CHAPITRE 3
INT´
EGRALES `
A PARAM`
ETRE
⊙
Nous entrons dans le champ des transform´ees de fonctions. Une transform´ee est une op´eration consistant `a associer `a une fonction appartenant `a un espace fonctionnel une nouvelle fonction, la plupart du temps d´efinie de mani`ere int´egrale, et appartenant `a un espace fonctionnel potentiellement diff´erent. Une transformation est donn´ee en g´en´eral par T :f7→
(
T(f) :u7→
∫
If(t)K(u, t)dt
)
o`u Kest appel´e le noyau de la transformationT sur un intervalle temporelI(sous r´eserve de convergence).
Au d´ebut du XIXe si`ecle, Fourier montre que toute fonction p´eriodique peut se d´ecomposer comme somme d’une s´erie de fonctionst7→cos(kt) et t7→sin(kt) (les harmoniques), il utilise cette d´ecomposition pour ´etudier les solutions de l’´equation de la chaleur. Mais il g´en´eralise cette propri´et´e `a toute fonction non p´eriodique par la transform´ee de Fourier `a valeurs r´eelles ou complexes dont la variable ind´ependante peut s’interpr´eter en physique comme la fr´equence ou la pulsation : cette transformation permet de passer du domaine temporel au domaine fr´equentiel (spectre).
La transformation de Laplace g´en´eralise la transformation de Fourier ; elle est utilis´ee pour r´esoudre les ´equations diff´erentielles. Contrairement `a cette derni`ere, elle tient compte des conditions initiales et peut ainsi ˆetre utilis´ee en th´eorie des vibrations m´ecaniques ou en ´electricit´e dans l’´etude des r´egimes forc´es sans n´egliger le r´egime transitoire. Elle est tr`es utilis´ee en automatique.
Il y a beaucoup d’autres transformations int´egrales, par exemple et de mani`ere non exhaustive, celles de Mellin, de Hankel, de Stieltjes, de Hilbert, de Weierstass....
Ces transformations sont d’autant plus int´eressantes qu’elles sont bijectives et qu’on a une expression exploitable de la transformation inverse. Ce faisant, le travail sur les fonctions transform´ees peut donc donner en retour des informations sur le signal originel : par exemple, la r´esolution d’´equations diff´erentielles lin´eaires par la transform´ee de Laplace qui ram`ene cette r´esolution `a une ´equation alg´ebrique.
Le th´eor`eme de convergence domin´ee, l’un des plus puissants de la th´eorie de l’int´egrale de Lebesgue, nous permettra de prouver les th´eor`emes de continuit´e et de d´erivabilit´e de ces transform´ees int´egrales selon les propri´et´es de domination du noyauKou de sa d´eriv´ee partielle par rapport `a la variableu.
TABLE DES MATI`
ERES
Partie 1 : th´eor`eme de convergence domin´ee
- 1 : convergence simple d’une suite de fonctions. . . .page 56 - 2 : le fameux th´eor`eme. . . .page 56 Partie 2 : continuit´e des int´egrales `a param`etre
- 1 : version universelle. . . .page 57 - 2 : version “sur tout segment”. . . .page 58 - 3 : version “limite”. . . .page 58 Partie 3 : d´erivabilit´e des int´egrales `a param`etre
- 1 : version universelle. . . .page 59 - 2 : version “sur tout segment”. . . .page 60
56 INT ´EGRALES `A PARAM `ETRE
PARTIE 3.1 : TH´
EOR`
EME DE
CONVERGENCE DOMIN´
EE
3.1.1 : Convergence simple d’une suite de fonctions
D ´EFINITION 3.1 :
Soit (fn)n∈ N∈F(I,K)N une suite de fonctions deI dans K.
On dit que la suite (fn)n∈ N converge simplement surI vers f∈F(I,K) si ∀x∈I, lim
n→+∞fn(x) =f(x).
La fonctionf:I→ K est alors appel´ee la limite simple de la suite (fn)n∈ N.
REMARQUE 3.1 : La convergence simple de la suite de fonctions (fn)n∈ N vers f sur I se traduit par
cette phrase math´ematique : ∀x∈I, ∀ε > 0, ∃n0∈ N, ∀n>n0, |fn(x)−f(x)|< ε.
EXEMPLE 3.1 : La suite (fn)n∈ N d´efinie par fn : x∈ [0;1]7→ xn converge simplement sur [0;1]
vers la fonctionftelle que f(x) =0six∈ [0;1[ etf(1) =1.
3.1.2 : Le fameux th´
eor`
eme
TH ´EOR `EME DE CONVERGENCE DOMIN ´EE ( ´ENORME) 3.1 : Soit (fn)n∈ N∈F(I,K)N une suite de fonctions. On suppose que :
(H1) la suite (fn)n∈ N converge simplement sur I vers f,
(H2) les fonctions fn et la fonctionf sont continues par morceaux sur I,
(H3) ∃φ:I→ R+ continue par morceaux et int´egrable surI telle que ∀n∈ N,|fn| 6φ.
Alors :
(R1) Les fonctions fn et la fonction f sont int´egrables sur I.
(R2) lim n→+∞
∫
Ifn =∫
If.D´emonstration : hors programme.
EXEMPLE 3.2 : Calculer lim
n→+∞
∫
π/20 (n+1)sin
n(t)cos(t)dt. Qu’en conclure ?
EXERCICE 3.3 : D´eterminer lim
n→+∞
∫
+∞0 e
−tn
dt.
REMARQUE 3.2 : Phrase du programme officiel : “L’hypoth`ese de continuit´e par morceaux def, impos´ee par les limitations du programme, n’a pas l’importance de l’hypoth`ese de domination”. Cela tient au fait que nous utilisons l’int´egrale de Riemann. Il en existe d’autres : l’int´egrale de Lebesgue notamment ou l’hypoth`ese de continuit´e par morceaux est remplac´ee par la mesurabilit´e de la fonction.
EXERCICE CLASSIQUE 3.4 : Soitfn: R+→ R telle que ∀t∈ [0;
√ n], fn(t) = ( 1−t2 n )n et fn(t) =0sit > √ nd`es que n>1. Exprimer
∫
+∞0 fn(t)dten fonction des int´egrales de Wallis.
En d´eduire la valeur de l’int´egrale de Gauss :
∫
+∞0 e −t2
ORAL BLANC 3.5 : CCP PSI 2014 Gabriel Detraz SoitIn=
∫
+∞ 0 1 t(1+t2)sin ( t n ) dt.a. V´erifier queIn est bien d´efini et calculer lim
n→+∞In.
b. Trouver un ´equivalent deIn quandntend vers +∞.
PARTIE 3.2 : CONTINUIT´
E DES
INT´
EGRALES `
A PARAM`
ETRE
3.2.1 : Version universelle
On noteI etJdeux “vrais” intervalles de R ; c’est-`a-dire qu’ils contiennent au moins deux r´eels distincts. TH ´EOR `EME DE CONTINUIT ´E SOUS LE SIGNE SOMME ( ´ENORME) 3.2 :
Soit f:I×J→ K, on suppose que :
(H1) pour tout t∈J, la fonctionx7→f(x, t) est continue sur I,
(H2) pour tout x∈I, la fonction t7→f(x, t) est continue par morceaux (et int´egrable sur J),
(H3) ∃φ:J→ R+ continue par morceaux, int´egrable sur Javec ∀(x, t)∈I×J, |f(x, t)| 6φ(t). Alors la fonction g:I→ K telle que g(x) =
∫
Jf(x, t)dtest continue sur I.
D´emonstration : Non exigible.
EXEMPLE 3.6 : Prenons iciI=J= R+ etf:I×J→ R d´efinie parf(x, t) =xe−tx.
Les hypoth`eses (H1) et (H2) sont clairement v´erifi´ees.
Calculer directement, pourx∈ R+, la valeur deg(x) =
∫
+∞ 0 xe−txdt. Qu’en d´eduire ?
REMARQUE FONDAMENTALE 3.3 : • On remarque encore que (H3) entraˆıne l’int´egrabilit´e dans (H2).
• Si les intervalles I et J sont des segments et si fest une fonction continue (de deux variables) sur I×J, on verra que les fonctions ”partielles” des hypoth`eses (H1) et (H2) sont continues et quef est
born´ee (parM) surI×Jdonc on peut choisirφ(t) =Mci-dessus.
EXERCICE 3.7 : Soitg:x7→
∫
+∞ −∞
e−x2t2 1+t2dt.
Donner l’ensemble de d´efinitionDdeget montrer quegest continue surD.
3.2.2 : Version “sur tout segment”
TH ´EOR `EME DE CONTINUIT ´E SOUS LE SIGNE SOMME (VERSION SUR TOUS LES SEGMENTS) ( ´ENORME) 3.3 :
Soit f:I×J→ K, on suppose que :
(H1) pour tout t∈J, la fonctionx7→f(x, t) est continue sur I,
(H2) pour tout x∈I, la fonction t7→f(x, t) est continue par morceaux et int´egrable sur J, (H3) pour tout segment [a;b]⊂I, il existe une fonctionφa,b:J→ R+ continue par morceaux
et int´egrable sur Jtelle que ∀(x, t)∈ [a;b]×J, |f(x, t)| 6φa,b(t).
Alors la fonction g:I→ K telle que g(x) =
∫
58 INT ´EGRALES `A PARAM `ETRE REMARQUE 3.4 : • La fonctionφa,b peut d´ependre dea etbmais elle doit ˆetre ind´ependante de x.
• Dans le th´eor`eme ci-dessus, on n’est pas oblig´e de consid´erer des segments, si par exemple on prouve quefest continue sur tous les intervalles de la forme [a; +∞[ poura > 0(le probl`eme se trouvant dans ce cas au voisinage de0), alors on conclura tout de mˆeme `a la continuit´e degsur R∗+.
EXERCICE 3.8 :
Montrer queg:]−1;1[→ R d´efinie parg(x) =
∫
π0 ln
(
1+x cos(t))dtest continue sur ]−1;1[.
3.2.3 : Version “limite”
REMARQUE HP 3.5 : Dans le mˆeme style mais hors programme, donc `a savoir re-d´emontrer : Soitf:I×J→ K tel queI soit un voisinage de +∞ :
(H1) il existeh:J→ K continue par morceaux telle que pour toutt∈J, lim
x→+∞f(x, t) =h(t),
(H2) pour tout x∈I, la fonctiont7→f(x, t) est continue par morceaux surJ,
(H3) ∃φ:J→ R+ cont. par morceaux, int´egrable surJet ∀(x, t)∈I×J, |f(x, t)| 6φ(t). Alorsg:I→ K telle queg(x) =
∫
Jf(x, t)dt admet une limite en +∞ et x→+∞lim g(x) =
∫
Jh.
EXEMPLE 3.9 : Calculer lim
x→+∞
∫
+∞ 0 dt 1+t2etx .PARTIE 3.3 : D´
ERIVATION DES
INT´
EGRALES `
A PARAM`
ETRE
3.3.1 : Version universelle
TH ´EOR `EME DE D ´ERIVATION SOUS LE SIGNE SOMME ( ´ENORME) 3.4 : Soit I etJdes intervalles et f:I×J→ K telle que
(H1) pour tout t∈J,x7→f(x, t) est de classeC1 sur I,
(H2) pour tout x∈I, t7→f(x, t),t7→ ∂f∂x(x, t) sont continues par morc. et int´egrables sur J,
(H3) ∃φ:J→ R+ continue par morceaux, int´egrable sur Jet ∀(x, t)∈I×J, ∂x∂f(x, t) 6φ(t).
Alors :
(R1) La fonction g:I→ K telle queg(x) =
∫
Jf(x, t)dt est de classe C 1 sur I. (R2) ∀x∈I, g′(x) =
∫
J ∂f ∂x(x, t)dt(formule de Leibniz).D´emonstration : Non exigible.
REMARQUE 3.6 : Souvent, l’´etude de la monotonie de gne n´ecessite pas l’utilisation de ce th´eor`eme.
EXEMPLE 3.10 : On poseg(x) =
∫
+∞1
dt
tx+1. Donner le domaine de d´efinition deg. Montrer que la fonctiongest d´ecroissante et de limite nulle en +∞.
ORAL BLANC 3.11 : Petites Mines PSI 2014 Benjamin R.
PosonsS(x) =
∫
+∞0 e −t2
cos(xt)dt. Montrer queS(x) converge, que Sest de classeC1 et ´etablir une ´equation diff´erentielle d’ordre1v´erifi´ee parS. Que vautS(0) ? ExpliciterS(x).
3.3.2 : Version “sur tout segment”
TH ´EOR `EME DE D ´ERIVATION SOUS LE SIGNE SOMME (VERSION SUR TOUS LES SEGMENTS) ( ´ENORME) 3.5 :
Soit f:I×J→ K, on suppose que :
(H1) pour tout t∈J, la fonctionx7→f(x, t) est de classe C1 sur I,
(H2) pour tout x ∈I, les fonctions t7→f(x, t) et t7→ ∂x∂f(x, t) sont continues par morceaux et
int´egrables sur J,
(H3) pour tout segment [a;b]⊂I, il existe une fonctionφa,b:J→ R+ continue par morceaux
et int´egrable sur Jtelle que ∀(x, t)∈ [a;b]×J, ∂f ∂x(x, t)
6φa,b(t).
Alors :
(R1) La fonction g:I→ K telle queg(x) =
∫
Jf(x, t)dt est de classe C 1 sur I. (R2) ∀x∈I, g′(x) =∫
J ∂f ∂x(x, t)dt(formule de Leibniz).EXERCICE CLASSIQUE 3.12 : Reprenons l’´etude de g :]−1;1[→ R d´efinie par la relation g(x) =
∫
π0 ln
(
1+x cos(t))dt. Trouvons une expression “plus simple” deg(x) en explicitant sa d´eriv´ee.
REMARQUE 3.7 : Soitf:I×J→ K telle que g:I→ K d´efinie par ∀x∈I, g(x) =
∫
Jf(x, t)dtexiste.
Si on veut prouver que g : I → K est de classe Cn (avec n > 1) sur I, on proc`ede par r´ecurrence en utilisant le th´eor`eme de Leibniznfois. Il faut donc prouver que :
• ∀t∈J, x7→f(x, t) est de classeCn surI.
• ∀x∈I, t7→f(x, t) est continue par morceaux et int´egrable surJ(pour initialiser la r´ecurrence). • ∀k∈ [[1;n]], ∀x∈I, t7→ ∂kf
∂xk(x, t) est continue par morceaux surJ(on verra l’int´egrabilit´e de cette fonction avec l’hypoth`ese de domination ci-dessous).
• ∀k ∈ [[1;n]], ∀[a;b] ⊂ I, ∃φa,b,k : J → R+ continue par morceaux et int´egrable sur J telle que
∀(x, t)∈ [a;b]×J, ∂kf ∂xk(x, t)
6φa,b,k(t) (∀x∈I, lest7→ ∂ kf
∂xk(x, t) sont donc int´egrables sur J).
Alorsg:I→ K telle queg(x) =
∫
Jf(x, t)dt estC
n surIet ∀k∈ [[0;n]], ∀x∈I, g(k)(x) =
∫
J∂kf
∂xk(x, t)dt.
EXEMPLE FONDAMENTAL 3.13 : Soit Γ d´efinie par Γ(x) =
∫
+∞0 t
x−1e−tdt:
• Γ (appel´ee fonction “Gamma” d’Euler) est d´efinie sur R∗ +.
• Γ est de classeC∞ sur son ensemble de d´efinition.
• ∀x > 0, Γ(x+1) =xΓ(x). Comme Γ(1) =1, par r´ecurrence : ∀n∈ N∗, Γ(n) = (n−1)!.
• Γ(1 2 )
=√πdonc par r´ecurrence : ∀n∈ N, Γ ( n+1 2 ) = (2n)! 22nn! √ π.
60 INT ´EGRALES `A PARAM `ETRE
EN PRATIQUE : Pour ´etudier une fonction d´efinie parg(x) =
∫
ba f(x, t)dt:
• On identifie l’intervalleJ(on inclut ou pas les bornesa oub).
• On v´erifie quet7→f(x, t) est bien continue par morceaux et on d´etermine l’ensemble de d´efinition de gqu’on d´ecompose en intervallesI.
• On traite si possible ´el´ementairement la parit´e, monotonie, limite aux bornes.... • On montre l’aspectC0 degavec le th´eor`eme ad-hoc ´eventuellement sur tout segment. • On montre l’aspectC1 degavec le th´eor`eme ad-hoc ´eventuellement sur tout segment.
• Pour obtenir une nouvelle expression deg(x) (sans int´egrale), on peut utiliser la formule de Leibniz pour ´etablir une ´equation diff´erentielle v´erifi´ee pargqu’on int`egre.
EXERCICE CONCOURS 3.14 : Mines PSI 2015 Arthur Lacombe
On d´efinitI=
∫
10
ln(1+t)dt
1+t2 et, pourx∈ [0;1], on poseg(x) =
∫
1 0ln(1+xt)dt 1+t2 . a. Expliciterg(x) et en d´eduire la valeur deI.
b. Par un changement de variable dansI, retrouver le r´esultat.
COMP´
ETENCES
• reconnaˆıtre le cadre de la convergence domin´ee quand on cherche lim
n→+∞
∫
In
fn(t)dtquitte `a inclure toutIn dans un mˆeme intervalleI(ind´ependant den) en compl´etant par la fonction nulle hors deIn.
• maˆıtriser la domination defn(t) en valeur absolue ou module par une fonction φint´egrable surI.
• reconnaˆıtre le cadre de la continuit´e ou la d´erivabilit´e sous le signe somme quandg(x) =
∫
If(x, t)dt.
• ´enoncer une `a une toutes les hypoth`eses de ces th´eor`emes lors de leurs utilisations. • dominer |f(x, t)| ou∂f
∂x(x, t)