MONNAIE FRANÇAISE
ÉLASTIQUE
FRANC
ET FRANC " FLOTTANT "
LA PIASTRE ET LE FRANC
THÉORIE ET POLITIQUE
LIBRAIRIE DU RECUEIL SIREY, PARIS
LA
MONNAIE FRANÇAISE
DE 1936 A 1938
MÊME
La Monnaie française depuis la guerre (19H-1936). Un vol.
in-8° écu de 112 pages. Librairie du Recueil Sirey, 1936.
La Crise du capitalisme. Un vol. in-8° écu de 201 pages, 2e édition (avec une préface nouvelle et deux appen¬
dices). Librairie du Recueil Sirey, 1936.
Essais sur le Corporatisme. Un vol. in-8° écu de 172 pages.
Librairie du Recueil Sirey, 1938.
Economie politique et Facultés de droit. Un vol. in-8° écu de 126 pages Librairie du Recueil Sirey, 1937.
Doctrines sociales et Science économique. Un vol. in-8° de 204 pages. Librairie du Recueil Sirey, 1929.
Les Doctrines économiques en France depuis 1870. Un vol.
in-16 de 220 pages. Collection Armand Colin, 3e édition, 1934.
L'Utilité marginale. Un vol. in-8°. Editions Domat-Mont- chrestien, 2e édition, 1938.
Les théories de l'équilibre économique : L. Walras et V. Pa- reto. Un vol. in-8°. Editions Domat-Montchrestien, 2e édi¬
tion, 1938.
J.-B.***. Glanes (Le Monde et la Science. La Vie et la Mort.
Politique et Histoire). Présentation et préface de Gaétan Pirou. Un vol. in-16 de 143 pages. Editions Domat-
. Montchrestien, 1936.
pp ô22'^i5?X $426524
GAETAN PIROU
PROFESSEUR A LA FACULTÉ DE DROIT DE PARIS
LA
MONNAIE FRANÇAISE
DE 1936 A 1938
FRANC " ÉLASTIQUE "
ET FRANC " FLOTTANT "
LA PIASTRE ET LE FRANC
THÉORIE ET POLITIQUE
MONÉTAIRES
LIBRAIRIE DU RECUEIL SIREY, PARIS
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AVANT-PROPOS
Dans une brochure antérieure 1, nous avons retracé à grands traits l'histoire de la
monnaie
française de juillet 191£ audébut de
1936.Quelques mois après qu'avaient été
prononcées
les conférences reproduites dans cette
brochure,
intervenait un « alignement » du franc
(octobre
1936), suivi bientôt (juin 1937) d'une nouvellechute de notre monnaie nationale. Le « repli » de
mai 1938 marque une troisième étape dans la dépréciation dufranc, en même temps
qu'il entend
mettre un crand'arrêt quifacilite le redressement.
Pour répondre au désir qui nous en a
été
exprimé de divers côtés, nous retraçons,dans la
première partie du présentopuscule, les lignes
essentielles de cette évolution de notre régime mo¬
nétaire au cours des deux dernières années. Nous
nous bornerons ci un exposé simple et schématique
sans entrer dans les détails de la réglementation
ou les discussions théoriques, avec la seule préoc¬
cupation de décrire les causes et
les effets de cha¬
cune des mesures intervenues, et d'aider ainsi à comprendre leur
enchaînement chronologique.
1 La Monnaie française depuisla guerre, Sirey, 1936.
FRANÇAISE 1936-1938
La deuxième partie — qui reproduit une étude faite à la fin de 1937 en Indochine — montre les répercussions des événements monétaires français
sur la piastre, satellite du franc.
Une troisième partie — écrite à l'occasion d'un
ouvrage paru récemment et de haute qualité — développe cette thèse que lefondement de la valeur
d'une monnaie, et l'explication de ses vicissitudes,
doivent être recherchés du côté de la psychologie
collective. Peut-être cette analyse aidera-t-elle à comprendre le passé et à discerner les perspectives
d'avenir de notre franc. Les mouvements de dé¬
fiance ou de confiance à l'égard d'une monnaie s'appuient le plus souvent sur des éléments objec¬
tifs et techniques. On spécule sur la chute de cette
monnaie quand on constate que le budget du pays est déséquilibré, que les prix y sont trop élevés,
que la balance commerciale y est déficitaire. On joue à la hausse quand on voit l'ordre financier
se rétablir et la reprise économique se dessiner.
Mais c'est le propre des phénomènes de psycho¬
logie collective que de prendre, une fois déclan- chés, une intensité qui dépasse souvent, dans le pessimisme comme dans l'optimisme, les données objectives et les limites raisonnables. D'où l'am¬
pleur des mouvements et la difficulté d'y résister.
Mais aussi, quand le climat a changé, l'aisance et
la rapidité du retournement.
S'il en est ainsi, on aperçoit que les destinées
AYANT-PROPOS 9 ultérieures de notre franc ne peuvent faire l'objet,
à l'heure actuelle, que de pronostics réservés.
Quand, en France et à l'étranger, on prédit son amenuisement indéfini, quand, extrapolant la
courbe des deux dernières années, on pronostique
au franc le même sort qu'au mark-papier en 1923,
on méconnaît les possibilités de redressement de
l'économie française. A l'inverse, ceux qui croi¬
raient tout péril écarté, parce que le dernier repli
a été suivi d'abondantes rentrées d'or et de capi¬
taux, risqueraient d'éprouver une cruelle décep¬
tion.
L'avenir prochain du franc sera fonction de l'atmosphère où vivra la France dans les prochains mois, au triple point de vue politique, écono¬
mique, social. Si les luttes des partis s'atténuent,
si la courbe de la production remonte, si les pro¬
cédures de conciliation et d'arbitrage réussissent
à écarter les conflits du travail (ou du moins à en diminuer le nombre et à en atténuer lavirulence),
la stabilité du franc pourra être obtenue aux envi¬
rons des taux actuels qui nous font bénéficier, sur le terrain des prix, d'une notable disparité.
Nous aboutissons ainsi à des conclusions égale¬
ment éloignées d'un pessimisme désespérant et
d'un paresseux optimisme. La valeur de la mon¬
naie est le reflet d'une appréciation qui n'est ni rigoureusement logique, ni purement arbitraire.
Il appartient aux gouvernants, et plus encore aux
citoyens, de déterminer, par leur comportement,
le climat favorable faute duquel rien ne sera pos¬
sible et grâce auquel tout deviendrait
relativement
aisé \
1 Ce qui ne veut pas dire que les choses s'arrangeraient
miraculeusement et sans sacrifices.
PREMIERE PARTIE
Franc «élastique» et franc «flottant»
De 1934 au début de 1936, une longue et âpre
controverse s'était déroulée entre protagonistes
d'une seconde dévaluation et défenseurs du franc
de 1928. Sans revenir sur ce débat, dont nous
avons ailleurs 1 exposé les principaux
thèmes,
rappelons seulementqu'il n'était
pasla reproduc¬
tion de celui qui avait eu
lieu environ dix
ans auparavant. Quand, sousle ministère de M. Ray¬
mond Poincaré, on se demandait s'il
convenait de
stabiliser ou de revaloriser le franc, la discussion
se plaçait sous le signe
de la
guerrede 191 A-1918
dont le souvenir était encore proche et dont
la
liquidation restait àfaire. Les partisans d'une
revalorisation déclaraient qu'elle était
la seule
politiquecompatible
avec notresituation de vain¬
queurs dans la guerre.
Les adeptes de la sta¬
bilisation l'estimaient indispensable pour donner
à l'économie française un équilibre nouveau, qui
tînt compte des lourdes charges
qu'en dépit de la
1 G. Piroxj, La Monnaie française depuis la guerre, pp. 81-
101.
MONNAIE FRANÇAISE 1936-1938 victoire la guerre nous avait
laissées. En 1934-
1936, c'est sous le signe de la crise mondiale que le problème se trouve placé. L'argument essentiel
des dévaluateurs découle du marasme où
cette crise a plongé le monde et la France. L'équilibre
réalisé en 1928 est,
déclare-t-on, disloqué.
Sous l'effet de cetébranlement,
la plupart des grandes nations, à la suite de l'Angleterre(1931)
et des Etats-Unis (1933), ont abaissé la valeur de leur monnaie. En s'abstenant de les suivre, les pays dubloc-or — et en particulier la France — empê¬
chentleurs prix d'épouser la courbe des prix mon¬
diaux. D'où une anémie économique, génératrice
de difficultés commerciales et financières. De leur
côté, les adversaires d'une nouvelle dévaluation soutenaient que les manipulations monétaires
nationales, en accentuant la chute des prix-or,
aggravent et prolongent la crise mondiale, bien loin de la guérir. Ils formulaient
l'espoir
qu'une reprise générale (dont ils saluaient l'aurore aupremier semestre de 1935) effacerait le mal dont
nous souffrions sans qu'il soit besoin
d'infliger
aux détenteurs de revenus fixes un nouveau sacri¬
fice.
Au moment où se
développe
la campagne élec¬torale d'avril-mai 1936, quelle est la force respec¬
tive des deux thèses en présence?
FRANC (( ÉLASTIQUE » ET (( FLOTTANT )) 13 A. La position des défenseurs du franc de 1928
se trouve affaiblie pour deux motifs :
/ 1° La disparité entre les prix français et les prix étrangers, après s'être atténuée durant le premier
semestre de 1935, par l'effet conjugué de labaisse
desprix français et de la hausse desprix mondiaux,
a reparu à partir de juillet 1935. Non que les prix
mondiaux se soient arrêtés dans leur ascension.
Cet arrêt ne surviendra que plus tard. Mais les prix français ont recommencé à monter, et à une allure plus accentuée que ceux des autres pays.
Dé ce fait, les obstacles que met à une reprise de
l'économie française le niveau trop élevé de nos
prix s'aggravent sensiblement et il devient chimé-
| rique d'espérer qu'ils disparaîtront
par un pro¬cessus naturel et sans une intervention énergique.
2° D'autre part, l'opinion publique semble à
peu près unanime à estimer que la politique de déflation, entreprise par le gouvernement Laval,
a atteint son maximum. On ne peut, par consé¬
quent, escompter, par une nouvelle compression
des dépenses publiques et des prix, obtenir l'équi¬
libre économique et financier.
B. Mais les discussions auxquelles donna lieu
la campagne électorale devaient également mon¬
trer que l'éventualité d'une seconde dévaluation
se heurtait à une hostilité générale de l'opinion publique. Son impopularité était telle qu'à peu
FRANÇAISE 1936-1938
près tous les partis politiques — et la grande ma¬
jorité des candidats — s'en déclarèrent adver¬
saires : les quelques rares personnalités (telles MM. Marcel Déat et Paul Reynaud) qui bravèrent
ce sentiment général connurent ou frisèrent l'échec.
Dans ces conditions, il n'est pas étonnant qu'au lendemain du scrutin les partis victorieux (et le
gouvernement qui prit le pouvoir) aient essayé
d'échapper
au dilemme : déflation ou dévaluation,pour se ranger à une tierce solution. Précisément,
la théorie du pouvoir d'achat semblait ouvrir une
issue, vers laquelle on se précipita d'autant plus
volontiers qu'elle s'accordait avec les mesures sociales que, sous le coup des nécessités, et au len¬
demain des grèves de mai-juin 1936, on avait été amené à adopter ou à subir. Accroître, par des relèvements de salaires, le pouvoir d'achat des
masses populaires. Obtenir ainsi un « réamorçage
de la pompe ». Grâce aux consommations de ces masses populaires revigorer de proche en proche
toute l'économie. En intensifiant la production,
réduire la charge des frais généraux par unité pro¬
duite et compenser la hausse du prix de revient due au relèvement des salaires. D'une activité
économique ainsi stimulée, obtenir des rende¬
ments fiscaux qui permettraient le rééquilibre du budget. En somme, assainir l'économie et les
FRANC « ÉLASTIQUE » ET « FLOTTANT » 15
finances françaises sans imposer à personne la grande pénitence, tel fut
l'objectif poursuivi. Les
événementsultérieurs devaientmontrer clairement
ce que cette conception
comportait d'illusionisme.
Les lois sociales de 1936 furentgénératrices d'une
hausse sensible des prix qui réduisit le pouvoir
d'achatréelde toutes les classes de la nation autres que la classe ouvrière et, pour
celle-ci même,
diminua sensiblement le bénéfice de l'accroisse¬
ment de son revenu nominal. Il n'en reste pas moins que cette voie, qui
devait
àl'usage
serévé¬
ler si décevante, offrait une séduction de nature à conquérir les suffrages. Elle
rejoignait
parailleurs
la doctrine de l'abondance qui donnait à penser que, grâce au
machinisme
et auprogrès tech¬
nique, les contraintes et les
disciplines de la
pro¬duction allaient se desserrer pour faire place à
une économie distributive qui assurerait à tous
les consommateurs des marchandises à bon mar¬
ché. Les solutions de facilité trouvaient ainsi une sorte dejustification intellectuelledont
l'agrément
masquait la fragilité.Ainsi s'explique que l'on ait pu espérer,
de
bonne foi, s'en tenir à la formule « Ni Déflation,
Ni Dévaluation ».
Tandis que le problème monétaire quittait —
pour untemps —le devant
de la scène, la réforme
dn statut de la Banque de France passait au pre-
française 1936-1938
mier plan de l'actualité. C'est qu'en effet le pro¬
gramme du Rassemblement populaire contenait,
à cet égard, des engagements formels. Si l'on se
reporte au texte de ce programme (tel qu'il a été publié par le Temps dans son numéro du 11 jan¬
vier 1936), on y lit un article ainsi libellé :
« Pour soustraire le crédit et l'épargne à la domination de l'oligarchie économique, faire de la
Banque de France, aujourd'hui banque privée, la Banque de la France. » Suivait Rémunération de diverses modifications à apporter au statut de l'Institut d'émission pour satisfaire la revendica¬
tion que l'on vient d'indiquer. Sur ce point, on devait aboutir rapidement, puisque la loi qui a refondu le régime de notre institut d'émission fut
promulguée le 24 juillet.
I
La loi du24 juillet 1936
sur le statut de la banque de france
La réforme porte essentiellement sur trois
points : 1° l'Assemblée générale des actionnaires;
2° le Conseil général de la Banque; 3° le Gouver¬
neur.
FRANC « ELASTIQUE )) ET (( FLOTTANT )) 17
A. L'Assemblée générale des
actionnaires
On sait que, dans
le régime antérieur, seuls
pouvaient
participer à l'Assemblée générale les
deux cents plus gros
actionnaires. Quand
on aura indiqué que77 % des actionnaires ont moins de
cinq actions, que sur
42.000 actionnaires environ,
18.000 sont porteurs d'une
seule action, qu'enfin
les deux cents plus gros
actionnaires représentaient
environ 73 millions de capital, tandis que
les 77 %
dont on vient de parler, porteurs
de cinq actions
au plus,
représentaient 414 millions,
oncompren¬
draqu'enfait la
limitation de l'Assemblée générale
aux deux cents plus gros
actionnaires avait
pour conséquence de fermerà la
grossemajorité des
actionnaires l'accès de l'Assemblée
générale.
Cechiffre de «deuxcents» joua, dans
la période
électorale, un grand rôle, car
il fut à l'origine du'
fameux « slogan » des deux cents
familles, qui,
aupoint de vue
psychologique,
exerça uneinfluence
incontestable. Cette formule des deux cents
fa¬
milles comportait une part
d'exactitude, et, dans
sa précision même, une part
de puérilité.
Part d'exactitude : elle traduisait le
sentiment,
assez général dans
l'opinion publique, qu'une
petite
oligarchie d'administrateurs dé sociétés
domine la vie économique et la vie
politique du
pays. Qu'ily
ait quelque vérité dans cette opinion,
FRANÇAISE 1936-1938
on en peut donner comme preuve le fait que, au
Sénat, à plusieurs reprises, un membre de la Haute Assemblée, qui appartenait aux partis modérés,
M. Lesaché, souligna le rôle considérable (et, à
son sens, excessif) que cette oligarchie d'admi¬
nistrateurs exerce dans la nation.
Mais il était assurément arbitraire de fixer le chiffre de ces privilégiés à deux cents, et surtout de considérer que les deux cents plus gros action¬
naires de la Banque constituaient cette oligarchie d'administrateurs. Car lorsqu'on recherche quels étaient, en fait, les deux cents plus gros action¬
naires, on trouve parmi eux l'Académie des scien¬
ces, l'Assistance publique, la Caisse de dépôts et consignations, la Ville de Paris, la Cité universi¬
taire, et un certain nombre d'autres organismes, qu'évidemment personne nepeut raisonnablement
classer dans l'oligarchie financière.
Il est vrai qu'à côté de ces collectivités, les deux
cents plus gros actionnaires de la Banque de
France comprenaient aussi 21 compagnies d'as¬
surances, 12 agents de change, des banquiers, de
grosses sociétés métallurgiques, et un certain nombred'importantes personnalités, qui président
des conseils d'administration nombreux et divers.
Par ailleurs, il convient de rappeler que, dans
l'ancien statut, les pouvoirs de l'Assemblée géné¬
rale des actionnaires étaient à la véritétrès réduits.
Ils se réunissaient pour écouter le compte rendu
FRANC « ÉLASTIQUE )) ET (( FLOTTANT )) 19
du gouverneur, sans
avoir à le discuter ni à le
voter, etpournommer
les quinze régents, dont
on reparlera tout àl'heure.
Voilà quel était
le système antérieur à 1936, et
voici maintenant quel est le nouveau.
Désormais, tous les actionnaires peuvent
parti¬
ciper à
l'Assemblée générale; chacun d'eux avec
une voix, quel que
soit le nombre de
sesactions.
Cette disposition, à
première
vue,peut sembler
assez irrationnelle. Mais leprincipe d'une
voix
par personne, sansconsidération du nombre des
actions, était déjà appliqué
dans l'ancien système;
chacun des deux cents actionnaires admis à
l'As¬
semblée avaitune voix; leplus gros de tous
n'avait
ni plus ni moins
de poids
quele deux centième,
quoiqu'il fût
titulaire d'un paquet d'actions plus
considérable.
Les actionnaires de la Banque de France sont
au nombre de plus de
40.000,
etl'on n'eût
pas trouvé, dans Paris, une salle oùl'on pût réunir
commodément ces 40.000 personnes> à supposer
qu'elles aient toutes
désiré venir. Aussi a-t-on mul¬
tipliéles
formalités, de manière
quele nombre des
actionnaires participant à
l'Assemblée
nesoit
pas trop élevé.En fait, à la première Assemblée géné¬
rale qui a suivi
la modification du régime, et qui
s'esttenue enoctobre 1936, environ 800 personnes étaient présentes.
Les membres de l'Assemblée générale, dans le
nouveau régime, ont le droit de parole, mais ils
n'ont pas le droit de décision, qu'il s'agisse de l'approbation du compte rendu ou du montant du
dividende. Les pouvoirs de l'Assemblée générale
ont même été sérieusement diminués : antérieure¬
ment l'Assemblée générale nommait les quinze régents, tandis qu'actuellement l'Assemblée géné¬
rale nomme seulement deux personnes sur vingt-
trois parmi les membres du Conseil général. Elle désigne aussiles trois censeurs, mais qui n'ont que
voix consultative et non délibérative au Conseil
général.
On peut donc dire que, sur ce premier point, la
réforme a été plus spectaculaire que réelle. Jadis,
l'Assemblée générale se composait d'une minorité
de gros actionnaires, et elle n'avait pas grand pouvoir. Actuellement, l'Assemblée générale est plus largement ouverte, mais ses pouvoirs sont plus réduits encore qu'ils ne l'étaient auparavant.
Et cela est très heureux, car dans la gestion d'un
institut d'émission les actionnaires ne doivent pas avoir une part prépondérante. Un institut d'émis¬
sion, même lorsqu'il n'est pas unebanque d'Etat,
est un service public. Il ne doit donc pas être géré
comme une affaire commerciale, avec le souci du plus fort dividende.
FRANC (( ÉLASTIQUE )) ET « FLOTTANT)) 21
B. Le Conseil général
Dansl'ancienne organisation, le
Conseil général
comprenait 18 personnes,à savoir
:le gouverneur,
les deux sous-gouverneurs,
les quinze régents,
lesquels étaientnommés, ainsi qu'on vient de le
rappeler, par
l'Assemblée générale des action¬
naires; celle-ci choisissaitdonc
15
sur18 des
mem¬bres du Conseil général.
La nouvelle loi a remanié complètement cet organisme et voici
quelle
estactuellement
sa com¬position. Le
Conseil général est formé de 23 per¬
sonnes. Naturellement le gouverneur, et
les deux
sous-gouverneurs. Puis
deux délégués de l'Assem¬
blée générale des
actionnaires (2
sur23 aujour¬
d'hui; 15 sur 18 précédemment;
le rapprochement
deces quatre chiffres montre
combien les pouvoirs
de l'Assemblée générale à cet
égard
ontété dimi¬
nués).
Si l'on déduit le gouverneur, les
deux
sous- gouverneurs, lesdeux délégués de l'Assemblée
générale, de
vingt-trois
restedix-huit. Ces dix-huit
personnes sont
choisies
pourreprésenter deux
catégories d'intérêts, et
la nouvelle loi
aentendu
distinguer cette
double représentation; il s'agit
d'une part d'intérêts
économiques
etsociaux, qui
sont des intérêts particuliers, mais
qui
ontdroit
de se faire entendre lorsqu'il s'agit de la
gestion
de l'institut d'émission; d'autre part, des intérêts collectifs de la nation. Les deux groupes sont d'importance égale; par conséquent, chacun d'eux
est formé de neuf personnes.
Première catégorie : représentation des intérêts économiques et sociaux, neuf conseillers.
Trois sont désignés directement par des collec¬
tivités : 1° le Conseil national économique; 2° la
Commission supérieure des caisses d'épargne;
3° le personnel de la Banque.
Les six autres membres de ce premier groupe sont choisis par le ministre des Finances, chacun
d'eux sur une liste de trois personnes, établie res¬
pectivement par les groupes suivants :
La Fédération nationale des coopératives de consommation, la Confédération générale de l'ar¬
tisanat français, l'Assemblée générale des Cham¬
bres de commerce, la Confédération générale du travail, l'Assemblée des présidents des Chambres d'agriculture, la Section professionnelle et com¬
merciale du Conseil national économique. (A pre¬
mière vue, on peut être surpris de voir reparaître
ici le Conseil national économique; on a cherché,
par ce moyen, à faire représenter dans le Conseil général le petit commerce; comme il n'y avait pas
d'organisme électif spontané suffisamment repré¬
sentatif de l'ensemble du petit commerce, on
imagina, à titre de succédané, de s'adresser à la
FRANC « ÉLASTIQUE )) ET (( FLOTTANT »
23
Section commerciale du
Conseil national écono¬
mique.)
Seconde catégorie :
représentation des intérêts
collectifs de la nation,
neuf conseillers.
Trois de ces neuf sièges sont à
la disposition
discrétionnaire du gouvernement;
les six autres
appartiennentà de hauts fonctionnaires, membres
de droit du Conseil.
Ces six fonctionnaires sont : le
président de la
Sectiondesfinances au Conseil
d'Etat; le directeur
du Mouvement général des
fonds; le directeur de
la Caisse des dépôts et
consignations; le directeur
du Crédit foncier; le directeur du
Crédit national;
le directeur de la Caisse
nationale de Crédit agri¬
cole.
Aucun
parlementaire
nepeut faire partie du
Conseilgénéral. Les
conseillers sont nommés pour
trois ans et ne peuvent
siéger plus de trois années
consécutives; les représentants
du gouvernement
peuvent
naturellement être changés à tout mo¬
ment.
Le Conseil général se compose
d'un nombre de
personnes trop
élevé
pourpouvoir assurer une
gestion
effective. C'est pourquoi il nomme un
Comité permanent,
composé du gouverneur, des
deux sous-gouverneurs, et
de quatre conseillers;
le Comité permanent
comporte donc sept mem¬
bres.
FRANÇAISE 1936-1938
Des quatre conseillers, un est choisi par le
ministre des Finances parmi les membres dedroit;
les trois autres sont désignés par le Conseil géné¬
ral lui-même.
L'aménagement du Conseil général, puis du
Comité permanent, constitue une innovation radi¬
cale par rapport à l'ancien système, puisque le
Conseil général d'avant la loi de juillet 1936 était
constitué principalement par les quinze régents
élus par l'Assemblée générale, mais qui, en fait,
étaient généralement héréditaires, la fonction de régent se transmettant de père en fils dans cer¬
taines familles de financiers.
Les décisions du Conseil général ne sont exécu¬
toires que lorsqu'elles ont obtenu la signature du
gouverneur, si bien que le gouverneur a en réalité
un droit de veto sur les résolutions du Conseil.
L'organisme essentiel dans la gestion de la Banque
de France ce n'est, en somme, ni l'Assemblée générale des actionnaires, ni le Conseil général,
mais bien le gouverneur.
C. Le gouverneur
Rien n'est changé quant à son mode de nomi¬
nation. Le gouvernement le choisit et a possibilité
de le révoquer. Mais on a voulu affranchir le gou¬
verneur de la dépendance des intérêts privés.
Or, dans l'ancienne réglementation certaines
FRANC (( ÉLASTIQUE )) ET (( FLOTTANT )> 25 dispositions
aboutissaient à cette dépendance. Le
gouverneur
devait être
un grosactionnaire de la
Banque; il
devait être propriétaire d'au moins cent
actions (ce qui
représentait
une sommevariable
selon les cours en bourse de
l'action, mais tou¬
jours fort
élevée). Et
commeil arrivait que le
gouverneur
nouvellement nommé ne possédât pas
les cent actions, et n'eût pas une
fortune suffisante
pour les
acheter, certaines combinaisons permet¬
taient de les mettre à sa
disposition. Mais natu¬
rellement on ne pouvait pas
dire qu'il fût complè¬
tement libre vis-à-vis de ceux
qui ainsi l'avaient
aidé à son entrée en fonctions.
En outre, les émoluments
du
gouverneurdans
l'ancien système
étaient
engrande partie fixés par
le Conseil général, ce
qui accentuait
sadépen¬
dance.
Tout cela a été modifiépar la loi
de juillet 1936.
Désormais le gouverneur
n'a plus l'obligation
d'être actionnaire de la Banque
de France. La loi
fixe elle-même ses émoluments, et
il
adroit à
untraitement pendant trois ans
après la cessation de
ses fonctions, ce
qui lui donne la possibilité de
quitter la
Banque
sansrisquer de se trouver, d'un
jour à
l'autre, dans
unesituation financière dif¬
ficile.
En contre-partie, il lui est
interdit de prêter son
concours à des entreprisesprivées
pendant les trois
années qui suivent son
départ (cela de manière à
FRANÇAISE 1936-1938
éviter le fait, fréquent dans le passé, mais assez
choquant, d'un ancien gouverneur de la Banque
de France qui devient directeur d'une institution financière privée).
La réforme ainsi réalisée n'est pas négligeable.
Cependant elle n'enlève pas à la Banque de France
ce qui était son caractère essentiel, et ce qui lui
donnait sa place dans l'ensemble des instituts d'émission du monde.
Dans les régimes d'avant-guerre, la Banque de
France occupait une place mixte entre la Banque privée (du type de la Banque d'Angleterre) et la Banque d'Etat (du type de la Banque impériale
de Russie). Ce caractère mixte et intermédiaire subsiste. Le gouvernement s'est refusé à substituer
aux actions des obligations, alors que, dans le
programme du Rassemblement populaire, cette revendication était expressément inscrite. Le gou¬
vernement s'est refusé aussi à racheter les actions de la Banque de France. On a voulu lui maintenir le caractère d'un institut d'émission qui est une
banque privée et non un organisme d'Etat.
Toutefois, dans cette synthèse, dans ce dosage
entre le caractère semi-privé et le caractère semi- public, l'accent a été mis sur l'élément public. De
là dérive la suppression des régents, qui étaient
dans l'ancien système l'émanation de gros intérêts
financiersprivés. Ainsi s'explique aussi le fait que, dans le nouveau Conseil général, 12 personnes
FRANC « ÉLASTIQUE )) ET « FLOTTANT )> 27
sur 23 (par conséquent
la majorité) sont des
représentants
de l'Etat
ousont désignées par
l'Etat.
Enfin, on a voulu donner au gouverneur une large indépendance, à
la fois à l'égard des intérêts
privés, et
éventuellement à l'égard des pouvoirs
publics. Sans
doute, il est nommé
parle gouver¬
nement et peut être révoqué par
lui; mais le trai¬
tement de trois ans qu'on lui assure,
après
son départ, lui donneà
cetégard, même vis-à-vis du
gouvernementet
d'une
menaceéventuelle de révo¬
cation, une certaine liberté.
Pour l'accentuer
encore, la formule du serment a
été rétablie. Le
gouverneur, au moment
où il entre
enfonctions,
doit jurer « de
bien
etfidèlement diriger les affai¬
res de la Banque,
conformément
auxlois et
auxstatuts », en sorte que, s'il
arrivait
quele
gouver¬nement demandât au gouverneur
d'accomplir des
actes contraires aux lois et aux statuts,
celui-ci,
prisonnier de son serment,serait tenu, s'il ne vou¬
lait être parjure, de
résister à la pression
gouver¬nementale.
FRANÇAISE 1936-1938
II
L'« ALIGNEMENT )) DU 1er OCTOBRE 1936
A. Les causes
La recherche des motifs qui ont conduit à l'ali¬
gnement monétaire demande à être menée d'assez
près, en raison de la contradiction, au moins appa¬
rente, entre les décisions prises en octobre 1936
et les déclarations faites, quelques mois aupara¬
vant, par les membres les plus autorisés du gou¬
vernement.
A la Chambre des députés, le 26 juin 1936, le président du Conseil, M. L. Blum, s'exprimait en
ces termes : « Le pays n'a pas à attendre de nous
un coup d'Etat monétaire, ni à redouter que nous couvrions un beau matin les murs des affiches blanches de la dévaluation. » Et quelques jours plus tôt, le 13 juin, dans une déclaration à un
journal hebdomadaire, la Tribune des Nations, le ministre des Finances, M. Y. Auriol, affirmait :
« Vous me voyez foncièrement hostile à la déva¬
luation. »
On a prétendu, il est vrai, qu'il n'y avait
aucune identité entre ce que l'on répudiait en juin
et ce que l'on effectuait en octobre. Et voici de
quelle manière l'argumentation a été présentée.
FRANC « ÉLASTIQUE )) ET <( FLOTTANT »
29
Nous avions rejeté, a-t-on soutenu,
toute déva¬
luation unilatérale,
c'est-à-dire toute mesure par
laquelle laFrance, indépendamment, sans action
concertée avec les autres
nations, aurait décidé de
modifier la définition de son
unité monétaire.
Cette dévaluation
unilatérale eût été
uneforme de
la guerre des
monnaies, qui accentue et prolonge
la crise, au lieu d'y porter
remède. Ce que nous
avons fait en octobre, ce
n'est nullement une
dévaluationde ce genre, puisque
les
mesuresadop¬
tées par le
législateur français ont été précédées
d'un accord avec un certain
nombre de grandes
nations, avec l'Angleterre, avec
les Etats-Unis,
pour un
alignement international, qui est le pré¬
lude et l'ébauche d'une
stabilisation générale des
monnaies. Loin d'accentuer la guerre
monétaire,
nous avons travaillé à y mettre
fin et à préparer
la paix
économique générale.
Nous reviendrons surcettethèse
ultérieurement,
lorsque nous
examinerons la signification exacte
de l'accord tripartite.
Dès maintenant, il faut in¬
diquer que
les
mesuresprises en octobre 1936
constituent incontestablement une
dévaluation,
avec l'ensemble de ses
caractères classiques, à
savoir réévaluation du
stock d'or, embargo sur
l'or, sacrifice
imposé,
parle fait de la hausse des
prix
consécutive à la dévaluation, à tous les déten¬
teurs de revenus fixes et
de créances
enmonnaie
nationale.
MONNAIE FRANÇAISE 1936-1938
La question se pose donc de savoir pourquoi, après avoir répudié la dévaluation en juin, on l'a opérée quelques mois plus tard.
Les raisons peuvent être cherchées en trois directions différentes : raisons
financières,
raisons monétaires, raisonséconomiques.
Reprenons suc¬cessivement chacun de ces trois ordres.
1° Raisons financières. — On a
beaucoup
dit,en octobre 1936, lorsque les pouvoirs publics se sont décidés à dévaluer la monnaie, qu'ils le fai¬
saient parce que les caisses publiques étaient vides.
Il ne semble pas que cette première explication
soit exacte.
Le gouvernement avait été autorisé par le Par¬
lement, peu de temps
auparavant, à emprunter à la Banque de France une somme de dix milliards;
il n'avait usé de cette autorisation que jusqu'à
concurrence de deux milliards; il avait donc lati¬
tude de faire appel à la
Banque
deFrance, jusqu'àconcurrence de huit milliards.
Au surplus nous aurons l'occasion de montrer que la réévaluation de l'encaisse de la
Banque
de France a revêtu de telles modalités qu'elle n'a pas apporté, en réalité, d'argent liquide au Trésor public.2° Raisons monétaires. — Il s'agit ici de l'exode
de l'or, de la diminution progressive du stock mé-
FRANC (( ÉLASTIQUE )) ET « FLOTTANT »
31
tallique de laBanque de France. Ce stock, en sep¬
tembre 1935, atteignait 82
milliards. Il subit
ensuite des fluctuations d'une
grande amplitude.
En octobre 1935, il était tombé à
65 milliards. Et
enseptembre
1936 (donc dans le mois qui précède
les mesures monétaires que nous avons
à
com¬menter) il était de peu
supérieur à 50 milliards.
En une semaine du mois de
septembre, les sorties
d'or atteignirent
trois milliards.
A la vérité, ce chiffre de
50 milliards, quand
onle rapproche des
engagements à
vuede la Banque,
représentait encore une
couverture sensiblement
supérieure aux
35 % de la proportion légale obli¬
gatoire. On ne peut
donc
pasdire que l'on ait été
contraintde faireladévaluation, parce que
le stock
d'or était tombé si bas que l'on
risquait de
setrouver en dessous dupourcentage
exigé
parla loi.
Mais une autre considération est
certainement
intervenue. Le stock métallique
de l'Institut
d'émission constitue une manière
de trésor de
guerre, et
il semble
queles autorités chargées de
la défense nationale avaient fixé à
50 milliards le
minimum au-dessous duquel ce trésor
de
guerrene pouvait pas
descendre
sansdanger.
Pour comprendre
l'importance qu'a
puprendre
cetteconsidération, il faut se
rappeler
quela situa¬
tion internationale s'était
singulièrement
assom¬brie dans les mois précédents, en
raison de la
réoccupation
de la
zonedémilitarisée du Rhin, du
FRANÇAISE 1936-1938
rétablissement dn service militaire de deux ans en
Allemagne, et enfin des événements d'Espagne. Il apparaît donc vraisemblable que cette considéra¬
tion a joué un rôle important.
Reste tout de même une énigme que l'on n'ar¬
rivera à éclaircir que si l'on pousse l'analyse un peu plus loin. D'abord, à supposer qu'il ait été indispensable de défendre l'encaisse-or de la
Banque de France pour l'empêcher de descendre
au-dessous de 50 milliards, il y avait, semble-t-il,
un moyen d'y parvenir, sans arriver jusqu'à la
dévaluation proprement dite. On pouvait subor¬
donner la délivrance et la sortie de l'or à la justi¬
fication, par ceux qui en demandaient, du besoin
réels qu'ils en avaient. Dans le débat qui eut lieu
au Sénat (séance du 30 septembre), le président
de la Commission des finances rappela quela Hol¬
lande avait pratiqué cette politique de la subordi¬
nation des sorties d'or à une justification, et
qu'elle avait réussi, par là, à éviter une chute du florin. Or, on ne tenta rien dans ce sens.
Par ailleurs, il résulte des déclarations faites par le président du Conseil le 26 septembre à la Chambre, que, dès le mois de juin, des négocia¬
tions étaient engagées entre des experts français
et des experts anglais et américains. Peut-être
a-t-onbrusqué les choses enoctobre,pour défendre
les 50 milliards d'encaisse. Mais l'on n'a fait que