retour international aux monnaies liées à l'or1.
Autre chose est d'affirmer qu'une monnaie non
métallique est possible et de
soutenir qu'elle
est pratiquementsouhaitable dans le monde de
même sens que Simiand. « Aucune richesse humaine, nous dit-il, n'est à l'abri d'une découverte qui rendrait cette
richesse inutile. L'or ne fait point exception.» Et M. Rist évoquelecas du chemin defer dontla valeur est atteintepar la mise en usage de l'automobile. On voit que, dans sa pen¬
sée, il s'agit toujours de la valeurintrinsèque de l'or, fonde¬
ment pour lui de la valeur monétaire de la pièce d'or, alors
que Simiand songe àla confiance du public en l'or-monnaie,
et en son pouvoir d'achat en tant que monnaie. On
trouve-verait des formules analogues à celles de Simiand dans les
écrits d'un juriste-sociologue, Emmanuel Lévy, qui a vigou¬
reusement souligné le rôle de la confiance dans les institu¬
tions juridiques et sociales.
1 Cf. en particulier la conclusion de son dernier ouvrage : L'Or et la Monnaie, 1938, pp. 119-121 et sa réponse précitée
aux critiques de M. Rist (Revue d'Economie politique, mars-avril 1938, pp. 435-439).
FRANÇAISE 1936-1938
demain. Quelle que soit la conception théorique
dont on part, on peut s'accorder à estimer :
a) qu'une monnaie dont la quantité est fixée sou¬
verainement par une décision des pouvoirs publics
a chance d'être plus aléatoire et plus fragile qu'une
monnaie dont l'émission dépend, dans une large
mesure, de faits qui échappent à la volonté des gouvernants; b) que dans un monde où le natio¬
nalisme politique est plus puissant que l'interna¬
tionalisme économique 1, et où il n'existe aucune
autorité supranationale, le meilleur moyen d'éta¬
blir l'intercommunication entre les diverses mon¬
naies nationales est sans doute leur rattachement
commun à une base métallique. De fait, si l'on
veut quelque jour sortir de la guerre des monnaies,
il semble bien que le choix s'imposera nécessaire¬
ment entre une stabilisation internationale fondée
sur l'orou un rattachement de toutes les monnaies du monde à la livre sterling, lequel donnerait à la
monnaie impériale anglaise une primauté qu'au¬
cune considération rationnelle ne justifie.
Au cours du dernier quart de siècle, les Etats se
sont libérés de la sujétion à la monnaie métallique
pour obtenir les coudées franches. Faut-il les en
blâmer? Avant de prononcer un jugement, il
con-1 Cf. F. A. von Hayek, Monetary Nationalism and Interna¬
tional Stability, Londres, 1937; L. Robbins, Economie Plann¬
ing and International Order, Londres, 1937; Michel A. Heil-perin, L'Internationalisme monétaire et sa crise, Paris, Librairie du Recueil Sirey, 1938.
MONNAIE ET PSYCHOLOGIE SOCIALE 127 vient de savoir quel usage ces Etats auront fait de leur liberté reconquise. Et M. Rist, je crois, ne me démentirait pas, puisqu'en définitive il porte une
appréciation sensiblement différente sur la poli¬
tique monétaire, suivant qu'il s'agit de la période
1914-1918 ou de temps plus récents. Sans doute
sent-il vivement que, pendant la guerre, le cours forcé et l'inflation ont été mis au service du salut
public, tandis que, en ces dernières années, ils
ont souvent servi des causes moins nobles, et faci¬
lité des politiques de déséquilibre financier, de repliement autarchique \ de démagogie sociale.
Avec M. Rist nous inclinons à penser que, par la discipline qu'elle impose, par le frein qu'elle met
à la libre action des gouvernements, la monnaie liée à l'or doit être préférée si l'on ne croit pas à
la sagesse des pouvoirs publics, et si l'on juge que les maux de la monnaie instable sont plus redou¬
tables que ne sont utiles les commodités de la monnaie souple.
Mais on peut se ranger à ce parti sans renon¬
cer le moins du monde à une interprétation des
récentes expériences monétaires qui mette l'accent
sur le facteur psychologique. Sous ce vocable, d'ailleurs, peuvent se concilier les conceptions di¬
verses — et en apparence contradictoires — du
1 L'Allemagne et l'Italie prétendraient, il est vrai, que cette politique de repliement autarchique est pour elles, à l'heure actuelle, une nécessité de salut public.
FRANÇAISE 1936-1938
métallisme et dti nominalisme \ Valeur
intrin-1 Dans un des développements les plus intéressants de tout l'ouvrage (pp. 342-343), M. Ch. Rist montre bien qu'une interprétation purement métalliste de la monnaie ne per¬
met pas de rendre compte de tous les faits monétaires mo¬
dernes. Il reconnaît que le papier-monnaie peut remplir
toutes les fonctions d'une monnaie véritable, y compris la troisième, celle de réserve devaleur. Seulement, il ajoute que le papier-monnaie est «un titre juridique, puisqu'il tire de la loi toutes ses propriétés», et que « le seul droit précis qui lui soit attaché estceluid'acquitter des dettes ». A mon sens, si le papier-monnaie a, en fait, une valeur, s'il remplit, en fait, les fonctions de la monnaie, ce n'est pas uniquement
en raison de son pouvoir juridique de libération, c'est aussi parce que (et dans la mesure où) ce pouvoir libératoire fonde la confiance du groupe social, c'est-à-dire donne audétenteur du papier-monnaie la conviction qu'aujourd'hui, et plus tard, il pourra s'en servir pour seprocurer des marchandises
et des services. Par ailleurs, M. Rist déclare que «ce qui caractérise le papier-monnaie, c'est que ni l'objet auquel il
donne droit, ni la date à laquelle cet objet sera obtenu, ne sont déterminés ». Ne peut-on pas en dire autant de la mon¬
naie métallique si on l'envisage, comme le fait le public,
sousl'angle de son pouvoir d'achat etnon de la valeur intrin¬
sèque du métal qu'elle contient ou représente? Faute de rechercher le caractère commun de toute monnaie, métal¬
lique ou de papier, convertible ou inconvertible, réelle ou
scripturale, M. Rist s'interdit de donner une définition de la monnaie qui en englobe toutes les formes. Au reste, dans
un fort curieux passage (pp. 340-341), il s'élève contre le principe même d'une telle définition. Cependant, si l'on veut «connaître et comprendre les phénomènes monétaires », n'est-il pas indispensable de savoir en quoi consiste la mon¬
naie ? De même que, sil'onveutfaireune théoriegénérale de l'Etat, il est indispensable d'en donner une définition «qui vaille à la fois pour l'Empirebritannique et pourl'Albanie ».
Cela n'empêchera pas d'établir ensuite des subdivisions et des hiérarchies. Dans son beau livre : La Monnaie et la For¬
mation des prix, M. Louis Batjdin, consacrant un chapitre à la définition de la monnaie, met excellemment en lumière,
me semble-t-il, l'essence de toute monnaie lorsqu'il y voit un
MONNAIE ET PSYCHOLOGIE SOCIALE 129
sèque du métal, d'une part, attribution de la force libératoire par les pouvoirs publics, d'autre part,
y prendront place — à côté de bien d'autres élé¬
ments — en tant que composantes de ce faisceau complexe, difficilement analysable, irréductible à des éléments purement quantitatifs ou juridiques,
et pourtant socialement très réel, que constitue la
confiance collective, fondement de toute monnaie.
A cette interprétation des phénomènes. moné¬
taires du passé et du présent, M. Ch. Rist vient d'apporter une pierre angulaire. La qualité de son
magistral apport ne doit pas toutefois nous faire
oublier celui d'autres spécialistes français de la monnaie, — un François Simiand, un A. Aftalion,
un B. Nogaro1 —à l'égard desquels M. Rist ne me semble pas équitable, car ils ont, eux aussi, gran¬
dement contribué à l'élaboration d'une théorie
moderne, réaliste, scientifique de la monnaie.
moyen d'achat indifférencié qui transforme une dette indi¬
viduelle en dette sociale, en l'étendant dans l'espace et dans le temps (pp. 320, 321).)
1 On trouvera une bonne analyse et d'intéressants com¬
mentaires de ces contributions récentes dans la thèse précitée d'Henri Denis. Cf. aussi A. Pose, De la Théorie monétaire à la théorie économique, Paris, Librairie du Recueil Sirey, 1930.
TABLE DES MATIERES
Première partie ;wU
Franc « élastique » et Franc «flottant » X\fO
I. — La loi du 24 juillet 1936 sur le Staut de la
Banque de France 16
II. — L' «alignement » du 1er octobre 1936 .... 28
III. — La politique de la «pause» 44
IV. —Le franc «flottant» (décret-loi du 30 juin 1937). 48
V. — Le « repli» de mai 1938 54
Deuxième partie
Lapiastre et le franc
I. — Les phases antérieures du problème monétaire
indochinois 67
A. La piastre instable (1914-1930) 68
B. La piastre stabilisée (depuis 1930) 70
II. — Les aspects actuels du problème monétaire
indochinois 74
A. Les données nouvelles 74
B. La thèse du décrochement 78
G. Le maintien du statu quo 86
Troisième partie
Théorie et politique monétaires
I. —La doctrine monétaire de M. Ch Rist 105
II. — Réserves sur les considérants théoriques . . . 111
III. — Adhésion aux conclusions pratiques 125
Imp. G. Thone, Liège (Belgique)