H3 : Un phénomène d’imitation s’observe sur Instagram dans les pratiques de

Suisse romande.

Les similarités entre les réponses obtenues avec notre questionnaire, témoignant de tendances générales concernant les usages d’Instagram, et les résultats de nos entretiens quant à une pression au conformisme semblent confirmer qu’une imitation entre pairs est présente sur la plateforme. La manière dont publie l’entourage semble effectivement participer à guider l’utilisateur dans ses pratiques d’exposition. Certaines

pratiques sont plus présentes que d’autres, et la perception de l’utilisateur quant à une valorisation de certains types de contenus participe à orienter ce qu’il va poster.

Il est intéressant de noter que les répondantes aux entretiens semblent conscientes de ce phénomène d’imitation, et qu’une réflexivité accompagne la manière dont elles constituent leurs profils. Une citation illustre l’importance de la manière dont publie l’entourage dans les pratiques de présentation de soi :

« Je crois que je m’adapte trop à mon entourage, par exemple en erasmus je traînais avec des filles qui publiaient beaucoup [...] et c’est vrai que là je publiais aussi beaucoup plus et ça m’a quand même influencée. Après j’étais aussi dans ce mood de j’allais dans de nouveaux endroits donc fallait absolument prendre des photos et les publier sur Instagram. [...] sinon mes potes proches, surtout filles parce que du coup tu vas plus imiter tes potes filles que garçons, elles publient assez peu donc en rentrant d’erasmus je me suis aussi basée là-dessus. Peut-être que si mes amies publiaient tous les jours je publierais aussi sûrement plus. Je m’adapte à comment poste mon entourage. » (Emma)⁷⁶. Les entretiens que nous avons menés sont clairs quant à la présence d’une pression au conformisme et d’adaptation plus ou moins consciente et volontaire à son entourage. Toutes les répondantes ont souligné qu’elles postaient en général comme leur entourage et qu’elles avaient suivi la même évolution dans leurs pratiques d’exposition. De plus, les résultats du questionnaire soulignent des manières communes de publier, et des types de contenus valorisés qui sont similaires.

Les utilisateurs ont selon nous tendance à prendre exemple sur un groupe référent afin de constituer leurs profils en fonction des mêmes normes implicites établies.

Toutes ont d’ailleurs dit qu’elles ne se verraient pas publier d’une manière dont personne d’autre ne publie parmi leur entourage, ou poster des contenus trop différents de ceux publiés par leurs pairs. La perception de ce qu’elles savent valorisés comme types de contenus par le groupe référent participe dès lors à orienter ce qu’elles postent, ce qui a pour conséquence la présence d’une imitation sur la plateforme.

Certaines thématiques sont plus présentes que d’autres, comme celle du voyage pour les publications permanentes et les photos entre amis en stories. De manière générale, une tendance à l’idéalisation s’observe. Le contenu posté doit être positif et participer à mettre en valeur la personne le postant. Ce contenu reflète en majorité ce qui sort du quotidien de l’utilisateur, afin d’être intéressant pour les personnes à qui il est partagé.

Dans certaines situations, l’entourage, servant de référence à l’utilisateur afin de se définir, peut être divisé en sous-groupes aux usages et aux pratiques distinctes. C’est le cas pour une répondante chez qui cette situation a créé une forme de tension, du fait qu’elle se situe entre une partie de son entourage très active sur la plateforme, et une autre ne publiant presque pas et où d’autres types de contenus sont valorisés.

Après être passée d’un extrême selon elle (accorder beaucoup d’importance à la plateforme, au nombre de likes et de followers, et avoir beaucoup publié) à un autre

76 Entretien avec Emma, prénom d’emprunt, le 5 août 2020.

(la suppression de son compte afin de se détacher d’une forme de pression devenue malsaine pour elle), elle a finalement trouvé un équilibre, à mi-chemin entre les deux.

« J’ai remarqué qu’en général dans mon entourage les gens publient moins.

C’est un peu mélangé, j’ai des amis qui postent beaucoup [...] et des gens qui publient presque rien. Moi je me situe un peu entre les deux. J’aimerais et je vais plutôt vers la direction des gens qui publient presque rien mais y’a toujours quelque chose qui me retient et qui fait que je prends encore du plaisir à publier un peu. C’est pour ça que je me suis trouvé ce compromis, pour toujours avoir l’impression d’être du côté du publieur, mais en publiant quand même peu. [...]

J’ai l’impression que ça dépend beaucoup de ton entourage. » (Oriane)⁷⁷. Selon nous, cette citation illustre l’importance pour l’utilisateur de se trouver dans la norme par rapport à son entourage, même si celui-ci est fragmenté en différents sous-groupes aux usages distincts. Garder sa singularité, tout en s’inscrivant dans des codes de référence communs avec son entourage semble faire partie de la stratégie de présentation de soi sur Instagram, ce qui reflète de manière plus large une tendance présente dans l’espace social. Cette citation illustre également le fait que les pratiques évoluent sur les plateformes en ligne, en fonction de l’âge du répondant mais aussi en fonction de la plateforme elle-même qui se renouvelle et de l’entourage qui se redéfinit au fur et à mesure, rendant ainsi les pratiques des utilisateurs éphémères et en constante évolution.

Une forme de pression au conformisme s’observe donc bel et bien sur Instagram selon nous, car l’imitation consiste pour l’utilisateur en une manière plus sûre de correspondre à ce qui est attendu de lui, à ce qu’il sait être valorisé par la collectivité, et ainsi d’obtenir de la reconnaissance. Car obtenir une validation des pairs, notamment par le biais de retours positifs sur les contenus publiés, représente l’enjeu principal poussant l’utilisateur à s’exposer sur la plateforme et à y diffuser du contenu.

L’entourage, et la manière dont les pairs s’exposent, constitue le facteur premier guidant l’utilisateur dans ses stratégies de présentation de soi sur Instagram. Bien sûr, l’usager poste également en fonction de son intérêt personnel pour les contenus, et chaque utilisateur s’expose de façon unique en fonction de sa personnalité, de sa vision de la plateforme, et de son vécu personnel. Dans notre tableau récapitulatif (figure 25), nous synthétisons la discussion de nos résultats par rapport aux trois hypothèses de recherche que nous avons formulé.

77 Entretien avec Oriane, prénom d’emprunt, le 11 septembre 2020.

H1 Les jeunes en Suisse romande construisent leur profil Instagram en suivant des codes implicites,

visant à l’obtention d’une validation sociale. Validée

H2

Dans leurs stratégies de présentation de soi sur Instagram, les jeunes en Suisse romande se conforment à des normes qui s’articulent autour du désir d’attractivité, d’intérêt à susciter chez leurs pairs, et d’un désir de popularité.

Partiellement validée

H3 Un phénomène d’imitation s’observe sur

Instagram dans les pratiques de présentation de soi par les jeunes en Suisse romande.

Validée

Figure 25 : Tableau de synthèse des résultats des hypothèses de recherche