• Aucun résultat trouvé

Le supin roumain et la théorie des catégories mixtes

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2021

Partager "Le supin roumain et la théorie des catégories mixtes"

Copied!
313
0
0

Texte intégral

(1)

HAL Id: tel-00149608

https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00149608

Submitted on 27 May 2007

HAL is a multi-disciplinary open access

archive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés.

Le supin roumain et la théorie des catégories mixtes

Soare Negoita Elena

To cite this version:

Soare Negoita Elena. Le supin roumain et la théorie des catégories mixtes. Linguistique. Université Paris-Diderot - Paris VII, 2002. Français. �tel-00149608�

(2)

Université de Paris 7 Denis Diderot UFR Sciences du Langage

LE SUPIN ROUMAIN ET LA THEORIE DES

CATEGORIES MIXTES

THESE DE DOCTORAT

SOUTENUE PAR ELENA NEGOITA SOARE

Le 13.12.2002

MEMBRES DU JURY

Mme Carmen Dobrovie Sorin, DR, CNRS – Université Paris 7, directeur Mme Alexandra Cunita, Université de Bucarest, co-directeur

Mr Alain Rouveret, Université de Paris 7, président du jury Mme Liliane Tasmowski, Université d’Anvers, rapporteur Mme Alexandra Cornilescu, Université de Bucarest, rapporteur Mme Gabriela Pana Dindelegan, Université de Bucarest, rapporteur

(3)

TABLE DES MATIERES Remerciements ... 5 Abréviations ... 7 Introduction ... 9 1. Quelques données ... 9 2. Plan du travail ... 12

1 Le "supin" roumain et les catégories mixtes ... 17

1.1 Introduction: "supin" dans la tradition grammaticale... 17

1.1.1 "Supin" latin et "supin" roumain: quelques éléments de diachronie ... 17

1.1.2 Les étapes anciennes de la langue ... 20

1.1.3 Grammaires traditionnelles ... 23

1.1.4. Conclusion ... 27

1.2 "Supin" et théorie des catégories mixtes ... 28

1.2.1. "Supin" et participe ... 28

1.2.2. "Supin" roumain dans la grammaire générative ... 29

1.2.3. Formes mixtes dans la théorie syntaxique ... 31

1.2.4 Le "supin" ne se comporte pas comme un nom verbal ... 39

1.2.4.1 La nature verbale ou nominale du "supin" est dépendante du contexte ... 39

1.2.4.2 Particularités du "supin" nominal qui le distinguent des noms ordinaires ... 42

1.2.4.3 Le "supin" nominal est-il une catégorie mixte? ... 45

1. 3. Conclusion ... 46

2 Le participe à l'interface de la syntaxe et de la morphologie ... 49

2.1 Introduction ... 49

2.2 La relation participe / "supin" ... 50

2.2.1 Homonymie grammaticale ou bien une même unité lexicale? ... 50

2.2.2 Une solution alternative ... 52

2.2.3 Quelques conséquences du traitement unifié du participe et du "supin" ... 60

2.2.4 Conclusion ... 61

2.3 Morpho-syntaxe du participe: arguments en faveur de l'hypothèse de la réduction ... 61

2.3.1 Positions syntaxiques disponibles ... 62

2.3.2 Clitiques pronominaux et adverbiaux ... 64

2.3.3 Conclusion ... 67

2.4 Participe et externalisation ... 67

2.4.1. Participe et projection des arguments ... 68

2.4.2 Passivation des intransitifs-inergatifs ... 70

2.4.3 Participe verbal, participe adjectival et type d'auxiliaire ... 77

2.4.4 Participiales absolues ... 82

2.4.5 Pour faire le point : types d'externalisation ... 85

2.5 Légitimation de l’objet : assignation du cas ... 88

2.5.1 Constructions à double objet et restrictions sur l’externalisation ... 88

2.5.2 Structure fonctionnelle ... 90

2.6 Bref retour à la diachronie ... 94

2. 7 Conclusion ... 95

3 Structure argumentale des Noms d’événement en roumain et dans les langues romanes .... 97

3.1. Introduction ... 97

3.2. Nominalisations dans la théorie grammaticale ... 98

3.3 Sur la structure argumentale des noms d'événement: Grimshaw (1990) ... 103

3.4. Nominalisations en roumain – implications théoriques ... 110

(4)

3.4.2. Problèmes posés par les nominalisations du roumain: Cornilescu (1999)a ... 111

3.4.3. Une explication alternative ... 118

3.4.4. Les propriétés morpho-syntaxiques des affixes ... 124

3.4.5 Quelques précisions avant de conclure ... 126

3.5. Conclusions ... 127

4 Le "supin" comme Groupe Prépositionnel vs. Groupe Complémenteur... 129

4.1 Statut du participe avec une préposition lexicale ... 130

4.1.1 Le "supin verbal" apparaît dans deux types de contexte ... 130

4.1.2 Le comportement "double" du participe après Prép ... 132

4.1.3 Le participe après Prép – un nom sans déterminant? ... 135

4.1.3.1 Prépositions et distribution des déterminants dans le GN roumain ... 136

4.1.3.2 Le participe nominal et son extension ... 139

4.1.3.3 Résultats ... 140

4.1.4 Un objet direct assez spécial ... 141

4.1.5 Conclusion ... 148

4.2 De + Participe: GPrép argumental vs. "GFonctionnel" ... 149

4.2.1 Distribution et propriétés des GPrép ... 149

4.2.2 De + Part complément de V ... 151

4.2.2.1 De + Part en position sous-catégorisée par V ... 151

4.2.2.2 De + Part argument de V ... 155

4.2.2.3 De + Part en position d'adjoint à GV ... 157

4.2.2.4 De + Part adjoint à la phrase ... 159

4.2.2.5 De + Part prédicatif après V copule ... 160

4.2.3 De + Part complément de N ... 162

4.2.4 Adj vs. Adv prédicatif + Part ... 165

4.2.5 Conclusion ... 167

4.3 Le subordonnant de ... 168

4.3.1 De a les caractéristiques des catégories fonctionnelles ... 168

4.3.2. De/di comme complémenteurs ... 169

4.3.3 A et să: une ambiguïté fonctionnelle ... 177

4.3.4 Conclusion ... 186

4.4. Conclusions ... 187

5. Le participe dans son aspect de proposition réduite ... 189

5.1. Introduction: unité des participes en roumain ... 189

5.2. Quelques ambiguïtés structurales des propositions participiales du roumain ... 192

5.2.1 Les participiales avec de "fonctionnel" ... 192

5.2.2 La "voix ambiguë" du supin ... 192

5.2.3 Structures "actives" avec "supin" ... 197

5.2.3.1 Classes de verbes qui permettent la structure "active" ... 197

5.2.3.2 Position des participiales et ambiguïté ... 200

5.2.3.3. Le supin modifieur de GN ... 203

5.2.3.4 Le "supin" prédicat d'une Small Clause ... 204

5.2.3.5 Résumé ... 207

5.2.3.6 Contrôle ... 209

5.2.3.7 Le "supin" peut-il assigner le Cas Accusatif? ... 211

5.2.3.8 Conclusion ... 212

5.2.4. Participiales "non actives": vers une analyse unitaire ... 213

5.2.4.1 "Supin" avec copule: objet in situ impossible ... 213

5.2.4.2 L'ambiguïté de a fi et la position de la participiale ... 216

(5)

5.3. Structure des participiales compléments ... 222

5.3.1 V+ supin: V-complexe ou structure bi-propositionnelle? ... 222

5.3.1.1. Les critères ... 222

5.3.1.2. Un ou deux T? ... 223

5.3.1.3. L'hypothèse de la restructuration... 229

5.3.1.4. Conclusion ... 234

5.3.2 Hypothèses sur le statut fonctionnel de de ... 235

5.3.2.1. Le de du "supin" est-il un C°? ... 235

5.3.2.2 Hytpohèses alternatives ... 236

5.3.2.3 Conclusion ... 239

5.4. Conclusions ... 240

6. "Supin" adnominal: des relatives réduites participiales ou des GPrép? ... 241

6.1. Contrainte sur la relativisation et structure des relatives non finies ... 241

6.1.1. Classification et propriétés des relatives non finies ... 242

6.1.2 Relatives et complétives non finies: l'infinitif ... 243

6.1.3 Structure des relatives non finies ... 245

6.2. Supins adnominaux en roumain ... 252

6.2.1 Relatives non finies, complétives, groupes prépositionnels ... 252

6.2.2 Encore de ... 260

6.2.3 L'ambiguïté "actif/passif" ... 261

6.2.4 Conclusion intérimaire ... 263

6.3. Relatives participiales et Opérateurs Nuls ... 263

6.4. Statut de la catégorie vide dans les relatives participiales ... 266

6.5. Conclusion ... 269

7. "Supin" et Complémentation adjectivale. Constructions Tough ... 271

7.1. Introduction ... 271

7.1.1 Quelques données et bref aperçu de l'analyse courante ... 271

7.1.2 Les problèmes posés par la comparaison roumain / français ... 274

7.2 Typologie des prédicats adjectivaux et de leur complémentation ... 276

7.2.1 Adjectifs psychologiques et adjectifs non psychologiques ... 276

7.2.2 Les prédicats Tough ... 279

7.3 Complémentation adjectivale en roumain ... 286

7.3.1 La complémentation des adjectifs qualificatifs ... 286

7.3.2 La complémentation des adjectifs psychologiques en roumain ... 291

7.4 Structure des constructions Tough ... 294

7.4.1 Complémentation adjectivale en français et en roumain: un rappel ... 294

7.4.2 La complémentation des prédicatsTough en roumain ... 294

7.4.3 Pourquoi le prédicat Tough du roumain est-il un adverbe? ... 297

7.4.5 Retour aux structures impersonnelles ... 298

7.3 Conclusion ... 300

Conclusions générales ... 303

(6)

Remerciements

Je remercie en tout premier lieu Carmen Dobrovie-Sorin, ma directrice, de tout ce qu'elle m'a donné, en temps et en travail, de ses idées et de ses suggestions, de son enthousiasme et de son amitié, de sa générosité qui fait d'elle un directeur de thèse, je crois, unique.

Je remercie en même temps Alexandra Cuniţă, ma co-directrice, pour avoir été mon premier professeur en linguistique, et celle qui m'a encouragée à suivre cette voie, pour ses suggestions et pour sa disponibilité sans bornes, et la patience qu'elle a mise à me conseiller et à lire mes textes.

Je suis reconnaissante aux professeurs de l'Université de Paris VII, tout spécialement à Jean Claude-Milner pour la rigueur de ses cours de Maîtrise et de DEA et pour avoir lu et commenté mon mémoire de DEA, qui se trouve à la base de ce travail, à Hélène Huot pour avoir accepté de diriger mon travail de maîtrise, et à Jean Marie-Marandin pour ses conseils et ses encouragements. Je remercie également Alain Rouveret et Jacqueline Guéron, dont j'ai eu le privilège de suivre les cours.

J'exprime mes remerciements à Alexandra Cornilescu, Liliane Tasmowski, Gabriela Pană-Dindelegan et Alain Rouveret qui ont accepté de faire partie du jury.

Je remercie tout spécialement Patricia Cabredo, pour le temps qu'elle a pris pour lire des parties de mon travail et me faire des commentaires. Sa présence à Paris VII a été très précieuse pour moi, et son travail de doctorat m'a beaucoup appris.

Un grand merci à tous les professeurs et collègues de l'Université de Bucarest. Je remercie tout spécialement Alexandra Cornilescu, pour ses explications, pour ses cours, pour sa gentillesse et son enthousiasme. Je remercie à nouveau Gabriela Pană Dindelegan, pour les suggestions et les idées qu'elle m'a données, directement ou par ses travaux. J'ai le regret de ne pas avoir fait ressortir, l'importance que ses études ont eue pour ce travail. Merci.

Je remercie également Dana Isac pour son aide précieuse pendant les visites qu'elle m'a rendues à Paris. Je remercie mes collègues du Département de Français de l'Université de Bucarest, où j'ai commencé à aimer la linguistique, mes collègues Ileana Busuioc, Marina Păunescu et Violeta Vintilescu, pour leurs commentaires, leur soutien et pour leur passion pour la linguistique.

J'ai une énorme dette de reconnaissance envers l'Ecole Normale Supérieure de Fontenay Saint-Cloud (actuellement Lyon), où j'ai été accueillie en tant que pensionnaire étranger pendant deux ans. Ma reconnaissance va surtout vers Christiane Marchello-Nizia qui m'a offert tout son support en tant que tuteur et vers Sylvain Auroux, Directeur de l'Ecole Normale Supérieure de Lyon ainsi que vers Francine Mazière, pour leur accueil et leurs conseils,.

Un grand merci à Violette Rey de l'Ecole Normale Supérieure de Fontenay Saint-Cloud - Lyon, pour le "drag" avec lequel elle nous a accueillis et qu'elle a mis à s'occuper du groupe de roumains pensionnaires SAFE, pour les écoles d'été en sciences humaines auxquelles elle a pris part en Roumanie et qui ont fait beaucoup pour ma formation intellectuelle et pour beaucoup d'autres choses encore.

D'autres amis et collègues linguistes m'ont aidée à différentes occasions, en France ou en Roumanie, surtout Raoul Weiss de l'Université de Paris I et Peter Lazarov de l'Université de Sofia. Je remercie Rob Malouf de l'Université de Groningen pour sa conférence à l'Université de Bucarest et pour avoir accepté de répondre à mes questions sur les catégories mixtes. Je remercie Adrian Braşoveanu de l'Université de Rutgers pour ses commentaires et son exubérance.

(7)

Mulţumesc mai ales tatăului meu, Emil Negoiţă, care m-a învăţat gramatica tradiţională - pe care între timp am uitat-o - şi limitele ei - cu care ne luptăm amândoi; mamei mele Ecaterina şi fratelui meu Nicolae.

Lui Claudiu şi Stancăi, cercului meu de iubire.

Şi tuturor prietenilor care nu vor citi niciodată această teză, al căror nume este în inima mea, şi care m-au ajutat să respir.

(8)

Abréviations N = nom V = verbe Adj = adjectif Adv = adverbe A = adjectif/adverbe GN = Groupe Nominal GV = Groupe Verbal

GAdj = Groupe Adjectival GAdv = Groupe Adverbial

Dét = Déterminant

GDét = Groupe Déterminant

Prép = Préposition

GPrép = Groupe Prépositionnel

Flex = Flexion

GFlex = Groupe Flexion Comp = Complémenteur ou C°

CP(GComp) = Groupe Complémenteur

Asp = Aspect

AspP = GAsp, Groupe Aspect

T = Temps

GT = Groupe Temps

Spec = Spécificateur ou Spécifieur

Mod = Modifieur Accd = Accord Fém = Féminin Masc = Masculin Pl = Pluriel SC = proposition réduite

(de Small Clause)

e = catégorie vide, élément nul

(de "empty") expl = explétif Gén = génitif Dat = datif Acc = accusatif PRT = particule Inf = infinitif Subj = subjonctif Aux = auxiliaire

Agr = Agreement 'Accord'

AgroP = Agreement Phrase 'Groupe Accord'

AgrsP = Agreement-subject phrase 'Groupe Accord-sujet'

Op = Opérateur

(9)
(10)

Introduction

Ce travail a pour but de donner une analyse de ce que les grammaires traditionnelles du roumain appellent "supin", une forme verbale homonyme du participe passé. Il ne s'agira pas d'écrire une monographie d'une forme du système verbal roumain, mais de traiter d'un ensemble de phénomènes syntaxiques et de problèmes posés par la distribution de cette forme, et qui ont trait aussi bien à la complémentation non-finie qu'à la nominalisation et à l'analyse des Groupes Prépositionnels. Le travail ci-présent poursuivra trois grandes lignes de questionnement: a) quel est le statut catégoriel du "supin": est-ce un nom? un verbe? une catégorie mixte?; b) quel est le mécanisme de sa dérivation (morphologique ou syntaxique)?; c) sur quoi repose la possibilité du "supin" de fonctionner comme un substitut de proposition subordonnée (ou bien: cette forme est-elle en soi une proposition)?

1. Quelques données

Le système verbal non-fini du roumain compte, avec l'infinitif, le gérondif et le participe, un "mode" appelé "supin" dans la tradition grammaticale, qui est formé du participe précédé de prépositions.

Ainsi, la forme participiale apparaissant dans des exemples tels que (1)a et (1)b est appelée "supin" par la grammaire traditionnelle: (1)a illustre le "supin" nominal et (1)b le "supin" verbal; le terme de "participe" est restreint aux contextes illustrés sous (1)c-d.

(1) a cititul cărţii

lu-Dét livre-Gén

'la lecture du livre/ le fait de lire le livre'

b am de citit cartea

ai de lu livre-Dét

'j'ai à lire le livre'

c am citit

ai lu 'j'ai lu'

d cartea este citită livre-Dét est lu-Acd

(11)

'le livre est lu'

L'ensemble de la littérature portant sur le roumain considère que les formes homonymes qui apparaissent dans ces trois types de structures sont différentes, et ne cherche pas à en donner une analyse unifiée. On ne s'est pas interrogé jusqu'ici sur le composant de la grammaire au niveau duquel a lieu la dérivation de ces formes: lexical, syntaxique? Il n'existe pas non plus d'analyse détaillée des structures dans lesquelles le "supin" apparaît, ni de sa structure interne. Quels sont les facteurs responsables de la légitimation du participe passé dans les différents contextes où il peut apparaître? Le long de la dérivation, est-ce que ce Participe reste un item lexical +V, ou bien on a des raisons de l'analyser plutôt comme une catégorie mixte? Cette forme marque-t-elle des changements dans la structure argumentale du verbe de base? Quel est le statut de la "préposition" de qui précède obligatoirement le "supin" verbal, illustré en (1)b? Cette préposition est-elle de même type que les autres prépositions?

L'appellation de "supin" repose sur une analogie avec le substantif verbal "supin" du latin; en effet, on a considéré que le roumain était la seule langue romane à avoir hérité des constructions du type eo lusum et horribile dictu. Or, le rapport entre les constructions latines eet roumaines est plus compliqué, ne serait-ce que parce qu'hériter d'une construction ou d'une forme grammaticale met en jeu plus de paramètres qu'hériter d'un mot.

La grammaire du roumain parle de "supin" dans trois types de contextes:

(i) forme de participe avec Dét; le "supin" a un statut clairement nominal et peut assigner le Cas Génitif:

(4) au fost la culesul merelor ont été à cueilli pommes-Gén

'ils sont allés à la cueillette des pommes'

(ii) forme de participe sans Dét, précédée obligatoirement de la préposition de, et qui admet un complément d’objet direct à l’Accusatif,:

(2) am terminat de cules merele

ai fini de cueilli pommes-Dét 'j’ai fini de cueillir les pommes'

(iii) forme de participe sans Dét, précédée d'une préposition sélectionnée par le V principal:

(3) a am plecat la cules de mere

ai parti à cueilli de pommes

'je suis parti à la cueillette de pommes'

b am plecat la cules mere

(12)

'je suis parti à la cueillette de pommes'

Si dans tous ces cas on doit dire, en suivant la grammaire traditionnelle, qu'il faut parler d'un "mode nominal" du roumain, autonome et appartenant au paradigme verbal, cela reviendrait à traiter ce "mode" comme une catégorie mixte, de même nature que le gérondif anglais. Mais à regarder de près, cette analyse ne peut pas être soutenue.

Dans cette thèse, je vais aborder plusieurs problèmes:

1. La question du statut du "supin" au niveau du lexique et de 'l'homonymie' avec le participe passé. Peut-on se satisfaire d'une vision de la grammaire qui admet des homonymies de ce type? Pourrait-on rapprocher la distinction entre supin et participe de celle entre un participe actif et un participe passif? 2. Le problème de l'ambiguïté du "supin" entre N et V. L'exemple (4) illustre le "supin nominal", tandis que dans (2)-(3), selon la grammaire traditionnelle, on aurait des occurrences de "supin verbal". Dans (2)-3) il s'agit cependant d'un contexte prépositionnel qui est considéré en général comme étant spécifiquement nominal. Faut-il en conclure que le "supin" est une catégorie mixte, c'est-à-dire un Nom verbal comparable au gérondif anglais par exemple?

3. L'analyse des structures comportant le "supin", très diverses. On peut distinguer un "supin" nominal, un "supin" propositionnel, argumental, un "supin" relatif ou adjectival, un "supin" prépositionnel et enfin, un supin complément d'Adjectif. Pour chacun de ces contextes, quelle analyse proposer? Y a-t-il une analyse qui permet d'unifier la description du "supin"? Il est difficile de trouver l'ordre le plus adéquat pour traiter ces questions, car des problèmes concernant la distribution du soi-disant "supin" et la description objective et exhaustive des données subsistent. Il nous faudra naviguer entre les intuitions de la grammaire traditionnelle et les généralisations qui rendent possible une description et une analyse dans les termes actuels de la description syntaxique. Le présent travail se situe d'une manière assez large dans le cadre de la grammaire générative chomskyenne des années '90, ayant comme centre le modèle des Principes et Paramètres - Chomsky (1991)-(1995).

Les outils théoriques dont je vais me servir concernent notamment la théorie de la projection des arguments, la relation entre la spécification catégorielle des items lexicaux et le contexte syntaxique qu'ils occupent, la légitimation des compléments et des catégories vides,

(13)

la structure du Groupe Verbal et la structure de la phrase. Etant donné que de nombreuses modifications de ce cadre théorique ont été proposées récemment, je vais préciser mes choix au cours de la discussion. Par ailleurs, comme les phénomènes étudiés dans cette thèse se situent à des zones d'interface entre le lexique, la morphologie et la syntaxe, je vais faire appel à des travaux qui appartiennent à des développements ultérieurs au modèle des Principes et Paramètres, à savoir la Morphologie Distribuée et le Programme Minimaliste, bien que ce travail ne se situe pas de plein pied dans ces cadres-là. Je vais invoquer les détails pertinents au cours de la discussion.

2. Plan du travail

Le chapitre 1 présente brièvement la problématique concernant le "supin" dans le cadre de la grammaire du latin et dans le cadre de l'histoire de la langue roumaine. Je vais montrer que le terme de "supin" n'est qu'un emprunt terminologique qui n'est pas adéquat du point de vue descriptif. Ensuite, je vais aborder la question des catégories mixtes dans le cadre de la grammaire générative et je vais montrer que le "supin" n'est pas à proprement parler une catégorie mixte, car il ne manifeste pas de propriétés hétérogènes à l'intérieur d'un même contexte syntaxique. Il s'agit plutôt d'une forme sous-spécifiée, qui peut prendre, selon le contexte, soit un statut nominal, soit un statut verbal. L'hypothèse sur laquelle ce travail est basé est l'idée que le "supin" de la grammaire traditionnelle est l'une des réalisations du participe roumain, une partie des contextes où celui-ci est utilisé. Dans la vision que je propose, il n'y a pas deux items lexicaux, mais un seul, le participe, sous-spécifié du point de vue de la catégorie lexicale; la spécification catégorielle étant apportée par le contexte syntaxique et la combinaison avec les différents niveaux fonctionnels dans la dérivation syntaxique.

Dans le chapitre 2, je vais développer l'hypothèse selon laquelle le "supin" roumain est assimilable au participe, plus précisément qu'il s'agit d'une seule unité lexicale de base qui sous-tend tous les emplois considérés. Ici, je vais me concentrer sur le statut du participe du point de vue lexical, sur l'opération qui forme le participe et sur l'effet que cette opération a sur la racine verbale. Je propose que la racine verbale ne projette qu'un seul argument, l'argument interne, et que l'affixation du morphème de participe a pour effet l'externalisation de l'argument interne. Ensuite, je vais examiner les conséquences de cette hypothèse sur l'analyse du participe en général. Je vais montrer que les propriétés du participe, y compris

(14)

dans les contextes appelés "supin" dans la grammaire traditionnelle, confirment cette hypothèse. Le participe se comporte comme une forme réduite du point de vue argumental aussi bien que du point de vue syntaxique (c'est-à-dire qu'elle projette un ensemble réduit de positions syntaxiques). Je vais situer cette hypothèse par rapport aux structures passives et à la passivation, notamment la passivation des inergatifs, qui offre un argument supplémentaire en faveur de cette hypothèse. Je vais également examiner le participe à l'intérieur des participiales absolues et le participe adjectival.

J'arriverai à la conclusion que le soi-disant "supin" est ou bien un participe nominalisé, ou bien un participe verbal dans un certain nombre de contextes spécifiques. Dans les premiers chapitres de la thèse, j'examinerai les emplois nominaux et verbaux du participe séparément. Le chapitre 3 est consacré aux nominalisations du participe. Le problème central du chapitre est l'étude du comportement des nominalisations événementielles du participe par rapport à d'autres nominalisations événementielles, notamment celle de l'infinitif "long" du roumain. La nominalisation de l'infinitif manifeste un comportement différent, déjà mis en évidence et analysé par Cornilescu (1999)a. Je développe une autre solution au problème soulevé, qui exploite l'idée proposée au chapitre 2, selon laquelle une opération d'externalisation lexicale se trouve à la base du participe. Pour rendre compte du sens événementiel que le participe nominalisé comporte dans la plupart des cas, je propose que le participe nominalisé représente un cas de nominalisation "phrastique" (à la base de la nominalisation se trouve une proposition réduite participiale, dont le prédicat est le participe, et le sujet est un argument interne externalisé selon la proposition faite au chapitre 2).

A partir du chapitre 4, je vais me concentrer sur le problème de la distribution du soi-disant "supin verbal" et de son analyse. Je propose une classification des contextes [Prép + Participe] dans lesquels le participe apparaît, et qui, à première vue, doivent être analysés pour une part comme des Groupes Prépositionnels et pour le reste, comme des projections de type propositionnel, introduites par un élément de type Comp. Ensuite, j'examinerai le statut du participe à l'intérieur du GPrép, qui dans certains contextes semble contredire ce qui a été proposé au chapitre 1, à savoir le caractère non mixte du participe. Je vais montrer que, contrairement à ce qui est communément admis dans la littérature roumaine, le participe précédé de préposition lexicale est un participe nominal. Le participe verbal se réduit aux contextes "propositionnels", c'est-à-dire à la complémentation non-finie. Dans la dernière partie du chapitre, je vais me pencher sur le statut de l'élément de, obligatoire dans les contextes avec participe verbal, et je développe une analyse selon laquelle cet élément est un C° d'un type spécial, réservé aux domaines non-finis.

(15)

Le chapitre 5 est consacré au participe verbal en position de complément de V. Il s'agit notamment des contextes où le "supin" est complément des verbes a avea 'avoir' et a fi 'être'. Je vais montrer que la possibilité de la lecture active et passive du "supin", signalée par plusieurs travaux de Pană-Dindelegan, est dérivée de la structure syntaxique dans laquelle le participe est inséré. Je fais d'abord une distinction entre les contextes où a avea et a fi ont un sens lexical et les contextes où ces verbes ont un rôle fonctionnel, participant à la formation de périphrases au sens aspectuel ou modal. Je montre que ces deux contextes ont des structures différentes. Pour le verbe a avea, je vais distinguer entre le contexte où le supin est complément de V et le contexte où le "supin" détermine un N vide. Le verbe a fi dans l'interprétation existentielle prend également un GN vide avec un modifieur exprimé par un "supin", tandis que la copule se construit avec une "petite proposition" (SC = Small Clause) participiale. Dans la dernière section, j'aborde la question de la structure interne de ces participiales et je précise l'analyse de l'élément introducteur.

Le chapitre 6 est consacré au "supin" adnominal. Là aussi, on peut constater une ambiguïté entre contexte prépositionnel et contexte propositionnel. En ce qui concerne le contexte propositionnel, il s'agit en fait d'une participiale à statut de prédicat. Le problème qui se pose est de préciser la structure interne de la participiale prédicative. A cette fin, je fais une comparaison entre les relatives réduites participiales du roumain et les relatives infinitivales du français, ainsi qu'avec les autres formes non finies du roumain qui peuvent occuper une position à l'intérieur d'un GDét (complément d'un N). Comme les participiales sont des structures sans Temps, et que par ailleurs le roumain ne présente pas d'Opérateur Nul dans les structures à Mouvement wh-, je serai amenée à proposer une dérivation alternative de ces relatives, suivant des suggestions de Cinque (1990) et de Landau (1999). Je vais proposer que les relatives réduites du roumain reposent sur un déplacement de PRO dans Spec, CP.

L'étude du supin" prédicatif modifieur d'un adjectif sera le sujet du chapitre 7, consacré justement aux structures connues dans la littérature sous l'appellation de "constructions Tough". Ici, la comparaison avec le français et les analyses qui ont été proposées pour cette langue sont à nouveau pertinentes. Je vais partir des propriétés du français qui remettent en cause une analyse classique par Mouvement A' de type Tough, et je vais proposer des dérivations séparées pour les deux configurations (structure impersonnelle d'une part, et constructions de type GDét + copule + Adj Tough + supin d'autre part), que j'examinerai dans le cadre de la complémentation adjectivale, en m'appuyant sur les propositions de Canac Marquis (1995) et de Landau (1999). Ensuite, sur la base de l'observation faite par Pană-Dindelegan (1992) selon laquelle les prédicats Tough du roumain

(16)

sont des adverbes, je vais montrer que le roumain dispose aussi bien des constructions du type des constructions Adj-V-Inf du français, que d'un modèle spécifique, dans lequel le prédicat Tough apparaît comme Spécifieur adverbial d'une participiale prédicative (à valeur adjectivale). Je vais adopter pour la structure interne de cette participiale la structure de Small Clause de type verbal, qui est la même que celle proposée au Chapitre 5 pour le supin prédicatif construit avec copule.

(17)
(18)

1 Le "supin" roumain et les catégories mixtes

1.1 Introduction: "supin" dans la tradition grammaticale

Le terme-même de supin est un emprunt à la grammaire latine. Au-delà de la question du développement diachronique – le roumain est-il la seule langue qui ait hérité de cet usage du latin, d'ailleurs disparu avant le latin vulgaire? –, je passerai en revue les emplois que ce terme couvrait dans la grammaire du latin et je me poserai la question de savoir si ce terme peut être appliqué au cas du roumain.

On a attribué l'étiquette de "supin" aux formes participiales utilisées avec prépositions (comme en (1)b ci-dessus), mais aussi à la nominalisation ((1)a ci-dessus), que l'on appelle "supin nominal". Ceci revient à le distinguer du participe passé proprement dit, qui est réservé à la combinaison avec un auxiliaire ou à l'usage adjectival. On peut voir dans cette description de la grammaire traditionnelle roumaine un désir de rejoindre la terminologie de la grammaire latine; ce serait un trait qui marquerait le caractère latin du roumain1.

1.1.1 "Supin" latin et "supin" roumain: quelques éléments de diachronie

Le "supin" latin était un substantif verbal, utilisé seulement à l'accusatif et à l'ablatif. On considère que ces substantifs appartenaient à la quatrième classe de déclinaison (racine verbale + t+ -um/-u). Ernout et Thomas (1964), citant Benveniste (1948), parlent d'un nom d'action en -tus intégré au système verbal, qui formait ou contribuait à former trois cas dans la déclinaison de l'infinitif: l'accusatif (supin en -tum), le datif-ablatif (supin en -tu). A partir du même thème, dans le système des formes nominales du paradigme verbal latin, il y avait également un participe appelé adjectif verbal, qui était caractérisé par la désinence -tus et par l'accord avec le nom qu'il détermine.

Le "supin" à l'accusatif exprimait le but pour compléter un verbe de mouvement (eo

lusum 'je vais jouer'), tandis que le "supin" en -u (ablatif), qui n'existait que pour quelques

1 Conformément à certaines théories, cette caractéristique du roumain serait héritée du latin, mais en même temps soutenue par le "substrat" et "ranimée" par l'influence du slavon, où il y avait également un "supin". Voir un aperçu de la question dans Dimitrescu e.a. (1978).

(19)

verbes, se combinait avec certains adjectifs, comme jucundus 'agréable', mirabilis 'étonnant, admirable', turpis 'honteux', incredibilis 'incroyable', facilis 'facile', difficilis 'difficile'. On considère que le "supin" jouait ou bien le rôle de modifieur de ces adjectifs (pour spécifier le contenu du prédicat adjectival): difficile memoratu, ou bien celui de sujet de ces adjectifs prédicatifs: horribile dictu. Si l'on compare avec le roumain, on trouve des structures vraiment similaires, dans lesquelles un prédicat adjectival-adverbial est modifié par un "supin" (cf. Chapitre 7): greu de zis 'difficile à dire'; mais aussi des structures dans lesquelles un verbe de mouvement prend un complément "supin" qui exprime la direction du mouvement: merg la

pescuit 'je vais pêcher/ je vais à la pêche'.

Selon Benveniste (1948), le "supin" latin était l'emploi verbal d'un nom: "le "supin" verbal est indifférent à la voix, au temps et au mode, par comparaison à l'attitude d'un homme nonchalamment couché". Dans les grammaires, on présente le "supin" en -um comme étant une forme active, et le "supin" en -u comme une forme passive2. Les grammaires latines

parlent d'autre part du "supin" comme d'une racine ayant généré d'autres temps verbaux du latin; c'est l'idée d'un invariant, un "thème" commun à plusieurs temps du paradigme verbal.

Le "supin" latin était un nom verbal qui pouvait assigner le cas accusatif, dans des propositions réduites où le "supin" lui-même était à l'accusatif.

(1) pater venit amicum gratulatum

le père est venu l'ami féliciter (Sup)

Le "supin" à l'accusatif était une forme qui apparaissait en position de modifieur, c'était un adjoint qui exprimait par exemple le but ou la direction. Cette forme pouvait assigner aussi le cas accusatif à un complément. Cet emploi est tout à fait comparable à des formes comme le gérondif anglais, le nom verbal celtique et le masdar arabe, que certaines études de la littérature générative traitent comme des "catégories mixtes"(cf. ci-dessous, section 1.2.).

Le "supin" ablatif n'admettait pas de complément direct et n'assignait pas de cas accusatif. Il était par ailleurs utilisé dans des contextes argumentaux (complément ou sujet d'un adjectif prédicatif). C'est ce qui lui a valu l'étiquette de "passif".

Le "supin" latin n'a cependant pas vécu de longs jours. Comme le notent Dimitrescu e.a. (1978), il disparaît complètement dans la totalité des langues romanes pendant le IIe siècle, étant remplacé généralement par l'infinitif, phénomène qui d'ailleurs s'est fait sentir dès

2 Ceci est sans doute une intuition correcte: le "supin" en -u détermine un adjectif dont le sujet est mis en relation avec l'objet du "supin" - ou du moins interprété comme coréférent à celui-ci; le "supin" en -um garde d'habitude

(20)

le latin classique. Actuellement, la seule langue romane qui aurait hérité du "supin" serait le roumain, et plus précisément le dialecte nord-danubien, puisque dans les autres dialectes du sud du Danube il y a eu substitution par l'infinitif comme dans les autres langues romanes.

Dans la grammaire historique du roumain, la question de savoir si le roumain a vraiment hérité du "supin" latin ou non a été longuement débattue. Deux points de vue s'opposent ici, l'un représenté par exemple par Tiktin (1893), Bourciez (1946), Grandgent (1958), qui considèrent qu'il y a eu héritage du "supin" latin en roumain, et l'autre partagé par Caragiu-Marioţeanu (1962) et Brâncuş (1967), qui considèrent qu'il s'agit d'une création du roumain, par l'intermédiaire de la nominalisation des participes.

Brâncuş (1967) relie l'apparition des valeurs verbales du "supin" à la restriction des emplois de l'infinitif 'long' en roumain ancien. Cette forme a perdu la valeur verbale, phénomène qui est mis en rapport avec la neutralisation des oppositions casuelles du latin. En effet, les terminaisons nominales, marques de genre, de nombre et de cas, variant en fonction de la déclinaison en latin, ont disparu progressivement en roman. Le roumain garde seulement deux cas morphologiques pour les GN, direct (pour marquer le Nominatif et l'Accusaqtif) et oblique (pour le Génitif et le Datif). Ainsi, la distinction entre accusatif et ablatif a disparu; mais aussi la distinction morphologique entre le nominatif et l'accusatif s'est affaiblie, étant conservée seulement dans le système pronominal. Par conséquent, les prépositions ont pris la place de la flexion dans le passage d'un système synthétique à un système analytique. En raison de la perte de la flexion nominale, le nom verbal "supin" récupère des valeurs verbales qui appartenaient à l'infinitif long (en train de devenir un nom)3.

Les arguments invoqués par les deux camps opposés intéressent l'analyse des structures avec "supin". Les faits qui intéressent ici sont notamment la disparition du "supin" dès le latin classique et la différence d'emploi entre le latin et le roumain: le "supin" roumain remplit également des fonctions de verbe, tandis qu'en latin il était uniquement substantif verbal. Caragiu-Marioţeanu (1962) soutient également que le "supin" manifeste une certaine opacité à la voix et au temps, ce qui le rapproche du participe, dont il serait un des fonctionnements. Ceci est un point important pour l'analyse que je proposerai dans les chapitres de cette thèse: s'il ne s'agit pas d'établir si le "supin" roumain est "l'héritier" du

son complément à l'accusatif, ou bien est intransitif. La situation en roumain ne semble pas très différente, comme nous le verrons dans les analyses proposées aux Chapitres 5, 6, 7.

3 L'infinitif latin (en -RE) était un verbe en roumain ancien. Il y a eu ensuite une étape à laquelle c'était un nom verbal, et actuellement il est devenu un nom du genre féminin. Le roumain présente également une autre forme d'infinitif, dit "court", précédé de la particule infinitive a.

(21)

"supin" latin, il est cependant important de comparer les deux usages entre eux, ainsi qu'à d'autres formes similaires, pour décider de l'analyse la plus convenable.

Dans la grammaire du latin, le terme de supin est également utilisé pour désigner l'un des trois radicaux actifs du verbe, une forme primitive à partir de laquelle on dérive d'autres temps verbaux. Le terme était donc ambigu dès l'origine, désignant aussi bien un "mode" qu'un thème de conjugaison. Cette intuition sera mise à profit dans l'analyse que je vais proposer ici, à savoir que le participe est l'une des formes de base du verbe roumain, à partir de laquelle on dérive des formes à temps, mais aussi des formes sans temps, et qui peut servir également de base pour la nominalisation. Ainsi, on peut établir un parallèle entre le fonctionnement du participe et du "supin" en latin et le fonctionnement du participe en roumain, mais cela est dû simplement à des ressemblances d'ordre typologique entre les deux langues et non pas à une survivance dans la diachronie.

1.1.2 Les étapes anciennes de la langue

Ce travail n'aborde pas la question du développement diachronique, mais s'intéresse de savoir si, de façon indépendante, on peut attribuer la même analyse au "supin" latin et au "supin" roumain, au-delà des discussions portant sur le caractère "hérité" du "supin" roumain. Cependant, au moins un regard sur les étapes de l'évolution du système verbo-nominal dans l'hostoire de la langue roumaine s'impose.

Le "supin" latin a été intégré par les grammairiens au paradigme verbal en vertu de certaines valeurs verbales; ces valeurs verbales semblent également présentes dans le système actuel de la langue roumaine. Or, les valeurs ne se recoupent pas tout à fait: c'est l'évolution des nominalisations du roumain qui a créé une brèche.

Cette brèche dans le système apparaît très tôt dans l'histoire de la langue, correspondant au fait que l'usage verbal du "supin" semble interrompu pendant une très longue étape. Ainsi les textes roumains anciens (XVIe-XVIIIe siècles) n'offrent que des exemples de "supin" nominal. Les contextes de la subordination – la complémentation verbale non finie – sont assurés par l'infinitif avec particule. On trouve simplement des "supins" nominaux avec préposition:

(2) "lupi gata spre vânat"- Grigore Ureche des loups prêts à chassé

(22)

(3) "cât pre păşitul lor şi pre căutătură..." - Miron Costin quant à leur marché et à leur regard...

'quant à leur démarche et à leur regard...'

(4) "să aibi vreme şi cu cetitul cărţilor a face iscusită zăbavă"- Miron Costin que aies temps et avec lu-dét livres-gén faire sage halte

'avoir le temps aussi pour la lecture des livres sagement prendre le temps' (5) "se săpase şi şanţ pentru slobozitul picioarelor în jos"- Neculce

se creuser-Pqp3sg et fossé pour libéré-dét jambes-gén en bas 'on avait creusé aussi un fossé pour libérer les jambes vers le bas'

La même situation semble se retrouver dans des documents d'usage juridique et dans des lettres du XVIIe: "de împărţitu, să nu să creadză" / 'pour ce qui est du partage-Sup, que l'on ne croie pas' (Docum. hist., 1632, cité par Călăraşu (1987)).

Du reste, l'infinitif est utilisé également dans cette construction, avec ses deux formes - longue et courte:

(6) "Iar Duca Vodă, daca au auzit aşa, au început a suspinare..." - Neculce et Duca Vodă, si a entendu ainsi, a commencé PRT soupirer

'Et Duca Vodă, s'il entendit pareil discours, s'est mis à soupirer...'

Il est d'autant moins probable de trouver des exemples de "supin" verbal dans les textes plus anciens, (comme Psaltirea Coresi (1577) ou Codicele Voroneţean (sec. XIII-XIV?)4), qui utilisent systématiquement les deux types d'infinitif. Selon ce que l'on peut trouver par exemple chez Ov. Densusianu (1901), il n'y a que quelques participes nominalisés comme socotitul 'le comptage, le fait de compter', cerşitul 'la mendicité, le fait de mendier'. Cela semble confirmer l'intuition de Brâncuşi (1962) selon laquelle le "supin" est apparu à partir des participes nominalisés, en prenant des valeurs verbales à cause, d'une part, de la disparition de la flexion nominale et, d'autre part, à cause de la régression de l'infinitif.

Dans les chroniques valaques, plus tardives, l'usage du participe à la place de l'infinitif est représenté, par exemple dans Cronica Anonimă despre C. Brâncoveanu '"Cronique Anonyme sur C. Brâncoveanu" (début du XVIIIe siècle):

(8) "Multe şi vrednice de auzit istorii sunt de faptele ce s-au întâmplat în zilele domniei lui Constandin-Vodă Brâncoveanu..."

4 Les textes auxquels je fais allusion sont des traductions de textes bibliques ou des chroniques, cités dans les ouvrages d'histoire de la langue roumaine (p.ex. Densuşianu (1901)).

(23)

nombreuses et dignes d'entendu histoires sont des faits que se-Aux passé en jours-Dét règne-Gén Dét-Gén Constantin-Vodă Brâncoveanu

'Nombreuses histoires et dignes à entendre sont des faits qui se sont passés dans les jours du règne de Constantin-Vodă Brâncoveanu...'

(9) "spurcaţii de boieri, cu capetele pline de fumurile deşertăciunii, care prin sfaturi vrednice de râs s-au alcătuit cu nemţii"

vilains-Dét de boyards, avec têtes-Dét pleines de fumées-Dét vanité-Gén, qui par conseils dignes de ri se-Aux allié avec allemands

'les vilains boyards, avec les têtes pleines des fumées de la vanité, qui par des conseils risibles se sont alliés aux Allemands'

Il est difficile d'établir les détails du développement qui a amené le "supin" à remplacer l'infinitif dans tous ces contextes, mais il paraît clair qu'il s'agit d'un phénomène tardif, comme le suggère la différence entre la première traduction de la Bible en roumain (Biblia (1688)) et la traduction moderne:

(7) a "Cela ce are urechi de auzirea să auză"

celui qui a oreilles de entendre-PRT, que entende b "Cine are urechi de auzit să audă"

celui qui a oreilles d'entendu, que entende

'Que celui qui a des oreilles pour entendre, qu'il entende'

La littérature populaire ne permet pas non plus de combler cette lacune dans l'apparition des emplois verbaux du "supin": les textes populaires recueillis attestant d'une étape de la langue assez récente, qui correspond au moment auquel le folklore a commencé à être enregistré à l'écrit. Dans certains textes oraux, le "supin" est toujours utilisé en tant que nom5:

(10) "Ca s-aleagă loc curat/ De arat şi semănat" pour choisir un lieu net/ pour le labouré et le semé

'Pour choisir un lieu propre pour le labour et les semailles'

ou bien dans le contexte prépositionnel (probablement toujours nominal): (11) "Şi curând s-a apucat/ Câmpul neted de arat"(chanson populaire)

(24)

et bientôt s-est mis/ champ-dét lisse de labouré

'Et bientôt il commençait / Le champs lisse à labourer'

Il semble donc clair que l'emploi "verbal" du supin -- qui se trouve à la base de l'intégration de cette forme en tant que "mode" autonome dans le système verbal du roumain -- n'est pas représenté dans les étapes anciennes de la langue. Le développement de ces emplois verbaux est plutôt tardif. Si quelque chose de similaire apparaît entre le fonctionnement du "supin" latin et le roumain, cela semble être restreint à un emploi du participe nominalisé.

1.1.3 Grammaires traditionnelles

Tout en admettant que le supin est systématiquement homonyme du participe, les grammaires traditionnelles du roumain classent le "supin" parmi les modes non-personnels du verbe, avec l'infinitif, le gérondif et le participe,. Les grammaires définissent le "supin" par le fait qu'il est toujours précédé de “prépositions”, ce qui le distingue du participe passé. Les "formes nominales du verbe" - ou "modes nominaux", "non-personnels" - sont définies comme les formes du verbe qui n'expriment pas la personne et ne forment pas de prédicat; ces modes n'ont pas de formes flexionnelles qui indiquent la personne et le nombre et ont des fonctions secondaires dans la proposition. (Gramatica, (1966)).

La Grammaire de l'Académie définit le "supin" de la manière suivante: "(il) nomme l'action du verbe, en se comportant ainsi comme un infinitif long6, donc comme un substantif

verbal, mais aussi comme un verbe." Notons que le terme de substantif verbal est ambigu entre catégorie ayant des propriétés verbales et nominales en même temps ("catégorie mixte") et nom formé sur une base verbale ("nom déverbal").

Les caractéristiques nominales du "supin" sont représentées, selon le même ouvrage, par le fait qu'il se construit avec des prépositions, et qu'il peut occuper des positions syntaxiques caractéristiques des noms. Les caractéristiques verbales du "supin" consistent dans le fait qu'il peut avoir un complément direct à l'accusatif.

Dans les grammaires traditionnelles, la combinaison avec une préposition est prise en compte dans la définition même du supin: "...le "supin" a la même forme que le participe, en

(25)

se distinguant de celui-ci par le fait qu'il ne s'accorde pas et qu'il est toujours précédé par des prépositions". Comme je vais le montrer (chapitre 4), les prépositions associées au supin n'ont pas le même statut dans tous les contextes; ainsi, l'on pourra accorder un statut fonctionnel (distinct du statut prépositionnel) à l'un de ces éléments (le de obligatoire), mais seulement dans certaines configurations syntaxiques. Une autre question sur laquelle il faudra trancher est celle de savoir de quel type d'élément fonctionnel il est question dans chacune des configurations syntaxiques caractéristiques du supin.

Dans la linguistique roumaine, l'analyse du "supin" a donné lieu à des discussions surtout en ce qui concerne la diachronie. On trouve une synthèse des points de vue dans Guţu (1967). Cet auteur décrit le "supin" comme une forme homonyme du participe et synonyme de l'infinitif. L'existence du "supin" comme mode verbal distinct est contestée par certains linguistes roumains. Caragiu-Marioţeanu (1962) l'exclut du paradigme verbal, considérant qu'il s'agit d'un nom (comme en latin). Le point de comparaison avec la grammaire du latin est très important dans cette optique, et les disputes restent en fait de l'ordre de la terminologie. Guţu (1967) considère qu'il "existe aussi des formes homonymes du "supin" nominal et qui se comportent comme des verbes qui ne prennent pas d'article, n'admettent pas de flexion qui les rapproche du nom, et admettent des relations propres au verbe, en exceptant la relation verbe-sujet." Ces formes, remarque l'auteur, peuvent prendre un complément d'objet direct au cas accusatif:

(12) a s-a pus pe învăţat carte

se-a mis Acc appris livre

'il s'est mis à étudier'

b s-a dus la cules mere

se-a allé à cueilli pommes

'il est allé à la cueillette de pommes'

L'auteur ajoute: "Le fait que dans certaines constructions le "supin" puisse être remplacé par un nom ne peut pas être invoqué comme argument pour dire que le "supin" est un nom lui-même, parce que la substitution par un substantif entraîne la réorganisation syntaxique de la construction" (voir (12)b et (13)):

(13) s-a dus la culesul merelor est allé à cueilli pommes-Gén

'il est allé à la cueillette des pommes'

(26)

La conclusion de Guţu est que l'on peut parler de "deux homonymes, un nom abstrait dérivé d'un verbe, sans liaison avec le paradigme verbal, et une forme verbale, qui conserve le régime syntaxique du verbe".

Ce point de vue est éclairant pour le comportement du "supin". En effet, il s'avère que les propriétés nominales et verbales du "supin" se manifestent en fonction du contexte syntaxique, mais jamais en même temps: dans une position nominale, les propriétés nominales sont manifestées de façon cohérente, et les propriétés verbales ne peuvent pas apparaître. Nous verrons effectivement que la nature soi-disant verbo-nominale du "supin" est en fait contextuellement dépendante (cf. section 1.2.3.3.).

Pană Dindelegan (1992, 1998) considère le "supin" comme une forme à double nature, verbale et nominale:

"Parmi les formes verbales non personnelles, le supin a le statut le plus ambigu pour ce qui est de son inclusion dans la classe du verbe ou du nom (à l'exception des situations où il reçoit l'article): la forme est la même pour le verbe et pour le nom, et le contexte prépositionnel, qui est obligatoire pour le supin, est un contexte présent aussi bien dans le cas du supin devenu substantif, que dans le cas du supin au comportement verbal, donc ne peut pas servir de diagnostique. Dans le cas du supin sans article, l'inclusion dans la classe du verbe ou du nom se fait entièrement par la syntaxe, en fonction des restrictions imposées au contexte".

Pană-Dindelegan (1992) donne une classification des emplois du "supin" qui illustrent ce double comportement7.

i. "supin" avec article: un "supin" nominal abstrait

(14) mersul pe jos este sănătos

marché-dét à pied est sain

'la marche à pied est bonne pour la santé'

ii. "supin" sans article précédé par des prépositions sous-catégorisées ou non par le verbe principal, mais ayant toujours un sens propre:

(15) a merge la cules

va à cueilli

'il va à la cueillette'

b se lasă de fumat

7 Il est moins clair s'il existe une base de dérivation pour ces deux formes, autrement dit si on a A qui se réalise par A' et A" ou bien une autre relation entre les trois termes.

(27)

'se laisse de fumé 'il arrête de fumer'

c am cumpărat o pensulă pentru vopsit

ai acheté un pinceau pour peint 'j'ai acheté un pinceau pour peindre'

iii. "supin" sans article précédées obligatoirement par la préposition de:

(16) a ţi-a fost de cumpărat

te-Dat a été d'acheté

'tu as eu envie d'acheter' b rămîne de văzut

reste de vu 'il reste à voir' c termină de citit

finit de lu 'il finit de lire'

Les tests qui permettent de discerner le comportement nominal sont: a) la combinaison avec la détermination nominale (article défini); b) la possibilité d'apparition dans un contexte adjectival; c) la transformation des compléments: l'accusatif devient génitif. Le diagnostic pour le comportement verbal est donné essentiellement par la possibilité d'attribuer le cas accusatif (le "supin" suivi par un GN à l'accusatif).

La présence d'un déterminant au génitif est associée obligatoirement à la présence d'une forme déterminée (supin nominal):

(17) a *culesul mere / culesul merelor e plăcut

cueilli pommes / le cueilli pommes-Gén est agréable

'la cueillette pommes / la cueillette des pommes est agréable'

b au terminat de cules merele / *de cules merelor

ont fini de cueilli pommes-les / de cueilli pommes-Gén 'ils ont fini de cueillir les pommes / de cueillette des pommes'

Selon Sandfeld et Olsen (1936); le "supin" est un substantif verbal. Mais les mêmes auteurs remarquent que cet emploi du participe “prend la fonction d’un infinitif”, étant en quelque sorte “parallèle à l’infinitif du français”, autrement dit il a des propriétés verbales et des emplois propositionnels. D’autre part, le "supin" peut se combiner avec un article ou bien se trouver dans une situation “ambiguë” entre le verbe et le nom, ce qui rappelle le

(28)

comportement du gérondif anglais, du nom verbal celtique ou du masdar arabe (v. ci-dessous, 1.2.3.1).

1.1.4. Conclusion

En conclusion, on peut remarquer que le terme de "supin" dans les grammaires traditionnelles recouvre au moins deux contenus distincts:

- l'idée d'une forme participiale qui sert de base pour différents emplois - le fonctionnement nominal d'une base verbale.

Par ailleurs, les études portant sur le "supin" roumain laissent ouvertes les questions suivantes:

1) cette forme se distingue-t-elle effectivement du participe passé en roumain? 2) l'emploi nominal et verbal sont-ils distincts?

3) comment analyser le "supin verbal"?

Dans la deuxième partie de ce chapitre, je vais interpréter dans les termes de la grammaire générative l'analyse du "supin" latin; vraisemblablement, l'"ambiguïté verbo-nominale" correspond à l'analyse de type nom verbal, ou bien catégorie mixte8. Le "supin" latin avait une flexion nominale représentée par des désinences de cas et de genre (section 1.1.1.); d'autre part, il semble légitime de supposer qu'une flexion verbale cachée était également présente, qui serait responsable de l'assignation du cas Accusatif au COD. Le supin latin serait dont une catégorie mixte. Si l'on veut faire une comparaison entre le latin et le roumain, la question se pose de savoir si une analyse analogue convient pour les formes participiales qui sont étiquetées "supin" dans la grammaire du roumain. Or, je vais montrer dans ce qui suit que l'on ne peut pas parler d'un nom verbal participial en roumain: on ne reconnaît pas une configuration ayant les propriétés de la catégorie mixte.

D'autre part, le fait que, dans la grammaire du latin, le "supin" ait été considéré comme un radical qui sert de base pour la dérivation d'autres formes verbales peut conduire à formuler une autre hypothèse, selon laquelle, dès le latin, le participe et le supin étaient des formes apparentées, voire elles dérivaient d'une même racine verbale, utilisée dans des contextes syntaxiques divergents (d'adjectif, de verbe ou de nom). D'une certaine manière, cette hypothèse semble déjà avoir été envisagée pour le roumain, au moins implicitement, par

8 Comme on le verra ci-dessous, la catégorie mixte serait définie comme un GV qui est complément d'une catégorie fonctionnelle Dét.

(29)

les chercheurs qui ont supposé que le "supin" était un participe nominalisé (notamment Caragiu-Marioţeanu (1962)).

Ce survol très rapide permet d'émettre l'hypothèse suivante (formulation provisoire): (18) Le "supin" en roumain est le résultat de la nominalisation du participe.

Pour étayer cette hypothèse, je montrerai dans ce qui suit que l'on n'a pas d'arguments pour traiter le "supin" roumain comme une catégorie lexicale à part, en l'occurrence comme une catégorie mixte.

1.2 "Supin" et théorie des catégories mixtes

1.2.1. "Supin" et participe

Le point de vue de la grammaire traditionnelle, selon lequel le "supin" et le participe passé sont des formes lexicales distinctes, n'est pas économique, parce qu'il suppose la présence dans le lexique de deux formes qui seraient systématiquement identiques du point de vue de leur morphologie mais distinctes du point de vue de leur syntaxe. Il semble plus naturel de supposer un élément lexical unique, mais non spécifié du point de vue catégoriel, pour les deux formes; la configuration syntaxique dans laquelle cet élément est inséré lui attribue un statut catégoriel. L'hypothèse de la 'distinction catégorielle' ne fait que donner des noms différents à des fonctionnements syntaxiques différents. Une telle analyse revient à attribuer à la composante morpho-lexicale une distinction qui appartient à la syntaxe, comme cette étude entreprend de le montrer.

Il y a peu d'arguments en faveur d'un traitement séparé du participe passé et du "supin". L'un des arguments serait le manque d'accord dans le cas du "supin", alors que le participe s'accorde:

(19) a cai furaţi

chevaux volés

'des chevaux volés'

b cai de furat

chevaux de volé

(30)

Or, l'accord lui-même est la marque morphologique d'un phénomène syntaxique et n'est pas un argument suffisant pour parler de deux éléments lexicaux distincts / de deux formes distinctes du verbe. La différence d'accord montre simplement que la configuration syntaxique dans laquelle est inséré l'élément furat 'volé' dans les deux exemples (19)a et b est différente.

Un autre argument traditionnel en faveur du traitement séparé est que le "supin" se construit avec des prépositions ou se nominalise, tandis que le participe fait partie de la structure du passé composé, s'accorde, etc. A ceci on peut faire la même objection, à savoir que l'emploi syntaxique différent n'est pas forcément une raison pour parler d'unités lexicalement différentes. On sait que parfois les noms fonctionnent comme des prédicats; cela ne veut pas dire qu'il faudrait leur conférer une autre catégorie lexicale. Par exemple, le mot "professeur" est considéré comme un nom, et on ne proposera pas d'entrée lexicale qui catégoriellement serait un adjectif pour un contexte comme Jean est professeur.

Par analogie, il est donc tout à fait possible de dire que, dans le lexique, on n'a pas un participe passé et un "supin", mais une seule forme participiale, catégoriellement sous-spécifiée, qui est compatible avec des spécifications catégorielles distinctes:

[N x ] dans un contexte nominal

[V x ] dans un contexte verbal

Ceci revient à poser la sous-spécification V/N pour une forme participiale, qui, par la suite, prise dans des contextes syntaxiques différents, donne comme résultat les structures de "supin". Cela conduit en fait à formuler de manière plus précise l'hypothèse esquissée sous (18) dans la section précédente:

(20) Le participe roumain est une forme sous-spécifiée, qui acquiert sa spécification catégorielle selon le contexte syntaxique dans lequel elle est insérée.

Cette hypothèse sera centrale pour cette étude, et elle sera précisée surtout dans le chapitre 2 et à travers les chapitres d'analyse proprement-dite.

1.2.2. "Supin" roumain dans la grammaire générative

Dans les études de grammaire générative, le "supin" a été analysé comme une forme sous-spécifiée par rapport à ses traits N et V (Negoiţă-Soare (1996), (Motapanyane (1998)). Cette forme servirait de base de dérivation pour tous les emplois du participe en roumain: actif ou passif, et pour les dérivés nominaux divers. Dans ce qui suit, j'admettrai cette

(31)

hypothèse fondamentale (celle d'une forme unique de départ), mais je me propose d'en donner plus d'ampleur empirique, ainsi que de mieux la préciser.

Avram (1999) soutient que les constructions avec auxiliaire en roumain sont des configurations où le verbe auxiliaire se combine avec des propositions réduites qui ont des degrés de complexité différents. Le participe reste sous le noeud Aspect, à cause de sa flexion réduite. La proposition réduite constituée par le participe passé doit être gouvernée par une tête fonctionnelle pour être légitimée, entre autres pour préciser sa structure événementielle. Ainsi par exemple, dans le cas du passé composé, la structure correspond à:

(21) a avea [AspP]

La conséquence de cette analyse est justement que ce qui est appelé "supin" dans la grammaire traditionnelle "is actually a participle which raises in the derivation to the borderline between the functional and the complementizer domains of the clause" (Avram (1999)).

Dans ce qui suit, je vais considérer que le participe est une forme sous-spécifiée, donnée comme telle dans le lexique (i.e., résultat d'une règle de dérivation lexicale et non pas dérivée par la morphologie flexionnelle); cette hypothèse est compatible avec un cadre théorique comme celui de la Morphologie Distribuée, où l'on suggère un traitement particulier des “parties du discours” - la spécification catégorielle des items lexicaux étant apportée par le contexte syntaxique dans lequel ils sont insérés. Si ceci est correct, alors les termes de "supin" – hérité de la grammaire traditionnelle – et de participe couvrent différents emplois de la même forme participiale.

Jusqu'ici, je n'ai pas utilisé de terme précis pour cette "forme sous-spécifiée". Montapanyane (1998) parle de "racine", mais ce terme n'est pas tout à fait convenable dans la mesure où il s'agit néanmoins d'un objet construit. L'idée que je retiens est que le participe est l'une des bases verbales (ou radicaux)9. Dans ce qui suit, je vais utiliser simplement le terme de Participe en spécifiant également le type de participe (par exemple nominal ou verbal), parfois celui de "supin" de façon conventionnelle pour l'usage "propositionnel" du participe.

9 Dans la description traditionnelle, on parle de "thèmes", formes de base (racine + affixe, par exemple ceux de "perfectum" et "infectum" en latin) à partir desquelles sont dérivés les temps verbaux.

(32)

1.2.3. Formes mixtes dans la théorie syntaxique

La discussion présentée ci-dessus peut se résumer comme suit: en grammaire historique, on a pu soutenir que le terme de "supin" est pertinent pour la grammaire du roumain, et que, par conséquent, il y a une différence entre le participe et le supin. Or, syntaxiquement il est possible de montrer que le "supin" représente l'un des emplois du participe. La différence fondamentale entre les deux positions porte sur la composante de la grammaire qui serait à l'origine des emplois catégoriellement hétérogènes du "supin" et du participe: le supin doit-il être considéré comme une forme du système verbal roumain, générée par la composante morpho-lexicale, ou bien il correspond à une structure syntaxique complexe, qui prend pour point de départ le même item lexical, le participe, et alors on a affaire à un élément qui est le résultat de la composante syntaxique?

Les études roumaines parlent de "nature ambiguë" du "supin". Je vais essayer, dans ce qui suit, de rendre plus précise cette idée d'ambiguïté et de voir avec quelle analyse elle serait compatible. Je vais notamment regarder de plus près la notion de catégorie mixte. Telle que cette notion est élaborée dans les études récentes, le statut de "catégorie mixte" concerne la nature lexicale mixte, [+N, +V] d'un item lexical, qui se reflète dans un fonctionnement double dans le même contexte syntaxique. Ainsi, des propriétés syntaxiques de type verbal et des propriétés syntaxiques de type nominal sont présentes en même temps; c'est ce qui justifie l'analyse de type "catégorie mixte".

Dans ce qui suit, je vais regarder les arguments en faveur de l'analyse par “catégorie mixte” pour le gérondif anglais, le masdar arabe et le nom verbal celtique. Je vais ensuite montrer que cette analyse n'est pas adéquate pour le "supin", pour des raisons de deux types: d'ordre théorique et d'ordre empirique.

Les catégories lexicales ont été analysées dans la théorie grammaticale selon la combinaison de traits [+ N] et [+V]: le Nom serait [+N, -V], le Verbe serait [-N, +V]. Les noms verbaux sont [+N, +V] au niveau syntaxique, ce qui signifie qu'il y a co-existence de propriétés du point de vue de la légitimation syntaxique des compléments. L'étiquette de catégorie verbo-nominale s'appliquerait à des formes comme le gérondif anglais (Abney (1987), Valois (1991)), le nom verbal gallois (Rouveret (1995)) ou le masdar arabe (Fassi Fehri (1991))10.

10 Il y a également des noms verbaux en serbe et en polonais, cf. Schoorlemmer (1995). Ici, je ne m'arrête que sur le gérondif anglais, ne masdar arabe et le nom verbal celtique.

(33)

Dans une étude sur le gérondif anglais dans le cadre de la HPSG, Malouf (1998) part de la nécessité de donner une analyse unifiée des deux types de gérondif, Acc-ing et Poss-ing (v. ci-dessous, (25)). Il passe en revue les analyses précédentes en grammaire générative et montre les inconvénients de celles-ci. Je vais reprendre brièvement cette discussion - seulement en ce qui concerne le cadre génératif - et renvoyer pour les détails à Malouf (1998).

Jackendoff (1977) met en évidence les difficultés que soulève le comportement du gérondif par rapport à la Théorie X-Barre. Il propose une règle de Affix Lowering ("descente de l'affixe") qui s'applique exceptionnellement à tous les gérondifs. Son analyse laisse le gérondif dépourvu de centre. Baker (1985) propose une tête affixale (-ing), et garde la proposition de l'affixe descendant. Ceci suppose comme le remarque Malouf (1998) un changement de catégorie de l'affixe de Flex à N (de flexionnel à dérivationnel) qui serait difficile à gérer du point de vue théorique.

Abney (1987) propose une analyse qui est connue depuis comme "l'analyse DP", et dans laquelle le GV gérondif devient complément d'une catégorie D°. Il propose également un affixe nominalisateur nul (v. également Valois (1991)) qui peut s'appliquer à une phrase entière ("phrasal nominalization"). Cependant, son analyse se heurte à quelques problèmes : elle prévoit que le gérondif Poss-ing, étant dépourvu de niveau Infl, ne peut pas se combiner avec les auxiliaires (de passé ou la copule passive), ce qui est faux; on reste avec le même problème d'une forme nominale qui accepte une flexion verbale. Par ailleurs, il n'est pas clair pourquoi les gérondifs Poss-ing n'acceptent pas les modifieurs nominaux mais acceptent des modifieurs adverbiaux comme fréquent11. En outre, l'hypothèse d'un clitique nominalisateur nul appliqué à une phrase prévoit qu'il y ait des langues où ce clitique soit ouvertement réalisé, ce qui semble ne pas se vérifier.

La propriété commune à toutes ces formes est le comportement bi-face, "de griffon", selon l'expression de Abney (1987): la distribution extérieure est celle d'un GDét:

(22) a We were concerned about Pat's watching television

b *We were concerned about that Pat waw watching television

mais la structure interne est comparable à celle d'une proposition, en particulier par le fait que le cas Accusatif est attribué au complément:

(23) a I disapproved of [Pat's watching television]

11 Cette objection va cependant trop loin. Comme nous allons le voir dans Chapitre 3 ci-dessous, d'autres noms d'événement (dont la structure nominale est pourtant hors de doute) acceptent des modifieurs comme fréquent. Cela mènerait à analyser tous ces noms comme des noms verbaux; ce résultat n'est pas celui que l'on désire, étant donné que ces noms n'ont pas d'autres propriétés verbales - n'assignent pas l'accusatif, etc (il s'agit de noms comme examination).

Références

Documents relatifs

Le roumain continue donc être une langue romane, en dépit du grand nombre des mots empruntés surtout au slave, mots qui occupent d’ailleurs une place

Nous approchons de la perspective de l’Analyse Critique du Discours (ACD) les programmes politiques des plus importants partis politiques de gauche et de droite dans

« Les lâutari sont venus, ils ont joué à une noce, chez nous, et quand j'ai vu combien les gens les trou- vaient sympathiques, j'ai demandé à mon père de me conduire chez lui [le

Il est particulièrement intéressant que dans le cas du langage religieux roumain, la terminologisation n’est pas, en général, un phénomène roumain, mais un phénomène qui

Pour la première fois dans l'histoire on assistait donc à une révolution en direct, croyant tout savoir et tout comprendre; pour la première fois on avait

[r]

Buiumaș (LʼEnfance dʼun vaurien), Baruch Landau (Ghetto XX e Siècle), Ficu (LʼAvenue Văcărești) sont des protagonistes et, en même temps, des alter ego des écrivains,

Quand il est employé comme adjectif épithète ou attribut, le participe passé s'accorde en genre et en nombre avec le sujet auquel il se rapporte.. Ci-joint, ci-inclus ne