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La relation des jeunes aux réseaux sociaux

4. Cadre théorique

4.2 L’utilisation des réseaux sociaux par les jeunes

4.2.2 La relation des jeunes aux réseaux sociaux

Les réseaux sociaux étant largement utilisés par les jeunes, que ce soit au niveau mondial ou en Suisse, beaucoup d’études menées sur le sujet se sont intéressées à l’utilisation que ces derniers en font. La période de l’adolescence en particulier, c’est à dire entre 13 et 18 ans, a beaucoup été étudiée (Yau & Reich 2018 ; Balleys 2016 ; Dizerbo 2016). En effet, elle constitue un moment clé où la personne cherche à

s’affranchir du monde des enfants, et doit définir (ou redéfinir) son identité pour entrer dans le monde des adultes.

Les réseaux sociaux représentent une opportunité pour définir cette identité de manière contrôlée et de la rendre visible à son entourage. De plus, le rapport des jeunes vis-à-vis des nouvelles technologies est intéressant, du fait que cette génération a toujours grandi avec. Il s’agit d’une génération connectée où la manière d’appréhender Internet et les réseaux sociaux est différente, du fait qu’ils les ont toujours connus. Ces mutations sociétales qu’entraîne le développement de nouvelles technologies font désormais de nous des « homo numericus » (Dortier, 2016), où la sociabilité numérique élargit notre espace relationnel (Casilli, 2010).

Une recherche essentielle dans le cadre de ce travail est celle qui a été menée par Joanna C. Yau et Stephanie M. Reich sur les pratiques et normes présentes sur Facebook et Instagram chez les adolescents (Yau & Reich, 2018). Dans cette recherche, les auteurs observent trois normes qui orientent l’exposition de soi chez les adolescents. Celles-ci servent de base pour notre deuxième hypothèse :

1. « appear interesting » (Yau & Reich, 2018, p. 201). Cette première norme correspond au désir d’apparaître intéressant auprès de ses pairs. Cela se transmet à travers le type de contenu publié qui doit participer à montrer la personne comme digne d’intérêt.

2. « appear likeable » (Yau & Reich, 2018, p. 201). Cette norme correspond au désir de se montrer comme étant apprécié et entouré socialement. C’est notamment avec le nombre de followers et le nombre de likes que cette dimension peut être quantifiée et rendue visible.

3. « appear attractive » (Yau & Reich, 2018, p. 202). Cette norme traduit le désir des utilisateurs de se montrer de manière « idéalisée » (Goffman, 1973) en se montrant généralement sous leur meilleur jour auprès des autres utilisateurs d’un point de vue physique. Instagram étant une plateforme véhiculant principalement des photographies, l’envie de se montrer désirable reste largement observée, notamment chez les adolescents.

L’auteur Claire Balleys a aussi mené diverses recherches au sujet des réseaux sociaux, s’intéressant notamment à Facebook, Snapchat et Youtube. Plus particulièrement, elle s’intéresse à comment les plateformes participent à la création de l’identité (Balleys, 2018). Elle souligne l’importance qu’ont les réseaux sociaux pour les adolescents en Suisse où « 99 % des jeunes âgés, entre 12 ans et 19 ans, possèdent un téléphone portable en 2016 [...]. « 94 % des jeunes Suisses possèdent un compte sur au moins un réseau social », dont 81 % sur Instagram » (Balleys, 2017, p. 33). Ses recherches mettent en lumière comment le capital de liens entre pairs sur ces plateformes constitue pour l’utilisateur un « pourvoyeur de prestige social » (Balleys, 2016, p. 12). Cette idée rejoint l’étude précédente, montrant l’importance d’afficher son capital social.

Anne Dizerbo a également travaillé sur ces questions, en adoptant une posture différente quant aux usages des réseaux sociaux par les jeunes. « Associés à des pratiques narcissiques, ces usages font souvent l’objet d’une certaine réprobation

morale [...] Ce traitement (médiatique) contribue à construire une vision plutôt négative d’une jeunesse [...] » (Dizerbo, 2016, p. 129). Elle adopte une perspective biographique afin d’aborder les pratiques de présentation de soi. Cette démarche est particulièrement intéressante, et nous a servi de modèle pour mener nos entretiens.

Parmi ses conclusions, elle note que l’inscription par les jeunes sur les plateformes sociales constitue un moyen essentiel de s’inscrire dans un groupe de pairs (Dizerbo, 2016, p. 134).

Elle note toutefois que les jeunes sont en partie conscients que cette image qu’ils donnent d’eux-mêmes est en partie normalisée, et une mise à distance s’observe parfois notamment par le vecteur de l’humour qui sert à s’éloigner de cette dimension de mise en scène (Dizerbo, 2016, p. 134). Anne Dizerbo s’intéresse aussi aux photographies qui sont partagées, et qui servent aux jeunes à manifester leur singularité, mais aussi à « prouver son existence dans une société qui pousse à l’affirmation de soi (…) la représentation de soi, proche d’une représentation théâtrale, donne à voir des images préalablement mises en scène selon des codes partagés.

Les images servent donc à affirmer le lien social et à s’affirmer dans une interaction constante avec l’environnement. » (Dizerbo, 2016, p. 137-139). Cette réflexion rejoint non seulement le concept de mise en scène de soi, mais aussi de visibilité, de normes partagées et de reconnaissance de soi.

Enfin, Fabien Granjon et Julie Denouël ont aussi étudié ce sujet, principalement l’exposition des jeunes sur Facebook, en mettant en relation l’expression de soi sur les plateformes, le concept de reconnaissance, et celui de la visibilité. Ils soulignent à la fois l’importance pour l’utilisateur de se créer une identité singulière par le biais de diverses facettes et le besoin d’estime sociale (Granjon & Denouël, 2010). Cette conclusion souligne une nouvelle fois l’importance de créer à la fois du lien avec son entourage et de se constituer une personnalité propre. Une ambivalence qui est aussi présente dans notre recherche.

Bien que ces différents travaux aient été menés sur les usages que font les adolescents entre 13 et 18 ans des réseaux, notre recherche se centre sur une tranche d’âge légèrement supérieure (entre 18 et 25 ans), moins étudiée quant à leurs pratiques sur les réseaux sociaux. Pour notre analyse, seul Instagram est pris en compte, notamment car beaucoup de recherches ont déjà été menées sur la plateforme Facebook (Balleys 2016 ; Dizerbo 2016 ; Granjon & Denouël 2010).

Les différents usages qui sont faits des réseaux sociaux

Si les pratiques des jeunes et des utilisateurs en général ont fait l’objet d’autant de recherches, c’est parce que les usages qui sont fait des réseaux sociaux varient énormément en fonction des plateformes, des contextes et des utilisateurs. Pour notre recherche, nous nous intéressons aux usages que font les jeunes d’Instagram et aux bénéfices qu’ils retirent en y postant du contenu. Il est donc essentiel de rappeler le courant des usages et gratifications, s’intéressant aux fonctions et aux utilisations que font les individus des médias, afin de dépasser la question des effets.

Dans ce courant, le postulat de base est que les personnes utilisent les médias afin de satisfaire des besoins, variant d’une personne à une autre. On s’intéresse ici aux différentes utilisations qui peuvent être faites des médias. Quatre types de

satisfactions sont décrites (McQuail, Blumler & Brown, cités dans Katz, Gurevich &

Hass, 1973) :

1. L’évasion par le divertissement.

2. Le fait de construire et solidifier des relations interpersonnelles.

3. La construction de l’identité personnelle.

4. Le contrôle (la surveillance de son environnement).

Ces quatre éléments se complètent et se retrouvent sur les réseaux sociaux. D’autres auteurs s’intéressent aux gratifications apportées par le fait de consommer des médias (Greenberg, 1973), et il est intéressant de regarder selon quels besoins les individus les consomment. Ces besoins peuvent être divisés en cinq catégories : le besoin cognitif, affectif, d’intégration au niveau de sa personnalité, d’intégration au niveau social et d’évasion (Katz, Gurevich & Hass, 1973).

Ce courant est innovant car il permet de dépasser ceux qui l’ont précédé, comme la théorie des effets des médias sur ses utilisateurs. Cette approche s’intéresse aux fonctionnalités, en fonction des besoins que les individus souhaitent satisfaire, et des gratifications retirées. Pour notre recherche, nous adoptons ce type de démarche, afin de comprendre les pratiques des jeunes sur Instagram, en prenant conscience de la pluralité des usages qui peuvent en être fait. Ils varient en fonction des contextes, des personnalités des utilisateurs et du mode de fonctionnement de la plateforme.