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Les pratiques d’exposition des jeunes sur Instagram en Suisse romande

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Academic year: 2022

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Texte intégral

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Master

Reference

Les pratiques d'exposition des jeunes sur Instagram en Suisse romande

SIEGRIST, Pascale

Abstract

L'espace digital étant un miroir de la réalité sociale, nous avons cherché à comprendre les pratiques d'exposition des jeunes sur Instagram. Ce travail s'intéresse aux pratiques de présentation de soi dans un contexte suisse romand, perçues comme le reflet des comportements des individus et des règles implicites observables dans la société en général.

A l'aide d'un questionnaire en ligne et d'entretiens semi-directifs, nous avons analysé les usages des jeunes sur cette plateforme, entre pression au conformisme et conscience de singularisation. Nous définissons quelles stratégies d'exposition sont employées afin d'atteindre différents types de gratifications, et comment ces stratégies témoignent des contraintes pesant sur ses utilisateurs.

SIEGRIST, Pascale. Les pratiques d'exposition des jeunes sur Instagram en Suisse romande. Master : Univ. Genève, 2021

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:153304

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MÉMOIRE DE DIPLÔME

MASTER EN JOURNALISME ET COMMUNICATION

Les pratiques d’exposition des jeunes sur Instagram en Suisse romande

Pascale Siegrist

N°14-319-826

Sous la direction du Professeur Patrick Amey Session de juin 2021

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Remerciements

La réalisation de ce travail de mémoire a été rendue possible grâce au soutien et à la contribution de plusieurs personnes qui ont joué un rôle essentiel, pour cela, je souhaite leur adresser mes remerciements les plus sincères.

Tout d’abord je souhaiterais remercier mon directeur de mémoire, M. Patrick Amey, pour son écoute et ses conseils qui m’ont guidée durant de ce travail.

Je remercie également M. Sébastien Salerno pour son aide apportée dans le cadre du cours de Pratique de la recherche 2 ainsi que tous les professeurs du Master en journalisme et communication de l’Université de Genève, qui ont su accroître mon intérêt pour la communication et les médias et mon sens de la réflexion critique.

Ce travail n’aurait pas été possible sans la participation de toutes les personnes avec qui j’ai mené mes entretiens et celles qui ont répondu à mon questionnaire, et je les remercie pour le temps qu’elles m’ont accordé pour m’aider à mener à bien ma recherche.

Enfin, j’adresse un grand merci à ma famille qui m’a toujours soutenue de manière inconditionnelle tout au long de mes années d’études, et à mes amies du Master pour leurs encouragements et leurs précieux conseils.

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Résumé

Ce travail de mémoire porte sur la manière dont les jeunes s’exposent sur Instagram, un réseau social dont le nombre d’utilisateurs ne cesse de croître. Nous nous intéressons à déterminer comment les jeunes entre 18 et 25 ans construisent leur profil dans un contexte suisse romand, et quelles sont les stratégies de présentation de soi qui sont mobilisées. Dans une société où le numérique est toujours plus présent, et où le digital apparaît comme un miroir de la réalité sociale, nous avons souhaité nous pencher sur les pratiques d’exposition sur Instagram, dans leur capacité à refléter les règles à suivre et les comportements observables dans la vie sociale en général. Au moyen d’un questionnaire en ligne récoltant un total de 112 répondants et de six entretiens semi-directifs, nous avons analysé ces pratiques, entre pression au conformisme et recherche de singularisation.

Car la manière de constituer son profil sur un réseau social et d’y publier des contenus ne va pas de soi. Elle se fait selon des normes implicites, intégrées et valorisées par la collectivité. L’utilisateur est inscrit au sein d’un groupe de pairs, qui l’oriente en partie dans ses pratiques d’exposition, de manière plus ou moins consciente. Une forme d’imitation s’observe ainsi sur la plateforme. Celle-ci offre à la fois des opportunités pour ses utilisateurs, libres de s’exposer de manière choisie à un entourage défini, mais elle apporte aussi certaines contraintes. Le respect de règles à suivre, où certains contenus sont plus valorisés que d’autres, est nécessaire et certaines pressions peuvent ainsi peser sur les utilisateurs.

Si les usages sur Instagram diffèrent en fonction de chaque utilisateur, de sa personnalité, de sa perception de la plateforme et de son entourage, certaines tendances communes s’observent. Car les utilisateurs ont le même but d’obtenir une forme de validation de ses contenus par son entourage, qui participe à orienter la manière dont ils s’exposent sur la plateforme. Ce mémoire de diplôme met en lumière d’une part les gratifications retirées par les jeunes lorsqu’ils s’exposent sur Instagram, et d’une autre, les règles implicites les guidant dans leurs pratiques, et comment celles- ci peuvent parfois peser sur les utilisateurs dans leur quête de reconnaissance.

Mots-clés : présentation de soi, usages et gratifications, Instagram, stratégie d’exposition en ligne, recherche de validation sociale, imitation entre pairs

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Table des matières

Remerciements ... 1

Résumé ... 2

Table des illustrations ... 5

1. Introduction au sujet ... 6

2. Problématique ... 8

3. Hypothèses de recherche ... 10

3.1 Hypothèse 1 ... 10

3.2 Hypothèse 2 ... 10

3.3 Hypothèse 3 ... 11

4. Cadre théorique ... 12

4.1 La présentation de soi ... 12

4.1.1 Le concept selon Erving Goffman ... 12

4.1.2 L’exposition de soi en ligne et la création stratégique de l’identité ... 14

4.2 L’utilisation des réseaux sociaux par les jeunes ... 18

4.2.1 Introduction aux réseaux sociaux ... 18

4.2.2 La relation des jeunes aux réseaux sociaux ... 19

4.2.3 La plateforme Instagram ... 22

4.3 La reconnaissance de soi et la validation des pairs à travers la mise en visibilité ... 27

4.3.1 La reconnaissance de soi ... 27

4.3.2 Les luttes pour la visibilité ... 29

5. Terrain ... 31

6. Méthodologie ... 32

6.1 Une recherche combinant questionnaire et entretiens ... 32

6.2 L’opérationnalisation des hypothèses ... 33

6.3 Le questionnaire en ligne ... 37

6.3.1 Justification de la méthode ... 37

6.3.2 Elaboration du questionnaire ... 38

6.3.3 Méthode de passation du questionnaire ... 41

6.4 Les entretiens semi-directifs ... 42

6.4.1 Justification de la méthode ... 42

6.4.2 Conception de la grille d’entretien ... 43

6.4.3 Déroulement des entretiens ... 44

7. Description des résultats obtenus ... 46

7.1 Résultats du questionnaire ... 46

7.1.1 Les répondants au questionnaire ... 46

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7.1.2 La manière de constituer le compte Instagram ... 47

7.1.3 La sélection de contenus à publier sur Instagram ... 54

7.1.4 Retour sur les chiffres-clés obtenus par le biais du questionnaire ... 59

7.2 Résultats des entretiens ... 60

7.2.1 Conception d’une grille d’analyse catégorielle ... 60

7.2.2 Les différentes logiques de présentation de soi ... 61

7.2.3 Les gratifications tirées de l’exposition de soi ... 63

7.2.4 La recherche de validation ... 66

7.2.5 L’imitation entre pairs ... 69

7.2.6 La perception générale de la plateforme ... 73

8. Discussion des résultats ... 75

8.1 Discussion par hypothèse ... 75

8.1.1 H1 : Les jeunes en Suisse romande construisent leur profil Instagram en suivant des codes implicites, visant à l’obtention d’une validation sociale. ... 75

8.1.2 H2 : Dans leurs stratégies de présentation de soi sur Instagram, les jeunes en Suisse romande se conforment à des normes qui s’articulent autour du désir d’attractivité, d’intérêt à susciter chez leurs pairs, et d’un désir de popularité. ... 78

8.1.3 H3 : Un phénomène d’imitation s’observe sur Instagram dans les pratiques de présentation de soi par les jeunes en Suisse romande. ... 82

8.2 Limites et apports de la recherche ... 86

8.2.1 Les principales limites de notre recherche ... 86

8.2.2 Les apports de notre recherche ... 87

9. Conclusion ... 88

10. Références ... 89

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Table des illustrations

Figure 1 : Tableau des effets des réseaux sociaux sur le bien-être des jeunes 25 Figure 2 : Score général d’Instagram vis-à-vis du bien-être des jeunes 25 Figure 3 : Tableau synthétisant l’opérationnalisation des hypothèses 36

Figure 4 : Genre des répondants 46

Figure 5 : Age des répondants 46

Figure 6 : Canton de résidence des répondants 46

Figure 7 : Activité actuelle des répondants 46

Figure 8 : Activité du compte Instagram en années 47

Figure 9 : Comptes privés et publics 47

Figure 10 : Nombre d’abonnés des répondants 48

Figure 11 : Nombre d’abonnements des répondants 48

Figure 12 : Nombre de publications totales 49

Figure 13 : Utilisation de l’option de mise en évidence des stories sur le profil 50 Figure 14 : Fréquence de publication de photos permanentes 50 Figure 15 : Fréquence de publication de stories 51 Figure 16 : Nombre de likes moyen par publication 52

Figure 17 : Nombre de vues moyen par story 52

Figure 18 : Les personnes présentes sur les publications 54

Figure 19 : Types de contenus publiés 54

Figure 20 : Critères de sélection d’une publication permanente 55 Figure 21 : Critères de sélection d’une story 55 Figure 22 : Durée moyenne pour poster une publication permanente 57 Figure 23 : Durée moyenne pour poster une story 57 Figure 24 : Infographie sur les chiffres-clés obtenus 59 Figure 25 : Tableau de synthèse des résultats des hypothèses de recherche 85

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1. Introduction au sujet

A l’heure où le digital prend chaque jour plus d’importance, nos comportements et nos manières d’interagir se voient bouleversés. Dans nos modes de vie en général comme dans nos manières de rencontrer de nouvelles personnes, nous assistons à un véritable chamboulement lié au développement du numérique.

L’avènement du Web 2.0, entre 2005 et 2008, a apporté avec lui de nombreux changements quant à nos manières de communiquer et d’interagir avec notre entourage. Il se distingue du Web 1.0 par le fait qu’il place au cœur de son mode de fonctionnement la participation active des usagers. Ces derniers sont passés d’un statut d’utilisateur passif qui visualise des contenus à celui de créateur actif de contenus. L’émergence du Web 2.0 va de pair avec l’avènement des réseaux sociaux d’abord avec Facebook en 2006, puis avec de nouvelles plateformes qui sont venues s’ajouter au paysage numérique année après année. Nous assistons à la naissance du web social, qui fonctionne sur un modèle favorisant les échanges et les interactions entre utilisateurs.

Aujourd’hui, le nombre de personnes sur les réseaux sociaux ne cesse de croître, et certaines plateformes connaissent une croissance particulièrement rapide. En 2020 à travers le monde, plus de 4,5 milliards de personnes utilisent Internet, dont 3,8 milliards qui font usage des réseaux (Source : Rapport digital 2020 de We Are Social et Hootsuite).1 Ceci signifie que près de 60% de la population mondiale utilise Internet, et que la moitié de cette population emploie les réseaux sociaux.2 Cela nous permet de mieux saisir les enjeux liés aux plateformes en ligne ainsi que le potentiel qu’elles représentent, à un niveau commercial comme à un niveau social.

Les réseaux sociaux représentent aujourd’hui pour ses utilisateurs une nouvelle manière d’interagir avec son entourage, de créer son identité, puis de l’exposer à autrui. Et comme dans l’espace social, la manière de se définir ne se fait pas de manière aléatoire, mais comporte certaines règles implicites qu’il est important d’intégrer.

La présentation de soi sur les plateformes en ligne se fait notamment en fonction du groupe de pairs dans lequel l’utilisateur est inscrit ou souhaite s’inscrire, et les règles implicites d’exposition de soi varient selon le contexte et d’une plateforme à une autre.

Dans le cadre de notre recherche, c’est sur Instagram que nous nous concentrons.

Cette plateforme, dont la création remonte à 2010, voit son nombre d’utilisateurs augmenter au fil des années, et compte aujourd’hui plus d’un milliard d’usagers actifs mensuels dans le monde, et plus de 500 millions de comptes sont actifs chaque jour (Source : Digimind).3

La spécificité de cette plateforme est qu’elle se concentre sur l’aspect visuel, en proposant à ses utilisateurs de partager des contenus photographiques ou des vidéos soit de manière permanente sur leur profil, soit sur une durée limitée avec les stories.

1 https://wearesocial.com/digital-2020 consulté le 14 mai 2021

2 Ibid

3 https://blog.digimind.com/fr/agences/instagram-chiffres-incontournables-2020-france-et- monde#monde consulté le 14 mai 2021

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Instagram fonctionne, comme les autres réseaux sociaux, par le biais d’un algorithme qui participe à mettre en avant certains contenus selon des critères qui lui sont propres et qui restent partiellement flous à ce jour pour ses utilisateurs. Les plateformes en ligne sont particulièrement prisées des jeunes générations, et la plupart des études menées sur les thématiques de l’exposition de soi et de la création de l’identité en ligne concernent les pratiques des jeunes. Sur Instagram au niveau mondial, près d’un tiers des utilisateurs en 2021 sont âgé de 18 à 24 ans (Source : Statista)4.

Dans ce contexte de développement croissant des réseaux sociaux, et vu leur utilisation de la part des jeunes, il nous semble intéressant de nous pencher sur la manière dont ceux-ci s’exposent. Cette recherche prend un ancrage local, en se focalisant sur les jeunes âgés de 18 à 25 ans et vivant en Suisse romande.

Dans un contexte où de plus en plus de personnes se créent un compte sur ces plateformes, notamment sur Instagram, il devient plus difficile pour l’usager de faire en sorte que ses contenus soient vus. Dans cette surabondance de contenus partagés, obtenir de la visibilité devient un véritable enjeu de lutte. Dans le but d’analyser comment les jeunes partagent du contenu, nous avons adopté une approche liée aux pratiques concrètes, à l’aide d’une méthode combinant un questionnaire et six entretiens, afin de mieux comprendre la diversité des pratiques d’exposition des jeunes sur Instagram dans le contexte suisse romand.

4 https://www.statista.com/statistics/248769/age-distribution-of-worldwide-instagram-users/ consulté le 14 mai 2021

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2. Problématique

Pour cette recherche, nous avons adopté une approche centrée autour des pratiques des utilisateurs sur les réseaux sociaux. Plus précisément, nous nous intéressons aux pratiques des jeunes entre 18 et 25 ans sur Instagram, dans un contexte suisse romand. Les réseaux sociaux constituent un riche terrain d’analyse, dans le sens où ils permettent de partager facilement des contenus diversifiés, ceux-ci étant à la fois facilement accessibles et durables dans le temps. Selon nous, mener une recherche sur les pratiques des utilisateurs des réseaux sociaux, et s’intéresser aux normes implicites qui en règlent la mise en pratique, présente un intérêt dans le sens où ces plateformes reflètent les pratiques de la vie sociale en général. Car dans l’espace social comme sur les plateformes en ligne, créer son identité se fait selon plusieurs critères.

La présentation de soi se fait notamment en fonction de l’entourage de l’individu, soucieux à la fois de se distinguer des autres, et de tisser avec eux des liens en partageant des valeurs et des points communs. Lors de partages de contenus en ligne, l’utilisateur est tiraillé entre d’une part le désir de se singulariser en créant sa propre identité, et d’autre part l’envie de faire partie de groupes sociaux, ce qui l’amène à adopter des formes de présentation de soi similaires aux autres. Des critères d’appartenance s’observent dans l’espace social, et c’est également le cas sur les réseaux sociaux, où les profils sont créés de manière comparable entre les individus appartenant au même groupe de pairs.

Une forme d’imitation peut être observée, notamment sur Instagram, où les utilisateurs publient certains types de contenus comparables, et d’autres éléments en revanche apparaissent moins sur la plateforme. Ce qui est montré correspond à ce qui est valorisé par la collectivité, les usagers ont donc tendance à publier les mêmes types de contenus. En revanche, tout ce qui ne participe pas à les montrer sous cet angle positif n’est généralement pas exposé.

Dans ce contexte où la présentation de soi sur les réseaux sociaux se fait de manière normée, nous pouvons nous poser la question quant à une éventuelle pression qui peut se faire ressentir chez les utilisateurs, en particulier chez les jeunes. Cependant, il est intéressant de noter que même si les plateformes en ligne fonctionnent en partie comme dans l’espace social, avec une présentation de soi qui se fait selon des codes implicites intégrés par ses usagers et en fonction de l’entourage et de ce qu’il valorise, celles-ci offrent tout de même un avantage non négligeable à ses utilisateurs. En effet, elles permettent aux personnes de s’exposer à leur entourage de manière choisie. Des stratégies identitaires d’exposition de soi peuvent être mises en place, permettant à l’individu d’avoir un contrôle sur ce qu’il expose et sur ce qu’il occulte. Ces stratégies varient d’un utilisateur à un autre.

Instagram est une plateforme qui permet tantôt à l’utilisateur d’être actif, en partageant du contenu, tantôt passif en suivant d’autres comptes et en regardant ce qu’ils publient.

Les contenus partagés peuvent obtenir des retours de la part des autres utilisateurs, grâce aux likes et aux commentaires, et chaque compte a un certain nombre de followers qui s’abonnent pour voir ces contenus. Les likes et les followers sont perçus

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dans le cerveau comme une sorte de récompense, car ils y génèrent de la dopamine, qui à terme peut provoquer une forme de dépendance (Source : Arte).5

Ces retours positifs de la part de l’entourage de l’utilisateur sont essentiels car ils servent à amener une validation quant aux contenus partagés. Le fait de sentir une appartenance à un groupe et une acceptation de soi est un besoin fondamental des individus, et afin de sentir cette reconnaissance, il convient aux utilisateurs de s’exposer sur les plateformes selon des règles implicites établies et reconnues par le groupe de référence. Cette réflexion quant à cette double facette d’Instagram, tantôt offrant des opportunités positives à ses usagers de créer et montrer leur identité comme ils le souhaitent, tantôt contraignante avec une forme de pression à l’acceptation de soi passant par l’intégration de normes implicites, nous guide vers la question centrale qui va orienter notre recherche :

Quelles sont les modes de présentation de soi qui peuvent être observés chez les jeunes sur Instagram, et quelles sont les normes implicites qui en règlent la mise en pratique ?

Pour y répondre, nous nous sommes intéressés à la manière dont les jeunes construisent leur identité sur cette plateforme. Nous avons cherché à comprendre quelles sont les stratégies identitaires qu’ils emploient dans le processus d’exposition de soi, et quelles sont les normes observées sur Instagram qui participent à guider leurs pratiques. Plusieurs questions de recherche ont guidé notre réflexion : Peut-on observer des normes implicites à suivre dans les processus de construction de l’identité ? Selon quelles stratégies, les jeunes construisent-ils leurs profils ? Peut-on observer un phénomène d’imitation, où la manière dont l’entourage construit son identité en ligne participe à guider les utilisateurs dans leur façon de s’exposer ? Toutefois, il est important de garder en tête que les raisons poussant les jeunes à s’exposer sur Instagram sont hétérogènes, et malgré le fait que certaines pratiques communes puissent être observées au sein d’un même groupe, il est important d’éviter tout type de généralisation. Tous les profils sont différents, car ils dépendent de la personnalité de l’utilisateur, et celui-ci fait parfois partie de plusieurs groupes sociaux différents, ce qui les pousse à s’exposer de manière singulière. De plus, de nombreux jeunes choisissent de ne pas s’exposer sur les réseaux, ou ne souhaitent pas forcément s’y exposer sous l’angle positif tel que nous l’avons décrit précédemment.

Pourtant, le fait de vouloir volontairement aller à l’encontre des normes dominantes valorisées témoigne également selon nous de l’importance que prennent ces normes implicites dans la présentation de soi. En raison de ces différents cas de figure, voilà pourquoi nous nous intéresserons plus au comment ces jeunes se présentent sur Instagram, en analysant leurs pratiques d’exposition, et moins au pourquoi ils s’exposent de telle ou telle façon. Ces questionnements nous ont permis d’articuler trois hypothèses de recherche.

5 https://www.arte.tv/fr/videos/085801-004-A/dopamine/ consulté le 7 octobre 2020

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3. Hypothèses de recherche

3.1 Hypothèse 1

Les jeunes en Suisse romande construisent leur profil Instagram en suivant des codes implicites, visant à l’obtention d’une validation sociale.

Pour cette première hypothèse, nous partons du constat selon lequel les jeunes ne créent pas leur profil de façon aléatoire. La manière de constituer son profil (mettre son compte en privé ou en public, la fréquence de publication, le nombre de contenus publiés, le rapport entre le nombre de followers et le nombre de comptes suivis, le nombre de likes) se fait en fonction de certaines normes implicites collectives.

De plus, le fait de publier sur les réseaux sociaux représente peu d’intérêt pour l’utilisateur si son contenu n’est pas vu et reconnu par l’entourage à qui il est diffusé.

Lorsqu’une publication ou une story est publiée, un retour positif (en likes, commentaires ou nombre de vues) est attendu, d’où cette première hypothèse selon laquelle l’utilisateur s’attend à une validation de la part de ses pairs. Pour pouvoir exister, le compte doit aussi avoir un certain nombre de followers. Cette attente de reconnaissance de l’entourage va notamment participer à orienter ce que la personne publie sur son profil.

3.2 Hypothèse 2

Dans leurs stratégies de présentation de soi sur Instagram, les jeunes en Suisse romande se conforment à des normes qui s’articulent autour du désir d’attractivité, d’intérêt à susciter chez leurs pairs, et d’un désir de popularité.

Ces trois normes implicites de désir d’attractivité (appear attractive), d’intérêt (appear interesting) et de popularité (appear likeable) sont tirées de l’étude de Joanna C. Yau et Stephanie M. Reich (Yau & Reich, 2018, pp. 201-202). Cependant, quelques éléments viennent selon nous les compléter dans la manière dont les jeunes entre18 et 25 ans s’exposent sur Instagram dans le contexte suisse romand.

- En ce qui concerne la norme d’attractivité, les jeunes ont généralement tendance à poster des publications visant à se mettre en valeur d’un point de vue physique et esthétique. Les utilisateurs sont toutefois souvent conscients de cette dimension de mise en scène, qui peut être contrebalancée par le vecteur de l’humour et de l’autodérision.

- Pour la norme d’intérêt, les jeunes ne postent pas uniquement des publications concernant les moments importants et intéressants de leur vie, mais aussi des contenus liés à leur quotidien. Les contenus postés sur Instagram doivent toutefois participer à montrer l’utilisateur comme digne d’intérêt et doivent susciter de l’intérêt chez l’entourage.

- La norme de popularité concerne le fait qu’il est important pour l’utilisateur de montrer qu’il est entouré socialement, par le biais des contenus postés et des

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chiffres de la plateforme (les likes sur les publications ou le nombre de followers). Toutefois, ce besoin est à relativiser, notamment en raison du caractère parfois artificiel de ces chiffres qui peuvent être achetés. Le fait que la plateforme évolue, comme avec l’apparition des stories qui ne permettent pas de recevoir de likes, et le fait que la plateforme ait supprimé la présence des likes dans certains pays, participe aussi à modifier la perspective qu’ont les utilisateurs face à l’injonction implicite de popularité.

3.3 Hypothèse 3

Un phénomène d’imitation s’observe sur Instagram dans les pratiques de présentation de soi des jeunes en Suisse romande.

L’imitation observée dans les modalités de présentation de soi entre pairs chez les jeunes est présente selon nous tant dans les types de contenus qui sont publiés sur Instagram que dans la manière de publier. Cependant, on admet plus souvent que ce sont les autres qui imitent, et que l’influence s’exerce moins sur soi-même. Afin de tester cette troisième hypothèse, nous nous sommes intéressés à l’influence qu’exercent les groupes de pairs sur la manière dont les utilisateurs constituent leur profil et sur les différents types de contenus qui y sont publiés.

Selon nous, les modes de publication de l’entourage constituent le facteur dominant dans les stratégies d’exposition de l’utilisateur, poussant ce dernier à se conformer (de manière plus ou moins consciente) en adoptant des pratiques similaires et en publiant des contenus comparables au sein d’un même groupe. Une pression à la conformité s’observe ainsi sur Instagram pour notre groupe étudié, à savoir les jeunes de 18 à 25 ans en Suisse romande.

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4. Cadre théorique

4.1 La présentation de soi

4.1.1 Le concept selon Erving Goffman

Erving Goffman est un sociologue incontournable pour comprendre le concept de la présentation de soi, qui est essentiel dans le cadre de notre recherche pour aborder les réseaux sociaux et la manière dont les utilisateurs se constituent un profil sur ces plateformes. Dans les années 1950, il a mené une étude qui analyse les mécanismes de présentation de soi. Comment un individu se présente-t-il aux autres ? Comment gère-t-il l’impression qu’il souhaite leur donner ?

Pour répondre à ces questions, Erving Goffman étudie la communication interpersonnelle et cherche à comprendre quelles sont les normes relationnelles mises en place par les personnes pour « garder la face » (Goffman, 1973). La face étant l’image que chaque individu cherche à mettre en avant et à préserver durant tout type d’interaction. Cette face est par définition positive, car les personnes cherchent avant tout à véhiculer une image positive d’eux-mêmes, à travers des actes de valorisation.

Cette idée rejoint notre seconde hypothèse.

Cette approche est très importante en sociologie car elle permet d’apporter un éclairage sur la façon dont les individus négocient en permanence l’image qu’ils donnent d’eux-mêmes, à travers un jeu de faces. Il s’agit d’une approche qui s’inscrit dans le courant de l’interactionnisme symbolique, où les interactions sont décrites comme étant construites et réfléchies, ce que nous postulons également pour ce travail. Lorsqu’une personne est soumise au regard d’autrui, elle mobilise des processus afin de gérer l’image qu’elle donne d’elle-même et ainsi obtenir une forme de crédibilité.

Le rapprochement entre espace social et théâtre

Dans son ouvrage La mise en scène de la vie quotidienne, Erving Goffman explore la forme de théâtralisation qui est présente dans l’espace social. Selon lui, les interactions humaines, qu’il compare à une forme de mise en scène, sont le résultat d’un jeu de rôles. Goffman effectue une comparaison entre espace social et scène de théâtre, et rapproche les individus composant cet espace à des acteurs qui interprètent des rôles. Sur les réseaux sociaux, le même phénomène est observable, d’où l’intérêt de ce rapprochement pour notre travail. Les individus doivent faire un travail continu afin d’actualiser leur rôle, ceci en fonction du contexte de l’interaction. Afin d’explorer ce concept de théâtralisation, d’autres notions issues du théâtre sont mobilisées par Goffman :

- La scène, qui correspond à l’espace social. C’est le lieu où les individus performent leur rôle afin de garder une maîtrise sur l’impression qu’ils donnent aux autres. Pour notre recherche, la scène correspond à la plateforme Instagram.

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- Le public, qui est assimilé au regard d’autrui dans l’espace social et qui pousse les individus à adopter des rôles spécifiques en fonction du contexte. Dans notre recherche, il s’agit des personnes à qui les contenus sont diffusés.

- Les coulisses (que Goffman nomme aussi région postérieure), qui à l’inverse de la scène (aussi appelée région antérieure), représentent les moments où les individus n’ont pas besoin de mettre de masque.

L’individu, en fonction du contexte et de son interlocuteur, choisit le masque qu’il va porter et s’adapte pour garder une maîtrise de l’impression qu’il transmet. Ce masque prend une importance supérieure à la réalité, car l’interlocuteur en face ne dispose que de cette apparence donnée pour se faire une impression.

C’est aussi le cas sur les réseaux sociaux, où une personne ne dispose parfois que du profil de l’autre pour se faire une idée de sa personnalité. Ce profil prend alors une importance considérable dans le but de faire bonne impression. Cette impression doit cependant être en permanence renégociée, elle doit être actualisée de manière régulière afin de rester efficace. Cette réflexion nous amène vers un concept essentiel de l’ouvrage de Goffman, celui de la façade.

La définition de la façade

La façade correspond à tout ce qu’un individu montre de lui dans le but de fournir à son interlocuteur ou à un public l’image qu’il souhaite donner. Elle varie d’un individu à l’autre, mais chacun tente de se montrer sous son meilleur jour. Goffman définit la façade comme « la partie de la représentation qui a pour fonction normale d’établir et de fixer la définition de la situation qui est proposée aux observateurs [...] un appareillage symbolique utilisé habituellement par l’acteur, à dessein ou non » (Goffman, 1973, p. 29).

Cette façade, employée par les acteurs pour négocier l’image qu’ils transmettent, a une composante personnelle (qui correspond à l’ensemble de caractéristiques personnelles que l’acteur ne peut changer) et une composante sociale (moins stable car dépendant du contexte, ce sont les représentations qui sont attendues des acteurs en fonction de leur rôle dans la société). Comme le dit Goffman dans la citation ci- dessus, la façade peut être intentionnelle ou pas. Un acteur peut être conscient du fait qu’il performe un rôle, comme il peut l’avoir intégré complètement et ne plus s’en rendre compte.

La mise en scène peut donc être le fruit d’une initiative consciente de la part de l’individu, ou ce dernier peut être dupe de son propre jeu. Goffman souligne la complexité entre ces deux pôles qui peuvent se rejoindre. Parmi ceux qui sont conscients de cette mise en scène, certains ne croient pas en leur propre jeu, toutefois, ils performent leur rôle de manière volontaire. C’est ce que Goffman qualifie de comportement cynique, qui peut être le résultat d’une volonté de l’individu de dominer son entourage, ou au contraire du fait qu’il ait une réelle considération pour ce dernier.

Un autre type de comportement est celui qu’il qualifie de sincère, pour ceux qui croient dans leur propre jeu jusqu’à s’en convaincre eux-mêmes.

La lucidité de l’acteur face à ces représentations varie, et ce même phénomène peut être observé sur les réseaux sociaux, d’où l’intérêt de cette réflexion. Goffman souligne

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le rôle des codes sociaux qui sont instaurés et intégrés par les individus afin de garder la face, et celle de l’interlocuteur. Les formules de politesse par exemple font partie de ces règles implicites à suivre dans l’espace social. Bien sûr, les règles varient d’un contexte à un autre et selon le public.

La mise en scène comme outil de socialisation

Là où les concepts de mise en scène de soi et de façade prennent tout leur sens, c’est dans leur finalité. Si les individus procèdent à ce rituel, ce n’est pas sans raison. Le fait de performer correspond à une attente sociale, et se mettre en scène permet à l’individu de se sociabiliser. Dans cet effort de socialisation, il est attendu de la personne qu’elle mette en avant ses aspects « idéalisés » (Goffman, 1973, p. 40). Cela va de pair avec le fait que des processus sont mis en place pour garder secret ce qui n’est en revanche pas valorisé. L’idéalisation de soi passe donc par le fait d’afficher les valeurs sociales partagées par la communauté, et d’omettre les aspects qui ne sont pas valorisés ou pas cohérents avec l’image que la personne souhaite véhiculer.

Si les personnes ont tendance à procéder ainsi, c’est aussi pour préserver les relations dans le but d’obtenir une forme de reconnaissance. Il s’agit d’un besoin fondamental, qui sert non seulement à être aimé en tant que personne, mais aussi à atteindre le succès. L’historien Yuval Noah Harari souligne dans son ouvrage Sapiens. A brief history of humankind que ce qui fait la spécificité de l’homme c’est sa capacité à communiquer. Le fait de pouvoir tisser des relations est ce qui nous définit car l’homo sapiens est avant tout un animal social. Le fait de sentir que l’on fait partie d’un groupe est essentiel au développement de l’homme, d’où ce besoin de reconnaissance qui se retrouve sur les réseaux sociaux.

Ces notions permettent de mieux comprendre ce que Goffman entend lorsqu’il décrit le processus de mise en scène de soi, en rapprochant l’espace social à une scène de théâtre. Si l’espace social peut être perçu comme un espace de théâtralisation où les individus se mettent en scène lorsqu’ils se trouvent sous le regard d’autrui, il en va de même avec les réseaux sociaux.

Etant donné que la création de profils sur des plateformes constitue la manière moderne de se présenter, ces concepts sont essentiels. Ils permettent de mettre en lumière la manière dont les profils en ligne sont créés de manière structurée. De même, les interactions en ligne se font, comme dans l’espace public, selon des règles définies au préalable et intégrées par les personnes qui en font partie. Ces codes permettent aux individus de se créer de nouveaux liens et de pérenniser leurs relations avec leur entourage, tout en maîtrisant l’impression qu’ils donnent d’eux-mêmes.

4.1.2 L’exposition de soi en ligne et la création stratégique de l’identité

La notion de façade nous amène vers une réflexion plus large sur la présentation de soi. Dominique Cardon, sociologue de la compétence critique des acteurs, s’est lui aussi intéressé aux mécanismes qui règlent l’exposition de soi, et à comment les personnes cherchent à se sociabiliser en mettant certains aspects en avant, et en

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laissant de côté ce qui, au contraire, n’est pas valorisé par la collectivité. A la différence de Goffman, les travaux de Cardon interviennent plus tard (à partir des années 2000), et son terrain de recherche est défini autour d’Internet et de l’exposition en ligne, d’où l’intérêt pour notre recherche.

L’identité comme stratégie relationnelle

Dominique Cardon cherche à saisir les ressorts sociaux, culturels et psychologiques de l’exposition de soi en ligne. Cette exposition sur les plateformes ne signifie pas pour lui le renoncement à la vie privée, au contraire, il la décrit comme étant contrôlée. Car les personnes s’exposant ont pour but de préserver leur image, elles restent soucieuses quant à la manière de se montrer en ligne. Pour Cardon, cela témoigne d’une volonté d’agir de manière stratégique en affichant certains éléments de son identité, et en masquant d’autres traits.

Cette approche est particulièrement intéressante dans le cadre de cette recherche car elle présente l’identité en ligne comme une forme de « stratégie » (Cardon, 2008).

Nous sommes loin de l’idée selon laquelle les réseaux sociaux et Internet auraient aboli la frontière entre vie privée et publique. La création de l’identité en ligne se fait toutefois selon lui en fonction de diverses formes de surveillance. Comme dans la vie sociale, elle se fait selon ce qu’il appelle les agents institutionnels (les régulations juridiques quant à ce que nous pouvons exposer ou non) et notre environnement.

Dans cette perspective, l’exposition de soi est perçue comme une forme d’opportunité pour les individus. Les plateformes en ligne sont vues comme une chance pour les utilisateurs de construire leur identité, et surtout de montrer cette dernière comme ils le souhaitent, en gardant un certain contrôle de leur image. Cette exposition se fait toujours selon deux processus qui se complètent :

- Un processus de subjectivation, où l’individu se pense comme sujet de sa propre vie en extériorisant son identité.

- Un processus de simulation, qui correspond au fait d’endosser une diversité de rôles plus ou moins honnêtes, et de jouer avec ces différentes facettes.

Ces deux processus contribuent à la diversité et à la richesse des profils sur les réseaux sociaux. Ces profils servent à la fois à créer son identité personnelle et à la révéler, et à favoriser et multiplier les connexions avec son entourage. Les plateformes sont vues comme une sorte de terrain de jeu, où les utilisateurs se montrent en se cachant de manière contrôlée, selon les particularités de chaque plateforme. L’identité numérique est moins un dévoilement de soi qu’une projection de soi selon Dominique Cardon, et c’est ce point de vue que nous allons adopter au cours de cette recherche.

En bref, les individus se montrent aux autres à travers une sélection d’informations et de facettes choisies minutieusement. L’exposition de soi à travers ce jeu de masque est une véritable ressource personnelle et de socialisation pour les usagers, elle peut toutefois comporter certains risques si le profil en ligne n’est plus cohérent avec ce qui est réellement dans l’espace social.

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Le design de la visibilité

Dominique Cardon a réalisé de nombreux travaux sur l’exposition de soi en ligne, et sa recherche sur laquelle nous allons nous concentrer concerne le design de la visibilité (Cardon, 2008). Celle-ci permet d’apporter un éclairage quant aux différents types de fonctionnement des plateformes, et comment les individus s’y exposent.

Cardon procède à un essai de cartographie du web 2.0, en classant les plateformes en cinq catégories, qui peuvent se rejoindre.

Il s’agit d’un tableau qui tente de restituer la pluralité des pratiques des utilisateurs pour définir leur identité, qui dépendent notamment des particularités de chaque plateforme et du type de visibilité qu’elle confère à l’utilisateur. « La manière dont sont rendus visibles ces multiples signes d’identité sur les sites du web 2.0 constitue l’une des variables les plus pertinentes pour apprécier la diversité des plateformes et des activités relationnelles qui y ont cours. [...] Les formats identitaires et les stratégies de visibilité/invisibilité proposés par les sites du web 2.0 doivent être regardés ensemble.»

(Cardon, 2008, pp. 95-96). Les cinq catégories qui découlent de cette réflexion ont été identifiées sur un continuum allant de l’être au faire, et du réel au projeté. Parmi ces modèles nous retrouvons celui du paravent, du clair-obscur, du phare, du post-it et de la lanterna magica.

« Dans le premier modèle, celui du paravent, les personnes s’attachent à dissimuler les traits de leur identité civile en se masquant derrière une forêt de critères qui ne les révélera qu’auprès d’individus choisis. Dans le modèle en clair-obscur, on verra les participants dévoiler des caractéristiques souvent très personnelles de leur identité en profitant de l’opacité de plateformes n’autorisant la navigation que par les liens de proche en proche. Enfin, dans le modèle du phare, des zones de forte visibilité émergeront des connexions initiées par les individus pour mêler des traits de leur individualité avec les thèmes des productions qui les lient aux autres. A ces trois principaux modèles de visibilité dans le web 2.0, nous ajouterons deux autres modèles émergeants qui investissent d’autres territoires de la mise en relation [...]. Le premier propose un affichage sous forme de post-it permettant aux personnes de rendre visibles aux autres les changements de leur contexte d’activité ; c’est la présence qui est alors partagée. Le dernier modèle, celui de la lanterna magica, procède de la transformation des plateformes de jeux virtuels en espaces de rencontre en trois dimensions dans lesquels les personnes glissent leur identité dans des avatars. » (Cardon, 2008, p. 104).

La recherche de Cardon ayant été menée en 2008, Instagram ne faisait pas encore partie du paysage numérique. Cependant, si nous devions le placer aujourd’hui, il se situerait à mi-chemin entre le modèle du clair-obscur et celui du phare. Ce sont donc ces deux modèles qui nous servent à appréhender Instagram afin de comprendre le fonctionnement de la plateforme et les pratiques des utilisateurs.

D’autres auteurs ont travaillé sur ces questions de visibilité, comme John B. Thompson qui s’intéresse à la manière dont les nouveaux médias ont modifié les régimes de visibilité dans la vie sociale et modifie de ce fait nos interactions (Thompson, 2000).

(19)

Fanny Georges s’est aussi intéressée aux identités numériques et prolonge la réflexion de Cardon sur l’identité agissante. Elle propose un modèle où les individus créent leur identité selon trois processus qui se complètent (Georges, 2009). Bien que son étude s’intéresse à Facebook, ce modèle s’applique aux autres plateformes comme Instagram et souligne à quel point le fait de s’exposer en ligne se fait d’une part en fonction de l’identité et du vécu de la personne, et d’une autre en fonction de certaines stratégies, d’où son concept « d’identité calculée » (Georges, 2009) où l’utilisateur montre aux autres ce qu’il souhaite montrer de lui.

(20)

4.2 L’utilisation des réseaux sociaux par les jeunes

4.2.1 Introduction aux réseaux sociaux

Les réseaux sociaux ont émergé avec le web 2.0, entre 2005 et 2008. Ce qui change par rapport au web 1.0, c’est que la participation des utilisateurs est désormais au cœur de son fonctionnement. On passe d’un usager passif à une participation active, où les usagers peuvent participer à la création et à la diffusion de contenus. Le nombre d’utilisateurs sur ces plateformes ne cesse d’augmenter, dont certaines comme Tik Tok connaissent une croissance fulgurante.

En 2020, le réseau social en tête au niveau mondial reste Facebook avec près de 2,5 milliards d’utilisateurs (source : Rapport digital 2020 de We Are Social et Hootsuite).6 Suivent dans l’ordre Youtube, Whatsapp, Messenger, Wechat (principalement utilisé en Asie) et Instagram. Au total, ce sont 3,8 milliards de personnes actives sur les réseaux au niveau mondial en 2020.7 De nombreux auteurs issus de branches allant de la sociologie aux études de communication et marketing se sont emparés du sujet afin de comprendre le phénomène des réseaux sociaux et l’engouement qu’ils provoquent, en particulier chez les jeunes.

C’est le cas d’Alexandre Coutant et de Thomas Stenger, qui analysent d’un point de vue sociotechnique les particularités des plateformes selon deux axes : le genre de participation de l’utilisateur et la visibilité permise par la plateforme (Stenger & Coutant, 2013). L’avantage de cette approche est qu’elle « considère à la fois les caractéristiques structurantes des plateformes et les usages des utilisateurs » (Stenger & Coutant, 2013, p. 112).

Pour ces derniers « il est fondamental de ne pas s’arrêter aux potentialités offertes par les sites Web mais d’appréhender rigoureusement les usages et l’appropriation de ces plateformes par les utilisateurs. [...] une analyse sociotechnique est une analyse fondée à la fois sur les fonctionnalités offertes par les plateformes et sur les pratiques effectives des utilisateurs » (Stenger & Coutant, 2013, p. 112). Ceux-ci s’appuient notamment sur les travaux de Andreas M. Kaplan et Michael Haenlein, qui ont adopté une perspective issue du marketing et qui met en exergue les liens entre les médias sociaux, le web 2.0 et les théories du User Generated Content (Kaplan & Haenlein, 2012).

Définition des réseaux sociaux

L’approche de Thomas Stenger et Alexandre Coutant est particulièrement pertinente, et c’est sur leur définition des médias sociaux (dont les réseaux sociaux font partie) que nous nous appuyerons :

« Les médias sociaux peuvent être définis comme des services Internet : 1. dont le contenu est très largement produit par les internautes utilisateurs (principe UGC : user generated content),

6 https://wearesocial.com/fr/blog/2020/01/digital-report-2020 consulté le 14 mai 2021

7 Ibid

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2. qui regroupent des configurations sociotechniques très variées en termes de dynamique de participation (par intérêt, par amitié) et de visibilité (nature et finalité des données publiées en ligne).

Les médias sociaux ont démontré leur caractère social dans le sens où les internautes y recherchent majoritairement les interactions entre pairs. Il convient toutefois de prendre la peine de les distinguer car les normes sociales sont très différentes selon les dispositifs et les moteurs de la participation comme les modes de visibilité diffèrent fortement. » (Stenger & Coutant, 2013, pp. 115- 116).

Les réseaux sociaux ne sont pas déconnectés des concepts que nous avons développés comme celui de la mise en scène de soi. Comme dans l’espace social, des codes sont mis en place sur les réseaux, où les usagers se mettent en scène et créent leur profil selon des pratiques définies collectivement. A ce sujet, les auteurs Jean-Samuel Beuscart, Eric Dagiral et Sylvain Parasie envisagent dans leur recherche sur la sociologie des activités en ligne que les pratiques en ligne sont le reflet de pratiques sociales (Beuscart, Dagiral & Parasie, 2009). Société et technologies s’influencent mutuellement, et toutes deux fournissent des outils à l’individu afin que ce dernier puisse définir son identité (Flichy, 2004).

C’est en cela que l’analyse sur les pratiques en ligne nous semble pertinente dans le but de comprendre les concepts sociaux plus larges tels que la recherche de reconnaissance et l’importance de normes sociales implicites. Les théories de Cardon sur l’exposition de soi sont également importantes dans cette perspective, car elles rejoignent le postulat de Stenger et Coutant comme quoi les pratiques et les normes observées sur les réseaux sociaux sont variées, d’où la nécessité d’en définir les contours. Afin d’appréhender les réseaux sociaux, nous nous basons sur les six caractéristiques développées par Stenger et Coutant au sujet des médias sociaux :

1. Les médias sociaux reposent sur le principe du UGC, à savoir que ce sont les utilisateurs qui produisent l’essentiel du contenu.

2. N’importe quel internaute peut participer à cette création de contenu, car les médias sociaux reposent sur une simplicité d’usage.

3. Le coût de participation est quasi-nul, mais en contrepartie les données générées peuvent être exploitées par la plateforme qui peut procéder à une forme de traçage.

4. Dans une logique de flux continu, les contenus sont en évolution constante.

5. Les médias sociaux sont le fruit de la rencontre entre les usages, la technologie et les stratégies économiques.

6. Les pratiques des usagers sont variées et changent d’une plateforme à une autre.

4.2.2 La relation des jeunes aux réseaux sociaux

Les réseaux sociaux étant largement utilisés par les jeunes, que ce soit au niveau mondial ou en Suisse, beaucoup d’études menées sur le sujet se sont intéressées à l’utilisation que ces derniers en font. La période de l’adolescence en particulier, c’est à dire entre 13 et 18 ans, a beaucoup été étudiée (Yau & Reich 2018 ; Balleys 2016 ; Dizerbo 2016). En effet, elle constitue un moment clé où la personne cherche à

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s’affranchir du monde des enfants, et doit définir (ou redéfinir) son identité pour entrer dans le monde des adultes.

Les réseaux sociaux représentent une opportunité pour définir cette identité de manière contrôlée et de la rendre visible à son entourage. De plus, le rapport des jeunes vis-à-vis des nouvelles technologies est intéressant, du fait que cette génération a toujours grandi avec. Il s’agit d’une génération connectée où la manière d’appréhender Internet et les réseaux sociaux est différente, du fait qu’ils les ont toujours connus. Ces mutations sociétales qu’entraîne le développement de nouvelles technologies font désormais de nous des « homo numericus » (Dortier, 2016), où la sociabilité numérique élargit notre espace relationnel (Casilli, 2010).

Une recherche essentielle dans le cadre de ce travail est celle qui a été menée par Joanna C. Yau et Stephanie M. Reich sur les pratiques et normes présentes sur Facebook et Instagram chez les adolescents (Yau & Reich, 2018). Dans cette recherche, les auteurs observent trois normes qui orientent l’exposition de soi chez les adolescents. Celles-ci servent de base pour notre deuxième hypothèse :

1. « appear interesting » (Yau & Reich, 2018, p. 201). Cette première norme correspond au désir d’apparaître intéressant auprès de ses pairs. Cela se transmet à travers le type de contenu publié qui doit participer à montrer la personne comme digne d’intérêt.

2. « appear likeable » (Yau & Reich, 2018, p. 201). Cette norme correspond au désir de se montrer comme étant apprécié et entouré socialement. C’est notamment avec le nombre de followers et le nombre de likes que cette dimension peut être quantifiée et rendue visible.

3. « appear attractive » (Yau & Reich, 2018, p. 202). Cette norme traduit le désir des utilisateurs de se montrer de manière « idéalisée » (Goffman, 1973) en se montrant généralement sous leur meilleur jour auprès des autres utilisateurs d’un point de vue physique. Instagram étant une plateforme véhiculant principalement des photographies, l’envie de se montrer désirable reste largement observée, notamment chez les adolescents.

L’auteur Claire Balleys a aussi mené diverses recherches au sujet des réseaux sociaux, s’intéressant notamment à Facebook, Snapchat et Youtube. Plus particulièrement, elle s’intéresse à comment les plateformes participent à la création de l’identité (Balleys, 2018). Elle souligne l’importance qu’ont les réseaux sociaux pour les adolescents en Suisse où « 99 % des jeunes âgés, entre 12 ans et 19 ans, possèdent un téléphone portable en 2016 [...]. « 94 % des jeunes Suisses possèdent un compte sur au moins un réseau social », dont 81 % sur Instagram » (Balleys, 2017, p. 33). Ses recherches mettent en lumière comment le capital de liens entre pairs sur ces plateformes constitue pour l’utilisateur un « pourvoyeur de prestige social » (Balleys, 2016, p. 12). Cette idée rejoint l’étude précédente, montrant l’importance d’afficher son capital social.

Anne Dizerbo a également travaillé sur ces questions, en adoptant une posture différente quant aux usages des réseaux sociaux par les jeunes. « Associés à des pratiques narcissiques, ces usages font souvent l’objet d’une certaine réprobation

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morale [...] Ce traitement (médiatique) contribue à construire une vision plutôt négative d’une jeunesse [...] » (Dizerbo, 2016, p. 129). Elle adopte une perspective biographique afin d’aborder les pratiques de présentation de soi. Cette démarche est particulièrement intéressante, et nous a servi de modèle pour mener nos entretiens.

Parmi ses conclusions, elle note que l’inscription par les jeunes sur les plateformes sociales constitue un moyen essentiel de s’inscrire dans un groupe de pairs (Dizerbo, 2016, p. 134).

Elle note toutefois que les jeunes sont en partie conscients que cette image qu’ils donnent d’eux-mêmes est en partie normalisée, et une mise à distance s’observe parfois notamment par le vecteur de l’humour qui sert à s’éloigner de cette dimension de mise en scène (Dizerbo, 2016, p. 134). Anne Dizerbo s’intéresse aussi aux photographies qui sont partagées, et qui servent aux jeunes à manifester leur singularité, mais aussi à « prouver son existence dans une société qui pousse à l’affirmation de soi (…) la représentation de soi, proche d’une représentation théâtrale, donne à voir des images préalablement mises en scène selon des codes partagés.

Les images servent donc à affirmer le lien social et à s’affirmer dans une interaction constante avec l’environnement. » (Dizerbo, 2016, p. 137-139). Cette réflexion rejoint non seulement le concept de mise en scène de soi, mais aussi de visibilité, de normes partagées et de reconnaissance de soi.

Enfin, Fabien Granjon et Julie Denouël ont aussi étudié ce sujet, principalement l’exposition des jeunes sur Facebook, en mettant en relation l’expression de soi sur les plateformes, le concept de reconnaissance, et celui de la visibilité. Ils soulignent à la fois l’importance pour l’utilisateur de se créer une identité singulière par le biais de diverses facettes et le besoin d’estime sociale (Granjon & Denouël, 2010). Cette conclusion souligne une nouvelle fois l’importance de créer à la fois du lien avec son entourage et de se constituer une personnalité propre. Une ambivalence qui est aussi présente dans notre recherche.

Bien que ces différents travaux aient été menés sur les usages que font les adolescents entre 13 et 18 ans des réseaux, notre recherche se centre sur une tranche d’âge légèrement supérieure (entre 18 et 25 ans), moins étudiée quant à leurs pratiques sur les réseaux sociaux. Pour notre analyse, seul Instagram est pris en compte, notamment car beaucoup de recherches ont déjà été menées sur la plateforme Facebook (Balleys 2016 ; Dizerbo 2016 ; Granjon & Denouël 2010).

Les différents usages qui sont faits des réseaux sociaux

Si les pratiques des jeunes et des utilisateurs en général ont fait l’objet d’autant de recherches, c’est parce que les usages qui sont fait des réseaux sociaux varient énormément en fonction des plateformes, des contextes et des utilisateurs. Pour notre recherche, nous nous intéressons aux usages que font les jeunes d’Instagram et aux bénéfices qu’ils retirent en y postant du contenu. Il est donc essentiel de rappeler le courant des usages et gratifications, s’intéressant aux fonctions et aux utilisations que font les individus des médias, afin de dépasser la question des effets.

Dans ce courant, le postulat de base est que les personnes utilisent les médias afin de satisfaire des besoins, variant d’une personne à une autre. On s’intéresse ici aux différentes utilisations qui peuvent être faites des médias. Quatre types de

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satisfactions sont décrites (McQuail, Blumler & Brown, cités dans Katz, Gurevich &

Hass, 1973) :

1. L’évasion par le divertissement.

2. Le fait de construire et solidifier des relations interpersonnelles.

3. La construction de l’identité personnelle.

4. Le contrôle (la surveillance de son environnement).

Ces quatre éléments se complètent et se retrouvent sur les réseaux sociaux. D’autres auteurs s’intéressent aux gratifications apportées par le fait de consommer des médias (Greenberg, 1973), et il est intéressant de regarder selon quels besoins les individus les consomment. Ces besoins peuvent être divisés en cinq catégories : le besoin cognitif, affectif, d’intégration au niveau de sa personnalité, d’intégration au niveau social et d’évasion (Katz, Gurevich & Hass, 1973).

Ce courant est innovant car il permet de dépasser ceux qui l’ont précédé, comme la théorie des effets des médias sur ses utilisateurs. Cette approche s’intéresse aux fonctionnalités, en fonction des besoins que les individus souhaitent satisfaire, et des gratifications retirées. Pour notre recherche, nous adoptons ce type de démarche, afin de comprendre les pratiques des jeunes sur Instagram, en prenant conscience de la pluralité des usages qui peuvent en être fait. Ils varient en fonction des contextes, des personnalités des utilisateurs et du mode de fonctionnement de la plateforme.

4.2.3 La plateforme Instagram

Pour cette recherche, c’est à Instagram, créé en 2010, que nous nous intéressons. A cette époque, Facebook est le réseau social qui domine le paysage numérique (comme c’est encore le cas aujourd’hui, avec plus de 2,5 milliards d’utilisateurs)8, et Instagram s’en distingue en se concentrant sur la photographie. Si Facebook permet à ses usagers de se connecter les uns aux autres et de partager des textes, des photos, et de laisser des commentaires et des messages à ses « amis », Instagram se centre sur la dimension visuelle. Les usagers ont la possibilité de « suivre » d’autres comptes, qu’ils ne connaissent pas forcément.

Il nous semble important dans le but de déterminer les contours d’Instagram, de relever l’importance de son algorithme. Si celui-ci reste mystérieux pour ses utilisateurs quant à son fonctionnement exact, il joue un rôle déterminant dans le sens où il participe à une forme de sélection et de tri qui met en avant certains contenus plus que d’autres selon des critères qui lui sont propres. Bernie Hogan relève l’importance de cette

« tierce partie », qui vient s’interposer entre les pratiques de l’utilisateur et les fonctionnalités de la plateforme en « filtrant les contenus » (Hogan, 2010, p. 384).

Bernie Hogan relève autant les potentialités que les risques liés à la présentation de soi sur les réseaux sociaux.

8 https://wearesocial.com/fr/blog/2020/01/digital-report-2020 consulté le 14 mai 2021

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Quelques chiffres

En 2020, Instagram comptait plus d’un milliard d’utilisateurs actifs mensuels dans le monde, et plus de 500 millions de comptes sont actifs chaque jour (Source : Digimind).9 En France, dont le contexte est proche de celui de Suisse romande, Instagram est le réseau social le plus utilisé par les 16 à 25 ans en 2020, et est le réseau enregistrant la plus nette progression en nombre d’utilisateurs (Source : Forbes).10 La pandémie de coronavirus et les semi-confinements ont d’ailleurs renforcé l’engagement des suisses sur les réseaux sociaux (Source : 24 Heures).11 Selon l’étude JAMES menée en 2018, 87% des jeunes (âgés de 12 à 19 ans) en Suisse possèdent un compte sur Instagram.12 Selon une analyse menée en 2018, 70%

des suisses possédant un compte Instagram consulteraient la plateforme au moins une fois par jour, et les suisses seraient 1,5 millions à y posséder un compte.13 Voilà pourquoi il nous semble pertinent, dans le cadre d’une recherche sur les pratiques d’exposition des jeunes en Suisse romande, de nous intéresser à cette plateforme en particulier.

Les fonctionnalités et le développement de la plateforme

Au fil du temps, les fonctionnalités de la plateforme se sont développées, avec de nouveaux formats de publication qui sont venus s’ajouter. Il est désormais possible de publier plusieurs photos en une publication, et les options permettant de retoucher la luminosité et les tonalités des contenus se sont multipliées. Parmi les changements les plus importants, nous pouvons citer le rachat d’Instagram par Facebook en 2012 (Source : Business Insider)14 et l’apparition de la fonctionnalité permettant de publier des stories. Ce format permet aux utilisateurs de poster des photos de manière plus spontanée, celles-ci n’étant visibles que 24 heures et pouvant être vues uniquement par un groupe défini de personnes.

L’ajout de cette fonctionnalité est une réponse directe à la concurrence de Snapchat, une plateforme qui se base uniquement sur le partage de photographies éphémères.

Cette fonctionnalité a été lancée par Instagram en 2016 (Source : About Instagram)15 et permet d’encourager ses utilisateurs à poster de manière plus régulière. Cette fonction connaît aujourd’hui un grand succès, faisant évoluer les pratiques des utilisateurs

9 https://blog.digimind.com/fr/agences/instagram-chiffres-incontournables-2020-france-et- monde#monde consulté le 14 mai 2021

10 https://www.forbes.fr/technologie/reseaux-sociaux-et-generation-z-en-2020/ consulté le 15 mai 2021

11 https://www.24heures.ch/les-medias-electroniques-en-hausse-pendant-la-pandemie-562330884380 consulté le 5 octobre 2020

12 Rapport sur les résultats de l'étude JAMES 2018, page 44. www.zhaw.ch/psychologie/JAMES

13 https://frankr.ch/infographie-les-medias-sociaux-en-suisse-chiffres-cles-pour-2018 consulté le 15 mai 2021

14 https://www.businessinsider.fr/instagram-de-sa-creation-a-son-rachat-par-facebook-8-anecdotes- que-vous-ignorez-surement-187138 consulté le 14 mai 2021

15 https://about.instagram.com/blog/announcements/introducing-instagram-stories consulté le 15 octobre 2020

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Le partage photographique et la construction de l’identité

Comme nous l’avons vu, la particularité d’Instagram réside dans le partage de contenu visuel. Les utilisateurs créent leur compte et définissent leur identité sur la plateforme principalement par le visuel, bien que des textes puissent accompagner les photos et vidéos. L’essor de ce type de plateforme participe à démocratiser la photographie et le fait de s’exposer.

Ce partage est dit « performatif » (Escande-Gauquié & Jeanne-Perrier, 2017).

Plusieurs chercheurs se sont intéressés à cet essor et à ce qu’il révèle de ses utilisateurs. Les conclusions qui en découlent sont que ces photos ne prennent leur sens que lorsqu’elles sont partagées, et qu’elles reçoivent un retour de la part de l’entourage. Dans cette surabondance de photos, où les plateformes se nourrissent des productions de leurs utilisateurs, ce partage sert essentiellement à créer du lien, mais pas seulement.

« Les questions du partage photographique ne sont pas seulement esthétiques et communicationnelles. Elles engagent aussi l’ensemble des sociétés en ce qu’elles ont de commun : l’établissement de règles, normes, habitudes, logiques pour vivre ensemble et de style de vie [...]. Depuis sa naissance, la photographie donne à voir et à penser pour les autres, mais il semble qu’aujourd’hui, la pratique photographique partagée sollicite aussi le mécanisme de l’introspection, sinon de l’extrospection en ligne [...]. Une logique de dépendance est alors entretenue par les systèmes de notifications, de likes » (Escande-Gauquié & Jeanne-Perrier, 2017, p. 23).

Le partage de photos est vu ici sous l’angle de la « performance », et va de pair avec l’établissement de normes quant à ce qui doit être partagé, et comment cela doit être fait. Cet acte performatif est tridimensionnel car il engage la prise de photo, son édition et sa diffusion. Le but n’est pas uniquement de montrer, mais aussi de générer de

« l’engagement conversationnel », autrement dit ces contenus doivent « faire parler » et cela se fait à travers les likes, les partages et les commentaires. Cette réflexion nous amène vers les concepts d’attention et de reconnaissance qui sont liés à cette surabondance de contenus :

« Avec la photographie mobile se pose la question d’une surdétermination du réel dans une société des écrans où tout le monde s’épuise à communiquer pour capter l’attention [...]. De sorte que l’abondance d’informations disponibles sur Internet a fait de l’attention une ressource rare constituant désormais l’objectif final de la compétition entre les acteurs numériques. [...] La photographie mobile participe ainsi à une surenchère du simulacre » (Escande- Gauquié & Jeanne-Perrier, 2017, p. 24).

L’idéalisation des contenus comme processus de pressions sociales

La citation ci-dessus nous amène vers un côté plus polémique de la plateforme Instagram, parfois décrite comme un réseau social ne reflétant pas la réalité, et participant à créer une forme de pression chez ses utilisateurs. Ceci est lié à la

« surenchère de simulacre » (Escande-Gauquié & Jeanne-Perrier, 2017, p. 24) où tout le monde poste les bons moments de sa vie, pouvant induire chez certains la sensation

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que leur vie n’est pas aussi bien qu’elle devrait l’être, en comparaison avec celle des autres. Dans une autre recherche sur le sujet du partage de photographie comme processus de construction identitaire, Elisabeth Eglem et Marina Ferreira Da Silva en parlent sous le terme de « micro-enchantement du quotidien ».

Elles décrivent comment « les applications disponibles en ligne permettent un réenchantement de soi-même, pour soi et aux yeux des autres, d’autant plus que si la photographie est postée, il se peut qu’elle stimule la production de signaux d’appréciation » (Eglem & Ferreira Da Silva, 2020, p. 17). Ce travail d’enchantement participe ainsi à donner une certaine image aux utilisateurs d’Instagram, et peut avoir un impact, en particulier chez les jeunes. A ce sujet, une enquête britannique a été menée en 2017 auprès des jeunes sur leur utilisation des réseaux sociaux, dans le but de mesurer le bien-être que ces plateformes leur apportent. En fonction de 14 critères, les plateformes Youtube, Facebook, Snapchat, Twitter et Instagram se sont vu attribuer un score. Voici ce qui en résulte :

16

Figure 1 : Tableau des effets des réseaux sociaux sur le bien-être des jeunes

Figure 2 : Score général d’Instagram vis-à- vis du bien-être des jeunes

16 Royal Society for Public Health & Young Health Movement (2017). « #StatusOfMind : Social media and young people’s mental health and wellbeing », p. 18 et p. 23.

Références

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