• Aucun résultat trouvé

Article pp.129-132 du Vol.2 n°1 (2004)

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "Article pp.129-132 du Vol.2 n°1 (2004)"

Copied!
4
0
0

Texte intégral

(1)

L ECTURES ET DISCUSSIONS

L’ingénierie éducative d’un point de vue communicationnel

Parcours critique de l’ouvrage de Alain Chaptal, Efficacité des technologies éducatives dans l’enseignement scolaire – Analyse critique des approches française et américaine, Paris : L’Harmattan, col. Savoir et formation, 2003, 384 pages.

D’une thèse de doctorat de sciences de la communication remarquée, Alain Chaptal a tiré un ouvrage qui fera date. Non seulement il a gardé l’appareillage critique, les nombreuses références, la complexité et la progression de l’argumentation, mais il propose un texte bien découpé, soigneusement réécrit et d’une lecture aisée sur un sujet d’un grand intérêt théorique et « stratégique », et même de grande actualité.

Ce qui intéresse dans cet ouvrage, c’est qu’il émane d’un auteur qui a une connaissance directe, immédiate, « de l’intérieur », du sujet dont il traite (depuis environ 25 ans, Alain Chaptal, ingénieur de formation, collabore au CNDP, où il suit de près la veille technologique et les expérimentations en matière de TICE), et qui a su le problématiser, lui donner une dimension théorique affirmée et opérer comme on le verra un décentrement productif. Le lecteur critique que je suis y trouve cependant un autre intérêt : l’auteur, qui est un membre actif du séminaire

« Industrialisation de la formation » de la Société française des sciences de l’information et de la communication, a choisi de se placer du point de vue des sciences de la communication, et donc de se dégager des approches pédagogiques, techno-expérimentalistes et même cognitivistes qui sont encore largement dominantes, sinon parmi les chercheurs, du moins chez les professionnels directement impliqués : enseignants et technologues ; ce choix n’est évidemment pas le seul envisageable, mais il est d’autant plus pertinent qu’il demeure rare (alors que les changements en cours, tant des appareils de formation que des techniques le sollicitent plus que jamais). On ajoutera qu’Alain Chaptal ne s’interdit pas de faire part de ses préférences et de ses orientations pour les actions à engager (le développement des TICE doit selon lui donner lieu à ce qu’il désigne et définit comme une « ingénierie éducative »), mais il prend garde de ne pas (trop) mêler l’analytique et le normatif, et il laisse le lecteur suivre son argumentation avant d’en venir aux perspectives d’action (celles-ci tracées bien au-delà de la politique ministérielle).

Le premier apport de l’ouvrage est qu’il permet au lecteur français d’accéder à une connaissance précise de la littérature américaine spécialisée, consacrée aux technologies éducatives. Certes, la plupart des auteurs (Dewey, Thorndike, Skinner,

Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ds.revuesonline.com

(2)

130 Distances et savoirs. Volume 2 – n° 1/2004

Cuban, Saettler, le behaviorisme, le constructivisme, etc.) nous sont connus, mais généralement sans que les filiations et les oppositions théoriques entre eux, comme les conditions socio-historiques dans lesquelles ils ont émergé et se sont développés soient bien perçues). Alain Chaptal ne se contente pas de procéder à une présentation synthétique et à des rappels nécessaires (pour moi en tout cas), mais il prend soin de mettre ces élaborations théoriques en relation avec les évolutions des expérimentations et des réalisations : ainsi, si l’on découvre sans surprise que les préoccupations gestionnaires ont été croissantes (pour tenter de pallier les faiblesses avérées des systèmes de formation) et que le rôle incitatif et précurseur des militaires a été permanent tout au long du XXe siècle, on apprend que les associations professionnelles et les syndicats d’enseignants (dont la puissante National Education Association) ont été en la matière des acteurs déterminants, parfois dès les débuts du siècle. Par-delà ces éléments d’ordre historique, nécessaires à la compréhension du phénomène sur le long terme, ce que l’auteur interroge – et qui lui servira en quelque sorte de fil rouge théorique – c’est le modèle d’innovation qui est au fondement des initiatives, à savoir le modèle du top-down, dont il reprend la définition chez Larry Cuban, lequel lui fait correspondre des cycles (de l’innovation) : « A partir des expérimentations de quelques pionniers et visionnaires, la décision est prise par des décideurs qui la font relayer par divers échelons hiérarchiques avant de l’imposer aux enseignants… Mais le problème posé est celui de la généralisation, c’est-à-dire du passage de la phase des pionniers qui ont librement choisi, quelle que soit la diversité de leurs motivations, à celle d’acteurs pour qui le système s’applique de l’extérieur… » (p. 92 et sq.). Le principal est de noter ici est qu’étrangement, ce modèle vaut de part et d’autre de l’Atlantique : « De manière a priori surprenante, ce modèle du top-down, est, en effet, aussi le schéma dominant outre-Atlantique. Le système américain est décentralisé à l’extrême, l’éducation y relève, pour l’essentiel du niveau des Etats, le niveau fédéral n’ayant que peu de prérogatives. » Mais outre que le système éducatif américain est bien une réalité, « la situation américaine est fortement marquée par l’influence de la société et de ses idées dominantes que relayent les politiques de tout niveau » (p. 95).

C’est cette similarité, en quelque sorte systémique, qui justifie l’analyse croisée des réalisations des deux systèmes d’enseignement en matière de technologies éducatives à laquelle Alain Chaptal procède ensuite. La perspective se révèle particulièrement heuristique, elle lui permet de relire l’histoire des technologies éducatives en France (au moins jusqu’à IPT, informatique pour tous) avec des clés d’interprétation aidant à sortir d’un cadre national, qui se révèle moins « unique » qu’il n’apparaissait à première vue, en tout cas moins lié à des spécificités socio- organisationnelles et socio-politiques a priori écrasantes. Que le lecteur ne s’y trompe pas : il ne s’agit pas d’une simple analyse comparée (au sens trivial), c’est le détour que l’auteur a choisi pour conduire une analyse d’ensemble de l’histoire des technologies éducatives et de leurs inscriptions dans les sociétés ; et ces inscriptions se révèlent moins différenciées qu’il n’était prévisible. Le regard original qui est le sien à partir de là entraîne à la mise en évidence d’invariants. Incontestablement, c’est un résultat à prendre en compte. Doit-on s’en étonner ? Sans doute pas si l’on

Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ds.revuesonline.com

(3)

Lectures et discussions 131

se rappelle que le courant des technologies éducatives a, aux Etats-Unis comme en France, des sources d’inspiration et des références communes (Montessori, Piaget, Vigotsky et Freinet, entre autres). Mais que ces références communes interviennent, n’est peut-être pas l’essentiel ; Alain Chaptal le rappelle utilement, mais il a raison d’insister sur deux traits communs, que je suis prêt à qualifier de « structuraux » : d’une part le décalage entre la croissance du parc d’équipement (celle-ci constatable dans chaque Etat) et le retard dans la formation des usages, y compris avec internet (« Cette situation de tension entre efforts collectifs d’équipement et modestie d’usages qui restent encore confinés aux marges du système… », « l’écart se creuse entre usages prescrits et usages relevant de la routine professionnelle… », p. 135) ; d’autre part, le relatif épuisement des théories et leur incapacité grandissante à rendre compte de la complexité des développements en cours (même si l’auteur, à la suite de Monique Linard, est moins affirmatif sur les limites du constructivisme).

Le troisième apport concerne la question de l’efficacité des technologies éducatives, qui donne lieu à la seconde partie du livre, et, de façon quelque peu exagérée, a l’exclusivité du… titre de l’ouvrage.

Alain Chaptal, pour qui la multiplication des études engagées sur ce thème à la demande de décideurs est une source d’étonnement justifiée, s’intéresse de près aux méthodes d’évaluation dont il nous donne une typologie (fondée sur la distinction de 5 méthodologies de base) ainsi qu’aux méta-analyses (qui consistent en des traitements statistiques d’un grand nombre de données provenant d’études différentes de façon à mettre en cohérence leurs résultats). Cela ne l’empêche pas de considérer l’approche de l’efficacité comme une approche marquée (par la recherche de méthodes « scientifiques » de management et une préoccupation de réingénierie pédagogique) et même datée ; ainsi conclut-il : « …la question de l’efficacité des technologies apparaît en règle générale, singulièrement mal posée. D’une part, elle prend ses racines dans une conception industrielle totalement dépassée. D’autre part, elle s’est trop longtemps et vainement efforcée d’apporter une preuve comparative purement quantitative, que la complexité et l’imbrication des facteurs a jusqu’alors rendue vaine. » (p. 355). Or, insiste-t-il, « divers auteurs ont en effet montré qu’il n’existait pas d’effets cognitifs automatiques de la médiatisation technique et que c’était le processus découlant de l’interaction entre caractéristiques des machines et caractéristiques des situations et des acteurs qui importait. » (p. 355). Reprenant les critiques de Pierre Mœglin à Henri Dieuzeide, et à tout un courant français des technologies éducatives, critiques selon lesquelles leur conception sous-jacente de l’innovation se plaçait à un niveau trop élevé d’exigence, ne prenant pas en compte la réalité de la pratique enseignante dans les classes, il montre que jusqu’à présent, aussi bien du côté des gestionnaires, que du côté des promoteurs de l’innovation, on a accordé peu d’importance et d’intérêt à la liberté des enseignants, et à leur contrôle sur les processus. Ce point est capital dans son argumentation, d’autant qu’il reprend également la thèse de Larry Cuban selon laquelle pour la première fois dans l’histoire des technologies éducatives, celles qui émergent dans les années quatre- vingt-dix façonnent en profondeur les sociétés et, nous ajouterons, contribuent à modifier sur la longue durée, les normes d’action communicationnelle, et tout

Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ds.revuesonline.com

(4)

132 Distances et savoirs. Volume 2 – n° 1/2004

particulièrement les pratiques communicationnelles dans les systèmes éducatifs (qui, d’une certaine façon, en sont une préparation, voire une anticipation).

Et l’on retrouve le quatrième apport de l’ouvrage : la tentative d’Alain Chaptal de penser les technologies éducatives en relation avec l’ère nouvelle dans laquelle il est admis que nous sommes entrés depuis les années quatre-vingt-dix. Prenant appui sur des études américaines d’après lesquelles internet « réussirait » dans le domaine éducatif en ce qu’il conforte des pratiques antérieures (en matière d’information et de communication), il est d’avis que « ce qui apparaît radicalement nouveau, et l’apport distinctif d’internet est là déterminant, c’est le fait que ces technologies sont devenues des technologies de maîtrise personnelle de l’information, permettant l’appropriation, l’adaptation, et la personnalisation de celle-ci en fonction des besoins spécifiques de l’usager. » (p. 354). Cependant si nous suivons Alain Chaptal dans sa caractérisation des technologies éducatives pour la période actuelle (selon lui, elles sont devenues – enfin ! – matures, peu complexes d’emploi et n’imposent pas nécessairement de modèle pédagogique aux enseignants, ce qui explique largement leur « intégration » croissante et l’adhésion dont elles font de plus en plus l’objet), nous considérons qu’il manque de prudence lorsqu’il envisage « une tendance à la prise de contrôle par l’utilisateur final », c’est-à-dire par les enseignants. Ce qui est en débat ici, et qui déborde le cadre des appareils scolaires, c’est le sens à donner à l’individualisation des pratiques sociales, en relation avec les TIC.

Au terme de cette lecture d’un ouvrage dont je n’ai pas dissimulé les apports essentiels et dont je pense avoir montré combien il est toujours stimulant et informé, je me contenterai de signaler mes réserves et interrogations ; elles portent sur :

– le recours à l’approche constructiviste pour penser les changements en cours ; – la possibilité de refonder une ingénierie éducative, désormais

« contextualisée » ;

– l’emploi de l’expression « société de l’information » pour qualifier les mutations de l’information-communication ;

– la croyance dans le caractère fédérateur (convergent donc) de l’unicité numérique des données et des documents ;

– et l’accent mis sur l’activité décisive de l’utilisateur final (entendons : les usagers, éducateurs et apprenants), alors que d’autres évolutions sont tout aussi prévisibles (sur ce point je ne suivrai pas Alain Chaptal qui imagine à partir d’elles des scénarios).

Bernard Miège GRESEC (EA N° 608) Université Stendhal Grenoble 3 Bernard.Miege@pop.u-grenoble3.fr

Cet article des Editions Lavoisier est disponible en acces libre et gratuit sur ds.revuesonline.com

Références

Documents relatifs

Selon le Cspla, les agents publics entrent ainsi dans le champ de la législation sur la propriété littéraire et artistique et cèdent les droits d’exploitation de l’œuvre créée

Merci à la rédaction de Distances et savoirs de m’avoir invité à réagir à la recension par Daniel Apollon dans son n° 3 de 2003 de mon livre L’accès au savoir en ligne.

Elle est utile aux auteurs comme aux experts, que le texte parvienne dans les pages de Distances et savoirs aujourd’hui, ou qu’il soit simplement une étape d’un travail

Les localisations secondaires pulmonaires des mycéto- mes fongiques pulmonaires sont rarement décrites. 3 Prélèvement des grains noirs : a) en peropératoire au niveau du

The successful formula of this Course involves speakers of various countries with different back- grounds, practices and cultures, around practical themes.. The number of

L'evaluation neurophysiologique du plancher pelvien (pr Lefaucheur) tout en 6tant une extension de l'examen neurologique clinique, s'avere utile dans l'evaluation des

A virtual training centre is already in exis- tence at Aga Khan University in Karachi, and the first electronic courses on viral hepatitis and therapeutic

Les experts invitrs ?ace congrrs se basent non seulement sur la littrrature actuelle, mais encore, ce qui est d'importance, sur leur exprrience pratique