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PARTIE I. « UNE BELLE ŒUVRE COLLECTIVE » OU « TIRER TOUS À LA MÊME CORDE »

Vignette 7 : La répétition avec des musiciens professionnels

Tous les enseignants présents ont été très satisfaits de la manière dont s’est déroulée la répétition en dehors des murs de l’école. La maîtresse de musique, par exemple, dit quelques jours plus tard avoir vu la fierté des jeunes musiciens accompagnés par les musiciens professionnels. Elle m’explique que les élèves, pré-adolescents, tendent à contenir une attitude positive face à l’école. En outre, elle explique comment cette répétition a donné un sens musical aux pièces travaillées par les élèves. En effet, ces derniers jouent des accompagnements et un élève, lors des répétitions, a souligné sa déception de ne pas reconnaître la mélodie du film de Star Wars. Celle-ci a été jouée par les musiciens de l’OSR accompagnés par les élèves de l’orchestre-en-classe et la réunion des différentes voix a donné sens aux œuvres travaillées. Les élèves qui ont pu prendre conscience des difficultés liées à l’apprentissage d’une pratique instrumentale sont admiratifs face au jeu des musiciens professionnels.

Cette vignette illustre un des événements inscrits dans les OEC que nous avons pu suivre sur plusieurs jours. En effet, lors de l’observation de la classe d’orchestre, les élèves préparaient une répétition prévue avec l’Orchestre de la Suisse romande (OSR). Les enseignants que nous avons observés ce jour-là, nous ont conviée à assister à celle-ci. Quelques jours plus tard, nous sommes donc allée rejoindre le groupe d’OEC pour la répétition qui avait lieu dans la salle de répétition de l’OSR. Ayant rejoint le groupe, lors de la pause de midi, nous avons eu l’occasion d’échanger de manière informelle avec les enseignants interviewés quelques jours auparavant. Nous nous sommes informée sur la manière dont s’était déroulées les répétitions du matin. L’après-midi, ayant rejoint les locaux de répétition, nous constatons que sur chaque chaise se trouvait le nom d’un élève, inscrit sur un bout de papier. Un des musiciens des OEC nous expliquera que derrière l’assignation des places aux élèves se trouve l’idée de mélanger les classes et les écoles. Trois classes OEC de trois écoles différentes sont présentes pour le projet. Les élèves sont une soixantaine, accompagnés d’une dizaine de musiciens de l’OSR.

Durant la répétition, nous entrevoyons l’admiration de certains élèves face aux interventions des musiciens solistes par les commentaires émis et leurs applaudissements.

Jouer dans le cadre de la fête de la musique est aussi le symbole de la participation à un événement public majeur de la ville. Tout lieu investi publiquement par le dispositif crée des liens sociaux sur différentes dimensions. Dans la maison de retraite, sur la place du marché ou lors de la fête de la commune, les élèves tiennent un rôle de représentant de l’établissement scolaire et participent activement à la vie publique. Lorsque l’orchestre sort de l’école, les concerts représentent un pont vers l’extérieur et, avant tout, un lien aux familles. Les enfants ont envie de bien jouer pour leurs familles. Le sentiment de fierté est un élément souvent associé par les enseignants aux moments des représentations.

Sortir du cadre de l’école est donc une dimension dans laquelle certains enseignants constatent des effets sur les comportements et l’engagement des élèves dans l’activité.

Plusieurs expériences observées illustrent ces effets. « Ah, là il y a tout qui sort » (E6, p. 14).

En effet, il paraît difficile de n’être pas engagé sous les « feux de la rampe ». Un enseignant décrit les interactions particulières qui se créent entre les élèves dans ces moments-là. La cohésion du groupe notamment en est renforcée et les problèmes disciplinaires ne sont plus ceux rencontrés dans le cadre scolaire :

On n’a pas tellement de discipline à faire. Ils tiennent un rôle. A quelque part, ils jouent un rôle. Donc ils tiennent leur rôle. C’est clair qu’au bout du 4ème concert, ils sont fatigués, ça, mais n’importe qui… mais autrement ils jouent bien. Enfin, ils se donnent.

Ils donnent vraiment tout ce qu’ils peuvent. Ils ne font pas les pingouins sur scène. Ça c’est bon, le côté discipline on n’a pas mais c’est vrai qu’au bout du 4ème concert, on voit que c’est usant. Alors la musicienne est toujours là pour les motiver : « attention, c’est le dernier. Mais non, franchement, ils jouent bien. Motivés, enfin, y a pas à dire. (E4, p.

14)

Cet exemple permet de constater l’engagement des élèves dans l’activité, suscité ici par leur posture sur scène. Des élèves décrits dans d’autres contextes comme pas du tout motivés inversent leur image dans le contexte de la représentation publique. Ils ne veulent pas perdre la face dans ce cadre-là.

L’exemple cité précédemment de la rencontre avec des collégiens (p.99) illustre comment la situation régule les problèmes de comportements d’un des rares groupes d’OEC qui connaît des problèmes de discipline. Les moments de la représentation sociale de l’orchestre agissent non seulement sur le sentiment d’appartenance au groupe, sur l’aspect disciplinaire et de cohésion mais également sur l’engagement individuel des élèves. Nous pouvons donc dire, selon l’expérience relatée par les enseignants, que dans la dimension du concert, le dispositif agit sur les élèves individuellement, sur le groupe et son rapport aux autres.

A travers les OEC, les familles sont invitées à venir dans la salle de concert du Victoria Hall.

Symboliquement, le Victoria Hall appartient à une classe sociale. Principalement celle qui écoute de la musique classique occidentale. Que représente socialement cette invitation ? Quelles significations sont attribuées à la représentation publique des Orchestres-en-classe, dispositif de l’éducation prioritaire à Genève ?

Ce moment est en grande majorité vécu comme le moment fort du dispositif. Dans les réponses apportées au questionnaire sur le moment-fort vécu par les élèves dans les OEC, le projet du Victoria Hall fait l’unanimité des répondants. Les enseignants et les musiciens l’évaluent aussi positivement.

Quand on a fait au Victoria Hall, alors là, pour de vrai, une vraie salle, un millier de spectateurs, une répétition tout le samedi après-midi, la préparation, etc. C’est juste magique. Qui remontra… d’abord qui est déjà monté sur scène au Victoria Hall ? Quels élèves remontreront une fois sur scène au Victoria Hall ? Même moi en tant que prof, c’était la première fois que j’étais de ce côté-là. C’est une expérience fabuleuse. (E13, p.

8)

Pour terminer, nous souhaitons présenter un récit d’enseigner que nous avons déterminé comme l’envers du décor des représentations au Victoria-Hall :

Les parents sont conviés à aller écouter leurs enfants dans la prestigieuse salle de concert du Victoria Hall à l’occasion de la fête de la musique. Les élèves des OEC ont préparé trois pièces qu’ils interprètent en ouverture d’un concert de l’Orchestre de la Suisse romande (OSR). Selon l’enseignant faisant le récit de cet événement, les organisateurs souhaitent que les parents restent écouter le concert après l’intervention de leurs enfants. Il ne semble pourtant pas que les enfants assistent au concert. Réserver des places dans le contexte de la fête de la musique est une idée qui est rejetée par les personnes responsables de la gestion des festivités. Les enseignants de classe sont donc amenés à prendre en charge les élèves, le temps du concert.

Ce qu’on ne savait pas, c’est que les enfants... on le savait, les enfants jouaient les 15 premières minutes parce qu’ils avaient deux-trois morceaux et qu’après, il était exclu que la salle se vide. Donc nous, on a dû partir avec les élèves, en coulisses et finalement au Grütli, sur l’esplanade à côté et pendant deux heures, il a fallu les contenir, parce qu’ils commençaient à monter les tours, pendant que les parents finissaient le concert de l’OSR. Et ça, alors ça… Il ne fallait pas que les parents sortent récupérer leurs enfants puisque l’OSR voulait un public. Donc le public était captif. Ils sont venus parce que leur enfant était sur scène et nous on était captifs parce qu’on a dû garder les élèves pendant une heure et demie. Ils n’en pouvaient plus. Ils devenaient fous. Un moment, dans le

Grütli, dans les couloirs, etc., et à un moment, il a fallu qu’on les sorte pour qu’ils courent parce que… c’est l’enfer. (Rires). Et ça, plus jamais. (E 16, p. 31)

Suite à cette expérience inconfortable pour les enseignants et dévalorisante pour les élèves, des places ont été réservées l’année suivante afin que les élèves puissent voir la suite du concert.

Les concerts sont l’occasion de renforcer les liens entre les membres du groupe. Ils mettent en œuvre l’apprentissage des codes partagés et permettent aux élèves de se sentir dans le rôle d’artiste. Ils représentent un objectif concret dans lequel chaque élève est mis en lumière dans le travail accompli. Pour donner suite à cette première partie d’analyse centrée sur la dimension intégrative des OEC, nous allons nous intéresser au contexte dans lequel les politiques sociales et scolaires ont inscrit le dispositif des OEC. C’est plus particulièrement le rapport des enseignants aux élèves et au dispositif qui servira à illustrer les problématiques liées à ce choix social et politique.

PARTIE II. P

ERCEVOIR LE DISPOSITIF DANS LE CONTEXTE DU

R

ÉSEAU D

ENSEIGNEMENT