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Penser le dispositif pédagogique des Orchestres-en-classe à Genève à partir de l'expérience des acteurs. Une étude de cas centrée sur les significations attribuées au dispositif par les enseignants et les musiciens

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Thesis

Reference

Penser le dispositif pédagogique des Orchestres-en-classe à Genève à partir de l'expérience des acteurs. Une étude de cas centrée sur les

significations attribuées au dispositif par les enseignants et les musiciens

GIESCH, Andrea Stéphanie

Abstract

Pour la compréhension de l'objet de ma thèse, les Orchestres-en-classe, j'ai privilégié une forme de connaissance par la découverte associée à une posture de recherche compréhensive. A l'aide des méthodes de l'enquête ethnographique, je me suis immergée au sein du récent projet de musique d'ensemble proposé au sein des classes de l'école primaire genevoise afin de comprendre de l'intérieur la signification pédagogique donnée à la pratique musicale collective par les acteurs qui la mettent en œuvre. Je me suis également interrogée sur l'insertion du dispositif dans le contexte circonscrit de l'éducation prioritaire. A l'issue de l'analyse des données produites au cours de la recherche, trois constats principaux sont relevés soulevant des questionnements sur les enjeux éducatifs du dispositif des Orchestres-en-classe touchant à la dimension collective des apprentissages, à l'association entre l'éducation musicale par les Orchestres-en-classe et le contexte de l'éducation prioritaire et enfin à la dimension esthétique en éducation.

GIESCH, Andrea Stéphanie. Penser le dispositif pédagogique des Orchestres-en-classe à Genève à partir de l'expérience des acteurs. Une étude de cas centrée sur les significations attribuées au dispositif par les enseignants et les musiciens. Thèse de doctorat : Univ. Genève, 2020, no. FPSE 750

DOI : 10.13097/archive-ouverte/unige:131199 URN : urn:nbn:ch:unige-1311990

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:131199

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Section des sciences de l’éducation

Sous la direction de Maryvonne Charmillot

Penser le dispositif pédagogique des Orchestres-en-classe à Genève à partir de l’expérience des acteurs. Une étude de cas centrée sur les significations attribuées au dispositif par les enseignants et les musiciens.

THESE

Présentée à la

Faculté de psychologie et des sciences de l’éducation de l’Université de Genève

pour obtenir le grade de Docteure en sciences de l’éducation

par

Andrea Stephanie GIESCH

de Genève

Thèse No 750

GENEVE

Janvier 2020

91-326-082

Membres du jury

Maryvonne Charmillot (directrice), Université de Genève, Suisse Nathalie Müller-Mirza, Université de Genève, Suisse

Nilima Changkakoti, Université de Genève, Suisse Mathilde Bourrier, Université de Genève, Suisse Olivier Maulini, Université de Genève, Suisse Marc Perrenoud, Université de Lausanne, Suisse

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Remerciements

En premier lieu, je tiens à remercier vivement ma directrice de thèse sans qui ce travail n’aurait pu aboutir à ce qu’il est aujourd’hui. Je lui suis extrêmement reconnaissante d’avoir accepté le défi de reprendre la direction très tardivement. Et surtout, je suis infiniment reconnaissante pour son suivi, sa manière d’accompagner l’écriture, si présente et jamais intrusive. Enfin, je suis très touchée par la grande générosité avec laquelle elle m’a soutenue dans le processus de la rédaction et dans mes idées.

Mes très chaleureux remerciements vont également à Mathilde Bourrier à qui je dois un immense soutien lorsque j’étais en difficulté avec la thèse. La spontanéité avec laquelle elle m’a donné de son temps pour me lire, m’aider et m’encourager à persévérer font preuve d’une grande richesse humaine.

Je remercie vivement Nilima Changkakoti qui a suivi mon travail depuis le début. Je lui dois de nombreuses heures d’écoute bienveillante et de soutien dans mes idées, mes choix et mes moments de doutes. Sa disponibilité à me recevoir et à résister à toutes les intempéries me touche profondément.

Je remercie chaleureusement les membres du jury, Nathalie Müller-Mirza, Olivier Maulini et Marc Perrenoud ainsi que Raquel Iglesias-Fernandez qui, sans me connaître, a accepté mon appel au secours et dont les remarques m’ont surprise de pertinence et m’ont fait avancer.

Toute ma gratitude va aux nombreuses personnes qui m’ont si généreusement accueillie au sein du projet des Orchestres-en-classe. Je remercie aussi les élèves de m’avoir acceptée dans leur orchestre. Je souhaite également rendre hommage à toutes les personnes qui œuvrent à la pratique instrumentale dans un esprit de partage et sans prétention. Je rends hommage en particulier aux deux personnes décédées au cours de mon enquête et qui ont consacré beaucoup d’énergie pour les orchestres de jeunes.

Madame Hauser Mottier, je lui dois tout. Merci aussi au Dr. Dunand et à son assistante pour leur grand soutien dans mon parcours de thèse.

Mes amis musiciens, bien sûr et plus particulièrement les membres de l’Orchestre Saint- Pierre-Fusterie et les musiciens du Creux-de-Genthod qui se réunissent grâce à mon ami Bernard Heurteux.

J’honore mes amis pour leur patience, à m’entendre parler de la thèse, de la fin de celle-ci qui a duré longtemps.

A la mémoire de mes parents.

Pour m’avoir donné les opportunités de découvrir les plaisirs de la lecture, des études et de la musique.

Et enfin, l’école doctorale a été une bénédiction dans ce parcours initiatique.

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TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION... 6

TRAJECTOIREÉPISTÉMIQUE ... 9

LE« NOUSDEMODESTIE » ... 10

STRUCTUREDELATHÈSE ... 11

CHAPITRE 1. OUVERTURES THÉORIQUES ... 13

LEDÉVELOPPEMENTDELADIMENSIONDUSENSIBLEENÉDUCATION ... 13

UN NOUVEAU MODÈLE ÉDUCATIF ? ... 15

UNE PÉDAGOGIE POUR LES ÉLÈVES EN « DIFFICULTÉSCOLAIRE » ... 16

L’ACTIVITÉARTISTIQUECOMMEMODÈLED’APPRENTISSAGE ... 18

LE RAPPORT AU MONDE SCOLAIRE ... 18

UNE ÉQUIPE PROFESSIONNELLE INTERDISCIPLINAIRE ... 19

LES EFFETS PERÇUS SUR LIDENTITÉ INDIVIDUELLE ET SOCIALE DES ÉLÈVES ... 19

LESPRATIQUESD’ORCHESTREJUVÉNILE :ÉTATDESLIEUX ... 22

LES ORCHESTRES DE JEUNES EN CONTEXTES SOCIO-ÉDUCATIFS ... 23

Les orchestres d’El Sistema ... 23

Les Orchestres de Démos ... 24

LES ORCHESTRES EN CONTEXTE SCOLAIRE ... 25

Les orchestres à l’école ... 25

L’Orchestre-en-classe ... 26

ÉDUCATIONPRIORITAIREETÉCHECSCOLAIRE ... 28

CHAPITRE 2. PROBLÉMATIQUE ... 31

PROBLÉMATIQUESSPÉCIFIQUES ... 32

CHAPITRE 3. FONDEMENTS ÉPISTÉMOLOGIQUES ET MÉTHODOLOGIQUES ... 33

DÉMARCHE... 34

LA DÉMARCHE DENQUÊTE ETHNOGRAPHIQUE ... 34

LES MÉTHODES DE LA THÉORIE ENRACINÉE,GROUNDED THEORY OU MÉTHODE ANCRÉE ... 36

L’ENTRETIEN COMPRÉHENSIF ET LES RÉCITS DE PRATIQUES... 37

PRODUCTIONDESDONNÉES ... 38

L’OBSERVATION DIRECTE ... 38

LES ENTRETIENS ... 39

LES QUESTIONS ADRESSÉES AUX ENFANTS... 42

ANALYSEDESDONNÉES ... 43

LE PROCESSUS DE CODAGE ... 44

POSTURE ... 46

SUR LA RELATION DENQUÊTE ... 48

L’ENTRÉE SUR LE TERRAIN ... 49

LA SORTIE DU TERRAIN ... 50

LES LIMITES DU CADRE DE RECHERCHE ET LES DIFFICULTÉS RENCONTRÉES ... 51

CHAPITRE 4. CONTEXTE DE L’ÉTUDE DE CAS : LES ORCHESTRES-EN-CLASSE À GENÈVE ... 52

LESOBJECTIFSDUDISPOSITIFORCHESTRE-EN-CLASSE... 53

LES OBJECTIFS DE DÉMOCRATISATION ... 55

LES OBJECTIFS DE SOCIALISATION ... 56

LESMOTIVATIONSDESACTEURS ... 60

LESRESPONSABLESINSTITUTIONNELSDUDISPOSITIFOEC ... 60

LES DIRECTEURS DÉTABLISSEMENT ... 63

LES PÉDAGOGUES DE TERRAIN (MUSICIENS ET ENSEIGNANTS) ... 65

RÔLESETCOLLABORATIONSDANSLESOEC ... 66

LES ENSEIGNANTS ... 67

LES MUSICIENS... 68

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RÔLES ET COLLABORATIONS ENTRE LES MUSICIENS ... 70

Vignette 1 : Lorsque le MDAS disparaît de l’équipe des OEC ... 71

DESMODÈLESPÉDAGOGIQUESVOISINS ... 71

LE MODÈLE D’EL SISTEMA DANS LE CONTEXTE GENEVOIS ... 71

LE PROJET CAMI ... 72

CHAPITRE 5. ÉCLAIRAGE À PARTIR DE L’EXPÉRIENCE DES ACTEURS SUR LE DISPOSITIF DES ORCHESTRES-EN- CLASSE ... 73

PRÉAMBULE ... 74

Vignette 2 : Les OEC cordes... 75

Vignette 3 : Les OEC vents... 77

PARTIE I. « UNE BELLE ŒUVRE COLLECTIVE » OU « TIRER TOUS À LA MÊME CORDE » ... 78

FORMERUNEUNITÉETAPPRENDREÀS’ENTRAIDER ... 80

Vignette 4 : Des élèves résistants passifs... 86

APPRENDREL’ENTRAIDE ... 86

Vignette 5 : Jouer et travailler entre pairs ... 89

PRATIQUERSONINSTRUMENTENDEHORSDESSÉANCESD’ORCHESTRE ... 91

INTÉGRERDESÉLÈVESNOUVEAUXARRIVANTS ... 92

Vignette 6 : Être nouvellement arrivé dans l’école... 95

EXCLUREDESÉLÈVES« PERTURBATEURS » ... 96

CHANGERLESSTATUTSETLESCONTEXTESD’APPRENTISSAGE... 98

RITUELSDEPRÉPARATIONAUCONCERTETMISEENSCÈNEDESOI ... 99

Vignette 7 : La répétition avec des musiciens professionnels ... 101

PARTIE II. PERCEVOIR LE DISPOSITIF DANS LE CONTEXTE DU RÉSEAU D’ENSEIGNEMENT PRIORITAIRE .... 104

DESÉLÈVES « ABSOLUMENTPASMOTIVÉS » ... 106

LESORCHESTRES-EN-CLASSE,UNOUTILSPÉCIFIQUEAUXÉLÈVESENDIFFICULTÉ ? ... 107

COMPENSERDESINÉGALITÉSPARL’« ACCÈSÀLACULTURE » ... 108

Vignette 8 : La rencontre de l’école et de l’homme de la Cité ... 111

UNE« DEUXIÈMECHANCED’ENTRERDANSLESAPPRENTISSAGES » ... 111

STATUTSCOLAIREETSTATUTD’« ARTISTE » ... 116

PARTIE III. APPRENDRE AUTREMENT ... 119

DOMAINEDUSENSIBLEETRECONFIGURATIONSDEL’ESPACED’APPRENTISSAGE ... 120

Vignette 9 : Apprendre des techniques instrumentales pour exprimer des émotions ... 120

Vignette 10 : Dimension spatio-temporelle ... 122

L’ÉVALUATIONDUTRAVAILD’ORCHESTRE-EN-CLASSE ... 124

Vignette 11 : Règles de vie de l’orchestre... 125

Vignette 12 : Évaluation des altistes ... 126

SUSPENDRELETEMPSSCOLAIRE ... 127

DIMENSIONORALEDESAPPRENTISSAGES ... 130

Vignette 13 : L’écoute et la communication non-verbale ... 132

LERAPPORTÀL’INSTRUMENTDEMUSIQUE ... 134

CHOISIR SON INSTRUMENT ... 135

LE MUSICIEN ET SON INSTRUMENT ... 136

Vignette 14 : Être musicien ... 137

MAGIEETSPIRITUALITÉAUTOURDEL’EXPÉRIENCEMUSICALE ... 139

PARTIE IV. ENSEIGNER AUTREMENT ... 146

POSTURESDESMUSICIENS ... 147

REMETTRE EN QUESTION SON RÔLE PROFESSIONNEL ... 147

ENVISAGER LES APPRENTISSAGES DANS LA CO-CONSTRUCTION DES SAVOIRS ... 150

VALORISER LES ÉLÈVES EN DIFFICULTÉ SCOLAIRE ... 152

IMAGINER ET CRÉER UNE PÉDAGOGIE SOCIALE ... 155

POSTURESDESENSEIGNANTS... 156

LE « TRAVAIL DE LA RÉSISTANCE » ... 156

CHANGER LES STATUTS SCOLAIRES :ÊTRE APPRENANT AUPRÈS DE SES ÉLÈVES ... 157

(6)

CHAPITRE 6. DISCUSSION ... 159

UNEINTERPRÉTATIONDEL’ÉLÈVEENSOUFFRANCE ... 160

RÉPONDREÀLASOUFFRANCEPARLEPLAISIRETLARÉASSURANCEDULIENSOCIAL ... 162

DESCHANGEMENTSDESTATUTSCONTRIBUANTÀTRANSFORMERDESIDENTITÉSASSIGNÉES ... 164

QUESTIONNERL’INSERTIONDEL’OECENREP ... 166

DÉPASSERLAHIÉRARCHIEDESSAVOIRS ... 168

DIMENSIONESTHÉTIQUEETSENSIBLEENÉDUCATION :CULTIVERL’INUTILEETLEBEAU... 169

CONCLUSION ... 170

RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES ... 174

ANNEXES ... 183

QUESTIONNAIRES ÉLÈVES... 186

DESSINS ... 191

(7)

Le problème n’est pas de faire des savants. Il est de relever ceux qui se croient inférieurs en intelligence,

de les sortir du marais où ils croupissent : non pas celui de l’ignorance, mais celui du mépris de soi, du

mépris en soi de la créature raisonnable.

(Rancière, 1987, p. 168)

INTRODUCTION

Durant les dernières décennies, l’institution scolaire a multiplié les injonctions visant à favoriser le « vivre-ensemble », témoignant, à son échelle, des questions sociales liées à la montée des incertitudes dans un contexte d’individualisation et de diversification. La massification scolaire et le prolongement du temps des études ont contribué à des transformations importantes. Le public scolaire, caractérisé par une diversification accentuée des niveaux d’instruction, des origines sociales et des langues parlées, pose aujourd’hui de nouveaux défis pour les établissements scolaires parmi lesquels, plus particulièrement chez les enseignants, la gestion des groupes-classes multivariés. Dans ce nouveau contexte scolaire, de nouvelles pratiques pédagogiques artistiques et culturelles nourrissent un projet de démocratisation et d’égalisation des chances de réussite à l’école par l’accès à la culture. Ces pratiques pédagogiques s’insèrent plus particulièrement dans le cadre de l’éducation prioritaire.

A Genève, lieu de notre enquête, le système scolaire introduit en 2006 le réseau d’enseignement prioritaire (REP) « caractérisé par sa population d’élèves de quartiers moins favorisés »1. Le REP a pour devise de « donner plus à ceux qui ont moins » dans une visée de lutte contre l’échec scolaire. Dans ce contexte scolaire, le REP s’associe, en 2010, au Conservatoire populaire de musique, danse et théâtre (CPMDT) pour proposer un dispositif d’Orchestre-en-classe (OEC). L’idée du projet des OEC consiste à amener la pratique instrumentale dans les écoles des quartiers les « moins favorisés » du canton. Le directeur du CPMDT effectue un constat d’échec quant au peu de fréquentation des Conservatoires populaires par le public ciblé. Les OEC représentent dans ce sens une manière d’aller vers une catégorie de la population genevoise par le biais de la scolarité obligatoire. Les pratiques d’orchestres juvéniles connaissant un essor considérable sur tous les continents, l’idée est tout de suite retenue par le responsable de l’éducation musicale de l’école publique.

L’apparition des OEC souligne un des nombreux paradoxes du paysage scolaire européen. En effet, la musique est depuis longtemps un des parents pauvres du système éducatif

1 https://www.ge.ch/reseau-enseignement-prioritaire-ecole-primaire, consulté le 7.12.2019

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institutionnel. Face aux coupes budgétaires qui concernent particulièrement et en premier lieu les domaines artistiques, l’introduction d’orchestres à l’école nous surprend et nous interroge. Le dispositif nous amène à un premier questionnement : Quelle est la signification pédagogique donnée à la pratique musicale collective au sein du dispositif OEC ? Comment sont interprétés les objectifs des OEC par les acteurs qui le mettent en œuvre ?

Dans un article récent du Courrier2 intitulé L’enseignement artistique reste élitiste, l’organe indépendant de la Cour des comptes de Genève3 préconise une refonte globale de l’enseignement artistique délégué en raison de l’objectif de démocratisation qui, selon la Cour des comptes n’est pas atteint. Elle signale par ailleurs que l’école n’effectue qu’une promotion ponctuelle des pratiques artistiques et souligne l’inégalité des répartitions dans les différentes institutions de formation artistique. Les OEC sont mentionnés comme projet démocratique faisant exception dans le cadre de la formation. La Cour des comptes note cependant que ce projet ne touche pas tous les élèves (entre 700 et 750)4 et concerne uniquement le domaine de la musique. Le DIP affirme que si les moyens financiers sont trouvés, une généralisation des OEC pour la rentrée 2023-2024 pourrait voir le jour.

Une deuxième question nous interpelle et mérite à notre sens d’être exploitée. Elle tient à l’originalité du dispositif pédagogique proposé comme moyen de lutte contre les inégalités scolaires. L’orchestre, plus particulièrement les instruments à cordes tel le violon, représente la musique classique occidentale et symboliquement, une classe sociale supérieure (Bourdieu, 2002) même si cette distinction sociale est aujourd’hui nuancée (Coulangeon, 2011). La littérature des inégalités des pratiques culturelles a défini un modèle de légitimité culturelle dans lequel les goûts musicaux participent d’un processus de stratification sociale, distinguant les arts savants des arts populaires et de la culture de masse. Le dispositif des OEC se base sur le postulat du REP accordant plus de moyens pour les écoles des quartiers les moins aisés et ainsi, à travers l’introduction d’orchestres à cordes et d’orchestres à vents dans les écoles du REP, l’idée consiste à renforcer la culture dans certains milieux sociaux. Notre thèse interroge le lien établi entre ces pratiques et leur insertion spécifiquement dans le contexte des politiques d’éducation prioritaire. Nous nous questionnons quant aux choix politique et institutionnel de circonscrire l’expérience des OEC dans le contexte scolaire des quartiers définis comme moins favorisés. Est-ce que cette association agit sur les significations accordées au dispositif par les acteurs sur le terrain ? Alors que nous entendons un message actuel du DIP autour de la notion d’inclusion scolaire5, la séparation des établissements en deux types de gestion de l’enseignement nous étonne, au vu de la vaste littérature sur les risques inhérents à ce genre d’action ségrégative. Nous souhaitons comprendre la position des acteurs des OEC, plus particulièrement celle des musiciens et des enseignants présents au sein du dispositif, quant à l’association entre l’éducation prioritaire et les pratiques artistiques et culturelles.

2 Le Courrier, vendredi 7 juin 2019, p. 5.

3 Organisme indépendant, la Cour des comptes est notamment chargée du contrôle indépendant et autonome des organismes subventionnés par le canton. http://www.cdc-ge.ch/fr/Accueil/La-Cour-des-Comptes-de- Geneve-en-bref.html, consulté le 10.09.2019.

4 Selon le Memento statistique de l’éducation à Genève de 2019, le nombre d’élèves dans les établissements REP s’élève à 5'598. https://www.ge.ch/document/memento-statistique-education-geneve-edition- 2019/telecharger, consulté le 11.12.2019.

5 https://www.ge.ch/dossier/ecole-plus-inclusive-geneve, consulté le 11.09.2019.

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Les pratiques artistiques à l’école ont connu durant la dernière décennie un essor considérable et sont accompagnées de certains changements en matière de politique culturelle et d’éducation. Phénomène de mode ou transformation profonde du rapport au savoir et aux arts, l’insertion d’une pratique musicale collective nous intéresse dans son potentiel socialisateur et intégrateur. En effet, dans le programme scolaire, ces dispositifs sont moins considérés pour les connaissances musicales qu’ils apportent que pour les apports transversaux de telles pratiques. Dans le cadre de l’enseignement en contexte hétérogène, nous interrogeons les orchestres comme outil pour le travail sur le rapport à l’autre et à l’institution scolaire. Dans un contexte scolaire dans lequel les moyens alloués sont plutôt de l’ordre de la socio-médicalisation (Morel 2014 ; Sicot, 2005), nous nous interrogeons sur les perspectives des acteurs du dispositif des OEC (les enseignants et les musiciens) quant au rôle que celui-ci peut tenir dans l’éducation.

Une des critiques de la littérature scientifique à l’égard des dispositifs innovants en contexte d’éducation prioritaire tend à considérer ces derniers comme axés sur des priorités de l’ordre de la socialisation au détriment du contenu des apprentissages. La littérature comprend globalement deux avis qui s’opposent quant aux pratiques artistiques et culturelles en milieu scolaire. Le premier met en avant les bénéfices éducatifs, sur les plans cognitifs et sociaux, de ce type de pratiques ; le second reproche aux dispositifs « innovants » du REP de ne pas suivre des objectifs clairement établis et de faire primer la dimension sociale sur la dimension des apprentissages (Fouquet-Chauprade & Soussi, 2018). Deux discours s’opposent sans se rejoindre sur la manière dont les objectifs pourraient être clarifiés et mis au service des apprentissages. Par ailleurs, nous avons été surprise de constater que la littérature scientifique admettait comme une évidence l’association entre éducation prioritaire et pratiques artistiques et culturelles. Sachant que de nombreux stéréotypes sont rattachés au contexte scolaire des quartiers dits défavorisés (Van Zanten, 2001 ; Verhoeven, 2002 ; Fouquet- Chauprade & Dutrévis, 2018), nous nous interrogeons sur les fonctions attribuées à l’art par les acteurs qui mettent en œuvre les politiques associant la pratique instrumentale à l’éducation prioritaire.

L’apport de notre thèse à ces différents débats tient à un questionnement sur le dispositif à partir des significations accordées par les acteurs à leur travail pédagogique dans les orchestres et à travers l’observation de sa mise en œuvre au sein du contexte REP. Les objectifs de notre recherche consistent à comprendre les enjeux, pédagogiques et sociaux, de l’introduction du dispositif Orchestre-en-classe (OEC) dans certaines classes du REP à partir de l’expérience des pédagogues6 insérés dans le dispositif et du regard des responsables éducatifs de l’insertion du projet dans l’école primaire genevoise. Le fil conducteur de notre thèse est rattaché au sens donné par les acteurs des OEC au dispositif, autrement dit, leur manière d’interpréter et de mettre en œuvre un dispositif prenant place au sein de l’éducation prioritaire. Ce fil conducteur s’actualise par les questions de recherche suivantes : comment le dispositif des OEC est-il interprété et traduit en classe ? Dans le cadre de leur expérience, quelles significations sont exprimées par les acteurs sur les perspectives éducatives de la pratique instrumentale de groupe telle qu’elle est pratiquée dans le dispositif des OEC ?

6 Par pédagogues nous désignons les enseignants (maîtres de classe), les musiciens et les maîtres de disciplines artistique et sportive (MDAS). Nous distinguons ces acteurs du terrain des responsables éducatifs du dispositif (le responsable de l’éducation musicale du DIP, le directeur du Conservatoire de musique, danse, théâtre (CPMDT) et les directeurs d’établissement scolaire.

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Quelles sont leurs attentes du dispositif pédagogique des OEC inséré dans le contexte de l’éducation prioritaire ?

L’originalité de notre thèse tient au choix d’un objet scolaire nouveau dans le contexte étudié et dont la thématique est peu abordée dans le cadre des Sciences de l’éducation à Genève.

Par ailleurs, peu de recherches approfondies sont réalisées sur la manière dont sont mis en œuvre les dispositifs s’inscrivant dans une recherche d’innovation au sein des établissements du REP (Bonnéry, 2013). L’objet de notre recherche touche à la discipline de la musique et de manière plus générale à la dimension esthétique et sensible en éducation. Les dimensions pédagogiques et sociales du projet des OEC sont elles aussi originales par leurs formes peu habituelles dans le cadre scolaire. Une des spécificités du dispositif tient dans sa dimension collective d’apprentissage. Ces manières de faire, de transmettre et d’enseigner nous renseignent sur la forme scolaire. Les enjeux de l’analyse des OEC comprennent ainsi la place accordée à l’éducation esthétique et sensible en éducation, engendrant une discussion sur la forme scolaire en lien avec une approche pédagogique atypique.

TRAJECTOIRE ÉPISTÉMIQUE

Choisissons-nous notre objet de recherche ou s’impose-t-il à nous comme une évidence ? Lors de notre (longue) carrière estudiantine, nos intérêts et expériences de vie se sont trouvés à la croisée de nos objets d’étude. Une première recherche socio-ethnographique nous avait amenée à enquêter à partir de notre expérience d’un mode de vie alternatif au sein du squat que nous habitions alors. Notre lieu de vie devenait ainsi notre objet de recherche et nos voisins les participants à la recherche avec qui nous avons mené des entretiens. Plus tard, sortant d’une période de chômage et attirée par l’idée de faire une thèse, nous avons effectué, dans un premier temps, un mémoire en sociologie pour entendre les personnes sur la question d’un mal-être éprouvé dans le rôle de demandeur d’emploi. Les objets choisis dans notre formation académique ont ainsi toujours été fortement investis émotionnellement et liés à notre trajectoire personnelle. Il en a été de même pour notre thèse. Peut-il en être autrement ? Nous rêvions pourtant d’un objet à étudier qui, sans engagement personnel, se présenterait comme un objet d’analyse neutre, porté par la croyance qu’une mise à distance supprimerait les doutes et la remise en question de soi.

Cette neutralité axiologique, pensons-nous aujourd’hui, est un leurre7. Cyrulnik (2019) considère à ce propos que « le choix d’un objet de science est souvent un aveu autobiographique » (p. 97). A travers le cheminement construit dans notre thèse et les choix méthodologiques et épistémologiques dont il témoigne, nous sommes ainsi passée de notre rêve d’un objet neutre à la défense de la place du subjectif dans la recherche. Le développement de la recherche en sciences humaines et sociales a de plus en plus ouvert ses portes à des approches assumant la subjectivité dans le processus de recherche et nous avons

7 Voir à ce propos le récent ouvrage collectif Et si la recherche scientifique ne pouvait pas être neutre ? Sous la direction de Laurence Brière, Mélissa Lieutenant-Gosselin et Florence Piron, aux éditions Sciences et bien commun (en libre accès : https://scienceetbiencommun.pressbooks.pub/neutralite/).

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saisi cette ouverture. La découverte d’auteurs prônant le sensible dans les sciences sociales (Laplantine, 2015, 2018 ; Sansot, 1986) nous a nourrie et portée pour trouver un chemin articulant un positionnement émotionnellement et subjectivement investi dans la démarche de recherche.

Le hasard qui a amené la thématique des OEC sur le chemin de notre recherche doctorale nous apporte de surcroît une heureuse coïncidence. Elle nous autorise une double lecture de la subjectivité et de la sensibilité, par la posture méthodologique et épistémologique investie et par la dimension de la musique. Violoniste, la pratique instrumentale nous a souvent fait penser à un apprentissage de la vie. Elle comporte un travail sur la posture corporelle, la respiration, l’alternance de la tension et de la détente, entre autres pratiques qui nous amènent à une découverte de soi dans son rapport sensible à l’instrument. Les interactions sociales les plus enrichissantes, nous les trouvons personnellement dans le partage de la musique. Découvrir l’insertion de la pratique orchestrale dans le programme de l’école publique ne pouvait que nous réjouir et nous enthousiasmer quant à l’idée de pouvoir effectuer une recherche sur cette thématique. Notre expérience de la pratique dans un orchestre amateur depuis de nombreuses années nous donne un point de comparaison, une expérience vécue des interactions au sein d’un ensemble orchestral. Le monde de la musique, dans sa pratique, nous amène dans un ailleurs. Souvent, au cours de la rédaction de la thèse, fatiguée, bloquée dans le processus d’écriture, nous avons trouvé dans la pratique instrumentale une ressource.

Enfin, le cheminement de la recherche que nous avons voulu proche de la démarche de la Théorie enracinée (Strauss & Corbin, 2004 ; Plouffe & Guillemette, 2012 ; Charmaz, 2011) se veut intentionnellement ouvert et proche des situations observées. Ce sont les données produites lors de la recherche de terrain qui définissent au fur et à mesure les ouvertures théoriques permettant de mieux comprendre les idées et les actions des acteurs du dispositif des OEC.

LE « NOUS DE MODESTIE »

J’ai pris l’habitude de m’exprimer à travers la forme du « nous » académique dans mes écrits.

Cette forme discursive surprendra peut-être les lecteurs puisque j’ai annoncé mon engagement dans un type de recherche fortement inspiré des méthodes d’enquête de terrain (Barnes & Cefaï, 2012; Peneff, 1992 ; Becker, 1985). Il s’agit sans doute d’un manque d’insolence (Charmillot & Fernandez- Iglesias, 2019) de ma part, compensé néanmoins par deux entorses, la présente section et plus loin dans mon texte, la rédaction des vignettes. J’ai longtemps éprouvé une gêne avec la forme du « nous » à laquelle je ne m’identifiais pas sans interrogations. J’ai craint une forme prétentieuse. Ne parle-t-on pas d’un « nous de majesté » ? Dans la posture scientifique que je tente de suivre, le « je » s’imposerait presque comme une évidence. Or, le long apprentissage de l’utilisation d’un « nous » et cinq années sur le travail de thèse dans cette forme pronominale m’amène aujourd’hui à d’une part, banaliser la forme du « nous » et, d’autre part, à ne pouvoir reprendre le texte à travers l’expression d’un « je », le rapport à l’objet en étant trop profondément changé. Le passage narratif à la forme du « je » me semble à présent mettre en danger la distance construite à

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travers cette personnification pronominale donnant une identité de chercheur s’appuyant sur un ensemble d’interconnaissances du domaine des sciences sociales. C’est pourtant bien un

« je » qui se trouve derrière le texte. Il s’agit également d’une contrainte temporelle qui m’empêche de reconsidérer la narration. Le chercheur peut également à travers le « nous », se forger un personnage ou s’identifier à une figure professionnelle. Il met peut-être plus aisément à distance les dimensions personnelles qui n’entrent pas dans le cadre de la recherche. Ceci soulève la question de la distance et de l’implication du chercheur en tant que sujet dans la recherche. Quelles sont les limites entre ce que le chercheur se doit de transmettre pour expliciter le processus de recherche et sa sphère intime ? Enfin, la question du « je » ou du « nous » comme formes narratives se complique avec la question du genre. En effet, comment, en tant que représentante du sexe féminin accorder le « nous » ? Je pensais innover en annonçant dans le texte, en place de la phrase-clé justifiant l’accord au masculin, une inversion de la règle. Depuis, j’ai pris connaissance des statuts d’une association renversant le modèle de la dominance du genre masculin dans les déclinaisons, pour suggérer un texte accordé au féminin. La forme du « nous de modestie » (Grévisse, 2007)8 que je retiens finalement, m’amène à utiliser une forme grammaticale qui ne me paraît pas moins surprenante et qui s’accorde en genre mais pas en nombre.

STRUCTURE DE LA THÈSE

Notre thèse est organisée en six chapitres. Dans le premier chapitre, nous inscrivons l’expérience des OEC genevois dans le contexte plus large des pratiques artistiques et culturelles développées en France au début des années 1980 en parallèle au développement des projets d’éducation prioritaire. Ce chapitre donne un aperçu général de la conception éducative associée à ces dispositifs. Nous documentons les formes plus spécifiques de pratiques musicales instrumentales et distinguons les dispositifs selon qu’ils se situent en dehors ou au sein du programme de l’institution scolaire. Dans un premier temps, nous présentons le projet vénézuélien d’envergure, El Sistema, dont un pan s’est développé à Genève. Nous décrivons également le projet Démos en France, auquel un des musiciens rencontrés lors de l’enquête fait référence. Enfin, ce sont les projets axés autour de la collaboration entre l’école et les conservatoires de musique qui retiennent notre attention.

Nous poursuivons ce premier chapitre par des informations factuelles concernant le REP à Genève et proposons de définir la manière dont nous abordons la notion d’échec scolaire dans le cadre de cette thèse. Le deuxième chapitre est consacré à définir la problématique, dans un premier temps de manière générale, puis plus spécifiquement en lien à notre terrain d’étude. La problématisation relevant d’un processus traversant toutes les étapes d’une recherche ethnographique, les différentes dimensions émergées au cours du travail de terrain sont reprises et problématisées dans les analyses et dans la discussion. Le troisième chapitre, est consacré aux fondements épistémologiques et aux choix méthodologiques. Dans les chapitres quatre et cinq, nous entrons au cœur du sujet avec l’analyse des observations de terrain et des entretiens effectués auprès des différentes personnes impliquées dans les dispositifs d’OEC. Le quatrième chapitre est consacré à cerner les éléments nécessaires à la

8 http://www.langue-fr.net/spip.php?article125

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compréhension du contexte dans lequel s’insère le dispositif des OEC et les différents rôles professionnels qui y sont tenus. Le chapitre cinq amène le lecteur à découvrir les OEC à partir de l’expérience des enseignants et des musiciens selon les dimensions principales émergées au cours de la production des données. Ce chapitre est découpé en quatre parties, définies par l’analyse ancrée, qui restituent respectivement le vécu des interactions sociales au sein du dispositif, son insertion dans le REP, les manières d’apprendre et d’enseigner dans les OEC.

Notre travail interprétatif nous amène à présenter des formes d’enseignement distinctes de celles communément attribuées au contexte scolaire. Nous lirons, par exemple, le plaisir des élèves à appartenir au groupe-classe, la naissance d’un sentiment de magie éprouvé au moment de présenter son travail en public ou encore, la manière dont les musiciens, dans le rôle de pédagogue, transmettent leur connaissance particulière du domaine du sensible par les apprentissages de la pratique instrumentale. Les dimensions explorées dans ce chapitre d’analyse sont discutées théoriquement dans le chapitre six. Nous élargissons, autrement dit, l’analyse empirique en nous focalisant sur les dimensions susceptibles à nos yeux de réinterroger la forme scolaire. Enfin, nous conclurons notre thèse par des pistes d’approfondissement possibles à notre recherche.

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CHAPITRE 1. OUVERTURES THÉORIQUES

Dans le cadre de cette partie théorique, il s’agit, d’une part, d’introduire le lecteur au champ des pratiques artistiques et culturelles en éducation et, d’autre part, de déterminer son lien à la problématique de l’échec scolaire. Dans notre recherche qui se situe dans une approche inductive, nous assignons à la théorie la fonction d’un cadre dans lequel se situe l’objet de recherche et présentons la manière dont celui-ci a été analysé dans la littérature scientifique.

La théorie n’est pas considérée a priori mais sert l’analyse au fur et à mesure de la recherche.

Ce qui définit les éléments sélectionnés dans la théorie sont le rapport à l’éducation scolaire et la dimension de l’égalisation des chances de réussite dans une société plurielle et complexe.

LE DÉVELOPPEMENT DE LA DIMENSION DU SENSIBLE EN ÉDUCATION

Alors que le modèle scolaire se définit par la logique du rationnel, depuis quelques décennies l’école se tourne de plus en plus vers le domaine du sensible à travers l’émergence de projets artistiques à visée éducative et sociale développés de manière exponentielle dans le cadre des écoles régies par les politiques d’éducation prioritaire :

L’introduction de l’art à l’école, et plus largement le recours éducatif aux registres de l’esthétique et de la sensibilité, jouissent aujourd’hui d’une considération sans précédent. Une forme d’évidence, voire de nécessité, des pratiques artistiques et culturelles a pénétré les politiques éducatives, tant nationales que locales, en France comme dans un très grand nombre de pays du monde (…). (Kerlan, 2013, p. 1)

L’éducation artistique relève de la sensibilisation et de la démocratisation de l’accès aux œuvres et aux lieux, et de l’initiation aux pratiques personnelles dans des approches collectives. Son but est l’ouverture et la découverte, non la spécialisation. Elle peut être mise en œuvre aussi bien dans le temps scolaire que dans le temps non scolaire. (Bordeaux & Deschamps, 2013, p. 22)

Dans la conception française de l’éducation artistique et culturelle, tous les champs artistiques et culturels sont pris en compte – et non seulement la musique et les arts plastiques inscrits dans les programmes scolaires.

L’enjeu majeur de toute politique d’éducation artistique et culturelle est d’insérer une dimension culturelle et une dimension artistique dans tous les enseignements, pour toutes les classes d’âge. (…) l’éducation artistique et culturelle vise à former chez les enfants et les jeunes la capacité à poser un regard personnel sur le monde. Elle fait appel pour cela à leur sensibilité et rend nécessaire la mise en place de dispositifs où l’enfant et le jeune adoptent une posture active leur permettant de découvrir par eux-mêmes la pluralité des regards singuliers posés par les artistes sur le monde, et l’enjeu que

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constitue la confrontation des imaginaires des uns et des autres, leur questionnement critique.9

L’état des lieux des dispositifs d’éducation artistique et culturelle du Ministère de l’Éducation Nationale et de celui de la culture (2012) présente une offre très vaste considérée comme peu lisible. La plupart des données existantes sur les dispositifs sont quantitatives. Selon Bonnéry (2013), si la sociologie a très largement documenté le domaine des pratiques culturelles, peu d’études ont cependant analysé les dispositifs en soi. Les pratiques artistiques et culturelles en contexte scolaire se présentent à travers différents types d’interventions. Parmi ceux-ci, citons les visites dans les institutions culturelles (musée, opéra, théâtre), les interventions d’artistes dans les écoles, soit en représentation mais aussi en tant qu’artiste en résidence ou encore l’apparition des orchestres à l’école réunissant des professionnels du Conservatoire de musique et les enseignants de l’école.

Les pratiques artistiques à l'école permettraient de répondre à « un besoin de trouver des repères symboliques en dehors des systèmes de références traditionnels, religieux ou politiques » (Mollard, 2002, p. 56). Différentes dimensions sont valorisées dans ces pratiques pour leurs aspects pédagogiques. L'art et sa pratique à l'école sont considérés comme susceptibles de développer des compétences transversales soutenant les apprentissages fondamentaux. Cette forme d’activité favoriserait également les relations de groupes, dans le cadre de la réalisation de projets communs. Les pratiques artistiques et culturelles ouvriraient des portes aux apprentissages sociaux dans le contexte scolaire.

Force est de constater cependant que ces « nouvelles » pratiques pédagogiques sont ciblées sur les contextes d’éducation prioritaire. Il s’agit donc de développer des outils d’enseignement destinés à un public particulier qui se situe dans les établissements des réseaux d’enseignement prioritaire (REP) et non de manière généralisée à l’enseignement public.

En France, le « Plan pour le développement des arts et de la culture » est conçu et mis en place en l’an 2000, conjointement par le Ministère de la Culture et de l’Éducation nationale (Jack Lang et Catherine Tasca). Ses objectifs principaux sont la généralisation des apprentissages artistiques et culturels dans une perspective de démocratisation, la diversification des pratiques artistiques et la continuité dans le cursus scolaire, de la maternelle à la terminale (Lismonde, 2002).

Selon Jack Lang, l’art est une méthode d’appropriation des savoirs (…), ouvre aux autres connaissances en commençant par la maîtrise de la langue » (Lismonde, 2002). Pour tendre à l’égalité, le plan envisage une répartition inégale de la culture, c’est-à-dire qu’elle est renforcée dans certains milieux (ruraux, de banlieues, …) et dans certains domaines (musique, chant, choral, image, cinéma). Dans ce cadre un nouveau concept éducatif émerge, la classe à PAC (projet artistique et culturel). Celui-ci intègre des artistes dans sa démarche et se base sur une conception de pédagogie par projet dont on attend une transversalité des acquisitions et des pratiques. La classe à PAC « introduit de la souplesse, de la diversité, de l’inattendu dans le

9 Lauret, Jean-Michel, Chef du département de l’éducation, des formations, des enseignements et des métiers.

Éducation artistique et culturelle en France. Article rédigé dans le cadre de la conférence mondiale de l’UNESCO de 2006. L’éducation artistique et culturelle en France.

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cursus pédagogique et, en même temps, elle permet de focaliser les acquisitions de connaissances tout autour et tout au long de ce processus » (Lismonde, 2002, p. 117).

Dans une perspective de pédagogie par projet, la classe à projets artistiques et culturels est

« mobilisatrice » et peut, selon les initiateurs du projet, répondre à la préoccupation de la motivation de certains élèves en difficulté, en donnant du sens et un objectif concret à atteindre. Cette classe est également considérée comme « génératrice d’actions collectives » et motivante pour l’enseignant qui est plus responsabilisé et créatif que dans le contexte de la pédagogie traditionnelle. Bisenius-Penin (2001) situe en 1981 l’apparition des pratiques artistiques et culturelles avec la création des PAE (projets d’action éducative) et l’associe au développement des Zones d'Enseignement Prioritaires (ZEP). Les pratiques sont considérées comme innovantes et servant à la « médiation culturelle » définie comme « l’ensemble des moyens mis en œuvre pour favoriser la rencontre des objets artistiques et du public » (p. 87).

UN NOUVEAU MODÈLE ÉDUCATIF ?

Le développement des dispositifs artistiques et culturels dans le contexte scolaire en particulier fait partie de ce que Kerlan (2004, 2013) définit comme un déplacement du paradigme du modèle scientifique rationnel au modèle de l’éducation esthétique. Ce tournant marquerait une volonté de desserrement de la forme scolaire (le savoir versus la culture).

L’éducation esthétique, définie par l’auteur, est un processus corrélé à la montée des arts et de la culture dans l’éducation, plus particulièrement l’éducation scolaire. Elle met en avant l’individu, la subjectivité, l’imagination, et peut être opposée à l’approche éducative plus traditionnelle axée autour de ce que l’auteur définit comme un modèle scientifique. Kerlan (2013) émet l’hypothèse d’un « modèle esthétique », d’« une refondation des apprentissages sur une base esthétique : sur le corps et la sensibilité, sur les valeurs de l’imagination et de la créativité » (p. 1) qui remplacerait le modèle de l’école fondée sur le rationnel. L’auteur affirme que nombre d’enseignants ont la conviction de la portée démocratique des pratiques artistiques et culturelles. Ces dernières sont considérées comme un « (…) ultime recours éducatif face aux difficultés sociales et scolaires », jouant un rôle primordial dans la lutte contre l’échec scolaire. L’auteur amène cependant deux arguments pour montrer la forte généralité de cette perspective. Tout d’abord, l’idée issue des Lumières selon laquelle l’art appartient à toute l’humanité et qu’il est du devoir de l’école de transmettre la culture de

« haut niveau ». La deuxième perspective, plus romantique, attribue aux arts le « pouvoir de révéler et de transfigurer, de faire naître chez les élèves des qualités enfouies » (p. 25).

Les exigences esthétiques et celles de la démocratie se rejoignent selon Kerlan (2004) : Le modèle esthétique en éducation naît (donc) au carrefour, à l’intersection des valeurs de la communauté, et se trouve d’emblée investi d’une espérance indissolublement éthique – former des citoyens. Il s’enracine dans une problématique qui touche au cœur de la problématique démocratique : parvenir à concilier les aspirations individuelles et les exigences sociales. (p. 188)

L’auteur constate une double attente vis-à-vis des arts, non seulement éducative mais aussi sociale : « Tous disent la mobilisation sociale de l’art dans la préservation du lien social, le

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refus de l’exclusion et du silence qui détruit les êtres, la réparation des existences et des identités, l’écoute de la parole de l’autre » (Kerlan, 2004, p. 34). Enfin, il inscrit le développement de ce qu’il définit comme paradigme esthétique en éducation dans le contexte d’une éducation en crise ou d’une école en recomposition. Il s’agit, par la perspective esthétique « d’élaborer en éducation, un paradigme qui concilie le principe d’égalité et celui des différences (…). La tentation esthétique en éducation met au premier plan l’exigence que porte cette dynamique : celle d’une prise en compte de la différence, au nom même de l’égalité » (p. 49).

Les analyses des dispositifs montrent de fortes disparités dans les intentions liées à ces projets, certaines d’entre elles pouvant même représenter une « attitude folkloriste et stéréotypée » de la culture (Alaoui, 2007) ou encore amener à des surinterprétations psychologisantes (Bonnéry & Renard, 2013). Nous illustrerons plus loin à l’aide d’études de cas les critiques qui peuvent être émises à l’égard de certaines mises en œuvre d’actions culturelles.

Les approches et les intentions liées à ces nouveaux modèles éducatifs se sont donc démultipliées au cours des dernières décennies et sont très diversifiées dans leurs objectifs et dans leurs mises en œuvre. Les dispositifs que nous retenons plus particulièrement partagent la caractéristique de s’inscrire dans des pratiques collectives. Contrairement à des activités artistiques manuelles (dessin, sculpture), les formes retenues proposent des projets engageant un travail collectif du groupe-classe et se distinguent des approches dont « le discours axé autour de la 'mobilisation de la personne' définit une conception individualisée du travail pédagogique « dans lequel le collectif est évité » (Bonnéry, 2008, p. 109).

UNE PÉDAGOGIE POUR LES ÉLÈVES EN « DIFFICULTÉSCOLAIRE »

Sur le plan pédagogique, de manière générale, les dispositifs de pratiques artistiques et culturelles inversent la priorité du rationnel établie par l’enseignement scolaire. Selon Eloy (2013), la conception des cheminements cognitifs, dès les années 1970, aborde d’abord le sensible, afin de rendre les processus d’apprentissages plus actifs et les savoirs plus concrets.

Ainsi assiste-t-on à un renouveau de courants pédagogiques axés autour de pratiques artistiques et culturelles, dans l’idée d’une pratique directe. Les pratiques artistiques et culturelles sont souvent comparées aux méthodes de l’Éducation Nouvelle (Calamel, 2013, Boimare, 2014, entre autres). C’est notamment la dimension de l’horizontalité de la relation enseignant-élève, celle de l’expérimentation et du sens donné aux apprentissages qui sont rapprochées dans ces deux modèles pédagogiques.

Trois moments clés illustrent, selon Kerlan (2004), le développement au cours de ces trente dernières années d’une éducation esthétique dans le monde scolaire. Le premier, qui se situe dans les années 1970, voit la pédagogie s’inscrire dans une logique de la subjectivité. L’élève est alors au centre des préoccupations. Une deuxième période, dans les années 1980, est marquée par un retour à l’exigence du rationnel, par une recentration sur les savoirs et les contenus. Enfin, Kerlan parle de « l’âge des perspectives culturelles dans l’éducation scolaire » qui fait son apparition dans les années 1990.

Les pratiques artistiques et culturelles sont notamment considérées comme un outil

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pédagogique particulièrement adapté aux classes d’élèves allophones, se prêtant à l’expression des émotions, de la langue et de la culture (Rousseau, Lory & Machouf, 2011). La forme théâtrale offre une approche pédagogique pour un « public en difficultés d’adaptation au milieu scolaire » pour des raisons psychologiques ou pour des raisons liées aux différences des méthodes de travail (Kanouté & Lafortune, 2011). Elle permet de diversifier les ressources des langages, de leur donner une dimension corporelle et gestuelle et de dépasser un enseignement mono-institutionnel : « En devenant comédiens, les élèves allophones deviennent finalement acteurs d’une langue nouvelle » (Clerc, Cortier, Longeac & Oustric, 2007/3, p. 322). Les pratiques artistiques auprès d'élèves allophones offrent un outil pédagogique se distinguant de la forme traditionnelle de l'enseignement, impliquant un autre rapport au savoir, au corps, pour favoriser la diversité des acquis de manière plus large.

« L’expression des corps est à envisager comme une passerelle inter-culturelle et inter- linguistique. (…) » (Clerc, Cortier, Longeac & Oustric, 2007/3, p. 321). La diversité de langage que permet une pratique artistique est un moyen de dépasser un enseignement centré sur le langage écrit abstrait. L’art dramatique permet physiquement de plonger dans une pratique directe de la langue, un investissement immédiat de ses outils de communication (Clerc, Cortier, Longeac & Oustric, 2007/3). En outre, les ateliers plurilingues amènent à une plus grande ouverture, à une amélioration de l’estime de soi et du rapport aux autres, notamment par l’écoute (Kanouté & Lafortune, 2011). Tel que dans cet exemple, la notion d'altérité et de son rapport au monde scolaire s'inscrit ainsi explicitement dans certains projets : « Chaque société, chaque individu, porte en soi un rapport différent au monde, au corps, à la parole. Il faut laisser s’exprimer ses visions pour avancer plus vite vers la rencontre et l’évolution, ce n’est pas en imposant uniquement notre modèle scolaire que l’on donne une vraie place aux apprenants » (Clerc, Cortier, Longeac & Oustric, 2007/3, p. 321).

Enfin, Calamel (2012) attache une attention particulière à distinguer cadre formel et informel dans les apprentissages. Notamment auprès d’une population d’élèves nouvellement arrivés dans le contexte scolaire, cette diversification des approches permet, selon l’auteur, d’ouvrir plus de possibilités d’accès aux codes, aux savoir-faire et savoir-être. Dans sa transposition du jazz en un modèle pour apprendre, l’auteur définit le rapport de l’écrit et de l’oral dans les apprentissages scolaires et de la musique improvisée. « L’improvisation vient traduire le choix délibéré du musicien d’opter pour ce mode d’expression, et rappelle que l’écriture n’est pas le seul moyen de fixer des savoirs. Dans notre système occidental, l’écrit occupe la place centrale de notre éducation. L’Oralité mise à l’œuvre dans le jazz renverse le monopole éducatif par l’écriture et souligne que cette musique repose sur la part créative des individus » (p. 37).

Nous constatons donc que ces « nouveaux » dispositifs éducatifs sont principalement conçus pour un public d’élèves souvent considérés « en difficulté scolaire », dont la catégorie, relativement récente, des « élèves nouvellement arrivés » et parfois allophones. D’un point de vue politique, les objectifs s’inscrivent dans une démarche de discrimination positive.

L’institution scolaire s’engage à faciliter l’accès à une « éducation artistique et culturelle » aux élèves de milieux socio-économiquement défavorisés ou de zones rurales. Ainsi, par exemple, le Conseil national de l’innovation pour la réussite scolaire, officialisé le 19 avril 2013, promeut l’éducation artistique et culturelle, « indispensable à la démocratisation et à l’égalité des chances »10. Une institutionnalisation des partenariats entre les ministères de l’éducation et

10 www.education.gouv.fr

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de la culture atteste d’un ancrage politique de cette transformation dans le domaine scolaire.

L’ACTIVITÉ ARTISTIQUE COMME MODÈLE D’APPRENTISSAGE

LE RAPPORT AU MONDE SCOLAIRE

Les dispositifs de pratiques artistiques s’opposent en quelque sorte aux modes pédagogiques propres à la forme scolaire et se rapprochent des pédagogies de la découverte ou de l’éducation nouvelle. Elles se centrent sur l’apprenant, sur les interactions entre les élèves ainsi que sur une dimension esthétique et sensible dans les apprentissages.

Selon Régnier (2008),

(…) qu’elles portent sur les arts visuels, le théâtre, la danse ou la musique, toutes les études sur l’impact de l’art à l'école font état de gain en termes de plaisir, d’estime de soi, d’ouverture au monde et aux autres, pour les élèves, et en termes de nouvelles pratiques dans le cadre d’autres espaces relationnels, pour les enseignants. (p.79)

Selon les analyses des dispositifs artistiques de Calamel (2007), ces pratiques permettent d’amener des élèves « réfractaires » vers la forme scolaire et à mettre en valeur des acquis non-scolaires. Selon l’auteur, il s’agit du passage d’un mode de transmission des valeurs par tradition à celui par expérimentation, les valeurs des actions éducatives n’étant plus des prérequis. Les pratiques artistiques permettraient de « proposer aux élèves en mal d’école un mode d’apprentissage qui les accompagne et les reconnaisse autrement, à partir de leurs capacités et non plus en fonction de compétences à acquérir » (Calamel, 2012, p. 23). L'auteur propose un modèle d'apprenance à partir du jazz pouvant servir à l'enseignement aux élèves en rupture scolaire ainsi qu'à la validation d'acquis. Les principes qui se retrouvent dans l’analyse de différents dispositifs rejoignent ceux du socioconstructivisme et des pédagogies de l’éducation nouvelle en donnant du sens en apportant une réalité pratique aux savoirs et en les reliant entre eux ainsi que par l’encouragement à l’expérimentation et à la parole des enfants, tel que Boimare (2009)énumère les caractéristiques des pédagogies alternatives dans son approche culturelle centrée sur la lecture des textes fondamentaux (contes, mythologies, légendes).

Les pratiques artistiques amènent également à une transformation de la perception des enseignants (Calamel, 2007 ; Rousseau, 2011). Armand et ses collègues (2001) écrivent à ce sujet que les ateliers de théâtre transforment le regard des enseignants sur les adolescents en révélant non seulement les épreuves traversées par ces derniers mais aussi leurs ressources, souvent sous-estimées par l’école.11

11 « […] the drama workshops transformed the teachers’ perception of the adolescents by revealing not only the students’ experiences of adversity (trauma, grievance, discrimination) but also their resources and strengths, which were often underestimated by the schools » (p. 1).

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UNE ÉQUIPE PROFESSIONNELLE INTERDISCIPLINAIRE

Dans ces pratiques, le rapport au savoir est considéré sous un nouvel angle quant aux acteurs qu’implique la transmission des connaissances et savoir-faire. Les pratiques artistiques sont considérées sous l’angle de l’éducation partagée (Calamel 2007 ; Pesce, 2007). Celle-ci est définie par Calamel (2007) comme « une certaine conception de l’acte éducatif ; un principe de coresponsabilité des acteurs ; un ensemble de dispositifs de concertation et de modalité de mise en œuvre » (p. 2). Certains voient ainsi dans l'artiste un « nouvel éducateur » ou conçoivent les collaborations entre l’artiste et les enseignants comme fructueuses (Calamel 2007, 2012, p. 39). Différentes sources soulignent la collaboration entre pédagogues et acteurs du domaine culturel (Lismonde, 2002) qui apporterait une nouvelle dynamique enrichissante.

« Quantité d’études internationales montrent (…) qu’un professeur qualifié et passionné qui travaille aux côtés d’un artiste lui aussi impliqué forment la meilleure combinaison possible pour l’éducation artistique (Bamford, 2008). Les projets se veulent donc également novateurs sur la dimension des nouvelles collaborations entre professionnels de différents milieux institutionnels.

LES EFFETS PERÇUS SUR LIDENTITÉ INDIVIDUELLE ET SOCIALE DES ÉLÈVES

D’un point de vue individuel, les pratiques artistiques et culturelles favoriseraient un meilleur rapport à l’école. La motivation issue de la forme du projet et le travail de groupe notamment motiveraient les élèves à apprendre. Du point de vue des enjeux identitaires dans les apprentissages, la pratique du théâtre particulièrement, développe un travail sur soi à travers le jeu sur des caractères, par le choix de personnages et des comportements dans des situations jouées. Elle offre une plus grande liberté d’expression, dans un cadre informel et favorise une plus grande estime de soi. Enfin, le contexte d’apprentissage des pratiques artistiques et culturelles favorise, selon les tenants de ces approches, une plus grande tolérance à l’erreur.

Les pratiques artistiques en classe sont également analysées dans la littérature comme une approche apportant des résultats positifs au niveau de la socialisation des élèves et de l'amélioration du rapport à l'altérité ainsi qu'au niveau des problèmes de violence (Bastian, 2000), de l'amélioration de l'estime de soi et des performances scolaires (Calamel, 2012 ; Necker, 2006). Elles sont présentées comme des modèles pour apprendre, du point de vue de la socialisation ou du « vivre-ensemble ». Dans la plupart des études, la dimension de la cohésion du groupe est centrale. Enfin, l'amélioration de l’estime de soi et du rapport aux autres s'effectuent notamment par l’écoute (Kanouté & Lafortune, 2011), associant ainsi la dimension individuelle à la dimension collective dans les apprentissages d’une pratique

« artistique ».

En somme, les pratiques s’adressent à un public considéré, pour la plupart, en difficulté d’apprentissage, voire en détresse psychologique. Les apports de la démarche théâtrale offrent un rapport diversifié à la langue, un moyen d’expression d’émotions et de « travail sur l’identité » à partir de la mise en scène de personnages. En outre, les élèves développent par ce biais des savoirs, dans une démarche de type socioconstructiviste. Pour les raisons évoquées, les projets concernent souvent des classes d’élèves allophones ou s’inscrivent dans

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des écoles de réseaux d’enseignement prioritaire. Certains projets s’adressent spécifiquement aux élèves migrants. Dans leur recherche sur le théâtre auprès d’élèves non-francophones, Armand et ses collaborateurs (2011) retiennent les dimensions psychologiques et émotionnelles, cognitives et langagières que déploient ces activités. Parmi les effets bénéfiques de l’expérience relevée par l’étude, retenons encore le cadre moins formel par rapport à un cours « traditionnel », c’est-à-dire tel que mis en œuvre dans le contexte scolaire actuel.

Selon Kerlan (2014), les effets des pratiques artistiques et culturelles ayant déjà été confirmés à maintes reprises par la recherche et il n’est pas nécessaire de continuer à les évaluer. Parmi les effets les plus courants sont cités : les résultats sur la dimension affective (plaisir, fierté, sentiment de réussite, connaissances et compétences artistiques), sur la dimension du développement personnel (estime de soi, confiance en soi), sur la dimension de la sociabilité (travail en équipe, conscience des autres). Si les effets ont été largement mesurés, les effets éducatifs de l’art ne sont en rien automatiques et il est nécessaire, selon l’auteur, de réfléchir aux conditions et aux facteurs nécessaires pour qu’ils s’exercent au mieux.

Un fort engouement pour les pratiques artistiques et culturelles peut donc s’observer dans un grand nombre d’études. Ces dernières analysent les dispositifs et leurs effets sur les élèves.

Certaines études cependant, se montrent critiques sur les manières de penser les enseignements dans les dispositifs proposés, notamment quant aux modes de transmission et à la réception de la « culture » par les élèves. Ainsi, par exemple, le document audio-visuel de Lallier (2015) montre un dispositif d’Opéra à l’école dans lequel, sur le travail à long terme, on peut constater des réticences des élèves à s’insérer dans la démarche et l’éloignement que peuvent éprouver certains élèves par rapport à la forme musicale de l’opéra. Ou encore, au sujet de l’opéra, l’analyse de Morel (2006) sur les enjeux et les effets de l’« action culturelle » montre comment un projet qui souhaite démocratiser l’art et où « l’activité artistique est considérée comme un moyen d’ « ouverture » ne parvient pas à soulever l’enthousiasme des élèves. Alors que la perception du projet est mitigée parmi la population adolescente analysée dans ce cas, les enseignants, quant à eux, considèrent le projet comme un « privilège » accordé aux élèves. Ils attendent alors en retour une « docilité et une motivation scolaire » (p. 179) de leur part. Dans son analyse, l’auteur montre les facteurs susceptibles d’éloigner certains élèves des objectifs attendus par les enseignants. Ils ne sont pas intéressés par le projet, se sentent exclus du milieu représenté symboliquement par l’opéra ou encore ne trouvent pas de liens avec leur parcours scolaire en termes de rentabilité. L’analyse détaillée de l’auteur montre les difficultés à mener à bien les objectifs visés de sensibilisation à des pratiques savantes, de la quête de chemins détournés pour motiver les élèves qui ont décroché scolairement et de décloisonnement social d’une population de quartiers ségrégués. L’auteur souligne les obstacles liés à l’identification des jeunes, d’une part à des conformités de statuts élaborés entre pairs et d’autre part, à une culture adolescente, une culture de masse ainsi qu’à un sentiment d’appartenance à un groupe social qui considère que l’opéra n’est pas pour eux.

L’accès à une pratique de culture « savante » se montre ainsi confronté à des obstacles, des enjeux identitaires dans lesquels la seule motivation à amener les élèves vers la culture n’est pas suffisante. Par ailleurs, Morel distingue l’accès des élèves au projet entre la catégorie de ceux qui ont déjà une pratique artistique et ceux qui n’en possèdent pas. « Les premiers ont tendance à établir un lien entre leur pratique et l’opéra, quel que soit l’écart entre ces pratiques » (p. 192).

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