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H2 : Dans leurs stratégies de présentation de soi sur Instagram, les jeunes en

8. Discussion des résultats

8.1 Discussion par hypothèse

8.1.2 H2 : Dans leurs stratégies de présentation de soi sur Instagram, les jeunes en

normes qui s’articulent autour du désir d’attractivité, d’intérêt à susciter chez leurs pairs, et d’un désir de popularité.

Afin de discuter cette hypothèse, en fonction des résultats de la seconde partie du questionnaire et de nos entretiens, nous allons procéder en trois parties. Celles-ci sont définies en fonction des trois injonctions implicites supposées présentes sur Instagram, à savoir le désir d’attractivité (se montrer attractif), d’intérêt (se montrer intéressant) et de popularité (se montrer entouré socialement) guidant l’utilisateur dans sa façon de se présenter de manière idéalisée à son entourage et d’apparaître dans la norme par rapport à son groupe de référence.

Le désir d’attractivité

Concernant cette première norme implicite, ayant pour conséquence pour l’utilisateur de poster des publications de sorte à se présenter de manière attractive d’un point de vue physique, il est intéressant de souligner les résultats obtenus par notre questionnaire. Lorsque nous avons posé la question quant aux critères pris en compte pour publier un contenu, plus de la moitié des répondants ont indiqué que l’apparence physique importait pour publier une photo permanente, faisant de ce critère le troisième plus important derrière le lieu de la photo et les personnes présentes dessus.

La même question a été posée pour la publication de stories, et a obtenu d’autres résultats, témoignant de deux logiques de présentation de soi distinctes. Pour les stories, le premier critère orientant la publication est relatif aux personnes sur la photo (80 répondants sur 112), à l’humour du post (77 sur 112), puis au lieu (74 sur 112).

L’apparence étant un critère déterminant pour seulement 39 personnes, soit beaucoup moins que pour les publications.

Il semble que ce désir d’attractivité se confirme en ce qui concerne les photos publiées par l’utilisateur sur son profil, et moins pour les stories. Concernant les photos permanentes, les répondantes aux entretiens ont également évoqué l’importance de

l’esthétique du contenu publié et ont souligné qu’Instagram servait principalement à se mettre en valeur et à se montrer de manière idéalisée. Il semble donc que ce désir d’attractivité ne s’applique pas de la même façon en fonction du type de contenu publié, étant donné que différentes logiques de présentation de soi s’appliquent entre la publication de photos permanentes et de stories.

Si pour les photos permanentes, l’apparence physique importe pour plus de la moitié des répondants au questionnaire, seuls 48 répondants indiquent l’humour et l’autodérision comme un critère orientant leurs publications. Ce même critère est nettement plus sollicité lors de publications de stories, avec 77 répondants l’ayant sélectionné, et où l’importance de l’apparence physique est en revanche moins élevée.

Le désir d’attractivité semble moins présent pour les stories, où le vecteur de l’humour prend par contre une place plus importante. La présence de cette dimension d’autodérision sur la plateforme a été soulevée lors de nos entretiens.

« Soit je mets des photos de paysages, soit avec des gens mais jamais des photos de moi seule et je ne me verrais pas le faire. Ou alors il faudrait qu’il y ait un côté rigolo, autodérision pour que je poste une photo juste de moi. [...] Si j’ai une photo ou je suis toute maquillée, etc ce serait un peu trop et je serais pas à l’aise avec le fait de publier ça. Alors que l’humour ça casse un peu ça, une photo que je partage avec mes amis pour qu’on puisse en rigoler ensemble oui, sinon une belle photo de moi je me demande à quoi ça leur sert donc en principe j’en poste pas. » (Elena)69.

Cette citation témoigne que les utilisateurs sont conscients de la dimension de mise en valeur de leur image que peuvent prendre leurs contenus, et que celle-ci peut être contrebalancée notamment par le vecteur de l’humour. L’influence de l’entourage a été soulignée par trois répondantes aux entretiens, car l’importance du vecteur de l’humour dépend fortement du groupe de pairs dans lequel l’utilisateur s’inscrit. Pour l’une d’elles, les contenus « où on ne se prend pas au sérieux »70 sont valorisés par son entourage, en revanche, les contenus « égocentriques, comme des selfies » (Emma)71 véhiculant une image de soi idéalisée font partie des contenus qui valent mieux ne pas être postés. Pour elle, une norme implicite de ne pas poster de contenus ayant pour seul but de se mettre en avant est présente, l’autodérision est quant à elle valorisée.

Une autre répondante évoque une tendance sur la plateforme où « les gens prennent plus à la légère Instagram en montrant des choses drôles alors qu’avant c’était des choses plus travaillées » (Oriane)72. Toutefois, l’importance de ce vecteur de l’humour est à relativiser car il dépend de la personnalité de l’utilisateur, de l’entourage de ce dernier (qui peut évoluer dans le temps) et de ce qui est valorisé par le groupe de pairs au moment de la publication. Le désir d’attractivité semble importer pour la majorité des répondants pour les publications permanentes, où la dimension de l’humour est peu présente, et une tendance inverse s’observe pour les stories. La valorisation de ces critères d’attractivité et d’humour dépend donc du type de contenu à publier et de la logique de publication l’accompagnant.

69 Entretien avec Elena, prénom d’emprunt, le 28 juillet 2020.

70 Entretien avec Emma, prénom d’emprunt, le 5 août 2020.

71 Ibid.

72 Entretien avec Oriane, prénom d’emprunt, le 11 septembre 2020.

Le désir d’intérêt

En ce qui concerne la norme implicite d’intérêt, nous avions postulé que les utilisateurs ont tendance à publier sur Instagram de sorte à se montrer intéressants aux yeux de leur entourage. Pour ce faire, nous avions postulé que les utilisateurs avaient tendance à poster plus particulièrement des publications de moments sortant de leur quotidien visant à les mettre en valeur, mais que des contenus liés à leur quotidien étaient aussi présents sur la plateforme.

Les résultats obtenus à notre questionnaire quant aux types de contenus publiés semblent clairs, 105 répondants sur 112 indiquent poster des photos de voyages ou de weekends, ce qui représente de loin le premier élément partagé sur la plateforme.

Il semble donc que le désir d’intérêt (apparaître intéressant aux yeux de l’entourage) soit présent sur la plateforme, où très peu de contenus liés au quotidien sont publiés.

Les résultats obtenus avec nos entretiens confirment cette tendance, où seule une répondante a indiqué également poster des photos liées au quotidien. Les six répondantes se sont accordées pour dire que l’intérêt du contenu pour l’entourage était important, et qu’elles postaient en fonction de ce qui peut potentiellement les intéresser. Selon plusieurs répondantes, cette tendance s’est accrue au fil du temps, faisant du processus de sélection du contenu un passage toujours plus long et réflexif.

Une citation témoigne de la pression qui accompagne les utilisateurs dans ce processus, où le contenu se doit d’apporter une plus-value à l’entourage. « Je dirais qu’il y a clairement une pression de poster des choses intéressantes [...]. Quand t’es sur Instagram des fois tu vois des comptes cools, très artistiques, des trop belles photos, du contenu marrant et ensuite tu vois ton compte et c’est un peu banal, ça sert pas à grand-chose. Le contenu posté doit pouvoir apporter quelque chose aux autres. » (Emma)73. Une autre citation souligne selon la répondante le fait que le désir d’intérêt concerne plus la capacité du contenu à être intéressant pour les personnes à qui il est diffusé, que sa capacité à présenter la personne le partageant comme intéressante :

« Je publie très peu et de façon irrégulière. Des fois j’ai envie de poster pleins de choses et d’autres fois je me dis que ça n’apporte rien ni aux autres ni à moi [...]. En général je poste de moins en moins parce que j’ai toujours plus de peine à trouver un sens à publier. Je publie en fonction du lieu, et ensuite ça peut dépendre du moment, si y a un côté drôle à la photo je pourrais beaucoup plus la publier [...]. Par exemple je vais pas poster des photos de mon repas si je vais au resto parce que j’ai l’impression que ça apporte pas grand-chose aux personnes, alors que si y a quelque chose de marrant sur la photo oui. J’ai l’impression que ça a plus sa place sur Instagram. » (Emma)74.

L’importance de l’intérêt que doit présenter le contenu pour l’entourage y est soulevée, et participe au choix des contenus à publier. L’intérêt du contenu dépend directement de ce qui est valorisé par l’entourage, et peut induire une forme de pression pour l’usager. Le fait de se présenter comme digne d’intérêt semble moins important que

73 Entretien avec Emma, prénom d’emprunt, le 5 août 2020.

74 Ibid.

celui d’apporter un intérêt à son entourage par le biais du contenu véhiculé, et se fait principalement par des publications de moments importants pour l’usager et sortant de son quotidien.

Le désir de popularité

Pour cette troisième injonction, poussant l’utilisateur à se présenter de sorte à se montrer comme bénéficiant d’un capital social, nous avions postulé que d’une part il était important pour l’utilisateur de se montrer entouré socialement sur la plateforme par le biais de ses contenus, et d’une autre part le nombre de likes et de followers participent aussi à témoigner de ce capital. Concernant le premier aspect, les résultats sont partagés. Ceux du questionnaire semblent témoigner que la majorité des publications permanentes sur la plateforme sont des photos de paysages, où personne n’est présent.

En effet, la thématique principale pour les photos permanentes étant liée au voyage, les répondants ont indiqué poster en premier lieu des photos où le lieu est le sujet de la photo. La même tendance est ressortie de nos entretiens, où les répondantes ont souligné la différence entre les publications permanentes,où elles postent surtout des photos de paysages pris en voyages, et les stories où ce sont surtout des photos de groupe qui sont postées. Une fois encore, ce qui est posté par l’utilisateur et valorisé par l’entourage dépend du type de contenu publié.

Par rapport à l’importance du nombre de likes sur les publications, ainsi que le nombre de followers, ces chiffres permettent aussi de visibiliser un certain capital social. Durant l’analyse de notre questionnaire, nous avons relevé que parmi les 112 répondants, seul un a coché la case « Je ne connais pas le nombre de likes de mes publications ».

Lors de nos entretiens, il est intéressant de noter que tant le nombre de followers que le nombre de likes semblent également connus des répondantes.

Lorsque nous leur avons demandé si elles connaissaient leur nombre de followers, plusieurs ont répondu de manière précise, puis ont ajouté peu y prêter attention. La même observation a été faite pour les likes, auxquels elles précisent ne pas accorder de trop grande importance, bien qu’elles aient dit suivre les notifications afin de voir le nombre obtenu au fur et à mesure. Une citation illustre cette ambivalence :

« Si tu postes une photo qui te plaît vraiment et tu t’attends à un certain nombre de likes et que tu les as pas, je dirais pas que je suis déçue mais je peux comprendre qu’on se dise ah elle est pas top ma photo. Moi ça m’affecte pas beaucoup, mais je pense que pour les plus jeunes ça peut être une bonne idée de supprimer les likes parce qu’il y a beaucoup de comparaison qui est entraînée, après les gens se croient populaires alors qu’avec les réseaux sociaux on sait que ça peut être de purs inconnus qui aiment tes contenus. Pour les 15-16 ans ça peut être un peu malsain ces likes. » (Solène)75.

Cette citation souligne d’une part l’importance des likes pour l’utilisateur, et d’une autre la volonté de la part de certains répondants de s’en détacher. La pression que peuvent entraîner les likes peut prendre une dimension négative pour l’utilisateur comme l’ont

75 Entretien avec Solène, prénom d’emprunt, le 21 juillet 2020.

soulevé plusieurs répondantes. Lorsque nous avons demandé aux interviewées ce qu’elles pensaient de l’idée de supprimer les likes sur les publications en Suisse comme c’est le cas dans d’autres pays, toutes ont répondu qu’elles seraient pour. En effet, elles relèvent la présence d’une « course aux likes » sur la plateforme, entraînant une « concurrence » entre les contenus publiés et une « comparaison malsaine » entre les utilisateurs.

La pression induite ne doit selon elles pas primer sur la qualité de la photo ou l’intérêt personnel de l’utilisateur pour le contenu, et supprimer le nombre de likes serait un moyen de permettre aux utilisateurs de publier plus librement. Leur suppression serait un moyen selon elles de réinstaurer une plus grande diversité dans les contenus présents sur la plateforme, où les utilisateurs publieraient plus spontanément en se souciant moins de ce qui est valorisé par leur entourage, ou de l’importance de montrer un capital social. Si le nombre de likes et de followers semblent importants pour l’utilisateur, il semblerait que ceux-ci soient surtout gratifiants dans le sens où ils participent à valider le contenu publié, et moins parce qu’ils permettent de véhiculer une image de soi idéalisée, avec la mise en visibilité d’un certain capital social.

En conclusion, nous pouvons dire que ces trois injonctions implicites, poussant l’utilisateur à se montrer comme à la fois attractif, digne d’intérêt, et bénéficiant d’un capital social, sont effectivement présentes sur la plateforme, toutefois, celles-ci ne se présentent pas sous la même forme pour tous les utilisateurs ni de la même manière que nous l’avions initialement décrit dans notre hypothèse. Une tendance à l’idéalisation de soi à travers la diffusion de contenus est présente sur Instagram, où ces trois normes implicites se complètent et se rejoignent, mais où elles varient selon les contextes, les types de publications, les utilisateurs et leurs entourages.

La norme d’attractivité dépend ainsi du type de contenu publié, la norme d’intérêt se rapporte plus à l’importance d’apporter de l’intérêt à l’entourage par le contenu publié qu’à montrer la personne partageant ce contenu comme intéressante, et la norme de popularité montre que l’importance des chiffres (likes et followers) compte plus au niveau de la validation par l’entourage et de l’estime de soi que dans le sens où ils participent à rendre visible un capital social.

En fonction du contexte, du type de contenu, de la personnalité de l’utilisateur, de son entourage ainsi que de ce qui est valorisé par les pairs, ces normes vont se présenter différemment pour les usagers, qui ont tous pour objectif final de s’inscrire parmi leur groupe de pairs en se présentant sous un angle positif.

8.1.3 H3 : Un phénomène d’imitation s’observe sur Instagram