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Nominalisations dans la théorie grammaticale

2. Plan du travail

3.2. Nominalisations dans la théorie grammaticale

Dans les premiers modèles génératifs, les constructions nominalisées étaient analysées comme résultant d’une transformation. (voir, par exemple l'analyse structures nominalisées du roumain de Pană Dindelegan (1976)). La première étape du processus de nominalisation comporte l’attachement d’un morphème de nominalisation qui change la classe lexicale de la base1. Les nominalisations gardent certaines caractéristiques des verbes sous-jacents, en particulier des propriétés de sélection. La structure interne du groupe est modifiée; le traitement des compléments est changé; parfois les compléments verbaux et nominaux sont présents en même temps. Les compléments de type verbal retenus par les nominalisations sont:

- le GPrép argumental

(1) a insistenţa pe amănunte insistence-Dét sur détails 'l'insistence sur les détails' b opţiunea pentru ceva

option-Dét pour quelque chose 'l'option pour quelque chose' - le GPrép circonstanciel

(2) transportul de la Cluj la Bucuresti transport-le de à Cluj à Bucarest

'le transport de Cluj à Bucarest' - l’adverbe ou le GAdv

(3) a şederea aici rester-Dét ici 'le séjour ici'

b mersul acasă

marché-Dét chez-soi

'la marche vers la maison / le fait d'aller à la maison' - le Datif:

(4) a conferirea de titluri muncitorilor

attribuer-Dét de titres ouvriers-Gén 'l'attribution de prix aux ouvriers'

b predarea limbii române străinilor

enseigner-Dét langue-Gén roumaine étrangers-Dat 'l'enseignement du roumain aux étrangers'

- l’attribut:

(5) numirea lui ca profesor

nommer-Dét lui-Gén comme professeur 'sa nomination en tant que professeur' - les compléments phrastiques:

(6) a dorinţa să plece désir-Dét que parte 'le désir qu'il parte'

b întrebarea dacă să plece

question-Dét si que parte 'la question s'il doit partir'

Le nom opère des modifications par rapport à la base verbale. Le changement le plus frappant concerne les propositions d'assignation du cas. Plus précisément, le sujet, à qui le verbe assigne le cas nominatif, reçoit le génitif à l'intérieur de la projection nominale; la même chose pour l’objet qui reçoit le génitif à la place de l’accusatif.

D’autres modifications enregistrées dans l'opération de nominalisation sont la suppression du réfléchi; par exemple dans temerea lui ‘sa crainte, le fait qu’il a peur’, jeluirea

lui ‘sa lamentation, le fait qu’il se lamente’2. Les déterminants à caractère obligatoire

deviennent facultatifs3. Ces “modifications” sont propres à la position syntaxique –

spécifiquement nominale – dans laquelle est insérée la racine nominalisée. Dans la conception actuelle de la grammaire, la nominalisation n’est plus considérée comme une opération syntaxique; autrement dit, la perspective dérivationnelle sur les nominalisations a cédé la place à une approche lexicaliste. L’approche transformationaliste – syntaxique – et l’approche lexicaliste se sont succédé dans la théorie grammaticale. Dans ce qui suit, je rappellerai brièvement quelques points de repère dans la littérature sur les nominalisations.

Abney (1987) a proposé l’analyse des GNs comme des projections maximales des Déterminants, partant de certaines similarités entre la structure de la phrase et la structure du GN. Grimshaw (1990) a établi une distinction cruciale entre les dérivés nominaux à partir de verbes – celle entre les noms résultatifs et les noms événementiels – qui permet de mieux comprendre les propriétés partagées par les verbes et certains noms et des ambiguïtés remarquées dans le comportement des noms.

Valois (1991) propose que les noms projettent syntaxiquement un affixe nominalisateur, qui se réalisera par zéro dans le cas des noms non dérivés et dans le cas des noms résultatifs et par des affixes comme -ing dans le cas des nominalisations. Il considère que les propriétés des noms résultatifs et des noms événementiels s'expliquent par le fait que les derniers sont formés par l'affixation syntaxique, tandis que les premiers sont formés par affixation lexicale..

Coene (1999) et Alexiadou (1999) proposent d'expliquer les propriétés des noms d'événement par le fait que ceux-ci projettent l'Aspect comme catégorie fonctionnelle, de la même façon que les verbes correspondants. Cette analyse est communément admise dans le Programme Minimaliste.

Pour ce qui est des derniers développements en grammaire générative, on adopte actuellement, dans le Programme Minimaliste, une vue lexicaliste "faible", conformément à laquelle les entrées lexicales ont des traits flexionnels inhérents. Ces traits – qui sont ceux de Cas, Accord, Temps par exemple – doivent être vérifiés avec ceux des têtes fonctionnelles correspondantes. Les traits phi d’une racine devront être vérifiés contre l’Affixe nominalisateur vers lequel monte la racine.

Une autre perspective actuelle sur la dérivation des nominalisations est celle du cadre

2 Les verbes a se teme 'craindre', a se jelui ‘se lamenter’ sont des réflexifs intrinsèques en roumain.

3 Comme l’a montré Grimshaw (1990), ceci est inexact; il y a des nominalisations qui gardent le caractère obligatoire des compléments – i.e. la structure argumentale.

théorique de la Morphologie Distribuée de Hale & Marantz (1993). Dans ce cadre théorique, les nominalisations ne sont pas dérivées dans le lexique, mais syntaxiquement, avec les propriétés suivantes (cf. Marantz (1999)):

(6) - A l’intérieur d’une nominalisation on n'a pas normalement de “petit v”4

- Si une nominalisation contient “petit v”, c’est un gérondif (il s’agit des noms verbaux, comme le gérondif anglais)

- Si une nominalisation contient un “petit v”, cette nominalisation provient d’un verbe; autrement, la nominalisation provient d’une racine.

Cette hypothèse vise à expliquer des différences comme celle qui existe entre les racines GROW ‘grandir’ et DESTROY ‘détruire’; la nominalisation correspondant à DESTROY peut inclure l'agent, mais non pas celle qui correspond à GROW transitif: on peut avoir the destruction of the city by the ennemy ‘la destruction de la ville par l’ennemi’, mais non pas *the growth of tomatoes by John ‘la croissance de tomates par J’. Marantz explique l'impossibilité de l'insertion du complément qui exprime l'agent (by John) par le fait que la catégorie 'petit v' n'est pas projetée dans la nominalisation provenant d'une racine, à la différence d'autres types de nominalisations provenant de verbes.

Dans ce cadre théorique, tout comme dans le cadre du Programme Minimaliste, on peut donner une description plus adéquate de l’opération de “conversion” ou de “distorsion” catégorielle (selon la terminologie de Milner (1989)). Marantz propose que les racines sont sous-déterminées du point de vue catégoriel dans le lexique (ou dans la numération) et sont identifiées par des noeuds fonctionnels (syntaxiques) sous lesquels elles sont insérées. Dans l'analyse proposée ici, le Participe est ce dans ce sens une forme de base sous-déterminée 5.

Une théorie qui se propose de rendre compte de la transmission de la grille thématique des verbes aux noms correspondants doit partir de l’étude des structures argumentales des verbes de base. Un rôle important est joué par les théories qui attribuent une place substantielle aux affixes (surtout Roeper (1987)). Chez Roeper, les affixes se partagent en deux classes, selon qu’ils permettent ou non la “percolation” ou transmission des grilles thématiques des verbes de départ. Les affixes comme -ing ou -able pour l’anglais sont des affixes qui permettent cette transmission.

Les affixes portent des spécifications thématiques et peuvent déterminer un

4 “Petit v” est une catégorie fonctionnelle qui couvre des propriétés verbales comme la transitivité et l’attribution du cas Accusatif. (cf Chomsky (1995)).

changement sur la structure argumentale, comme chez Di Sciullo et Williams (1987): ils peuvent externaliser ou internaliser des arguments. Il s'agit de la façon dont les grilles thématiques sont héritées.

Depuis Perlmutter (1978), Perlmutter et Postal (1984), Burzio (1986) la classification des verbes intransitifs en verbes ergatifs ou inaccusatifs et verbes inergatifs a fait l'objet de nombreux travaux en linguistique. Les inergatifs ont un argument unique interprété comme un Agent. Les inaccusatifs ou ergatifs (comme exister, arriver, tomber) réalisent leur seul argument non pas comme un Agent, mais comme un Thème – ou argument interne. Di Sciullo et Williams (1987), Roeper (1987)) ont montré qu'il y a des restrictions sémantiques sur les dérivés avec le suffixe -er, -eur et leurs correspondants:

(7) a. he is a teacher / worker / player

il est un professeur / travailleur / joueur b. *he is an arriver / *leaver / *appearer

il est un arriveur / parteur / appareur

On peut expliquer ces différences si l'on admet que les règles d’affixation tiennent compte du statut des arguments en tant qu’arguments internes ou externes. Etant donné que certains suffixes changent la structure argumentale, on peut se demander à quel niveau de la grammaire ce changement s'opère.

Levin et Rappaport (1995) proposent que les affixes agissent au niveau de la structure lexicale conceptuelle des bases. Par exemple, certains affixes lient le th-rôle externe qui ne peut plus faire surface dans la structure argumentale du nom dérivé: l’argument restant sera l’argument interne – comme on le verra ci-dessous dans le cas des nominalisations événementielles transitives.

De la façon dont les affixes agissent sur la base dépend l'interprétation événementielle ou résultative dans le cas des nominalisations déverbales. Ainsi, les dérivés en -ing ne sont pas ambigus et n'admettent que la lecture événementielle. Un exemple similaire est fourni par les dérivés nominaux formés sur le "supin" du roumain (selon la conjugaison, les affixes correspondants sont -at, -it, -ut, -s), qui ont également une lecture non-ambiguë, comme on le verra ci-dessous dans la section 3; on verra également que les dérivés en -ing de l'anglais et les nominalisations du "supin" présentent des propriétés syntaxiques similaires.

D'autre part, il y a parfois des contraintes concernant le type de base sélectionnée par les suffixes de nominalisation. Certains suffixes admettent des bases transitives ou intransitives; certains n'admettent que des bases inergatives (ce sera le cas pour les nominalisations du "supin"), d’autres suffixes comme -ation peuvent se fixer sur des bases

inaccusatives. Giorgi & Longobardi (1987), dans la ligne de Kayne (1984), remarquent le parallélisme entre les verbes ergatifs et les nominalisations correspondantes, qui assignent leurs th-rôles sous N’, comme des th-rôles internes: les nominalisations sont inaccusatives dans la même mesure que leurs correspondants verbaux. Ceci est visible par le comportement des adjectifs dits “référentiels” (le test est de Kayne (1984)):

(8) a. l’entrata del governo nel parlamento

l’entrée du gouvernement dans le parlement

b. *l’entrata governativa nel parlamento

l’entrée gouvernementale dans le parlement

c. l’apparizione dei tedeschi

l’apparition des allemands

d. *l’apparizione tedesca

l’apparition allemande

Comme le montrent les gloses françaises, ce comportement n’est pas spécifique aux dérivés de l'italien.

Au centre de toute cette problématique se trouve la question de la relation entre la nominalisation et le verbe de départ. Ce problème est plus clairement posé par le travail de Grimshaw (1990) qui définit la nominalisation comme une opération sur la structure argumentale du verbe de départ. Dans ce qui suit, je présente son analyse et ses implications; après quoi je vais me pencher sur les contre-exemples.