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De/di comme complémenteurs

2. Plan du travail

4.3 Le subordonnant de

4.3.2. De/di comme complémenteurs

Dans ce paragraphe, je vais présenter des arguments fournis par les autres langues romanes en faveur de l'analyse de de/di comme complémenteurs. Je vais présenter deux analyses proposées antérieurement et nous allons nous interroger sur la façon dont ces analyses peuvent être étendues au roumain.

En français et en italien (représentant ici les "autres langues romanes"), de + Inf est analysable soit comme GPrép, soit comme CP. Si nous examinons la situation du français d'abord, de est un complémenteur dans les contextes où il précède l'infinitif, mais peut être aussi une préposition sous-catégorisée par le verbe principal. Huot (1981), en comparant le comportement de to et de de, donne des arguments en faveur du statut de C pour cet élément

de. Le syntagme de + Inf a la même distribution qu'une complétive et se comporte de façon

identique par rapport au détachement, à l'extraposition, au déplacement et la possibilité d'apparaître dans des tours impersonnels. Huot (1981) donne aussi des arguments contre le

statut de Flex: impossibilité de combinaison de l'élément de et de la négation lexicale non, positionnement avant les clitiques.

La préposition et le complémenteur, par ailleurs, ne peuvent pas coexister:

(77) a *je me souviens de qu'il est venu

b * je tiens à qu'il vienne

c je me souviens de ce qu'il est venu

d je tiens à ce qu'il vienne

Ceci est valable aussi bien pour les propositions où le verbe est à un temps fini que pour les infinitives15:

(78) a *il s'est souvenu de d'arriver à l'heure b *il tient à d'être à l'heure

c il s'est souvenu d'arriver à l'heure d il tient à être à l'heure

e *Jean ne se souvient pas de que cette route était fermée pour travaux

L'infinitif du français s'analyse donc comme une forme qui peut apparaître, grâce à son manque de spécification temporelle, ou bien en tant que complément d'une Prép, ou bien avec un complémenteur d'un type spécial, de.

Pour l'italien, on distingue également deux situations (cf. Renzi (1995)):

- la préposition (di) est demandée aussi avec un complément nominal (sous-catégorisée) - la préposition est demandée seulement par l'infinitif, et non pas par un GN (i.e., en position d'argument – objet direct):

(79) a credo di voler partire

crois de vouloir partir 'je crois vouloir partir'

b credo questo

crois ceci

'je crois ceci'

Dans ce cas la préposition n'est pas la tête d'un GPrép, mais un simple élément introducteur (complémenteur) de l'infinitive, comparable à che dans les propositions à verbe fini. Le complémenteur des infinitives est en général di.

En début de ce chapitre, nous avons rencontré le même problème pour le "supin", qui fonctionne tantôt comme GPrép, tantôt comme CP. De non-prépositionnel paraît plus proche

de de/di – donc du statut de C, opposé à Flex – par ses propriétés syntaxiques, entre autres par le fait qu'il ne peut pas apparaître à l'intérieur d'un autre groupe prépositionnel:

(80) a *are de de citit

a de de lu 'il a à de lire'

b *a terminat de de mîncat

a fini de de mangé 'il a fini à de manger'

c *ţine mult la de ajuns la timp tient beaucoup à de arrivé à temps 'il tient beaucoup à d'arriver à temps'

De ne peut pas se combiner avec des éléments situés sous SpécC ou C°:

(81) a *nu are unde de citit

n'a pas où de lu 'il n'a pas où de lire'

b *vrea ca de mîncat

veut que de mangé

'il veut que de manger'

L'hypothèse la plus plausible pour le statut de de semble celle qui attribue à de un statut de C°. L'élément de est par ailleurs très polyvalent en roumain. Rubin (1994) a essayé de proposer une analyse unifiée de cet élément; il propose d'élargir cette analyse à d'autres occurrences de de, à savoir les suivantes:

• De peut introduire un GN à l'intérieur d'un autre GN (complément du nom):

(82) a casă/casa de om bogat

maison / maison-Dét d'homme riche maison / la maison d'homme riche

b *casa de omul bogat

maison d'homme-Dét riche

'la maison de l'homme riche'16

c jocuri/jocurile de copii

jeux/jeux-Dét d'enfants

'jeux / les jeux d'enfants'

d *jocuri de copiii

jeux d'enfants-Dét

'jeux de les enfants'

Dans ce genre de contextes, de est incompatible avec un nom articulé. La relation exprimée par les compléments en de est une sorte de classification – et non pas l'appartenance ou la possession. On peut affirmer que ce sont des GPrép non-argumentaux, des ajouts, à la différence des cas où le complément du nom est un génitif17:

(83) a casa omului bogat

maison-Dét homme-Gén riche

'la maison de l'homme riche'

b jocurile copiilor

jeux-Dét enfants-Gén

'les jeux des enfants'

• A l'intérieur d'un GN, de peut également introduire un participe (en construction de supin): (84) a carte de citit livre de lu 'livre à lire' b maşină de spălat machine de lavé 'machine à laver'

L'infinitif, au contraire, ne peut pas apparaître dans cette structure; on ne peut avoir que l'infinitif long nominalisé:

(85) a *cartea de a citi

livre-Dét de PRT-Inf lire 'le livre de lire'

b cartea de citire

livre-Dét de lecture

'le livre de lectures'

17 L'alternance complément en Génitif/ de + Nom est corrélée apparemment avec la différence défini/indéfini pour le complément. Ceci rejoint une généralisation de Milner (1982), Abney (1987) qui concerne la définitude du complément possessif et de la tête du groupe. Rappelons également que, comme nous l'avons vu ci-dessus, dans le cas des noms déverbaux, la préposition de introduit d'habitude l'argument Thème dans le cas où le nom déverbal est indéfini.

Il est à remarquer que les exemples (83)a et (84)b se distinguent du point de vue sémantique. Le "supin" est paraphrasable par une relative, cartea care trebuie citită 'le livre qui doit être lu', alors que le modifieur avec de et nom dérivé de l'infinitif est tout simplement un complément du nom, qui peut commuter avec un autre nom: cartea de geografie 'le livre de géographie'. Ce sont là des emplois prépositionnels de de, qui introduit un modifieur nominal à l'intérieur d'un GN.

• Par ailleurs, de introduit certaines infinitives complément de N dans les langues romanes:

(86) a la tentation d'exister

b ispita de a exista

tentation-Dét de PRT-Inf exister

'la tentation d'exister'

Cependant, en roumain populaire, de peut avoir un rôle de Complémenteur dans des relatives à T fini:

(87) a cheia pe care mi-ai dat-o aseară

clé-Dét Acc que me-as donné-la hier soir

'la clé que tu m'as donnée hier soir' b cheia de mi-ai dat-o aseară

clé-Dét de m'as donné-la hier soir 'la clé que tu m'as donnée hier soir'

En conclusion, de à l'intérieur d'un GN en roumain a deux fonctionnements: celui que l'on pourrait appeler "relatif" et celui de préposition. Il y a également l'emploi qui commute avec un Comp să et une proposition complétive au subjonctif; cependant cet emploi est restreint aux noms "opérateurs", qui peuvent régir des complétives. On voit donc que de à l'intérieur d'un GN peut également avoir un statut de Comp. Cette situation est similaire à celle de de/di du français et de l'italien.

• Nous avons également mentionné que de apparaît aussi bien dans la complémentation des adjectifs et des adverbes qui sous-catégorisent pour un GV – structures de type

tough:

(88) a e dificil de spus

est difficile de dit

b nu e voie de fumat n'est pas permis de fumé 'il n'est pas permis de fumer'

On remarque le parallélisme entre ces structures et les structures avec proposition à temps fini, où l'élément introducteur est să:

(89) a e dificil să se spună

est difficile PRT-Subj se dise 'il est difficile que l'on dise'

b nu e voie să se fumeze

n'est pas permis PRT Subj se fume 'il n'est pas permis que l'on fume'

On doit noter aussi que le roumain n'admet pas la topicalisation d'un constituant GV ou du GFlex, et le Comp est obligatoire:

(90) a să te înşele poate

PRT-Subj te tromper peut

'te tromper, il peut le faire'

b de minţit poate18

de menti peut

'mentir, il peut le faire' c *minţit nu poate

menti ne peut

'mentir, il ne peut pas'

En français et en italien, l'élément de semble pouvoir apparaître devant l'infinitif utilisé en position sujet. En fait, il est plutôt contraint; l'infinitif précédé de de/di n'occupe pas exactement la position sujet des verbes principaux respectifs.

En français, l'infinitif précédé de de est plutôt en position topique qu'en position sujet: (91) a dire une chose pareille n'est pas du tout gentil

b * de dire une chose pareille n'est pas du tout gentil c de dire une chose pareille, ce n'est pas du tout gentil d *dire une chose pareille, ce n'est pas du tout gentil

En italien, en principe, di n'apparaît pas avec une proposition sujet (pré- ou postverbale):

18 Dans cet exemple, on peut ajouter un infinitif (minţi) qui reprend l'action topicalisée sous la forme du participe précédé de de.

(92) a partire spesso è difficile / è importante / piace a tutti / mi disturba. b bisogna / occorre / basta / mi piace / è necessario partire spesso

Avec certains verbes, importare, dispiacere, l'infinitive peut être introduite par di (93) gli dispiace (di) aver perso; non gli importa (di) perdere

Avec di toutefois, l'infinitive n'est pas en position sujet, mais un complément propositionnel du verbe construit de façon impersonnelle, sans sujet réalisé. Di doit être analysé comme complémenteur: la proposition introduite par di ne peut pas être substituée par un GN et ne peut être pronominalisée par ne.

Dans les infinitives disloquées, l'élément de/di doit donc être analysé comme un Comp. Nous avons là une autre similarité de comportement entre le de du roumain et le de/di du français et de l'italien. Le "supin" disloqué, adjoint au CP principal, manifeste les mêmes propriétés.

Les données passées en revue ci-dessus mènent vers la conclusion que le statut de Comp pour les occurences de de (obligatoire) en roumain est tout aussi plausible que pour les correspondants des infinitifs romans.

L'idée de traiter de/di comme un complémenteur spécial, nominal, n'est pas nouvelle dans la littérature (Emonds (1976, 1985), Cinque (1990), Kayne (1998)). Nous allons discuter ici quelques points théoriques attachés à ce traitement dans plusieurs analyses, qui recouvrent en fait la même intuition, "pressentie" d'ailleurs par les grammaires traditionnelles et par les études plus anciennes en grammaire générative: l'interdépendance entre C et le T enchâssé.

Kayne (1998) attribue à de/di dans les langues romanes le statut de complémenteurs prépositionnels. Il fait reposer ce traitement sur le caractère nominal des infinitifs romans: de n'est pas compatible avec une forme finie. Il y a une tête fonctionnelle infinitive avec un trait nominal. Cette idée est reprise de Raposo (1987): l'apparition de de/di avec l'infinitif est liée au cas syntaxique – donc l'infinitif est nominal, ayant besoin de cas:

(94) a Jean désire (*de) chanter

b Jean est désireux *(de) chanter

La proposition de Kayne (1998) peut être résumée comme suit: l'infinitif associé avec

de/di est pourvu d'un trait nominal, en vertu duquel il est attiré par le complémenteur

prépositionnel.19

Comme je l'ai remarqué dans une note de la section 4.2. ci-dessus, de en roumain a également la fonction de précéder des noms d'action pour leur permettre le comportement argumental. Voici des exemples:

(95) a nici acasă n-am de coasă

ni chez-moi n'ai de faux

'chez moi non plus, je n'ai pas à faucher'

b n-are de lucru, e şomer

n'a de travail, est chômeur

'il n'a pas de travail, il est au chômage'

Il faut remarquer que ce phénomène est exclu pour d'autres noms et ne se compare pas au partitif français. Cela permettrait d'appliquer la proposition de Kayne à de roumain et de l'analyser comme un complémenteur nominal. Cela reviendrait probablement à dire que les nominalisations comme le participe nominal roumain ont besoin de de pour fonctionner comme des "nominalisations phrastiques" dans les contextes où le participe ne se combine pas avec l'article défini.

Dans la sous-section suivante, je vais présenter une analyse des "particules" qui précèdent certaines formes verbales en roumain, à partir d'une proposition de Dobrovie-Sorin (1994). L'intuition de Dobrovie-Sorin (1994) d'une projection mixte C/I anticipe d'une certaine façon l'affinité entre les traits de T et les éléments qui permettent de les vérifier. Ces intuitions sur la relation entre le T enchâssé et C pour le roumain permettent d'éclaircir le comportement de de.

Je vais clore ce paragraphe par quelques considérations sur la relation entre les deux usages de de: Prép et C.

Emonds (1976, 1985) prend comme point de départ la parenté entre Prép et C et leur fonctionnement parallèle et propose de les assimiler. Néanmoins, les données traitées dans ce chapitre ne se prêtent pas à une telle analyse; pour rendre compte des propriétés syntaxiques différentes des structures, il est nécessaire de conserver la distinction entre C et Prép.

19 Il serait possible d'exprimer cette proposition également comme une propriété des complémenteurs attirés par le noeud T dans les phrases finies, non-attirés dans les phrases non finies (la règle T-to-C de Pesetsky & Torrego (2000)).

Pour formaliser la relation entre Prép et C, Rafel (2000) propose une recatégorisation de Prép à C et de C à Prép pour les contextes pertinents dans les langues romanes, sur la base de données du catalan (construction infinitive prépositionnelle avec a). Il propose également une analyse de type Small Clause avec une tête Prép, qui prend pour complément un infinitif. Les éléments introduisant ces structures ont une valeur aspectuelle, ils localisent un point temporel dans l'événement dénoté par le verbe subordonné. Rafel propose que l''aspect progressif qui caractérise les infinitives prépositionnelles du portugais est fourni par l'élément

a, recatégorisé de C à Prép.

Pour le présent ptravail, je n'adopterai pas de position sur le sujet du rapport entre Prép et C°. Le problème n'est pas tellement de préciser comment les éléments de/di passent de Prép à C°, mais plutôt de distinguer entre un statut fonctionnel syntaxique - C° - et un statut fonctionnel morphologique - Flex - pour l'élément de du roumain. A cet effet, dans la section suivante, je vais le comparer à d'autres particules verbales du roumain et rejoindre des suggestions d'analyse venant de Dobrovie-Sorin (1994) pour ces particules.