• Aucun résultat trouvé

Oncologie : Article pp.150-155 du Vol.7 n°3 (2013)

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Oncologie : Article pp.150-155 du Vol.7 n°3 (2013)"

Copied!
6
0
0

Texte intégral

(1)

ARTICLE ORIGINAL /ORIGINAL ARTICLE

Cancer du sein traité par chirurgie conservatrice et radiothérapie : représentation de la maladie et image corporelle

Breast cancer treated by conservative surgery and radiotherapy: illness representation and body image

C. Choimet · E. Moreau

Reçu le 6 janvier 2013 ; accepté le 5 juillet 2013

© Springer-Verlag France 2013

RésuméCette recherche exploratoire a pour objectif d’ana- lyser le vécu du cancer du sein traité par chirurgie conserva- trice et radiothérapie, vécu peu exploré dans la littérature. En nous appuyant sur le modèle de sens commun de Leventhal, nous nous sommes plus particulièrement attachés à analyser les représentations de la maladie de ces patientes et les méca- nismes par lesquels elles ont pu les élaborer. L’analyse qua- litative des entretiens menés et des réponses au Brief Illness Perception Questionnaire (Brief IPQ) et à la Body Image Scale montre que la perception subjective de la maladie est distincte de la représentation sociale de la maladie cancé- reuse. La comparaison sociale semble jouer un rôle majeur dans l’élaboration de la représentation de la maladie mais aussi dans l’évaluation de l’image corporelle de ces femmes traitées par tumorectomie et radiothérapie. Ce processus de comparaison et la minimisation de l’expérience de la mala- die qui en résulte interrogent sur la capacité de ces patientes à accéder aux soins de support.

Mots clésCancer du sein · Chirurgie conservatrice · Radiothérapie · Représentation de la maladie · Image corporelle

Abstract This research examines the experience of breast cancer treated by conservative surgery and radiotherapy, since this experience has not been much examined by literature.

Our study relied on the Common Sense Model by Leventhal, and particularly aimed at analyzing the illness representations of these patients and their mechanisms by which they evaluate their situation. We led a qualitative analysis of interviews and answers to Brief Illness Perception Questionnaire and Body Image Scale and showed that the subjective illness perception is indeed distinct from the cancer social representation. Social comparison seems to play a key role in elaborating the illness representation as well as in evaluating body image after tumo- rectomy and radiotherapy. This comparison process and the consequent minimization of the illness experience question the patients’ability to access support care.

Keywords Breast cancer · Conservative surgery · Radiotherapy · Illness representation · Body image

Introduction Contexte médical

Le cancer du sein touche plus de 52 000 femmes par an en France et représente environ 34 % des nouveaux cas de can- cer chez la femme et près de 20 % des décès féminins par cancer [15]. Parallèlement, une évolution des thérapeutiques vers des traitements plus conservateurs est observée : alors que le traitement du cancer du sein reposait largement sur la mastectomie et la chimiothérapie, la réduction de la taille des tumeurs du sein de moitié en 20 ans permet aujourd’hui de proposer à certaines patientes une chirurgie conservatrice associée à une radiothérapie [6].

Quelles répercussions psychiques du cancer du sein traité par tumorectomie et radiothérapie ?

Une large littérature principalement anglo-saxonne [1,7,8, 13,17,23] s’est attachée à comparer la qualité de vie des

C. Choimet (*) Psychologue clinicienne

e-mail : cchoimet@club-internet.fr E. Moreau

Doctorante Psychologie critique de la santé, Laboratoire CLI, Université Paris 8, 2, rue de la Liberté,

F-93526 Saint-Denis cedex, France

Équipe Genre, Santé Sexuelle et Reproductive,

CESP-Inserm U1018 (ex U.822), 82, rue du Général-Leclerc, F-94276 Le Kremlin-Bicêtre cedex, France

DOI 10.1007/s11839-013-0427-1

(2)

patientes traitées par mastectomie et chimiothérapie à celles traitées par tumorectomie et radiothérapie. Dans l’ensemble, ces travaux ne relèvent peu ou pas d’impact de la différence des traitements sur la qualité de vie des patientes, sauf en ce qui concerne l’image corporelle et le fonctionnement sexuel, de meilleure qualité après tumorectomie et radiothérapie. Il existe peu d’études dans le contexte français alors même que le milieu culturel influe sur les résultats des évaluations de qualité de vie dans le cadre du cancer du sein [23]. De plus, ces études sur la qualité de vie font appel à une méthodologie quantitative et comparative qui, d’une part, ne permet pas d’explorer l’éventuelle spécificité du vécu des patientes trai- tées par chirurgie conservatrice et radiothérapie et, d’autre part, ne prend pas en compte les dimensions subjectives, sociales et culturelles de ces patientes. C’est pourquoi nous avons souhaité dans cette recherche articuler la dimension sociale à une approche clinique de la psychologie en nous intéressant aux représentations sociales du cancer.

Problématique

Quelle représentation du cancer du sein traité par chirurgie conservatrice et radiothérapie ?

L’expérience de la maladie est inscrite dans un contexte social : « c’est l’individu qui est malade, mais il est malade aux yeux de sa société, en fonction d’elle et selon des moda- lités qu’elle fixe » [14, p. 13]. Le noyau central de la repré- sentation sociale du cancer est marqué par les images de la mort [29], de l’incurabilité, de la maladie grave et sournoise, de la douleur et de la souffrance, de l’altération physique [27], et ce de façon persistante malgré les progrès médicaux et une certaine normalisation de la maladie [2,22].

Le cancer est aussi associé métaphoriquement à la guerre et au combat ainsi qu’à une certaine idéologie de l’espoir et de la préservation du moral [26,30]. La représentation du cancer reste fortement associée à celle de la chimiothérapie dont cer- tains effets secondaires (alopécie, nausées, fatigue) constituent les stigmates de la maladie [16] ; c’est la mise sous traitement qui marque l’entrée effective dans la maladie au risque d’une confusion possible entre traitements et maladie [31].

Plus spécifiquement, le cancer du sein occupe une place prépondérante dans l’imaginaire social du fait de sa préva- lence mais aussi probablement en lien avec le poids symbo- lique très ancré que représente le sein [12], associé à la fois à la maternité, à la féminité et à la sexualité. L’atteinte du sein chez une femme altère son identité de femme et de mère, voire active une figure de monstruosité (l’amazone) [20] ; elle est susceptible de provoquer des difficultés sexuelles et des comportements d’évitement. À l’heure actuelle, c’est essentiellement la mastectomie qui a été étudiée, et les éven- tuelles répercussions psychiques dans les cas d’affections

bénignes du sein ou de tumorectomie ne semblent pas envi- sagées par la littérature [5].

Nous posons donc comme hypothèse que les protocoles de traitement du cancer du sein, qui associent chirurgie conservatrice et radiothérapie mais ne mettent en œuvre ni mastectomie ni chimiothérapie, sont susceptibles de confronter les femmes à une situation non (encore ?) inscrite dans le champ social.

Image corporelle et représentation corporelle

Ces éléments nous ont conduit à explorer à la fois la repré- sentation de la maladie élaborée par chacune des femmes ren- contrées ainsi que l’évaluation subjective qu’elles réalisent de leur image corporelle. L’image corporelle, concept proposé par Schilder [28], regroupe à la fois la notion de schéma cor- porel (c’est-à-dire l’ensemble des perceptions et des représen- tations conscientes et inconscientes qui nous servent à évo- quer et évaluer notre corps), l’investissement libidinal dont il fait l’objet mais aussi sa signification sociale. Au-delà d’une connaissance physiologique, l’image corporelle implique donc la notion d’attitudes et de sentiments éprouvés pour le corps. On sait que l’image corporelle est susceptible d’être modifiée par la maladie cancéreuse, non seulement par le biais des atteintes objectives du corps, mais aussi par l’évaluation de l’expérience de la maladie perçue et vécue par les femmes [9]. Le modèle du sens commun de Leventhal et al. (CSM) [18,19] offre un cadre pertinent pour penser de manière dyna- mique l’articulation entre la représentation de la maladie du sujet, les modes de coping tant émotionnels que cognitifs mis enœuvre et l’évaluation qui est faite de ces stratégies, évalua- tion qui détermine l’image corporelle. La représentation de la maladie élaborée par chaque sujet s’appuie sur un savoir col- lectif profane, sur des ressources perçues comme faisant auto- rité (médecins, proches), et sur son expérience propre et son vécu des troubles somatiques et des symptômes [19,26].

Objectifs

Compte tenu de ces éléments, les objectifs de cette étude exploratoire peuvent être formulés de la façon suivante : quelles sont les représentations de la maladie élaborées par les patientes confrontées à ce type de protocole et par quels mécanismes les ont-elles élaborées ? Peut-on lier la meil- leure image corporelle de ces patientes rapportée dans la lit- térature à une représentation de la maladie spécifique, dis- tincte de la représentation sociale du cancer ?

Méthodes et population

Afin d’initier des pistes de réponse à ces questions, nous avons mené cinq entretiens de recherche semi-structurés

(3)

autour de trois principaux thèmes : le vécu narratif de la maladie qui constitue également une voie d’accès aux modes de coping, la représentation de la maladie et l’exploration de l’image corporelle. Chaque entretien a été suivi de la passa- tion de deux échelles :

la traduction française du Brief Illness Perception Ques- tionnaire (Brief IPQ) [4], version abrégée du Illness Per- ception Questionnaire-Revised de neuf items qui s’appuie sur la conceptualisation de la représentation de la maladie proposée par le CSM ;

la version française du Body Image Scale [3], échelle de dix items spécialement établie pour évaluer l’image cor- porelle chez des femmes touchées par le cancer du sein.

Cet outil permet d’obtenir un score sur 40 ; plus le score est élevé, plus l’image corporelle est dégradée.

Les femmes interviewées ont été recrutées dans toute la France, principalement dans le cadre de réseaux profession- nels. En effet, la qualité de vie est surtout affectée dans la première année qui suit les traitements [7,23], période de remaniements psychiques importants. Nous avons donc souhaité recruter des patientes avec un délai post-traitement de plus d’un an, et donc hors milieu hospitalier, ce qui a cependant rendu le recrutement plus difficile. Ces femmes ont toutes été traitées en France exclusivement par chirurgie conservatrice et radiothérapie, avec éventuellement une hor- monothérapie adjuvante. Les caractéristiques sociomédica- les principales des femmes rencontrées sont présentées dans le Tableau 1. Compte tenu du caractère exploratoire de notre recherche et de l’accent mis sur le vécu subjectif des fem- mes, nous avons en premier lieu recherché une diversité des situations. Cependant, la moyenne d’âge au diagnostic correspond à l’épidémiologie française du cancer du sein (62 ans).

L’ensemble des données, retranscription des enregistre- ments des entretiens et réponses aux échelles, a été soumis à une analyse qualitative selon les percepts de la Grounded Theory [3,4,11]. D’une manière concrète, dans la phase pré- liminaire de l’analyse, le texte est divisé en unités significa- tives représentant des thèmes verbalisés par les sujets. On arrive à cette division en lisant le texte d’un bout à l’autre, à plusieurs reprises. Ce procédé initial permet de dégager un

ensemble de catégories de sentiments, de comportements, d’expériences, etc., verbalisées par les sujets, auxquelles l’analyste assigne des codes. Les codes se réfèrent à des por- tions de texte qui seront utilisées par la suite pour analyser, cette fois, les tendances (patterns), les relations simples ou complexes entre catégories et leurs significations. Ce pro- cédé facilite la construction des catégories ainsi que le consensus concernant leurs propriétés respectives. À mesure que de nouvelles unités émergent, elles sont comparées aux catégories déjà établies. Si les nouvelles unités n’appartien- nent à aucune des catégories préexistantes, de nouvelles catégories sont créées afin de représenter chacune d’elles.

Le point de saturation est atteint quand l’analyse de tous les entretiens cesse de révéler de nouvelles catégories, pro- priétés ou relations entre unités d’analyse, au-delà de celles déjà établies [21,24]. En utilisant cette méthode d’ana- lyse de contenu thématique, nous avons ainsi pu dégager de grandes catégories discursives présentées de façon synthé- tique dans le tableau 2.

Ce type d’analyse permet donc de découvrir de nouvelles directions, au lieu de se limiter à vérifier des théories dans les données préexistantes. L’accent est mis sur la nécessité d’examiner le sens de l’expérience et du comportement humain dans leur contexte et dans toute leur complexité, de concevoir l’enquête scientifique en tant que génératrice d’hypothèses provisoires plutôt que de faits immuables, de théoriser à partir de conceptualisations fondées sur les don- nées du texte au lieu d’interpréter le texte avec des théories a priori.

Résultats/mise en perspective

Des représentations spécifiques de la maladie personnelle

L’analyse des discours des interviewées met en évidence une certaine opposition entre leur représentation de la pathologie cancéreuse en général et la représentation de leur maladie personnelle. En effet, les éléments de discours relatifs à la pathologie cancéreuse en général témoignent de l’activation de la représentation sociale du cancer dominante : celui-ci est

Tableau 1 Caractéristiques médicales et sociodémographiques des sujets interviewées.

Sujet Âge actuel Âge

au diagnostic

Délai depuis la fin des traitements

Hormonothérapie Statut marital

Niveau déducation

Localisation

I 01 71 69 2 Non (refus) Mariée Supérieur Rhône

I 02 77 76 1 Oui Mariée Supérieur Loire-Atlantique

I 03 75 58 17 Non Mariée Certificat Loiret

I 04 53 45 8,5 Non Mariée Supérieur Région parisienne

I 05 68 63 5 Non Mariée Supérieur Région parisienne

(4)

associé à la mort, au fléau, au traumatisme, à la gravité, aux stigmates, à l’exclusion, etc.

Or, ces notions ne se retrouvent pas en tant que telles quand les interviewées parlent de leur maladie personnelle.

De fait, nous avons pu dégager deux représentations distinc- tes du vécu de leur cancer du sein, liées à des modes de coping en partie distincts. Pour certaines interviewées, la maladie constitue une rupture qui induit à la fois une recher- che de sens et un changement de valeurs, avec notamment une importance accrue accordée aux relations interperson- nelles. Ainsi, ces femmes font référence à une théorie étio- logique forte, en reliant explicitement leur maladie à des fac- teurs psychologiques. En termes de coping, ces patientes utilisent à la fois des stratégies centrées sur le problème, notamment la recherche active d’informations et l’appui sur les proches, et des stratégies d’expression émotionnelle ; ce sont les patientes qui rapportent un vécu de fragilité au cours et/ou au décours de leur traitement. Pour d’autres inter- viewées, la maladie tient davantage de l’ordre d’un événe- ment limité. Ces femmes ne rapportent pas de théorie per- sonnelle sur l’étiologie de leur maladie mais attribuent aux émotions un rôle dans l’évolution de la maladie. En ce qui concerne les modes de coping, ces sujets s’appuient exclusi- vement sur l’équipe médicale dans leur recherche d’informa- tions et on peut noter dans leur discours une certaine mise à distance des affects.

Modes d’élaboration des représentations de la maladie

Comment expliquer que les femmes interviewées ne se représentent pas leur cancer du sein dans les termes culturels habituellement associés à la pathologie cancéreuse ? Souli- gnons que toutes les interviewées ont rapporté lors des

entretiens un sentiment de chance d’avoir eu un « bon can- cer ». Celui-ci repose sur une comparaison de leur situation à leur perception de patients rencontrés (proches ou autres) touchés par la maladie et/ou à leur représentation du cancer en général. Ces comparaisons ont pour effet de distinguer leur cas personnel de cas plus graves, certaines femmes éta- blissant même une véritable hiérarchie des cancers. Le can- cer du sein apparaît ainsi moins grave que d’autres cancers plus « agressifs » et touchant des organes vitaux internes, difficilement opérables (cerveau, pancréas, intestin, pou- mon). Nous pouvons supposer que ces patientes réalisent par comparaison une évaluation cognitive qui leur permet de minimiser l’impact de leur expérience et qui joue un rôle de réassurance et d’adaptation à la situation stressante que représente la maladie. Cette importance de la comparaison sociale dans l’évaluation d’une situation complexe, notam- ment le cancer du sein, a été mise en exergue par Razavi et Delvaux [25] : ils soulignent l’importance de la recherche du contact avec d’autres malades. Nos résultats permettent de généraliser ce processus de comparaison à des femmes qui ont au contraire plutôt cherché à éviter le contact avec les malades.

Pour un même processus cognitif de comparaison à l’œu- vre chez toutes les interviewées, nous avons cependant observé deux types de représentations de leur cancer du sein, décrites précédemment. Nous constatons que les patientes qui considèrent leur maladie comme une rupture et expri- ment aisément des émotions à ce sujet sont des femmes dont la mère a été atteinte par un cancer du sein, sans que la nar- ration de ce vécu soit associée dans leur discours à des indi- ces traumatiques. Ainsi, la confrontation familiale positive à la maladie faciliterait-elle l’expression des émotions susci- tées par le diagnostic de cancer ?

Représentation de la maladie et image corporelle

Conformément à la littérature précédemment évoquée, tou- tes les interviewées rapportent une bonne image corporelle globale, ce que confirment les faibles scores à la BIS (entre 0 et 6 sur 40). Aucune femme ne rapporte de gêne vis-à-vis de son corps, de comportement d’évitement, ni d’impact sur leurs relations interpersonnelles et avec leurs partenaires une fois la phase de cicatrisation passée. Toutes les patientes se déclarent satisfaites du résultat esthétique de la chirurgie alors même qu’elles rapportent une cicatrice, voire une dou- leur au sein et/ou une dissymétrie de la poitrine. Plusieurs facteurs peuvent être proposés pour expliquer ce décalage entre la bonne image corporelle rapportée et les séquelles de la chirurgie. L’image corporelle est en effet la résultante complexe de plusieurs composantes. L’importance accordée au corps est ainsi variable selon les sujets, en interaction avec l’âge et le vécu du vieillissement.

Tableau 2 Synthèse des catégories danalyse du discours.

Vécu de la maladie Représentations de la maladie

Diagnostic Le cancer en général

Chirurgie Mort-propre

Radiothérapie Connaissance de la maladie Hormonothérapie Chimiothérapie

Vécu des traitements Représentation de sa maladie Suivi

Relations avec léquipe médicale

Impact sur lentourage

Soutien Image corporelle

Investissement corporel

Coping Rapport au sein

Centré sur lémotion Satisfaction esthétique Centré sur le problème Changement corporel

(5)

En outre, on note que le même mécanisme de comparai- son intervient à la fois dans l’élaboration de la représentation de la maladie et l’évaluation de la satisfaction esthétique après la chirurgie. Cette comparaison s’effectue par rapport à l’image de la mastectomie, jugée comme « traumatisante »,

« une perte de soi », que cette image soit d’origine sociale au sens large ou issue de la confrontation à des proches mastec- tomisées. Chez certaines patientes, transparaît même une certaine fierté d’avoir gardé son sein. On peut penser que ce processus de comparaison vient minimiser l’évaluation de séquelles rapportées (douleur, asymétrie).

Quel rôle du discours soignant ?

Certains éléments de discours, tant des interviewées que de certains soignants rencontrés en parallèle de cette recherche, nous ont conduits à nous interroger sur les représentations de ce type de protocole de soins dans le monde soignant et leurs interactions éventuelles avec les représentations des patientes. Ainsi, Mme R. rapporte son étonnement face aux premiers mots de son chirurgien : « Vous avez de la chance, Mme R. ». Cette influence des représentations des soignants sur celles des patients, bien mise en exergue [10], mériterait d’être approfondie dans le cas particulier du cancer du sein traité par chirurgie conservatrice et radiothérapie.

Si un déterminisme univoque est à exclure entre élabora- tion de la représentation subjective de la maladie et élabora- tion de l’image corporelle, le processus de minimisation joue un rôle central dans les dynamiques complexes qui lient ces deux facettes de l’expérience de la maladie.

Conclusion

Cette recherche sur le vécu des femmes confrontées à un cancer traité par tumorectomie et radiothérapie, malgré un faible nombre d’entretiens qui limite de fait la validité externe des résultats, constitue une première approche du vécu subjectif de ce type de cancer, peu exploré par la litté- rature et non encore inscrit dans le champ social. L’approche qualitative utilisée, qui associe de façon originale psycholo- gie clinique et étude des représentations sociales, a permis de dégager des éléments qui nous semblent interroger la repré- sentation sociale du cancer. La diversité des expériences sub- jectives que recouvre le terme générique du « cancer » amène en effet à nuancer une vision globalisante de la repré- sentation de la pathologie cancéreuse. Le rôle éventuel du discours soignant dans les représentations des patientes face à ce type de protocole de soins reste par ailleurs à investiguer.

À côté des variables classiquement étudiées dans la litté- rature (âge, délai post-traitement notamment), notre étude permet de mettre en exergue, dans l’élaboration de la repré-

sentation de la maladie personnelle comme dans celle de l’image corporelle, la prégnance de la comparaison sociale.

Cette comparaison permet d’établir plusieurs axes d’évalua- tion de l’expérience vécue. Opposition entre « petit » et

« gros » cancer, ou selon les mots d’une interviewée, « bon » et « mauvais » cancer ; la maladie cancéreuse demeurant indissociable de ses traitements, opposition également entre

« petit » traitement et « gros » traitement, posant les bases d’une minimisation des séquelles des traitements. Enfin, opposition entre tumorectomie et mastectomie, induisant une minimisation de l’atteinte du sein que représente ce trai- tement chirurgical.

Si la comparaison sociale permet aux femmes de faire face au stress généré par la maladie, elle peut également les conduire à minimiser les retentissements de leur maladie et ne préjuge en rien de la profondeur des remaniements psy- chiques induits par la maladie, voire d’un éventuel impact traumatique de celle-ci. Quel sens donner alors à une absence d’énonciation de difficultés ? D’un point de vue clinique, ces premiers résultats nous semblent en effet inter- roger le soignant sur la capacité de certaines de ces patientes à demander de l’aide ou à accéder aux soins de support. Ils invitent à porter une vigilance particulière au moindre signe de détresse chez ces patientes.

Conflit d’intérêt : Les auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt.

Références

1. Al-Ghazal SK, Fallowfield L, Blamey RW (2000) Comparison of psychosocial aspects and patient satisfaction following breast conserving surgery, simple mastectomy and breast reconstruction.

EJC 36(15):1938–43

2. Bacqué MF (2008) Les représentations archaïques des cancers traités par les biotechnologies avancées. Psycho-Oncol 2:225–33 3. Brédart A, Swaine Verdier A, Dolbeault S (2007) Traduction/

adaptation française de léchelleBody Image Scale(BIS) éva- luant la perception de limage du corps chez des femmes atteintes de cancer du sein. Psycho-Oncol 1(1):2430

4. Broadbent E, Petrie KJ, Main J, et al (2006) The Brief Illness Perception Questionnaire. J Psychosom Res 60(6):31637 5. Bruillon V (1996) Pourquoi le sein ? Panorama dune question.

In: Bruillon V, Majesté M (eds), Le sein : images, représenta- tions. L’Harmattan, Paris, pp 11–32

6. Cabut S (2011) Cancer du sein : le dépistage en examen. Le Monde, 21 octobre 2011

7. Collins KK, Liu Y, Schootman M, et al (2010) Effects of breast cancer surgery and surgical side effects on body image over time.

Breast Cancer Res Treat 126(1):16776

8. Curran D, Van Dongen JP, Aaronson, NK, et al (1998) Quality of life of early-stage breast cancer patients treated with radical mas- tectomy or breast-conserving procedures: results of EORTC Trial 10801. EJC 34(3):30714

9. Dany L, Apostolidis T, Cannonce P, et al (2009) Image corporelle et cancer : une analyse psychosociale. Psycho-Oncol 3:10117

(6)

10. Dany L, Dudoit E, Favre R (2008) Analyse des représentations sociales du cancer et de la souffrance. Psycho-Oncol 2:538 11. Glaser BG, Strauss AL (1967) Discovery of grounded theory:

strategies for qualitative research. Aldine De Gruyter, New York 12. Gros D (2009) Cancer du sein : entre raison et sentiments. Sprin-

gerVerlag France, Paris

13. Hall A, Fallowfield L (1989) Psychological outcome of treatment for early breast cancer: a review. Stress Medecine 5(3):16775 14. Herzlich C, Pierret J (1990) Malades dhier, malades daujourd-

hui. Payot, Paris

15. Hospices civils de Lyon, Institut de veille sanitaire, Institut natio- nal du cancer, Francim et Institut national de la santé et de la recherche médicale (2010) Projections de lincidence et de la mortalité par cancer en France en 2010. Rapport technique : http://www.invs.sante.fr/surveillance/cancers

16. Jacques B (2009) Quitter lidentité de malade, le cas de femmes atteintes dun cancer du sein. In: Cousson-Gelie F, Langlois E, Barrault M. (eds). Faire face au cancer. Image du corps Image de soi. Tikinagan, Boulogne-Billancourt, pp 4766

17. Kiebert GM, De Haes JC, Van De Velde CJ (1991) The impact of breast-conserving treatment and mastectomy on the quality of life of early-stage breast cancer patients: a review. J Clin Oncol 9 (6):105970

18. Leventhal H, Brissette I, Leventhal EA (2003) The common- sense model of self-regulation of health and illness. In: Cameron LD, Leventhal H (eds) The self-regulation of health and illness behaviour. Routledge, New York, pp 4265

19. Leventhal H, Zimmerman R, Gutmann M (1984) Compliance: a self-regulation perspective. In: Gentry D (ed) Handbook of Beha- vioral Medecine. Pergamon Press, New York, pp 369434

20. Majesté M (1996) Quand sert le sein. In: Bruillon V, Majesté M (eds) Le sein : images, représentations. LHarmattan, Paris, pp 191204

21. Miles MB, Huberman AM (2003) Analyse des données qualitati- ves. De Boeck Université, Paris

22. Moulin P (2005) Imaginaire social et cancer. Rev Fr Psycho- Oncologie 4(4):2617

23. Ohsumi S, Shimazuma K, Kuroi K, et al (2007) Quality of life of breast cancer patients and types of surgery for breast cancer: cur- rent status and unresolved issues. Breast Cancer 14(1):6673 24. Paillé P, Mucchielli A (2011) Lanalyse qualitative en sciences

humaines et sociales. Armand Colin, Paris

25. Razavi D, Delvaux N (2002) Psycho-oncologie : le cancer, le malade et sa famille. Masson, Paris

26. Saillant F (1988) Cancer et culture. Produire le sens de la mala- die. Éditions Saint-Martin, Montréal

27. Sarradon-Eck A (2004) Pour une anthropologie clinique : saisir le sens de l’expérience du cancer. In: Ben Soussan P (ed) Le cancer : approche psychodynamique chez l’adulte, Erès, Ramonville Saint-Agne, pp 3145

28. Schilder P (1968) Limage du corps. Gallimard, Paris

29. Serin D (2002) Ensemble parlons autrement des cancers. Obser- vatoire de la communication et du langage. Face au cancer : au- delà des mots. Aventis, Paris

30. Sontag S (1979) La maladie comme métaphore. Le Seuil, Paris 31. Tarquinio C, Ficher GN, Barracho C (2002) Le patient face

aux traitements : compliance et relation médecin-patient. In:Fis- her G-N (ed), Traité de psychologie de la santé. Dunod, Paris, pp 22743

Références

Documents relatifs

Une femme diagnostiquée avec un cancer durant la période périnatale est amenée à gérer psychologiquement et de manière simultanée deux événements de vie menaçant son

L ’ intensité avec laquelle elle peut parfois se dire, et plus encore sa résistance à pouvoir être élaborée, lorsqu ’ elle s ’ attache aux atteintes corporelles générées

We found a significant higher level of negative emotion when they knew the news of cancer diagnosis and heavier symptom burden during the treatments in female cancer patients

En dernier lieu, considérant que les milieux de soins pal- liatifs spécialisés rejettent le projet de loi actuel et que, conséquemment, l ’ euthanasie pourrait très difficilement s

Dans cet article, nous n ’ avons pas parlé du climat trauma- tique de l ’ annonce lui-même, bien que rien de ce que nous décrivons n ’ aurait de sens clinique s ’ il ne s

La modification de nos repères dans la relation de soin, dans notre rapport au corps et au temps, l ’ évolution du cadre institutionnel viennent fragiliser la relation de soin..

Dans ce contexte, la visée éthique d ’ une prise en charge globale intégrant la perspective du patient exige, de la part des différents acteurs concernés et en particulier des

Abstract Aim : We hypothesized that: (1) the stage of malig- nancy, the patient ’ s age, and the occurrence of treatment- related side effects represent the strongest determinants