naie. Ainsi, dans la conception de M. Rist, billets
FRANÇAISE 1936^1938
de banque et chèques voisinent. Mais cela ne
signifie pas qu'il soit en complet accordl avec M. Ansiaux : dans sa pensée, billet de banque et compte en banque, en même temps qu'ils se rap¬
prochent l'un de l'autre, s'éloignent l'un et l'autre
de la monnaie, tandis que M. Ansiaux, par l'iden¬
tification qu'il établissait entre le compte et le billet, aboutissait à un élargissement de la notion
de monnaie. M. Rist refuse catégoriquement de
reconnaître un caractère monétaire au billet de
banque convertible. Le billet de banque n'est qu'un moyen de faire circulerla monnaie véritable,
«celle qui seule acquitte définitivement les dettes
et constitue par elle-même un bien directement
désiré». Nous retrouvons cette idée tout le long
de l'ouvrage sous des formules à peu près iden¬
tiques (cf. pp. 14, 117, 160, 194, 221, 324, 325).
Elle constitue véritablementunleitmotivqui donne
au livre l'unité d'un drame wagnérien. Quant au
papier-monnaie, M. Rist accorde qu'il est, lui, une
monnaie, mais il juge cette monnaie défectueuse,
car elle ne peut généralement bien remplir la troi¬
sième et la plus essentielle des fonctions qui lui
incombent.
3° En ce qui concerne l'action de la monnaie sur les prix, M. Rist reprend la thèse dont il s'est fait le défenseur dans des études antérieures \ Il estime
1 Cf. Henri Denis, Les récentes théories monétaires en
France. Idée quantitative et conflit des méthodes, thèse,
MONNAIE ET PSYCHOLOGIE SOCIALE 109 que les mouvements généraux des prix (tout au moins les mouvements de grande amplitude) s'ex¬
pliquent dans une large mesure par le facteur
monétaire métallique. Assurément il n'ignore pas que les succédanés non métalliques de la monnaie
ont pris de nos jours une importance capitale,
mais il lui semble -— et il invoque en ce sens les
récentes recherches de M. R. Marjolin — qu'en
gros les fluctuations de la monnaie non métallique
suivent la même courbe que celles de la monnaie métallique, laquelle demeure, par conséquent,
l'élément moteur. L'action du facteur monétaire
se combine, dureste, avec une autre tendance, qui
résulte du progrès des connaissances humaines et
de la technique de la production. Cette dernière
tendance entraîne les prix vers la baisse. Elle est
contrariée de temps à autre par la tendance à la
hausse qui résulte d'un accroissement anormal du
stock de métaux précieux. Dans le passé, ces accroissements ont été dus, le plus souvent, à des
causes contingentes ou au fait du hasard (décou¬
vertes de gisements jusqu 'alors ignorés ou de pro¬
cédés nouveaux accroissant le rendement des gise¬
ments déjà connus). Aujourd'hui, l'action de ces
causes imprévisibles et particulières semble moin¬
dre que celle du mouvement même des prix. La
Paris, Sirey, édit., 1938 (Collection Etudes sur l'Histoire des théories économiques, t. IV, préface de G. Pirou).
baisse générale des prix, rendantplus avantageuse l'exploitation des mines d'or, pousse à l'accroisse¬
ment du stock métallique et donc déclenche des
contre-forces qui finalement renversent le courant.
A l'inverse, la hausse générale des prix, rendant plus onéreuse l'exploitation des mines d'or, doit
entraîner un ralentissement de la production auri¬
fère, donc l'arrêt du mouvement de hausse des prix.
L'aboutissement commun de ces divers thèmes,
c'est l'exaltation de la monnaie métallique.
S'agit-il des fonctions de la monnaie? Seule la monnaie
métallique peut remplir la plus importante de ces
fonctions, puisque sa valeur intrinsèque apporte à
ses détenteurs une assurance contre les risques
d'avenir que la monnaie conventionnelle ou légale
ne saurait leur offrir. S'agit-il des formes de la
monnaie? Billets de banque et chèques ne valent
que par le métal qu'ils représentent et auquel ils
donnent droit. Quant au papier-monnaie, il n'est qu'«une créance sur un inconnu, sur un pays ou
sur un gouvernement dont personne ne peut pré¬
voir à l'avance les aventures politiques, sociales ou financières et les décisions arbitraires » (p. 462).
Dans ces conditions, on comprend que l'ouvrage
se termine par un ardent plaidoyer en faveur d'un
retour international à l'étalon-or. Au surplus,
M. Rist nous informe -— et ce n'est pas un point
d'histoire négligeable — que c'est lui qui insista
MONNAIE ET PSYCHOLOGIE SOCIALE 111
personnellement, lors de la préparation de la loi
monétaire du 25 juin 1928, pour que le franc fût
défini par un poids d'or. Et sans doute
partageait-il aussi sur un autre point l'état d'esprit des rédac¬
teurs du projet de loi: dans l'exposé des motifs,
ceux-ci ne cachaient pas que, se résignant, pour des raisons d'opportunité, à rétablir la convertibi¬
lité seulement en lingots et par grandes quantités,
ils gardaient du moins l'espoir qu'un jour serait possible la reprise illimitée des paiements en espè¬
ces, et le rétablissement effectif d'une circulation d'or dans les relations entre particuliers.
II
Au moment de marquer les réserves que sus¬
citent en moi les thèses de M. Rist, j'éprouve quelque scrupule à metre en doute les positions
d'un auteur qui joint à une qualification scienti¬
fique universellement reconnue l'autorité d'un praticien des techniques monétaires contempo¬
raines dont l'expérience est sans égale. Associé, pendant une période capitale, à la direction de
notre institut d'émission, puis médecin d'un cer¬
tain nombre de monnaies étrangères malades,
M. Ch. Rist a été mis à même de contrôler sur le vif les conclusions de la théorie spéculative. Et le plus haut intérêt de son dernier ouvrage vient de
ce qu'il nous y livre les résultats de cette
confron-FRANÇAISE 1936-1938
tation. Si pourtant je me risque à marquer quel¬
ques désaccords, c'est que, à la vérité, ils portent
moins surles conclusions que surles considérants.
Sans trop d'artifice, on peut, je crois, discerner
dans la construction de M. Rist une théorie de la monnaie et une doctrine de la bonne monnaie, une
analyse et une thérapeutique1. Sur la thérapeu¬
tique, l'accord pourra sans doute se faire aisément.
Pour ce qui est de l'analyse, on peut se demander
si elle n'a pas été inconsciemment dominée et commandée par la thérapeutique elle-même2, et si, lorsqu'il recherche ce qu'est en fait lamonnaie,
M. Rist ne demeure pas sous l'nfluence de ce que doit être, à son avis, une monnaie adéquate au rôle qu'il lui confère.
D'autre part, certaines vues de M. Rist parais¬
sent s'expliquer parce qu'il voit les choses moné¬
taires sous l'angle de la banque plutôt que du public. Cela lui permet de nous apporter des
aper-1 Dans le bel article qu'il avait consacré dans la Revue (1934, pp. 172 et s.) à un précédent ouvrage de M. Ch. Rist,
F. Simiand nous montrait l'auteur comme «ayant vocation de médecin, pour ce qui, dans la vie économique, se mani¬
feste ou estdénoncé comme un mal » (p. 185).
2 Cf. ces lignes de M. Aftalion (dans sa réponse aux cri¬
tiques que lui avait adressées M. Ch. Rist, Revue d'Economie politique, mars-avril 1938, p. 437): « La science ne se confond pas avec la politique. Il est d'ailleurs dangereux d'appuyer
une politique économique sage sur une théorie scientifique fausse parce que l'erreur un jour reconnue de cette théorie pourrait entraîner l'effondrement d'une politique écono¬
mique pourtant satisfaisante. »
MONNAIE ET PSYCHOLOGIE SOCIALE 113
çus neufs etsuggestifs sur un aspect des choses que
seul un technicien pouvait dégager et
traduire
en langage théorique. Mais peut-êtreles éléments
non techniques des phénomènesmonétaires,
cequ'ils
comportent de psychologie
collective, d'habitude
et de coutume, d'illusion et de foi, méritent-ils de prendre place aussi dans une
explication complète
de la monnaie.
Pour appuyer ces vues générales,
il conviendrait
de soumettre l'ouvrage de M. Rist à une analyse
détailléeet d'engager une discussion quiexcéderait
les limites de cette courte note. Je ne prendrai que quelques exemples pour
faire saisir
mapensée.
1° S'agissant du billet de banque
convertible,
il me semble que M. Rist a pleinement raison pour