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7. Description des résultats obtenus

7.2 Résultats des entretiens

7.2.5 L’imitation entre pairs

Après qu’une des répondantes ait évoqué une forme de comparaison sur Instagram, elle développe : « Je pense que c’est pas mal lié à tes proches, voir combien ils ont de followers par exemple, après la moyenne de followers dépend de ton cercle d’amis.

Je pourrais imaginer qu’on a par exemple 5 potes avec qui on a envie d’être un peu à ce niveau donc on fait une moyenne mais avec peu de personnes, juste ceux très proches. Mais ça c’est surtout quand on était plus jeunes. » (Emma)55.

Cette citation témoigne selon nous de la pression au conformisme sur Instagram, où une tendance à l’imitation est présente, dépendant notamment du cercle d’amis et de la tranche d’âge. Notre analyse est divisée en deux parties, avec d’une part la perception des répondantes de normes implicites quant aux types de contenus publiés, et la perception de normes implicites quant aux manières de publier en général.

Les normes implicites quant aux contenus publiés

Bien que chaque répondante ait sa manière propre d’utiliser Instagram et sa vision personnelle de la plateforme, plusieurs aspects sont ressortis spontanément témoignant de certains codes communs quant aux contenus publiés. Parmi ces normes implicites, quatre semblent particulièrement importantes, et sur lesquelles les répondantes sont unanimes, témoignant d’une forme de pression au conformisme.

54 Entretien avec Amina, prénom d’emprunt, le 12 septembre 2020.

55 Entretien avec Emma, prénom d’emprunt, le 5 août 2020.

Le premier élément concerne la thématique dominante sur Instagram, tant parmi ce que les répondantes observent sur les publications de leurs entourages, que pour leurs propres publications. Il s’agit de la thématique du voyage. Instagram semble être la plateforme privilégiée afin de diffuser ses photos de vacances ou lors de weekends dans des lieux particuliers. Le terme « instagrammable »56 est même apparu concernant un décor ou un objet se prêtant à la diffusion sur Instagram de par sa dimension esthétique. Toutes les répondantes se sont accordées pour dire qu’elles publiaient la majorité de leurs contenus en voyage, que ce soit des photos permanentes ou des stories.

Pour chacune d’entre elles, il s’agit de la thématique la plus présente sur leur profil, et également concernant les photos publiées par les personnes qu’elles suivent. Il s’agit d’une première tendance générale, qui oriente de manière implicite les contenus à publier, et dont les usagers sont plus ou moins conscients. Les contenus postés doivent « donner envie » (Elena)57, et Instagram fonctionne de cette manière, en permettant aux utilisateurs de montrer une image idéalisée d’eux-mêmes. Les photos de voyage servent à montrer que la vie menée est digne d’intérêt et « que l’on est comme tout le monde » (Elena)58.

A ce même sujet, nous avions évoqué la vision d’une répondante qui, bien qu’aimant partager ses photos, a de plus en plus de peine à publier car elle est consciente de la dimension selon laquelle les usagers se montrent de manière idéalisée, poussant à une forme de mise en scène et de surenchère dans les contenus publiés. Cet aspect peut mener à une pression quant aux contenus valorisés qui méritent d’être publiés, et quant aux retours attendus de la part de l’utilisateur.

Ce qui nous amène au deuxième élément qui est également ressorti de manière unanime durant nos six entretiens, le fait de publier en majorité des photos de paysages, ce qui est directement lié au fait de publier surtout des photos de voyages.

Les répondantes ont tendance à poster des contenus où le décor constitue le sujet de la photo, et où personne n’est présent. Elles disent publier des photos d’elles uniquement dans le cas où il s’agit d’une photo avec un paysage particulier à montrer, ou si d’autres personnes sont présentes. Seule une répondante indique poster autant de photos paysages que de portraits, il s’agit toutefois uniquement de portraits de proches.

En général, elles disent ne pas aimer trop se montrer sur la plateforme, et la publication de selfies par exemple est une pratique dont elles se distancient, comme c’est le cas de leurs entourages respectifs. « Je dirais que j’essaie de pas mettre de photos trop égocentriques avec juste moi, je vais pas mettre de selfies par exemple. Donc soit des photos ou je suis de loin, ou d’un paysage, ou une photo ou y’a une dynamique de groupe [...]. Je dirais que dans mon entourage le côté égocentrique, si tu mets des photos de toi, t’as le droit mais tu te feras un peu juger. C’est un peu une règle implicite à suivre, pas trop se montrer, se mettre en avant. » (Emma)59. Cette citation est intéressante car elle témoigne de la force des règles implicites établies et suivies au sein d’un groupe quant aux types de publications à poster, ou à ne pas poster.

56 https://www.illustre.ch/magazine/mots-dont-on-parle consulté le 8 novembre 2020

57 Entretien avec Elena, prénom d’emprunt, le 28 juillet 2020.

58 Ibid.

59 Entretien avec Emma, prénom d’emprunt, le 5 août 2020.

Concernant les stories, bien que les photos de voyages soient très présentes, les événements entre amis constituent une grande partie de ce qui va être partagé. « Les gens postent les mêmes types de contenus. Si j’ai plusieurs amis qui vont à une même soirée je sais d’avance quelles seront les stories que je vais retrouver le lendemain, et elles se ressemblent souvent » (Elena)60. Cette réflexion souligne d’une part le fait que les stories permettent de mettre en avant le capital social de l’utilisateur, d’autre part elle témoigne d’une imitation entre pairs, où au sein d’un même groupe ce sont des contenus comparables qui sont publiés sur la plateforme.

Un troisième élément relevé par cinq répondantes est le fait que sur Instagram, les éléments du quotidien vont peu être partagés, et ce qui sort de l’ordinaire prime d’où le fait notamment de publier des photos dans des lieux particuliers, où lors d’activités ou d’événements inédits. Les moments « rares »61 sont partagés et de façon générale les répondantes décrivent ne presque rien poster de leur quotidien, car le contenu se doit d’apporter un certain intérêt pour l’entourage avec qui il est partagé selon elles.

Seule une répondante dit publier tant des moments particuliers que des éléments de son quotidien, des « petites choses belles à montrer » (Amina)62. Toutefois, les contenus sortant de l’ordinaire semblent de manière générale plus valorisés, notamment en raison de l’intérêt qu’ils apportent à l’entourage, et car ils participent à montrer l’utilisateur de manière idéalisée.

Enfin, un dernier point important qui est également très présent sur la plateforme est le fait que seuls les aspects positifs sont montrés sur Instagram, et tout ce qui ne l’est pas est occulté. Ce point a été soulevé par les six répondantes qui décrivent poster de cette façon, et que le même phénomène est observé chez leur entourage.

Cet aspect nous ramène aux théories du clair-obscur (Cardon, 2008), où Instagram est une plateforme servant principalement à mettre en avant certains aspects valorisés par le groupe référent, comme le fait de se montrer entouré ou de montrer uniquement les éléments jugés les plus intéressants de sa vie et dignes d’intéresser son entourage.

Il s’agit d’une règle non dite selon laquelle l’utilisateur est encouragé à afficher les aspects idéalisés de sa personne, et à laisser de côté ceux qui ne participent pas à le présenter de manière valorisée par l’entourage, sur Instagram et dans la société en général.

Les normes implicites quant aux manières de publier

Lorsque nous avons demandé aux répondantes si selon elles des règles implicites étaient présentes sur Instagram, leurs réponses sont allées dans le même sens. A part une d’entre elles ayant répondu ne pas ressentir de règle précise, mais qui faisait tout de même attention à ce qu’elle postait, les autres ont dit en ressentir de manière plus ou moins forte. Elles soulignent que les règles implicites variaient en fonction de l’entourage, de l’évolution de la plateforme et de l’âge de l’utilisateur. Selon elles, certains types de contenus sont valorisés, et d’autres au contraire valent mieux ne pas être publiés.

60 Entretien avec Elena, prénom d’emprunt, le 28 juillet 2020.

61 Entretien avec Oriane, prénom d’emprunt, le 11 septembre 2020.

62 Entretien avec Amina, prénom d’emprunt, le 12 septembre 2020.

Elles décrivent des règles non dites, où le contenu publié doit d’une part être intéressant pour les personnes à qui il est partagé, et participer à montrer la personne qui le partage sous un angle positif. Les photos de voyages ou entre amis sont valorisés en ce sens. Au fil des années, la plateforme a évolué, notamment en développant de nouvelles fonctionnalités comme les stories, et invitant les utilisateurs à évoluer avec elle en renouvelant leurs pratiques. Les répondantes soulignent que leurs usages sont différents par rapport à quand elles étaient plus jeunes, et qu’elles ont aujourd’hui une plus grande méfiance vis-à-vis de ce qu’elles exposent sur Instagram. Nous reviendrons sur ce point dans la partie 7.2.6.

Le simple fait de posséder un compte Instagram illustre déjà une forme de pression au conformisme, comme le précisent les six répondantes : « Quand j’ai créé mon compte [...] c’était surtout parce que tout le monde l’avait et donc fallait absolument en avoir un » (Amina)63. Cette citation témoigne de l’injonction implicite à avoir un compte.

Une autre répondante souligne cette pression : « Quand j’ai créé mon compte, c’était parce que tout le monde en avait un, on était jeunes, tout le monde en avait un donc c’était un peu pour suivre la mode » (Oriane)64. Plusieurs répondantes soulignent une similarité avec d’autres plateformes comme Facebook, où la même injonction était présente. Le fait de se créer un compte est déjà une manière d’apparaître dans la norme par rapport à un groupe référent. La pression au conformisme se manifeste ensuite par les contenus publiés.

Quant à une certaine fréquence de publication à respecter, les avis sont partagés.

Trois répondantes indiquent ne pas avoir de fréquence définie, celle-ci variant d’une période à une autre. L’une d’elles dit avoir plus régulièrement publié en erasmus, une autre poste en fonction de périodes où elle a plus de choses nouvelles à raconter.

Deux autres ont par contre décrit respecter une fréquence de publication, celle-ci n’étant pas la même entre les photos permanentes et les stories. Selon elles, il y a une règle implicite selon laquelle pour rester sur la plateforme, l’utilisateur se doit d’être un minimum actif. La fréquence de publication dépend de la fréquence qu’elles observent chez leurs proches sur Instagram, qui sert de référence de base.

En règle générale, la manière dont publient les proches semblent guider l’utilisateur dans ses pratiques, du moins de ce que nous avons pu relever à travers nos entretiens.

La façon dont l’entourage respectif des répondantes publie participe à les guider dans leurs publications. Elles ont ainsi souligné publier les mêmes types de contenus, certaines décrivant prendre exemple sur des amis afin de constituer leur profil. Elles précisent aussi que les types de contenus publiés ont évolué avec le temps, en fonction des évolutions de la plateforme, et de comment leur entourage a peu à peu modifié sa façon de publier.

Il est intéressant de préciser que si le fait de s’adapter à son entourage et à poster des contenus comparables semble aller de soi pour toutes les répondantes, dans certaines situations il est plus difficile de s’y adapter. Oriane par exemple a décrit avoir un entourage très divisé avec d’une part des personnes qui ont tendance à beaucoup poster, en majorité des photos d’eux, et d’une autre des personnes ne publiant presque pas, ou que des photos de paysages. Dans ce genre de situation où deux entourages

63 Entretien avec Amina, prénom d’emprunt, le 12 septembre 2020.

64 Entretien avec Oriane, prénom d’emprunt, le 11 septembre 2020.

aux usages opposés sont présents pour un même utilisateur, celui-ci risque d’entrer en tension.

Oriane nous a dit avoir beaucoup publié par le passé, puis supprimé son compte, mais qu’aujourd’hui elle avait trouvé son équilibre en continuant à publier des contenus esthétiques et travaillés au niveau des tonalités, mais beaucoup moins régulièrement et sans poster de portraits d’elle ou d’amis. Le fait de chercher à se situer à mi-chemin entre ces deux groupes reflète selon nous une pression au conformisme, et l’importance pour l’utilisateur de s’inscrire dans la norme, aussi disparate soit-elle, afin de créer et surtout de préserver les liens sociaux tissés par le biais de la plateforme.

7.2.6 La perception générale de la plateforme