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Bref retour à la diachronie

2. Plan du travail

2.6 Bref retour à la diachronie

Si l'hypothèse de l'identité supin-participe est correcte, on peut se demander si elle peut s'appliquer au latin. Le "supin" latin était présenté par les grammaires classiques comme un nom verbal (avec flexion nominale, casuelle); le participe latin était un adjectif verbal. L'idée d'avoir des formes différentes est basée sur le fait qu'il y avait des flexions (nominales) différentes: celle de l'adjectif grâce à l'accord avec le N centre, celle de nom due aux positions marquées pour le cas. Comme en roumain il n'y a plus ces flexions (-tus vs. -tum/-tu), cette distinction ne se fait plus au niveau morphologique, mais il y a toujours la possibilité d'utiliser les participes comme adjectifs ou comme verbes. Il est tout à fait concevable de proposer au niveau lexical le même traitement pour le latin: thème de parfait réalisé par exemple comme

lectus dans le contexte adjectival et comme lectum dans le contexte nominal.

Comme nous l'avons vu, il n'est pas clair que le "supin" roumain dérive du "supin" latin (qui n'était qu'un nom verbal construit sur le thème de parfait), une possibilité alternative serait que le "supin" est une création du roumain, à partir du participe. La question du développement diachronique se poserait alors sour une autre forme: comment le "supin" est-il apparu du participe?

Je supposerai que le "supin" n'est pas apparu du participe, il est apparu par le fait que le roumain a hérité des participes nominalisés du latin et a ensuite développé ce procédé pour le processus de nominalisation. Les contextes où le participe est utilisé comme proposition (réduite) représentent une spécificité du roumain; il doit être situé dans le cadre plus général de la complémentation non finie, ce que je me propose de faire dans les chapitres 5 à 7.

Outre le fait qu'elle semble plus adéquate pour le roumain, la théorie que je propose pour le participe roumain semble permettre de mieux comprendre le fonctionnement des formes participiales du latin. Ainsi, comme je l'ai déjà suggéré, on peut traiter le participe latin comme comportant un radical ou "base"; on aurait un invariant Participe, sous-déterminé, qui se combine avec la catégorie fonctionnelle a et la catégorie d'Accord et donne le participe adjectif verbal, ou bien avec la catégorie fonctionnelle n et les désinences tus,

-tum et donne un nom d'action (peut-être une catégorie mixte); en combinaison avec v, dans le

contexte des auxiliaires habeo ou esse, le participe verbal donne lieu au parfait ou au passif analytique dans les langues romanes.

2. 7 Conclusion

Ce chapitre s'est proposé d'implémenter au niveau morpho-lexical l'hypothèse du participe comme base verbale sous-déterminée catégoriellement, hypothèse formulée au Chapitre 1, sous (18)-(20).

Faire l’hypothèse que le participe est identique dans toutes les constructions dans lesquelles il apparaît a une conséquence sur la conception de la structure argumentale des verbes. En effet, la question se pose de savoir comment sont projetés les arguments verbaux dans le cas du participe, de sorte qu’il puisse entrer tout aussi dans des structures actives que dans des structures passives. Nous avons vu que le participe a une structure argumentale réduite, dans le sens qu’un seul argument – l’argument interne – est projeté.

Ce qu'on appelle habituellement participe actif correspond au participe qui apparaît dans les formes de parfait (passé composé, perfect compus), précédé de l'auxiliaire avoir (en roumain) ou, dans les langues qui présentent l'alternance avoir/être, par l'auxiliaire être pour une classe sémantique des verbes (de mouvement, inaccusatifs, etc). L’interprétation active est le résultat du fait que l’agent est actif sémantiquement et du fait qu’il y a une position syntaxique sujet remplie par un GN qui reçoit le th-rôle Agent. Or, dans ces structures ce n’est pas le participe, mais l’auxiliaire qui rend possible la réalisation syntaxique de l'argument externe. Dans l'interprétation du participe, l'agent est présent implicitement, mais sans qu'une position syntaxique lui soit attribuée. Ceci est compatible avec l'idée que dans le passif l'agent est présent sémantiquement (rendant possible l'apparition de l'adjoint ou le contrôle).

Le participe n’est donc pas seulement réduit du point de vue de ses valences thématiques, mais il est également "tronqué" du point de vue des positions syntaxiques projetées. Le sujet apparaît si la configuration syntaxique peut l'abriter, c’est-à-dire par l’ajout de structure : l'auxiliaire dans les structures de parfait, la copule dans les structures de passif, ou le Dét dans les nominalisations (auquel cas le sujet sera un Génitif).

J'ai montré que la propriété de base du participe est d'impliquer une opération d'externalisation à l'un des niveaux de la représentation: lexical pour les inaccusatifs, syntaxique pour les inergatifs et les transitifs. Ce système permet également de rendre compte de la différence entre participe adjectival et participe verbal, et il est compatible avec l'analyse proposée par Dobrovie-Sorin (1994) pour la passivation des inergatifs.

3 Structure argumentale des Noms d’événement en roumain et dans les langues romanes

3.1. Introduction

Dans le présent chapitre, je vais examiner le "supin" nominal, qui pose des problèmes intéressants, tant du point de vue empirique que théorique, par rapport à d'autres nominalisations des langues romanes.

Le problème de la relation entre les noms déverbaux – ou nominalisations – et les verbes correspondants a depuis longtemps préoccupé la théorie linguistique, et surtout la tradition générative, depuis Lees (1960), en passant par Remarks on Nominalizations de Chomsky (1970) et les études des années quatre-vingt (Anderson (1988), Kayne (1984), Milner (1982), e.a.) et jusqu'à des études dans le cadre de la Morphologie Distribuée (Marantz (1990)) ou dans le Programme Minimaliste (Alexiadou (1999), Coene (1999)).

La nominalisation pose des problèmes liés à la structure argumentale, à la question de savoir comment et dans quelle composante de la grammaire sont dérivés les noms d’action et quelle est précisément leur relation au verbe de départ. Chomsky (1970) a représenté un pas très important dans le questionnement portant sur la structure du GN et le statut des dérivés nominaux. C'est à partir de cet article que se pose la question de savoir si les nominalisations sont le fait de la syntaxe (dérivation par l'appareil des transformations) ou bien le résultat d'opérations lexicales. Chomsky (1970) pose que les noms dérivés (John's refusal of the offer) ne sont pas dérivés par des transformations (dans la syntaxe), mais dans le lexique, à la différence du gérondif nominal (John's refusing the offer), et probablement des formes "mixtes" (John's refusing of the offer). L'analyse de Chomsky vise à confiner les idiosyncrasies dans le lexique, en donnant une analyse transformationnelle, i.e. syntaxique, aux nominalisations qui entretiennent des rapports transparents, prévisibles avec leur base. Voici sa conclusion: "On the basis of the evidence surveyed here, it seems that the transformationalist hypothesis is correct for the gerundive nominals and the lexicalist hypothesis for the derived nominals and perhaps, though much less clearly so, for the mixed forms." Deux voies se dessinent ainsi dans l'étude des nominalisations: transformationaliste et

lexicaliste.

Dans la première partie de ce chapitre je vais présenter différents point de vue sur les nominalisations à travers la littérature. Ensuite, je présenterai l'analyse des dérivés nominaux déverbaux de Grimshaw (1990), dont le point central est l’opposition résultatif / événementiel. Une attention particulière sera accordée aux noms qui présentent l’ambiguïté entre les deux lectures. Je me pencherai tout spécialement sur le cas du roumain, qui présente un système riche de dérivés déverbaux, et les dérivés du "supin" et de l’infinitif qui posent un problème particulier à la théorie des nominalisations. Je vais notamment commenter la solution apportée par Cornilescu (1999) à un contraste entre la nominalisation de l’infinitif et la nominalisation du supin, et je proposerai une explication alternalive pour ce contraste.