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Oncologie : Article pp.17-21 du Vol.4 n°1 (2010)

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ARTICLE ORIGINAL /ORIGINAL ARTICLE DOSSIER

Prise en charge d ’ un patient psychotique atteint de cancer : réfuter la perte de chance d ’ une double pathologie

Management of a schizophrenic patient with cancer:

refusing the loss of chance due to a dual condition

S. Limousin

Reçu le 15 janvier 2010 ; accepté le 7 février 2010

© Springer-Verlag France 2010

Résumé Conjuguer psychose et cancer n’est pas une situation exceptionnelle. Une telle comorbidité psychia- trique risque de constituer une perte de chance dans les stra- tégies de soins de la maladie cancéreuse. Après avoir abordé les principaux facteurs limitant la prise en charge en service d’oncologie, nous proposerons une conduite pratique à tenir tendant à l’optimisation des soins. Pour finir, deux vignettes cliniques illustreront notre propos.

Mots clésSchizophrénie · Cancer · Comorbidité · Psycho-oncologie · Psychose

Abstract The existence of combined psychosis and cancer isn’t an exceptional situation. Such psychiatric comorbidities could result in a loss of chance regarding care strategies in cancer. We will first review the limiting factors of an adequate treatment for these patients in oncologic settings, then we will propose some guidelines for optimizing disease management. Finally, two clinical vignettes about psychotic patients with cancer will complete our reflection.

Keywords Schizophrenia · Cancer · Comorbidity · Psycho-oncology · Psychosis

Introduction

Conjuguer psychose et cancer n’est pas une situation exceptionnelle au sein de la population en oncologie [1].

De par les spécificités inhérentes à sa pathologie mentale, le patient schizophrène (psychose que nous prendrons

comme modèle dans cet article) atteint de cancer va induire un certain nombre de réactions auprès des équipes pluridisci- plinaires d’oncologie, peu ou pas habituées à entrer en rela- tion avec des patients délirants, discordants, réticents, parfois énigmatiques de par leurs comportements ou leurs propos.

Face au risque que la symptomatologie psychotique et les réactions qu’elle suscite altèrent la qualité de la comm- unication soignant–soigné, voire compromettent le projet thérapeutique dans son ensemble, le travail de liaison du psycho-oncologue va prendre toute sa dimension. Nous ver- rons comment le patient psychotique atteint de cancer rend ainsi nécessaire un travail interdisciplinaire entre équipes d’oncologie et de psycho-oncologie, pour optimiser une prise en charge potentiellement en péril. Deux vignettes cliniques illustreront ces propos.

Particularités de la prise en charge des patients psychotiques atteints de cancer : les facteurs limitants

Nous ciblerons essentiellement notre réflexion sur l’étude de facteurs limitant la prise en charge, constatés en pratique clinique en service d’oncologie. Ils sont successivement : les difficultés de diagnostic rencontrées, avec la notion de perte de chance qui leur est inhérente, les vécus du milieu hospi- talier et des soins oncologiques par le patient psychotique, les vécus et les difficultés rencontrées par les équipes soi- gnantes en oncologie, les difficultés relatives aux traitements médicamenteux et, enfin, l’absence de psycho-oncologue ou de psychiatre de liaison en service d’oncologie.

Massie [7] a, il y a déjà 20 ans, listé quatre difficultés principales dans la prise en charge du patient psychotique atteint de cancer : un fréquent retard diagnostic en raison d’un accès aux soins tardifs (motifs d’ordre clinique, tels le déni des troubles somatiques ou un trouble de la perception de soi, une mauvaise compréhension des informations

S. Limousin (*)

Pôle psychiatrie centre, hôpital de la Conception, Assistance publique–Hôpitaux de Marseille, 147, boulevard Baille, F-13385 Marseille cedex 05, France

e-mail : sandrine.limousin@ap-hm.fr DOI 10.1007/s11839-010-0244-8

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médicales concernant les symptômes d’appel ou les moyens de dépistage) ; une non-compréhension de la maladie et des traitements proposés, lorsque le diagnostic est effectué, ou la persistance d’un déni du cancer (au-delà de ce qui est habi- tuel lors de l’annonce de la maladie chez tout autre patient, un tel déni durable compromettant la passation des examens et l’acceptation des soins) ; une sous-estimation d’intoléran- ces médicamenteuses ou d’éventuelles complications en cours de chimiothérapie, pouvant engager le pronostic vital (en raison d’une tolérance accrue à certaines sensations nociceptives ou d’une perception modifiée des symptômes somatiques, ou encore des signes déficitaires de la maladie mentale et des difficultés de contact) ainsi qu’une mauvaise adhésion, voire une ambivalence à l’égard des soins (d’où un suivi au domicile ou ambulatoire difficile et un arrêt fréquent des traitements anticancéreux spécifiques). Pour Kunkel et al., [5] la présence d’un état psychotique chez le patient atteint de cancer (hormis un délire hypochondriaque) est un facteur important de la réticence à consulter et de la mauvaise observance du suivi. Pour Inagaki et al. [4], l’importance de l’aspect déficitaire sur le plan cognitif, la présence d’un stade avancé de découverte de cancer, son inaccessibilité d’emblée à un traitement de première ligne ou encore l’insuffisance d’explications données sur la maladie sont des facteurs signi- ficatifs de difficultés de compréhension et de mauvaise adhé- sion au traitement.

Le vécu, par le psychotique, de la prise en charge oncolo- gique est souvent rapporté comme une perte de repères (nou- velles organisations de soins, thérapeutiques, investigations et cadre d’hospitalisation), surtout lorsque le suivi institu- tionnel psychiatrique est suspendu pour permettre les soins oncologiques. De fait, l’altération de la conscience de soi et du rapport à l’autre et au monde, propre à la schizophrénie, va conduire à des vécus très divers d’un patient à l’autre, d’où la capacité plus ou moins altérée, pour le patient schizo- phrène, de percevoir et de reconnaître son ou ses trouble(s) (psychique et somatique), son niveau variable de compré- hension des informations médicales reçues, sa capacité, variable elle aussi, d’observance des traitements (psychiatri- ques et somatiques), enfin, le caractère plus ou moins ins- table du vécu des soins et de la qualité relationnelle avec les soignants [2]. Le rapport au corps différent et le tableau délirant résiduel et fluctuant font des soins oncologiques, surtout s’ils sont mutilants et intrusifs, des facteurs de stress supplémentaires susceptibles de majorer la symptomatologie préexistante ou d’y être intégrés, en étant alors éventuelle- ment vécus de façon délirante (selon les cas comme un dan- ger, une persécution, un vol ou affaiblissement de leur être ou d’une partie du corps, ou comme un gage d’immortalité, de toute puissance ou encore comme un don divin). Dans d’autres cas, les soins oncologiques seront vécus par les patients comme un élément étranger, ne les concernant pas ou peu (le corps étant déjà perçu, chez certains patients

schizophrènes, comme morcelé et clivé). Les réactions, face à de tels vécus, pourront être des manifestations anxieu- ses, un refus de soins ou d’examens divers, un comportement hétéro- ou autoagressif, une attitude méfiante ou hostile, mais aussi, de façon moins fréquente, l’absence de réaction apparente particulière, comme une acceptation par « non concernement » ou encore des sollicitations excessives (notamment médicamenteuses).

Le troisième facteur limitant de la prise en charge oncolo- gique des patients souffrant de schizophrénie tient au vécu et au comportement des soignants eux-mêmes. Une partie des soignants en oncologie partage, en effet, certaines représenta- tions sociales péjoratives de la maladie mentale. Le « fou » est encore perçu dans notre société comme « anormal », « irres- ponsable », « imprévisible » et « dangereux ». Les équipes en oncologie pourront ainsi avoir tendance à interpréter les com- portements des patients schizophrènes dont elles ont la charge, en fonction de leurs préjugés, voire de leurs fantasmes, d’où, selon les soignants et selon les patients, des vécus et des atti- tudes de crainte, d’impuissance, d’incompréhension, de rejet, de compassion, plus rarement de protection ou d’empathie.

Leur méconnaissance de la psychopathologie en général, et de celle du patient psychotique en particulier, va contribuer à l’inconfort de telles prises en charge. Les contextes socio- environnementaux des patients psychotiques ont leurs particu- larités : autres membres de la famille souffrant d’une maladie mentale, isolement social, mesures éventuelles de protection de biens, habitus de vie souvent ritualisés et fréquence des comorbidités addictives [3]. Les équipes d’oncologie ont par ailleurs peu d’éléments de repère sur l’organisation des soins psychiatriques en général (organisation, institutions impli- quées, modalités thérapeutiques), ce qui peut les gêner pour l’établissement d’un projet de soins oncologiques acceptable par un patient psychotique et adapté à ses difficultés. Sans oublier les conditions de travail parfois difficiles des équipes soignantes en oncologie, en raison d’un manque d’effectif ou d’une technicité croissante, autant de facteurs qui peuvent à eux seuls altérer la qualité de la relation soignant-soigné et rendre les soignants moins disponibles pour ces « patients pas comme les autres » que représentent les psychotiques.

Le traitement médicamenteux, oncologique ou psychia- trique, peut aussi être un facteur limitant. Toute modification de l’une ou de l’autre des thérapeutiques peut altérer rapide- ment l’état de santé psychique et/ou somatique et compromet- tre les chances de succès du traitement du cancer, mais aussi des acquis parfois précaires en matière de stabilisation des symptômes psychotiques. Peu ou pas habituées à utiliser les psychotropes, les équipes d’oncologie sont néanmoins confrontées à des situations cliniques justifiant des adaptations du traitement psychotrope ou oncologique (diarrhée, vomisse- ments, tremblements, confusion, sédation, trouble de la coagu- lation, recrudescence délirante, trouble du comportement) qui, sans respect ou anticipation de certaines règles de maniement

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(contre-indications, interactions médicamenteuses sournoises avec fluctuations d’efficacité ou moindre tolérance aux traite- ments), sont susceptibles de majorer les symptômes schizo- phréniques. Les équipes en oncologie peuvent ainsi se sentir dépassées, particulièrement si elles ne bénéficient pas réguliè- rement dans leurs services de l’aide essentielle du psycho- oncologue ou du psychiatre de liaison en oncologie.

Le dernier, et non des moindres, facteur limitant pour la prise en charge oncologique des patients psychotiques est en effet le manque ou la présence très limitée d’un temps de psychiatre consultant, psychiatre de liaison ou psycho- oncologue, dans de nombreuses institutions cancérologi- ques. L’accompagnement de patients schizophrènes atteints de cancer implique avant tout la contribution régulière d’une compétence psychiatrique, voire d’une liaison en service d’oncologie effectuée par des infirmiers psychiatriques « de liaison », appartenant le cas échéant à une équipe de psychia- trie de secteur. Or, si de nombreuses institutions oncologi- ques sont correctement dotées en psychologues cliniciens, ce n’est pas forcément le cas en ce qui concerne l’accès facile, régulier et efficient à des compétences psychiatriques, voire même à une intervention en urgence, en cas de troubles aigus du comportement.

Quelle conduite tenir en pratique pour optimiser la prise en charge en oncologie ?

Nous énoncerons dans un premier temps les principaux rôles du psycho-oncologue ou psychiatre de liaison en service d’oncologie, puis indiquerons les axes de travail essentiels pour tendre vers une meilleure gestion de telles prises en charge, et proposerons quelques moyens applicables en service d’oncologie qui engagent l’ensemble de l’équipe soignante et le psycho-oncologue en particulier.

Principaux rôles du psycho-oncologue ou psychiatre de liaison en oncologie

Insistons notamment sur la place centrale de liaison du psycho-oncologue lors du nécessaire travail pluridiscipli- naire précoce et du maintien des soins psychiatriques de qualité. Le psycho-oncologue doit avoir le souci de

« dé-stigmatiser » le malade mental et de transmettre aux équipes soignantes toute connaissance psychiatrique utile pour une meilleure compréhension en général de cette patho- logie mentale déconcertante qu’est la schizophrénie, mais aussi pour une meilleure compréhension et pour l’instaura- tion d’un climat d’empathie à l’égard de tel ou tel patient schizophrène atteint de cancer, en particulier. Les domaines de compétence et d’intervention du psycho-oncologue sont donc multiples. L’aide qu’il peut apporter concerne ainsi soi- gnants, patients et proches à divers niveaux (clinique, théra-

peutique, relationnel, pédagogique). Une des demandes fréquentes qui lui est adressée est l’évaluation de la capacité du patient psychotique à s’inscrire dans les soins oncologi- ques, c’est-à-dire à intégrer son diagnostic, à comprendre les enjeux du traitement, à s’engager dans une alliance thérapeu- tique avec l’équipe d’oncologie et à être observant.

Face aux préjugés parfois tenaces concernant la confiance qui peut être faite à un patient schizophrène tout au long d’un parcours déjà complexe et éprouvant pour tout patient can- céreux ne présentant pas de trouble mental, le psycho- oncologue pourra être amené à argumenter et, sinon à convaincre, du moins à aider les équipes d’oncologie à pro- poser les traitements médicaux optimums, fussent-ils « agres- sifs », en évitant que les schizophrènes atteints de cancer ne fassent l’objet, explicitement, ou parfois plus insidieuse- ment, d’une discrimination liée à leur état mental [8].

Axes de travail

Les principaux axes de travail sont :

lidentification et la prise de connaissance d’un éventuel trouble mental associé au cancer au plus tôt de la prise en charge oncologique ;

linstauration, le maintien ou la restauration de l’équilibre psychique du patient psychotique en tout temps de la prise en charge ;

la qualité de la prise en charge de la maladie cancéreuse.

Moyens

Pour repérer au mieux la présence d’un trouble psycho- tique par les équipes d’oncologie au plus tôt de leur prise en charge, il importe que l’anamnèse et l’évaluation psy- chiatrique rigoureuse fassent l’objet d’un compte rendu détaillé dans le dossier médical du patient, à la disposition de l’ensemble des intervenants en oncologie. Bien sou- vent, le patient schizophrène pris en charge en oncologie est annoncé comme tel, en amont de la rencontre avec les équipes oncologiques, par son psychiatre traitant ou son médecin traitant, avec une transmission appropriée des documents de liaison nécessaires. Si aucune transmission n’oriente sur l’existence d’un trouble psychotique, l’équipe d’oncologie devra encore plus systématiquement aller à la « pêche aux informations utiles » lors de l’inter- rogatoire, voire de l’examen physique du patient (pré- sence de cicatrices de phlébotomie, de scarifications, akathisie ou déambulations permanentes, akinésie et trem- blement, induits par les neuroleptiques, hyposialie, alloca- tion adulte handicapé, mesure de protection de biens, antécédents de tentative de suicide, traitement injectable régulier, intolérances médicamenteuses, hospitalisations en psychiatrie, etc.) ;

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plusieurs actions peuvent être envisagées pour éviter une décompensation psychiatrique et en même temps faciliter l’inscription du patient dans son parcours de soins onco- logiques. Les soins psychiatriques doivent être poursuivis sans discontinuité ou être réinstaurés, en cas de rupture des soins, sans attendre, pour les reprendre, une aggrava- tion clinique (psychique ou somatique). Le maintien d’un lien régulier, avec le psycho-oncologue, en premier lieu, mais aussi les référents psychiatriques usuels (médecin, infirmiers, voire assistante sociale), est essentiel afin, notamment, d’assurer une évaluation psychiatrique régu- lière, d’ajuster le traitement psychotrope (surtout neuro- leptique, parfois à action prolongée) et de préserver le lien avec la prise en charge institutionnelle. Il importe de délivrer au patient une information médicale adaptée et de veiller à tout ce qui peut assurer une meilleure observance (simplification des ordonnances, du nombre de prises médicamenteuses quotidiennes, recours à des visites d’in- firmier à domicile ou à un accompagnement infirmier lors des consultations somatiques). Le maintien du lien garan- tit au mieux le repérage d’éventuels signes annonciateurs de décompensation psychotique (présentation et deman- des inhabituelles, surconsommation de tabac, troubles du sommeil, anxiété, consultations non honorées, etc.) ;

il faut tenter d’assurer au service d’oncologie un climat plus sécurisant et plus stable, tant pour les patients que pour les soignants. Il faut ainsi anticiper et gérer au mieux les situa- tions de crise, souvent ponctuelles mais tant redoutées par les équipes somatiques (agitation, auto- ou hétéroagressi- vité), définir les places et fonctions de chacun, vérifier la traçabilité dans le dossier patient des coordonnées des réfé- rents psychiatriques (psycho-oncologue et/ou psychiatres habituels, s’ils existent, urgences psychiatriques, secteur de rattachement psychiatrique), éviter les changements répétés d’intervenants, faire preuve de réactivité et de prag- matisme en cas de difficultés de parcours, se montrer compréhensif face aux réactions d’impatience ou de décou- ragement des équipes soignantes d’oncologie, ne pas juger, expliquer et gérer les conflits [6,8].

Vignettes cliniques

Les vignettes cliniques suivantes soulignent l’intérêt d’une collaboration interdisciplinaire pour surmonter les difficultés de gestion rencontrées au cours des prises en charge oncolo- giques de patients schizophrènes.

Monsieur M.

M. M., 62 ans, suivi par l’équipe de secteur pour une schizo- phrénie paranoïde évoluant depuis 30 ans, est adressé pour

un bilan d’extension d’un hépatocarcinome découvert durant l’hospitalisation en psychiatrie, indiquée quelques jours auparavant par son psychiatre traitant, alerté par un amaigris- sement massif et rapide dont M. M. ne se plaignait pas. Il avait accepté l’hospitalisation en psychiatrie pour obtenir de

« l’assistante sociale » une aide plus rapide dans une démar- che administrative…Sa vie a été longtemps jalonnée par de multiples hospitalisations sans consentement. Sa reconnais- sance du trouble psychiatrique est partielle, son mode de vie très ritualisé, la rémission symptomatique incomplète, avec un délire à thème de persécution et un vécu de morcellement inaccessibles au traitement. Afin d’organiser au mieux le transfert puis la prise en charge en oncologie, ont été mis en place des réunions et des contacts téléphoniques réguliers entre les référents désignés des deux spécialités, avec la médiation du psycho-oncologue. La prise en charge de M. M. a nécessité également des réajustements médicamen- teux, des accompagnements d’infirmiers psychiatriques à certaines consultations ainsi que des repérages préalables avec le patient, des référents et lieux de soin (visites et pré- sentation du service d’oncologie, de sa chambre, etc.).

L’hospitalisation va se dérouler sans incident majeur.

M. M. accepte finalement les investigations, après un refus systématique initial. Il persistera dans le déni massif de tout problème de santé et refusera catégoriquement la perspective d’un acte chirurgical, seul traitement curatif, au motif qu’il n’a « pas mal » et qu’il ne boit plus d’alcool.

Si l’interdisciplinarité et le partenariat de qualité décrits dans cette vignette clinique ont contribué à faciliter la ges- tion de l’hospitalisation de M. M., il n’en reste pas moins que les équipes restent dans certains cas confrontées, comme le montre cette vignette clinique, à la problématique du refus de traitement (ou de soins) de la part du patient psychotique, refus dont il faut, chaque fois, pouvoir déterminer si les mécanismes qui le sous-tendent sont à attribuer ou non à la maladie psychotique, à l’origine une perte de chance pour des raisons psychopathologiques.

Madame S.

Mme S. est adressée par son gynécologue, qui la suit depuis peu pour un bilan d’extension d’une tumeur mammaire droite découverte récemment et d’évolution très rapide. La chirurgie est récusée par les oncologues ; une chimiothérapie est proposée, acceptée et débutée dans la foulée, compte tenu de la rapidité de progression du cancer. Sans particularité jusqu’ici de prise en charge (la patiente restait essentielle- ment dans sa chambre individuelle), Mme S. est vue par le psycho-oncologue à la demande expresse de l’équipe infir- mière, inquiète du changement assez brutal de son compor- tement. Ce dernier apparaît en effet désorganisé, avec une hostilité croissante envers certains patients et les soignants, notamment lors des soins, et des propos que Mme S. adresse

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à sa tumeur et aux « démons » qui veulent la dévorer et qui se sont logés sous sa peau et son artère. En dépit du tableau délirant (hallucinatoire persécutoire) et dissociatif manifeste et non critiqué par la patiente, cette dernière répond sans trop de réticence aux questions posées par le médecin de « la tête » qui la rassure. Elle ira ainsi jusqu’à nommer sa « schi- zophrénie », son traitement psychotrope (injectable, bimen- suel, qu’elle a arrêté il y a environ un mois et dont elle ne sait plus le nom) et l’équipe psychiatrique de secteur qui la suit (mais qu’elle n’a pas informée de son cancer, de peur de l’« inquiéter » avec une maladie qui ne concerne pas les

« nerfs »). La gestion rapide de la situation de crise par le psycho-oncologue (ajustements thérapeutiques…) rassurera l’équipe soignante, de même que la prise de contact, d’abord téléphonique, avec les référents psychiatriques de secteur (médical et infirmier). La suite de la prise en charge se dérou- lera sans incident, avec désignation de référents infirmiers somatiques et poursuite d’un travail collaboratif inter- disciplinaire régulier et mise en place de réunions pro- grammées dans l’unité d’oncologie.

La place du psycho-oncologue permettra ici de restaurer au mieux et rapidement l’équilibre psychique de Mme S., de maintenir les soins oncologiques, d’éviter une hospitalisa- tion en psychiatrie et de reprendre le suivi habituel de secteur avec une équipe informée de la maladie cancéreuse. Remar- quons aussi, rétrospectivement, l’importance qu’aurait pu avoir une anamnèse systématique par les équipes d’onco- logie, afin d’identifier dès le début de la prise en charge l’existence de signes cliniques, voire d’une éventuelle mala- die psychiatrique, justifiant une consultation avec le psycho- oncologue, ce qui aurait peut-être évité, dans le cas de Mme S., la recrudescence de sa symptomatologie et la mise en péril de sa prise en charge.

Conclusion

Il n’y a pas de patient avec lequel on ne puisse travailler.

Le patient psychotique atteint de cancer nous impose la

contrainte d’un travail interdisciplinaire, où le fait de soute- nir un projet de soins le plus concerté et le plus étayé possible relève d’une exigence éthique. La qualité de la com- munication et la qualité de la relation soignants–soigné sont des facteurs essentiels pour préserver ou restaurer la qualité de vie de tels patients, de leurs proches ainsi que des équipes.

Le défi de conjuguer une technicité croissante à la singularité d’un tel objectif prend alors tout son sens. Rappelons une dernière fois le rôle essentiel du savoir faire du psycho- oncologue ou psychiatre de liaison, dont la persévérance doit permettre de réfuter l’idée qu’une double pathologie ne se transforme en une double peine.

Conflit d’intérêtL’auteur déclare ne pas avoir de conflit d’intérêt.

Références

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Références

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