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Oncologie : Article pp.153-155 du Vol.1 n°3 (2007)

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E´DITORIAL

Un cancer sur l’autoroute

En vacances dans le New Jersey, j’ai longtemps roule´ sur la Route One entre Washington et New York. Dans un pays ou` l’on peut adopter (sponsoriser) une autoroute(adopt a highway !), il n’est pas surprenant de voir exister une communication spontane´e sur le territoire informel du bitume, sans doute la surface la plus re´pandue et la mieux re´partie par habitant au monde. J’ai e´te´ e´tonne´e tout d’abord par ces messages sur la me´decine et les me´decins, puis j’y ai vu l’objet d’une conside´ration modestement ethnologique, a` la manie`re de Marc Auge´, promeneur averti du jardin du Luxembourg a` Paris. Cet inte´reˆt avait de´bute´, il est vrai, par la plaque d’immatriculation de la voiture qui me pre´ce´dait. Au lieu d’y lire la devise habituelle de l’E´tat du proprie´taire (NEW JERSEY :GAR- DEN STATE, NEW YORK : EMPIRE STATE, FLORIDA : SUNSHINE STATE), j’y trouvai : « CANCER SURVIVOR».

Intrigue´e, je m’inte´ressai de beaucoup plus pre`s a` une droˆle de communication, tre`s de´veloppe´e dans cette super- puissance motorise´e. Nous arborons en France des tee- shirts a` message, les Ame´ricains, qui ne savent plus ce que marcher veut dire, transmettent les leurs a` l’arrie`re de la voiture. En ces moments de guerre contre l’Irak, je n’omettrai pas de mentionner que « Support our troops» e´tait le ruban stylise´ le plus fre´quent sur les carrosseries, auquel re´pondait le timide «Is war the only answer ? ».

Mais le pink ribbon du cancer du sein avait une place importante, puisque je l’ai remarque´ a` plusieurs reprises dans mon e´chantillon de voitures, releve´ au hasard de mes promenades sur l’autoroute. La fierte´ est un caracte`re ame´ricain que nous me´connaissons en France parce qu’il nous paraıˆt un peu enfantin. Aux E´tats-Unis, on est fier et on le dit ! « I am the proud parent of a honor student of the university of Princeton, Yale, etc.», survivre a` un cancer est aussi objet d’une fierte´ que l’on a envie de partager avec le voisin muet de samain-road-lane.Ainsi, le cancer du sein a vraiment un statut a` part et permet un nombre incroyable de manifestations populaires. Race for the cure organise 5 kilome`tres de course dans Central Park sous le titre de «Run breast cancer out of town» et permet a` des femmes traite´es, en re´mission ou gue´ries, de montrer avec fierte´ leur forme du moment. Octobre est le Breast cancer awareness month, c’est-a`-dire le mois de la prise de

conscience du cancer du sein, il y a des pre´sentations artistiques, despink fashion showset de nombreuses autres actions. Voila` quelques exemples ame´ricains auxquels la Ligue contre le cancer n’a rien a` envier, puisqu’elle est tout autant dynamique ; en revanche, les actions ame´ricaines sont vraiment populaires et figurent dans tous les journaux grand public. Mais voyons justement un aperc¸u d’une mini-revue de presse, principalement tire´e de la lecture quotidienne du New York Times, du Princeton Packet et hebdomadaire duNew Yorker et deTime Magazine.

Le premier choc a` la lecture des journaux est l’incroyable densite´ des publicite´s me´dicales. Les me´dica- ments se vantent sur des pages entie`res et n’he´sitent pas a`

se dire meilleurs que deux ou trois produits, cite´s nomme´ment bien suˆr. Mais ce ne sont pas seulement les me´dicaments qui sont mis en avant pour attirer le client.

Les me´decins, en personnes, sont e´galement la` pour s’adresser a` leurs patients potentiels. Est-il de´plaisant, se´curisant, ou choquant moralement de voir toutes ces e´quipes me´dicales se pre´senter et proposer leurs services (les meilleurs, il va sans dire) ? Sur les routes, ce sont d’abord les hoˆpitaux d’une ville qui pre´tendent eˆtre les plus suˆrs pour leur service de cardiologie ou de diabe´tologie. Puis ce sont les chirurgiens qui offrent leurs services pour une cosmetic surgery, ou encore une correction de votre myopie au Lasik, qui vous permettra d’y voir comme au premier jour. Il est vrai que les images promotionnelles les plus fre´quentes sur les murs et dans les journaux concernent les maux les plus le´gers ou peut- eˆtre les moins vitaux sur le plan organique, mais pas les moins importants d’un point de vue psychologique. Ainsi les dentistes (arts dentaires, orthodontie esthe´tique) sont au premier plan, puis les dermatologues, les ophtalmolo- gues, les chirurgiens plasticiens. Plus inte´ressantes, les e´quipes spe´cialise´es dans le cerveau et la colonne verte´brale qui proposent a` la fois les compe´tences les plus pointues et une philosophie Patient first que nous traduirions par « le patient d’abord » ou « centre´e sur le patient » mais qui ici veut peut-eˆtre dire qu’elle n’est pas dirige´e vers l’argent, en tout premier lieu du moins. La concurrence semble rude en effet et chacun arbore son plus beau sourire. Ce qui est bien agre´able au demeurant.

Psycho-Oncologie (2007) 1: 153–155

©Springer 2007

DOI 10.1007/s11839-007-0038-9

Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur archives-pson.revuesonline.com

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Les formules fleurent bon l’audit commercial, pourtant elles nous touchent en tant que Franc¸ais parce qu’elles ressemblent a` celles qui ont surgi lors des premiers temps des soins palliatifs : «Uncompromising Care. Unfailing Compassion», «Our focus: tailoring the best treatment for each patient», «The most important person in our office is you.» On est surpris d’un tel inte´reˆt ! Les me´decins franc¸ais n’ont pas habitue´ leurs patients a` autant de mots doux... Une exception cependant, et qui fait mal, si j’ose dire. Une demi-page avec, en gros plan, la lame ace´re´e d’un bistouri... «Prostate surgery can remove the cancer... And your dignity...», et le commentaire de proposer un traitement qui permettra d’e´chapper a` l’incontinence et a`

l’impuissance. La formule se termine par «Remember the name. Forget the cancer», et propose un appel gratuit ou une vide´o sur le site. On imagine le patient, seul, confronte´ a`

ces choix draconiens et livre´ a` la puissance des images ou des mots. Le patient est autonome, il est responsable, certes.

Il est «empowered» et il le sent au travers du texte qui lui est adresse´ : «Let’s talk straight. Man to man. You’re used to being in charge of your life. You make decisions every day.

You’ve the power to make the treatment decision that is best to you.» (Allons droit au but. Parlons d’homme a` homme.

Vous eˆtes habitue´s a` vous prendre en charge. Vous prenez des de´cisions chaque jour. Vous avez le pouvoir de prendre la de´cision the´rapeutique la meilleure pour vous.) Le moins que l’on puisse dire est qu’il s’agit bien la` de rendre l’estime de soi virile (voire phallique a` ce malade) ! Mais la barrie`re de l’argent et celle de l’e´ducation, l’entregent social, ne jouent-elles pas un roˆle pre´ponde´rant ?

Non loin de ces placards publicitaires regroupe´s dans les pages «professional profiles », on trouve les repre´sen- tants des «law firms» qui comple`tent bien la profession me´dicale : ces avocats, ces juristes proposent leurs services en cas de de´rapage. Ainsi arme´es, les devises des me´decins peuvent s’e´noncer librement : non, il ne s’agissait pas de re´sultats pre´cis, mais d’une manie`re particulie`re et unique de prendre en charge. En troisie`me position dans les pages publicitaires des journaux, plus directement e´conomiques cette fois, se profilent les offres des assurances qui proposent de multiples tarifs. Nous savons bien que, aux E´tats-Unis plus qu’en France, les assurances demandent des donne´es de plus en plus pre´cises et intimes a` leurs clients afin de leur proposer le tarif le « mieux adapte´ »... Il est clair qu’a` environ 200 dollars la consultation chez un omnipraticien, l’Ame´ricain moyen a tendance a` eˆtre couvert par une assurance, mais si nous regardons plus attentivement la population ame´ricaine, nous constatons que les plus pauvres, et, parmi ceux-ci, les Noirs particulie`rement, ne sont pas prote´ge´s contre les risques les plus grands. Ils se rendent ainsi en masse aux urgences des hoˆpitaux des grandes villes... Lorsque ceux-ci be´ne´fi- cient d’une politique qui accepte de payer pour ceux qui ne sont pas assure´s. Un petit article sur Princeton montre que, meˆme avec le re´sultat de leur mammographie, les femmes noires pre´sentent un retard au traitement conse´-

quent. Question d’argent, question d’information, question de temps...

Je me suis inte´resse´e au prix des psychothe´rapies. En moyenne 220 dollars la « session » (se´ance), prise en charge par la plupart des assurances et des hoˆpitaux dans le cadre de soins inte´gre´s, comme pour un cancer.

Psychothe´rapies bien inte´gre´es parmi les soins et souvent discute´es dans les journaux. Le nouveau livre d’Allan Horwitz et de Jerome Wakefield s’intitule «The Loss of Sadness : How Psychiatry Transformed Normal Sorrow into Depressive Disorder» (Oxford, 2007) et remet en cause cette «legal drug culture» qui traduit aux E´tats-Unis tout chagrin en me´dicament et donc en dollars sonnants et tre´buchants. Pourquoi voulons-nous «drug away » toute tristesse ou tout proble`me ? J’ai garde´ cet anglicisme parce qu’il est le concentre´ meˆme de cette attitude qui consiste a`

chasser le sentiment par la mole´cule, a` n’eˆtre qu’une force de progre`s, une entite´ dirige´e vers le positif. « Et si la tristesse e´tait bonne a` penser ? », demandent les auteurs.

Et de citer l’augmentation de 300 % des prescriptions d’antide´presseurs en dix ans (de 1987 a` 1997). La seule exception duDiagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders a` qualifier de depressive disorder (donc de trouble au sens de maladie de´pressive) les symptoˆmes bien connus dans les domaines physique, psychique et relationnel est la perte d’un eˆtre cher, pour lequel la pre´sence de cinq symptoˆmes de la liste pendant au moins deux semaines sera conside´re´e comme « normale ». On dira bien suˆr que, en France, la de´pression est souvent sous-e´value´e et sous-traite´e, mais, soulignent les auteurs, un diagnostic psychiatrique peut eˆtre utilise´ contre vous aux E´tats-Unis dans une proce´dure de divorce ou vous disqualifier dans la participation a` un essai the´rapeutique contre le cancer... Le de´bat est d’autant plus acerbe que la bataille est ine´gale devant la plus-que-jamais puissante industrie pharmaceutique. En perdant de vue la cause des affections psychiatriques, les experts ont voulu parer au plus presse´, ils ont mene´ le combat contre le plus voyant : les symptoˆmes. Mais l’e´radication artificielle des symptoˆmes ne permet pas le travail psychique seul a` meˆme d’accepter les changements dans la vie et d’e´voluer. Le soulagement est un objectif premier, l’accompagnement the´rapeutique est cependant indispensable pendant la pe´riode de faiblesse ou de retrait ne´cessaire a` la reconside´ration de l’enchaıˆnement des e´ve´nements. Au fond, les contradictions sont riches aux E´tats-Unis, la psychiatrie est une pratique en de´re´liction mais les me´dicaments triomphent de la moindre variation de l’humeur, le me´decin se met au service du patient, mais c’est un service hors de prix, la liberte´ de la presse permet de s’exprimer sur des sujets tabous, mais, au demeurant, nous savons bien que peu d’Ame´ricains lisent les articles de fond des journaux. Ils sont bien plus sensibles aux belles images et formules des magazines. La critique a du bon, car elle peut mettre en e´vidence les actions inte´ressantes, ici, au sujet du cancer, les voix qui s’e´le`vent

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des endroits les plus banals, le voisin de la file de droite sur l’autoroute, la course de Central Park, les feˆtes de quartier. Les syste`mes radicalement diffe´rents comme ultra-libe´ralisme me´ritent d’eˆtre cite´s pour les de´rives commerciales du choix du me´decin ou de l’autome´di- cation. Enfin, la transformation des e´tats affectifs en maladies psychiatriques pose toujours la question de

la conception de ces e´tats : variations quantitatives de re´actions normales ou transformations me´ritant l’e´radica- tion ? Au fond, aux E´tats-Unis comme en France, la tendance a` re´duire, voire a` e´craser les singularite´s est combattue sans cesse et toujours enrichie par le regard d’autrui. Gardons cette fraıˆcheur et cette honneˆtete´ et tirons-en de nouvelles ide´es.

Marie-Fre´de´rique Bacque´

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