cancer de l’œsophage, O’Rourke et al. ont mis en évidence un délai de 90 contre 35 jours par rapport à l’apparition des premiers symptômes pour poser le diagnostic, selon que le patient présentait ou non une pathologie psychiatrique asso- ciée (p< 0,001). Dans cette étude, le retard diagnostique se traduit par la découverte de la maladie cancéreuse à un stade avancé dans 37 et 18 % des cas respectivement (p< 0,009) [19].

Défaut de compliance

Pour les mêmes raisons, en particulier lorsque le fatalisme est au premier plan, l’adhésion au traitement proposé, sou- vent long, est difficile à obtenir et à concrétiser dans la durée [20]. Une réassurance du patient à chaque étape thérapeu- tique, incluant le suivi postthérapeutique, est nécessaire par l’ensemble de l’équipe soignante hospitalière, en collabora- tion étroite avec le médecin traitant. Le défaut de compliance peut entraîner une perte de chance en termes de contrôle tumoral et de survie. Cet élément est, par exemple, claire- ment démontré dans le traitement des tumeurs de la tête et du cou traitées par radiothérapie ; l’interruption même transitoire du traitement se solde par un nombre accru de récidives lié à la repopulation tumorale survenant lors de l’interruption [2]. Cela dit, certaines études rapportent une compliance augmentée chez certains patients atteints de can- cer, présentant des troubles émotionnels, notamment chez ceux présentant une anxiété associée [1].

En corollaire du défaut de compliance, se surajoutent les difficultés logistiques. En effet, le parcours de soins en can- cérologique est souvent long et complexe, avec de multiples interlocuteurs et de multiples rendez-vous (traitements, consultations, examens complémentaires, etc.). Le patient dépressif, surtout si le ralentissement psychomoteur est au premier plan, se sent volontiers dépassé, ce qui aggrave sa

« non-compliance ».

Difficultés de l’éducation thérapeutique

L’index thérapeutique des cytostatiques et des thérapies ciblées utilisés en cancérologie est en règle étroit. L’informa- tion du patient sur la survenue d’événements indésirables éventuels doit être systématique, claire et réitérée lors des consultations, sous-tendue par des documents explicatifs.

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Malgré cela, il est fréquent que le patient dépressif ne prenne pas les médications associées pour pallier ces effets secon- daires. La toxicité peut donc être importante, voire mettre en danger la vie du patient, comme les neutropénies fébriles par exemple. De plus, cette toxicité non prévenue aggrave finalement la non-compliance du patient et compromet le pronostic oncologique. Outre les consultations avec l’onco- logue, la place de la consultation paramédicale par l’infir- mière et/ou la technicienne de radiothérapie apparaît primordial pour limiter ce risque toxique.

Impact du cancer sur la dépression

Certains facteurs sont clairement identifiés comme déclen- chant ou aggravant un épisode dépressif : l’annonce de la maladie cancéreuse ou de sa rechute, en particulier s’il s’agit d’un stade avancé ; l’arrêt des traitements spécifiques de la maladie cancéreuse, l’importance des symptômes somatiques, certaines thérapeutiques du fait de leur mutila- tion ou de leurs effets pharmacologiques. C’est le cas en particulier de la chimiothérapie. Une étude récente montre que la dépression semble plus fréquente et plus grave chez les patientes traitées pour un cancer du sein recevant une chimiothérapie par rapport à celles qui n’en reçoivent pas [12]. De plus, la prévalence de la dépression semble supé- rieure dans certains types de cancers, comme le cancer du pancréas ou les tumeurs cérébrales [23].

Selon la phase du cancer

La période suivant l’annonce diagnostique est clairement identifiée comme une période à risque de dérapage dépressif.

Il en est de même pour l’annonce d’une récidive, où le tableau de dépression peut être au premier plan et associé à une exacerbation de l’anxiété, le patient se remémorant les difficultés qu’il a dû surmonter lors de son traitement anté- rieur. Lors des récidives, les formes de dépressions anxieuses et/ou hostiles, en rapport avec une perte de confiance dans l’équipe soignante, ne doivent pas être méconnues. Les consultations d’annonce établies dans le cadre du Plan can- cer permettent de prévenir ce risque de dérapage dépressif ou tout de moins, d’anticiper la mise en place des partenariats requis pour une bonne prise en charge psychiatrique : con- sultation conjointe avec le(a) psychologue, contact préalable avec le psychiatre hospitalier et/ou de ville, mise en place a priori d’un réseau de soins, etc.

En phase palliative, l’annonce de l’arrêt des possibilités thérapeutiques spécifiques à la maladie cancéreuse favorise la rechute dépressive, ce d’autant que survient volontiers un changement dans l’équipe en charge du patient. La collabo- ration anticipée avec l’équipe de soins palliatifs est indispen- sable pour gommer au mieux le sentiment d’abandon. Par

ailleurs, dans ce cadre palliatif, la dépression ne doit pas être banalisée et considérée comme inéluctable, mais au contraire faire l’objet d’un traitement à part entière. Dans l’étude de O’Mahony et al. portant sur 131 patients admis en unités de soins palliatifs, la demande d’euthanasie active est corrélée à un indice de performance bas, à un faible sou- tien social et à une humeur dépressive. Le traitement de la dépression évalué à quatre semaines fait significativement diminuer cette demande [18].

Enfin, le sentiment d’abandon est aussi prégnant chez cer- tains patients en rémission et en fin de parcours thérapeu- tique. Les consultations de suivi sont alors beaucoup plus moins fréquentes ; le patient n’est plus dans la lutte contre la maladie ni dans l’organisation logistique de ses traite- ments ; il est brusquement « sevré » de l’espace de parole dont il disposait avec l’équipe soignante. Le sentiment de sécurité procuré par les thérapeutiques actives à visée anti- néoplasique disparaît. Un sentiment de vulnérabilité persiste, avec l’appréhension d’une récidive possible (syndrome de Damoclès) [5]. Cette période doit être clairement anticipée par l’oncologue et abordée avec le patient avant la fin des soins. Il importe de prévoir le retour à la vie de tous les jours, de voir les personnes ressources du patient et ses pôles d’in- térêt. De plus, le diagnostic de dépression postthérapeutique risque d’être posé avec retard du fait de la moindre fréquence des consultations. Le risque accru de dépression après trai- tement d’un cancer peut être très tardif. L’étude de Hoffman et al. sur une cohorte de 4 636 patients traités depuis plus de cinq ans, avec un recul médian de 12 ans et comparés à plus de 120 000 participants indemnes, montre que ce risque perdure chez les patients long-survivants et reste supérieur à celui de la population générale, [10]. Il importe donc de rester vigilant tout au long du suivi oncologique.

Selon les symptômes physiques

De nombreuses études ont montré le rôle majeur de la dou- leur dans l’installation ou la réapparition du syndrome dépressif. Spiegel et al. ont démontré que les patients algi- ques avaient un risque de dépression deux à quatre fois plus élevé que les patients ne présentant aucune douleur [24].

D’autres symptômes non contrôlés, liés au cancer ou iatro- gènes, comme les vomissements ou la dyspnée, favorisent aussi la dépression. Certaines perturbations biologiques comme l’hypercalcémie paranéoplasique, l’hyponatrémie iatrogène ou liée à une sécrétion inappropriée d’ADH, fré- quente dans les cancers bronchiques à petites cellules, peuvent, elles aussi, majorer le risque de dépression [16]. Il en est de même de la dépendance physique et du handicap [4]. Pour cela, les soins de support doivent être systémati- quement optimisés. L’impact des traitements mutilants comme la mastectomie ou la laryngectomie totale sur la dépression n’est pas clairement établi dans la littérature, les

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publications portant surtout sur l’évaluation globale de la qualité de vie et non spécifiquement sur la dépression. Cela dit, les traitements modifiant l’image corporelle entraînent plus volontiers des désordres de l’humeur, comme le démon- tre la revue de Reich et al. à propos des femmes traitées pour un cancer du sein [21].

Intéractions médicamenteuses

Enfin, certains médicaments utilisés en cancérologie peuvent induire un syndrome dépressif iatrogène. Les plus classiques sont les corticoïdes, l’interféron, l’hormonothérapie (tamoxi- fène, LH–RH et antiandrogènes), l’asparaginase et la procar- bazine [7].

Collaboration oncologue

psychiatre

L’optimisation de la prise en charge du patient dépressif atteint de cancer repose à l’évidence sur la collaboration rapprochée de l’oncologue et du psychiatre. La prise en charge de la dépression doit s’inscrire dans un projet de soin global, donc pluridisciplinaire. Le patient reste bien entendu toujours partie prenante dans toutes les étapes thé- rapeutiques. Il est toujours préférable que le traitement anti- dépresseur soit initié par le psychiatre (molécule adaptée au tableau clinique, galénique et dose, association ou non à une benzodiazépine ou à un traitement non médicamenteux).

Celui-ci tiendra compte de la sommation des effets indésira- bles avec les thérapeutiques oncologiques, voire des inter- actions médicamenteuses possibles (via le cytochrome P450 par exemple). Le patient sera bien entendu informé de ces effets indésirables potentiels et revu dans les dix jours pour juger de sa compliance et de sa tolérance. Les indications thérapeutiques ne seront pas détaillées ici (cf. article de Reich « Maniement des antidépresseurs chez le patient atteint de cancer» dans ce numéro). Le suivi psychiatrique est indispensable d’emblée en cas d’antécédent de dépres- sion grave, de rechute, alors que le patient est déjà sous antidépresseurs ou au moindre doute diagnostique, notam- ment dans les formes bâtardes. Les deux questions principa- les qui doivent venir à l’esprit de l’oncologue sont :

le patient est-il déjà suivi par un psychiatre ?

le patient souhaite-t-il être suivi par un psychiatre ? Lorsqu’il existe déjà un suivi psychiatrique en ville, celui- ci doit être poursuivi, le psychiatre étant informé clairement de l’évolution de la maladie cancéreuse et du projet théra- peutique. L’équipe psychiatrique hospitalière peut servir de lien, mais il est en règle préférable de ne pas rompre la rela- tion déjà établie. En l’absence de suivi préalable, le choix du psychiatre sera fonction des réseaux de soins préétablis et des aspects logistiques propres au patient (lieu de domicile,

fréquence des consultations en psychiatrie, fréquence des venues en oncologie), en privilégiant toujours la facilité de l’échange des informations. La difficulté essentielle de l’oncologue est celle du patient refusant la prise en charge psychiatrique. En l’absence d’idéation suicidaire évidente, la question doit être fréquemment évoquée avec le patient, et éventuellement la personne de confiance, par l’ensemble des soignants assurant sa prise en charge oncologique (personnel paramédical, autres spécialistes, médecin traitant), ainsi que lors des réunions pluridisciplinaires ou de soins de support.

Le(a) psychologue en charge de l’unité d’oncologie a alors un rôle clef pour concrétiser ce suivi psychiatrique.

Conclusion

La dépression est une comorbidité fréquente en oncologie qui ne doit pas être négligée mais intégrée d’emblée au projet de soins en impliquant l’ensemble des acteurs nécessaires, notamment les psychologues, les psychiatres et le médecin traitant. L’oncologue doit s’attacher à dépister précocement tout dérapage dépressif de façon à améliorer l’adhésion du patient au projet de soins et à améliorer sa qualité de vie.

Conflit d’intérêt L’auteur déclare ne pas avoir de conflit d’intérêt.

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