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Oncologie : Article pp.91-96 du Vol.7 n°2 (2013)

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ARTICLE ORIGINAL /ORIGINAL ARTICLE DOSSIER

Comment exercer une responsabilité éthique au quotidien en oncologie*

Ethical responsibility in everyday practice in oncology

M.-B. Orgerie

Reçu le 4 avril 2013 ; accepté le 10 mai 2013

© Springer-Verlag France 2013

RésuméLa relation de soin est porteuse d’enjeux éthiques.

C’est au sein de cette relation d’altérité que naît la démarche éthique. La modification de nos repères dans la relation de soin, dans notre rapport au corps et au temps, l’évolution du cadre institutionnel viennent fragiliser la relation de soin.

Les soignants et l’institution proposent de développer des outils pour organiser la réflexion éthique dans le quotidien tels les groupes d’éthique clinique. Ce travail critique des soignants vient alors stimuler l’évolution de l’institution.

Mots clésÉthique clinique · Responsabilité éthique · Collégialité · Institution · Soin

Abstract The task to take care of patients is an act with ethical stakes. The ethical approach begins within this rela- tion of otherness and reciprocity. The evolution of the rela- tion in taking care, the change of our perception of time and perception of the body make more fragile the essential part of the care. The medical staff and the institution suggest developing tools to promote ethical responsibility by the set- ting of groups of clinical ethics. Then this critical work of the medical staff stimulates the evolution of the institution.

KeywordsClinical ethics · Ethical responsibility · Collegiality · Institution · Care

Introduction Préambule

Le quotidien évoqué ici est le quotidien du soin vécu par l’équipe soignante et les médecins dans sa densité, son rythme, ses difficultés. C’est ce qui se répète et en même temps diffère. Ainsi, cette réflexion se nourrit de ce qui se vit au sein des services de soin et propose des repères à tra- vers des exemples, tirés de l’expérience d’un service d’oncologie.

Tout soignant s’interroge sur la façon d’être à sa juste place dans la relation avec le patient. Cette relation est en effet porteuse d’enjeux éthiques, car la relation soignant– soigné est dissymétrique. De plus, l’acte de soin touche l’in- timité et l’intégrité du patient, et les gestes et traitements proposés associent des bénéfices et des effets secondaires nécessitant le consentement éclairé de la personne soignée.

Ces enjeux se vivent dans le quotidien au sein de la relation.

C’est dans la rencontre, et dans l’expérience d’altérité et de réciprocité au sein de cette relation que naît la démarche éthique.

La personne vulnérable, malade ou fragile demande un engagement du soignant ou comme le dit Levinas

« convoque le soignant à répondre et prendre responsabilité » [6]. Si chaque soignant a fait l’expérience de cette motion intérieure face à la personne souffrante, il s’interroge aussi sur sa réponse, l’adéquation à la demande du patient, et sur le possible en tenant compte des contraintes de travail, de temps ou institutionnelles et de ses propres limites.

Comment poser alors les conditions d’une démarche éthique dans le soin ? Elle implique de définir les valeurs en jeu dans la relation de soin et d’établir des repères pour comprendre ce qui se joue dans ces relations au quotidien.

Alors que l’évolution actuelle vient bousculer nos repè- res, nous regarderons dans un premier temps certains de nos repères et comment ceux-ci peuvent modifier la relation de soin.

M.-B. Orgerie (*)

Oncologue, praticien hospitalier, centre Henry-S.-Kaplan de cancérologie, CHRU de Tours, hôpital Bretonneau, 2, boulevard Tonnelé, F-37044 Tours cedex, France e-mail : b.orgerie@chu-tours.fr

* Cet article est le fruit d’une intervention portant le même intitulé, faite le 14 juin 2012 lors de la 13eJournée de Psycho-Oncologie à Mulhouse et retranscrite sur le site de lAPOHR : http://www.

apohr.fr/index.php/les-journ-de-lapohr-mainmenu-36/13eme-jour- nee-de-psycho-oncologie/120-comment-s-exerce-une-responsabi- lite-ethique-au-quotidien.

DOI 10.1007/s11839-013-0416-4

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Nous verrons ensuite ce qui peut être proposé aux soi- gnants et aux médecins, les outils développés au sein des services et de l’institution.

Évolution de la relation de soin

Nous avons choisi de regarder quelques éléments de l’évo- lution touchant la relation patient–soignant et le cadre institutionnel.

Relation patient–soignant Primauté du respect de l’autonomie

La relation de soin est d’abord une rencontre entre deux per- sonnes dont l’une est en position de dépendance ou de vul- nérabilité liée à la maladie et l’autre en position de compé- tence par son savoir. Dans une société où l’autonomie est une valeur essentielle, cette dissymétrie au sein de la relation interroge et dérange. Le législateur a instauré par la loi du 4 mars 2002 dite de démocratie sanitaire un nouvel équilibre dans la relation.

La loi du 4 mars 2002 indique que « le patient prend avec le professionnel de santé et compte tenu des informations et des préconisations qu’il lui fournit les décisions concernant sa santé ». Cette loi propose l’autonomie du patient comme valeur première et de quitter un mode de relation paternaliste pour un mode égalitaire, témoin du passage de la primauté du principe de bienveillance au principe de respect de l’autonomie.

Ce cadre posé, comment trouver un équilibre entre les différentes valeurs fondant la relation de soin entre respect de l’autonomie, bienveillance et non-malfaisance ? Comment ne pas négliger les autres valeurs en jeu dans la relation ? Le contexte propre à la cancérologie amène à interroger la primauté du respect de l’autonomie dans plusieurs circonstan- ces dont la question de l’information, la participation à la décision ou le refus de traitement.

Concrètement, le respect de l’autonomie du patient implique de lui donner les informations nécessaires afin qu’il puisse, s’il le souhaite, participer à la délibération et à la décision. Ainsi, la décision mise enœuvre respectera au mieux les valeurs propres du patient et non celles des soignants ou encore celles que les soignants auront projetées sur le patient. Il importe de définir les champs de compé- tence de chacun et d’être à l’écoute du patient sur son sou- hait concernant l’information qu’il reçoit et sa participation à la décision. Il peut arriver que le patient s’en remette à l’équipe soignante et il est alors nécessaire de vérifier une compréhension adaptée—au mieux—avant de recueillir son consentement.

Le souhait sur la part prise par le patient dans la décision peut évoluer au cours de son parcours de soin et celui-ci doit être apprécié régulièrement et ce d’autant que lors de la phase d’annonce du cancer, il existe parfois une phase de sidération qui ne lui permet d’entendre ni l’information ni une vraie participation à la décision. Ainsi, une enquête menée auprès de 1 193 patients atteints d’un cancer colique ou pulmonaire métastatique, quatre mois après le diagnostic et la mise en place de la chimiothérapie, montre que 69 % des patients atteints d’un cancer du poumon et 81 % des patients atteints d’un cancer colique répondent que ce traite- ment est curatif [11]. Les patients qui entendent le moins l’objectif du traitement sont aussi ceux qui évaluent le plus favorablement la communication avec leur cancérologue. Ce n’est donc pas une absence de communication qui est à l’ori- gine de la difficulté de compréhension. Cette enquête sou- ligne la difficulté pour la majorité des patients à intégrer ou exprimer cette information d’une mort proche.

Un exemple de refus de soin : une femme de 60 ans traitée pour un cancer du sein d’emblée métastatique présente un an après le diagnostic et alors qu’elle est sous traitement par Herceptin des métastases cérébrales multiples avec des cri- tères de gravité. Elle refuse alors la radiothérapie, redoutant les effets secondaires de la corticothérapie et de la radiothé- rapie. Respecter son autonomie, est-ce que cela veut dire respecter sa décision alors que son refus compromet sa vie à court terme ? Bien que ses arguments semblent cohérents, peuvent-ils être suffisants face au risque encouru ? (Propor- tionnalité entre effets secondaires et gravité de l’évolution.) Qu’est-ce que cette femme a entendu du mauvais pronostic ? Quelle peut être alors la démarche du soignant prenant res- ponsabilité pour cette patiente ? Jusqu’où respecter la peur d’un patient à s’engager dans les traitements proposés et vivre la réalité de la maladie ? Comment évaluer qu’un refus est éclairé ?

Un exemple de participation à la décision : l’évaluation chez une patiente présentant des métastases osseuses et pul- monaires traitées par hormonothérapie, traitement bien toléré, montre une discrète progression de la maladie méta- statique sans symptôme. Deux choix peuvent être proposés : poursuivre le même traitement avec un risque d’évolution ou entreprendre un traitement plus lourd de chimiothérapie.

Comment prendre en compte l’autonomie de la patiente et décider avec elle ? Cela suppose qu’elle ait entendu et inté- gré qu’elle ne guérira pas, qu’elle puisse poser une priorité entre privilégier sa qualité de vie ou combattre le cancer.

La gravité de la maladie amène le patient à poser des prio- rités de vie qu’il n’a parfois pas envisagées avant la maladie ; et seuls le cheminement au long de ce parcours de soin et l’accompagnement peuvent favoriser cette réflexion. Cette acceptation, ce cheminement, poser les priorités, compren- dre le but des traitements ne peuvent être posés comme des évidences.

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Si la loi pose un cadre clair sur les droits des patients et le devoir des soignants, celui-ci doit être adapté au mieux à chaque patient selon ses souhaits, ses aptitudes, sa vulnéra- bilité. Notre attention est alors portée à reconnaître les ques- tionnements du patient, ses silences, le temps qui lui est nécessaire à l’intégration des informations. Ce temps est par- fois de plusieurs mois ou plus long encore. Respecter le rythme du patient et sa demande permet de cheminer et de construire en collaboration une autonomie qui prenne en compte la vulnérabilité de la personne malade.

Rapport au corps et risque d’objectivation

La maladie est analysée aujourd’hui comme le défaut d’un mécanisme corporel, et les traitements mis en œuvre visent à réparer l’organe ou le mécanisme défaillant.

Comme le souligne Marzano-Parisoli [8], « la pensée médicale a évolué vers une rationalité et une objectivité croissante, disqualifiant l’expérience du malade ». Cette compréhension analytique de la maladie a apporté des progrès techniques dans la démarche diagnostique et thé- rapeutique et propose une approche normative du corps.

La médiation technique biologique, radiologique et endo- scopique donne accès à une connaissance du corps et des mécanismes corporels de plus en plus performante mais peut occulter la clinique.

L’examen clinique tend à s’estomper au profit de ces examens complémentaires. L’échange d’informations, le contact physique de l’examen clinique, avec ce qu’il trans- met et ce qui est perçu, deviennent secondaires, voire igno- rés. La technique met à distance le corps du patient alors que la démarche éthique implique une proximité vis-à-vis de la personne. Quelle relation de soin si le corps n’est plus touché ? Comment associer haute technicité et regard sur la personne ?

Cette mise à distance du corps est parfois aussi intégrée par le patient lui-même qui est alors centré sur les résultats du scanner ou la courbe des marqueurs. Son inquiétude devient proportionnelle à l’augmentation de ces chiffres ou à l’évolution des images plus qu’à ce qu’il ressent de son état physique ou d’éventuels symptômes. L’accès du patient au modèle médicotechnique actuel, tant par l’accès à son dossier que les informations via Internet, lui permet d’appréhender ce raisonnement et de participer à la déci- sion médicale le concernant. Cependant, cette connais- sance médicotechnique n’est pas ce qui donne sens et cela peut l’amener à méconnaître les enjeux profonds de sa vie et à participer à la décision sans être à sa juste place.

Les performances de la technique médicale ont pour conséquence une technicisation des soins et il peut exister une dissociation entre geste thérapeutique et geste soi- gnant. Par exemple, la pose d’une chambre implantable, geste nécessaire pour délivrer la chimiothérapie, est par-

fois vécue par les patients comme une épreuve déshuma- nisante. Cela peut être lié au fait que les patients sont pris en charge alors dans un autre service, où ils ne sont pas connus, et où ils n’ont pas de repères, où la prise en charge est ponctuelle sans qu’un lien soit établi, où le geste lui- même est parfois considéré comme mineur avec l’absence de considération pour la personne qui peut accompagner ce geste. Tous ces éléments minimes, lorsqu’ils s’addi- tionnent, peuvent produire un sentiment d’absence de relation dans le soin et réduire ce geste à un acte tech- nique. Ce que ressent le patient n’est pas seulement lié à la personnalité de celui qui réalise ce geste mais aussi aux conditions pratiques d’organisation même du geste. Ainsi, la démarche éthique doit s’attacher aux conditions de l’acte de soin et lie la démarche personnelle du soignant et les conditions offertes par l’institution.

Rapport au temps

L’action de soin, du prendre soin, demande une vraie dispo- nibilité de la personne soignante. Cette disponibilité n’est possible que si le temps nécessaire est donné.

Notre rapport au temps s’est modifié profondément de façon collective, car « Les structures temporelles ont une nature collective et un caractère social » [10]. Notre rapport au temps évolue selon le modèle économique capitaliste où la vitesse est synonyme d’efficacité et de profit s’exprimant par des expressions telles « le temps c’est de l’argent » ou

« gagner du temps » [1]. L’urgence devient un mode prépon- dérant d’organisation dans la vie collective et se traduit dans les hôpitaux par l’explosion des services d’urgence.

Cette prédominance de l’immédiateté est répercutée dans les rythmes de travail.

Elle se traduit par une injonction de réponse immédiate au besoin qui a pour conséquence un travail haché, la perte de la continuité, mais aussi par la notion d’une nécessité de renta- bilité traduite par l’idée que seul est utile et valorisé le temps actif qui impose l’action, le faire. « Tout va de plus en plus vite, tout serait pris dans un mouvement permanent et le futur serait par conséquent totalement ouvert, incertain et désormais impossible à prévoir à partir du passé et du pré- sent » [10].

Que constatons-nous dans notre quotidien ?

La puissance de l’instant et la difficulté à s’inscrire dans la durée viennent modifier nos comportements face à l’épreuve. Comment traverser une épreuve sans prendre en compte le temps nécessaire ? Quel sens donner alors à cette épreuve ? L’accélération des rythmes (baisse de la durée moyenne de séjour [DMS], croissance des taux d’occupa- tion) et la multiplication des tâches, des réunions viennent mettre à mal le soin, diminuer les disponibilités et la capacité à être présent dans la relation. La relation soignant–soigné

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s’inscrit dans le temps et prend sens dans la durée, faite de ces temps de rencontre successifs. Cela est particulièrement vrai en cancérologie où le suivi du patient constitue un vrai accompagnement au long des jours et des années.

L’ensemble de ces mutations va vers une plus grande effi- cience technique, source de progrès, au risque cependant d’oublier ou de négliger ce qui fait sens dans la rencontre entre le patient et le soignant. Il y a nécessité alors de prendre du recul pour retrouver les enjeux de cette rencontre, lieu de l’engagement éthique.

Cadre institutionnel

L’institution hospitalière évolue et pose une exigence de rationalité qui se traduit dans son organisation et dans l’offre de soins. Si la rationalisation permet une homogénéisation des pratiques, une plus grande cohérence et un gain en effi- cacité, elle apporte aussi de nouvelles contraintes. La ratio- nalité qui préside à cette évolution est le plus souvent d’ordre économique et inspirée des procédures industrielles. Nous interrogeons la place du soin dans ce contexte.

Rationalisation des procédures de soin

La rationalisation nécessite la traçabilité de tout acte de soin tracé informatiquement. L’outil informatique permet un accès rapide et facile à l’ensemble du dossier de soin. Le choix est d’imposer cet outil nécessaire dans le cadre des procédures de traçabilité, mais l’existence même d’un écran entre le patient et le soignant vient modifier les conditions de la rencontre. L’attention du médecin ou du soignant est cap- tée par les procédures d’enregistrement des données, ce qui fait écran, si l’on n’y prend pas garde, à la rencontre et au dialogue. Comment alors penser la conjonction de ces deux impératifs et garder la priorité à la rencontre ?

Introduction des données économiques au sein des services

La santé a un coût et le politique a introduit progressivement cette notion du coût au sein des services de soins par la tari- fication à l’activité et la constitution des pôles. L’aspect économique de l’activité hospitalière longtemps ignoré est devenu très présent au quotidien au travers des actes de codage, du taux d’occupation des lits, de la durée moyenne de séjour (DMS).

La tarification à l’activité est une valorisation des actes médicaux. Celle-ci est perçue comme un outil d’allocation de ressources.

Ainsi, les informations concernant l’activité du service sont communiquées très régulièrement sous forme de tableaux d’activité, et les médecins et le personnel soignant

peuvent ressentir une responsabilité face à l’évolution des chiffres. Comme le souligne le rapport de l’IGAS de 2012 sur la tarification à l’activité [4], les équipes médicales et soignantes confrontées à la question du management des activités « non rentables » ont parfois le sentiment que les bonnes pratiques ne sont pas valorisées.

Il arrive aussi que la direction administrative vienne interroger l’équipe médicale sur son analyse des fluctua- tions d’activité. Cette investigation auprès des soignants peut prendre différentes formes et peut jouer sur la culpa- bilisation.

Les actes valorisés sont essentiellement des actes tech- niques tels les actes de radiologie, endoscopiques, ou les séances de traitement. La valorisation de l’acte intellectuel

—réflexion de synthèse sur un dossier, recherche bibliogra- phique—ne donne lieu à aucune valorisation financière et est de fait ignorée. Le choix de valoriser les actes techniques renforce la part technique de notre médecine. Il est ainsi économiquement parlant plus intéressant de proposer un acte (médecine du faire) que de s’abstenir.

Incitation à « produire » plus

Ce système de tarification incite tout naturellement à une croissance du nombre des actes pour garder au sein du pôle un budget constant ou en progression. Selon le rapport de l’IGAS [4], l’instauration de la T2A coïncide avec une aug- mentation de l’activité, augmentation expliquée en partie seulement par l’optimisation du codage. Ce même rapport reconnaît qu’elle favorise le raccourcissement de la DMS.

Il existe une incitation à plus d’activité, tant en nombre d’ac- tes qu’en taux d’occupation des lits. Dans ce contexte d’ac- célération des prises en charge et de multiplication des actes, quelle part est laissée au soin gratuit de la rencontre et de la parole ? La liberté de prescrire un acte diagnostique, une chimiothérapie, une hospitalisation ou même l’allongement de celle-ci peut être entravée par ce mode de valorisation.

Exercer une responsabilité éthique

Comment mettre en place les conditions qui vont favoriser le questionnement éthique, première étape nécessaire ? Quels éléments pratiques vont permettre cette interrogation éthique ? Nous regarderons quels outils au sein des services peuvent favoriser le questionnement éthique. C’est ce ques- tionnement qui nous ouvre à d’autres possibles, à l’autre comme autre et nous place en vis-à-vis.

La démarche éthique est une démarche personnelle et col- lective. Fondée sur une démarche collective, elle implique un engagement personnel. C’est un engagement mis en pra- tique dans la relation et mettant en jeu sa responsabilité. Cet engagement, cette volonté d’engagement a besoin d’un

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étayage, d’un partage, d’un apprentissage pour sensibiliser la conscience aux questions éthiques. Ces questions qui se posent dans notre quotidien sont multiples : des situations de tension entre soignants et patients, l’information au patient : ce que l’on dit et comment on le dit, des choix thérapeutiques difficiles, lors de l’arrêt de la chimiothérapie.

Et aussi les situations de tension entre soignants, les valeurs partagées au sein d’un service.

Au niveau personnel et au niveau de l’équipe

L’ouverture aux questions éthiques est favorisée par la forma- tion, le partage avec d’autres soignants et une attitude person- nelle de réflexion et de recul. Elle nécessite l’appropriation des normes nécessaires au vivre ensemble, la connaissance des textes législatifs et déontologiques, l’ensemble constituant une plateforme pour se situer et comprendre l’existant.

Le recul nécessaire

Dans notre quotidien, quels éléments nous informent d’une problématique éthique ? Selon Le Coz [7], un sentiment d’échec ou une angoisse sont souvent révélateurs d’une situation où la solution proposée (décision, information) n’est pas satisfaisante. L’angoisse, comme système d’alarme, nous informe d’un probable conflit entre deux valeurs et nous incite à réviser cette situation, c’est-à-dire à faire un retour a posteriori sur la situation pour analyser, clarifier et regarder les enjeux de la situation et de la déci- sion. C’est à partir de ce travail régulier d’analyse que nous pourrons anticiper les situations qui nous mettent en diffi- culté et en reconnaître les enjeux. Ainsi, notre parole sera plus claire sur ces enjeux, et la réponse au patient d’autant mieux adaptée.

Faire équipe

Le choix de faire équipe est une décision prise collective- ment et assumée par chaque membre de l’équipe. Cela amène à définir les valeurs partagées au sein de l’équipe, le rôle de chacun et la reconnaissance de chacun. C’est s’accor- der sur des règles de fonctionnement au sein du service, par exemple : ne jamais parler ou réduire un patient à un numéro de chambre, ou à une pathologie ; frapper avant d’entrer dans la chambre d’un patient, se présenter au patient. C’est aussi le choix des valeurs partagées comme l’attention et l’accueil de chacun, la convivialité, le refus de tout commérage. Ces choix aussi simples qu’ils soient permettent à chacun de se positionner et donnent une cohérence à l’équipe. Faire équipe, c’est aussi partager des temps de paroles que ceux- ci soient formalisés ou non.

Groupes d’analyse des pratiques

Le choix est fait dans certaines équipes d’instituer un temps de parole dont les enjeux peuvent varier et sont définis préa- lablement. Habituellement, l’enjeu de ces groupes est d’amé- nager un temps, non dédié au soin, pour faire émerger les interrogations, les doutes. Organisé en équipe, avec un inter- venant extérieur, un psychologue, ce temps de parole permet d’exprimer, dans un premier temps, les émotions et la souf- france des soignants devant certaines situations. Comme l’indique Lefève [5] : « l’une des difficultés du soin réside dans le travail de contrôle des émotions qui peut conduire à l’absence d’expression des émotions ». Cette expression des émotions est nécessaire pour aborder la phase réflexive et de compréhension. Il s’agit d’un temps de libération des émo- tions puis de compréhension des enjeux dans la relation per- mettant la clarification des valeurs en jeu. Ce travail en équipe favorise et permet un questionnement éthique.

Au niveau de l’institution

Le rôle de l’éthique clinique selon Boitte et al. [2] est « de proposer un espace critique de l’instituant et ainsi favoriser l’évolution de l’institution ». C’est-à-dire que l’exercice d’une fonction critique par les soignants dans un cadre donné permet l’évolution de l’institution. Pour cela, l’insti- tution doit proposer des lieux où les soignants peuvent exer- cer leur réflexivité. Ces lieux de parole permettent à travers les échanges entre soignants de saisir les mécanismes en jeu dans les décisions, de mettre à jour des valeurs et les tensions éventuelles entre ces valeurs. La mise en place de groupes, souvent appelés « groupes d’éthique clinique », répond à ce besoin de regard, d’analyse et d’évolution du soin au sein de l’institution. Ils associent des soignants et des non-soignants impliqués dans une réflexion sur le soin. La multiplicité des regards est une des richesses de ces groupes.

Groupes d’éthique clinique

Le but de ces groupes peut varier selon les institutions. Ils interviennent habituellement à partir d’une question liée au soin, une décision, les conditions d’un soin et concernent par là même directement la relation de soin. Le travail de ces groupes vient alors favoriser la prise d’une responsabilité éthique par les soignants au sein de l’institution grâce à ce questionnement, aux choix discutés et évalués au sein de ce groupe. Le but de ces groupes est de mieux penser le cadre de la décision dans les pratiques courantes comme le sou- ligne Mazéres [9]. En effet, ces groupes, qui favorisent la prise de distance, ont d’abord pour objet ce qui vient ques- tionner dans le soin au quotidien. Ils proposent une démar- che de questionnement, d’analyse du contexte, un regard

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pluridisciplinaire, et aussi une analyse a posteriori en exami- nant les conséquences des décisions prises [3].

Au CHU de Tours, à la demande des soignants a été mis en place depuis trois ans un groupe d’éthique clinique pour la cancérologie ORL. Ce groupe est composé des équipes médicales et paramédicales (cadre et infirmières) des servi- ces de radiothérapie et d’ORL, des psychologues des servi- ces, d’un philosophe, d’un théologien. Cette spécialité de la cancérologie a des caractéristiques propres comme le mau- vais pronostic de ces cancers, la défiguration par la maladie, le caractère mutilant de certains traitements, le contexte psy- chosocial des malades qui posent des problématiques spéci- fiques ayant justifié la mise en place de ce groupe. Petit à petit s’élabore une réflexion sur les propositions de traite- ments mutilants, la gestion des refus de trachéotomie, sur la prise en charge lors de pathologies intriquées. Ce travail de réflexion clarifie progressivement les enjeux pour les équipes et permet aussi d’adapter au mieux les propositions pour les patients.

Conclusion

La réflexion éthique appartient au travail du soignant et son absence est source de souffrance pour le patient et pour le soignant. Celle-ci est d’autant plus nécessaire que nous vivons de profonds changements dans l’organisation du tra- vail, de nos rythmes de travail et dans la relation avec le patient.

Cette réflexion menée au sein d’une équipe est concréti- sée dans l’engagement de chacun. Elle est nourrie de l’expé-

rience de chacun et reste toujours à poursuivre. Les choix institutionnels d’organisation, de gestion du temps, des valeurs promues par l’institution permettent ou peuvent favoriser une démarche personnelle et en équipe.

Conflit d’intérêt :l’auteur déclare ne pas avoir de conflit d’intérêt.

Références

1. Aubert N (2004) Notre société malade du temps, le culte de lurgence. Édition Flammarion

2. Boitte P, Jacquemin D, Cobbault JP, de Bouvet A (2007) Le contexte institutionnel de léthique clinique. Éthique et Santé 4:337

3. De Broca A (2012) La démarche en éthique clinique. Guide pour la mise en place dune réunion de concertation pluridisciplinaire en éthique. Éthique et Santé 9:1421

4. IGAS (2012) Évaluation des effets de la tarification à lactivité sur le management des établissements de santé. Rapport no

RM2012-011P

5. Lefève C (2012) Devenir médecin Question de soin. PUF 6. Lévinas E (1982) Éthique et infini. Dialogue avec Philippe

Nemo. Fayard

7. Le Coz P (2007) Petit traité de la décision médicale. Seuil 8. Marzano-Parisoli MM (2002) Penser le corps Questions déthique.

PUF, p 55

9. Mazéres JE (2009) Contribution à la qualification des démarches éthiques Bull Cancer 96(7):757–62

10. Rosa H (2010) Accélération du temps. Une critique sociale du temps. La Découverte, coll. « Théorie critique »

11. Weeks JC, Catalano PS, Cronin A, et al (2012) Patients’expecta- tions about effects of chemotherapy for advanced cancer. N Engl J Med 367(17):1615–25

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