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"We Bring Love" Les discours sur l'autochtonéité au sein du mouvement Healing Our Spirit Worldwide

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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« We Bring Love »

Les discours sur l’autochtonéité au sein du mouvement

Healing Our Spirit Worldwide

Mémoire

Marie-Pierre Renaud

Maîtrise en anthropologie

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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« We Bring Love »

Les discours sur l’autochtonéité au sein du mouvement

Healing Our Spirit Worldwide

Mémoire

Marie-Pierre Renaud

Sous la direction de :

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Résumé

La présente recherche porte sur Healing Our Spirit Worldwide (HOSW), un mouvement autochtone de guérison international. Les rassemblements HOSW, qui se déroulent à un intervalle variable dans différents pays, sont des lieux de célébration de la résilience des peuples autochtones et contribuent à l’émergence d’un sentiment de communauté et de solidarité entre les participants. Une description brève du mouvement, notamment vis-à-vis de son historique, son mandat et sa structure, est complétée par l’exemple du sixième rassemblement qui s’est déroulé à Honolulu, Hawai’i en septembre 2010. Celui-ci est mis à profit pour illustrer plus clairement la nature du mouvement et mettre en relief les discours des conférenciers lors de cet événement sur les thèmes de la guérison et de l’autochtonéité qui sont au cœur des intentions de recherche. La recherche met en lumière la dimension relationnelle de la guérison et de l’autochtonéité telles qu’elles sont décrites au sein du mouvement HOSW.

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Abstract

This research examines Healing Our Spirit Worldwide (HOSW), an international indigenous healing movement. HOSW gatherings, which take place every few years, each time in a different country, are spaces in which the resilience of indigenous peoples is celebrated; these events contribute to the emergence of a feeling of community and solidarity between the participants. A brief description of the movement, relating to its history, mandate and structure, is completed by the example of the sixth gathering which took place in September 2010 in Honolulu, Hawai’i. This event illustrates more clearly the nature of the movement and provides relevant context to the analysis of the discourses of speakers of this gathering on the themes of healing and indigeneity which are at the heart of this research. This research highlights the relational dimension of healing and indigeneity as they are described within the HOSW movement.

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Table des matières

Résumé ... iii

Abstract ... iv

Table des matières ... v

Liste des figures ... viii

Liste des abréviations et des sigles ... ix

Dédicaces ... x

Remerciements ... xi

Avant-propos ... xiii

Introduction ... 1

Chapitre 1 : Contexte historique et cadre conceptuel ... 4

1.1 Introduction ... 4

1.2 Le mouvement international des peuples autochtones ... 5

1.2.1 Investissement des espaces onusiens... 11

1.2.2 Une multiplicité d’acteurs et d’espaces ... 12

1.3 Cheminement vers la guérison ... 14

1.4. Débats sur les discours mondiaux sur l’autochtonéité ... 17

1.4.1 Terminologie ... 18

1.4.2 Critique de l’opérationnalité ... 20

1.4.3 Critique anthropologique ... 22

1.5 Mon approche : adopter un regard critique et contextuel ... 25

1.6 Question et objectifs de recherche ... 27

1.7 Conclusion ... 30

Chapitre 2 : Démarche réflexive et cadre méthodologique ... 31

2.1 Introduction ... 31

2.2 Éthique et réflexivité ... 31

2.2.1 Décolonisation de la recherche ... 32

2.2.2 Choix éthiques ... 36

2.2.3 Réflexivité : mon cheminement personnel ... 37

2.3 Cadre Méthodologique ... 43

2.3.1 Techniques d’enquête ... 45

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vi

2.4 Rédaction et diffusion des résultats ... 53

2.5 Les paradigmes constructiviste et interactionniste ... 55

2.6 Conclusion ... 58

Chapitre 3 : Description de Healing Our Spirit Worldwide ... 59

3.1 Introduction ... 59

3.2 Historique du mouvement ... 59

3.3 Structure et fonctionnement ... 63

3.3.1 International Indigenous Council ... 63

3.3.2 Comités organisateurs ... 65

3.3.3 Promotion et communications ... 67

3.4 Rassemblement Healing Our Spirit Worldwide 2010 ... 71

3.4.1 Programmation ... 71

3.4.2 Délégations, conférenciers et profil des participants ... 78

3.4.3 Facteurs liés à la participation ... 82

3.5.5 Volontés pour le futur ... 86

3.5 Conclusion ... 86

Chapitre 4 : Des relations porteuses de guérison ... 88

4.1 Introduction ... 88

4.2 Le partage de l’expérience de la colonisation et de ses impacts ... 88

4.3 Critique des conceptions occidentales ... 91

4.4 Relationalité, identité et guérison ... 94

4.4.1 « Who are we ? » : la question de la guérison ... 102

4.4.2 « We bring love » ... 105

4.5 HOSW, lieu de guérison : ressourcement, célébration et unité ... 107

4.5.1. Les histoires ... 108

4.5.2 Parler pour guérir ... 110

4.5.3 Humour ... 111

4.5.4 Célébrer ... 114

4.5.5 Partager un moment et émergence d’une conscience partagée (shared awareness) ... 119

4.6 Conclusion : comparaisons entre HOSW, l’ONU et la FADG ... 121

4.6.1 Dynamiques hégémoniques, divisions internes et violence latérale ... 124

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vii

Chapitre 5 : Conclusion ... 132

5. 1 Limites de la recherche ... 132

5. 2 La portée mondiale d’HOSW ... 136

Annexe 1 : Enregistrements analysés ... 138

Contenu du coffret souvenir ... 138

Conférences, ateliers et panels additionnels ... 140

Annexe 2 : Programmation ... 143

Thématiques quotidiennes ... 143

Thématiques (tracks) ... 143

Annexe 3 : Healing Our Spirit Worldwide Covenant ... 144

Bibliographie ... 145

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Liste des figures

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Liste des abréviations et des sigles

AIM American Indian Movement BIA Bureau of Indian Affairs

CRCAH Cooperative Research Center for Aboriginal Health CRPA Commission royale sur les peuples autochtones

CIPAT Conseil international sur les problèmes de l’alcoolisme et des toxicomanies CVR Commission de vérité et réconciliation

FADG Fondation autochtone de guérison FBI Federal Bureau of Investigation HOSW Healing Our Spirit Worldwide IIC International Indigenous Council

MIPA Mouvement international des peuples autochtones

NANACOA National Association for Native American Children of Alcoholic NASA National Aeronautics and Space Administration

NCSA Native Counselling Services of Alberta

NNAPF National Native Addictions Partnership Foundation/Fondation autochtone nationale de partenariat pour la lutte contre les dépendances (FANPLD)

OMS Organisation mondiale de la santé ONG Organisations non gouvernementales ONU Organisation des Nations Unies PAHO Pan-American Health Organization PVS Polynesian Voyaging Society

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Dédicaces

À la mémoire de Monsieur Pierre

Maranda, qui m’a tant inspirée et

appuyée pendant le rite initiatique que

sont les études au deuxième cycle.

À toutes les personnes qui ont participé

de près ou de loin à la création et à

l’épanouissement d’HOSW, mouvement

qui m’a tant inspirée, nourrie et

transformée.

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xi

Remerciements

Ma participation au rassemblement HOSW 2010 et la réalisation des recherches qui s’ensuivirent ont été financées par une bourse de voyage et des contrats de recherche qui m’ont été octroyés par Sylvie Poirier, ma directrice de recherche, dans le cadre du projet de recherche-équipe « Les dynamiques religieuses des autochtones des Amériques : Vers de nouvelles méthodes » (FQRSC). Je remercie Madame Poirier de m’avoir offert la possibilité d’entamer un cheminement d’études aux cycles supérieurs et de m’avoir accompagnée tout au long de mon processus de recherche. Ce fut un plaisir de travailler avec elle et de profiter de ses conseils avisés et de ses critiques pertinentes pendant ces années qui me transformèrent profondément.

Je suis redevable envers les membres de l’International Indigenous Council (IIC) qui m’ont gentiment et généreusement accordé de leur temps pour discuter avec moi de mon projet et répondre à mes questions sur HOSW. Je les remercie de leur aide précieuse et essentielle qui, je l’espère, m’aura permis de produire une représentation fidèle du mouvement HOSW. J’offre également mes remerciements à l’équipe de Papa Ola Lokahi, qui m’ont fourni le rapport d’évaluation du rassemblement de 2010.

Je remercie les professeurs du département d’anthropologie qui m’ont généreusement fait profiter de leur expérience et de leurs savoirs tout au long de mon parcours aux premier et deuxième cycles. J’ai grandement apprécié les moments partagés avec eux lors d’événements informels et dans le cadre de séminaires, de projets de recherche ou de publications. Je remercie tout particulièrement Frédéric B. Laugrand et Pierre Maranda, avec qui la collaboration a toujours été extrêmement agréable, formatrice et inspirante. L’appui et la présence joviale de Lise Fortin, adjointe administrative dévouée du Centre interuniversitaire d’études et de recherches autochtones (CIÉRA), m’ont été indispensables. Je tiens à lui exprimer ma gratitude ainsi qu’à tous mes collègues et amis de ce centre de recherche : les moments agréables passés en leur compagnie m’ont permis d’apprendre beaucoup. Je suis reconnaissante envers la faculté des sciences sociales de l’Université Laval et l’Association des femmes diplômées des universités de Québec (AFDU Québec) de m’avoir accordé des bourses de recherche qui m’ont été d’une grande utilité.

Pour son amitié, ses conseils toujours pertinents et éclairants et sa vision originale des choses, je remercie sincèrement Jean-Étienne Poirier. Je me considère chanceuse de profiter de son mentorat. Le partage de l’expérience du passage aux études supérieures avec mes amis et collègues a rendu le

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xii

processus de travail beaucoup plus agréable. Je les remercie chaleureusement de m’avoir accompagnée dans mon processus d’écriture, notamment lors de séances de travail en groupe.

Plus que quiconque, je tiens à remercier mon mari qui m’a appuyée et encouragée tout au long de mon cheminement à la maîtrise et qui m’encourage chaque jour dans tous mes projets.

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Avant-propos

« […] l’approche réflexive voudrait montrer qu’on n’est pas anthropologue par accident, et que cette quête de l’altérité, qui est aussi une quête d’identité, est d’abord individuelle, profondément ancrée dans une problématique personnelle qui conditionne toutes les phases de la démarche […] » (Caratini 2012 : 9) Pour décrire les motivations qui m’ont menée à entreprendre la présente recherche, je dois nécessairement invoquer mon expérience en tant que Québécoise, donc comme personne faisant partie d’un peuple à la fois colonisé et colonisateur. En ce sens, je trouve des échos intéressants entre mon parcours personnel et celui d’autres chercheurs québécois, tels que Natacha Gagné (Gagné 2013 : xi), mais également de chercheurs dont le parcours a été marqué par les relations coloniales tel qu’Éric Schwimmer (Gagné et Campeau 2008 : 3-12).

J’avais 9 ans à l’époque du référendum sur la souveraineté du Québec de 1995 et je ne saisissais pas très bien les divisions qui apparaissaient au sein de ma famille, entre le côté de ma mère, souverainiste, et celui de mon père, fédéraliste. Interrogeant mon grand-père maternel sur la pertinence et l’utilité de la souveraineté pour le Québec, il me répondit que les Québécois ont le droit de diriger leur propre pays parce qu’ils ont été les premiers arrivés sur le territoire de la province et qu’ils ont ensuite été conquis et dominés par les Britanniques.

Ce que je lui répondis me surprend encore aujourd’hui. Après tout, je connaissais alors que très peu de choses sur les Autochtones. Les cours de sciences humaines que j’avais suivis à l’école primaire ne m’avaient renseignée que sommairement sur les peuples autochtones que les premiers explorateurs européens et les colons de la Nouvelle-France avaient rencontrés au Canada, quelque 400 ans auparavant. J’ignorais aussi à peu près tout de leur contemporanéité. Pourtant, je répondis à mon grand-père que les Autochtones avaient été « là » bien avant que les Québécois ne le soient, et que suivant sa logique, ce seraient eux qui auraient le droit d’exiger que le Québec soit leur pays.

Mon grand-père me répondit simplement « ça, ce n’est pas la même chose ».

Loin de moi l’idée de présenter mon grand-père comme une personne ayant des idées simples et peu réfléchies sur la souveraineté du Québec ou les Autochtones. Au contraire, nous avons eu à travers les années des discussions très riches sur ces sujets. La brièveté et la simplicité de notre échange au sujet du référendum sont attribuables d’abord et avant tout à mon âge et non aux capacités discursives, aux connaissances et aux idées politiques de mon aîné, qui est par ailleurs une personne très éloquente et intelligente. Néanmoins, sa réponse me rendit perplexe et me marqua profondément. Si les Québécois

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xiv

pouvaient prétendre à la souveraineté, pourquoi les Autochtones ne le pouvaient-ils pas ? Quelle était donc cette différence qui était invoquée ?

Peu de temps après le référendum, le décès de ma grand-mère paternelle me mena à m’interroger sur mon histoire familiale. Née d’un père irlandais catholique et d’une mère anglaise protestante, elle avait dû vivre avec des dynamiques familiales parfois difficiles pendant sa vie. Selon son mari, ses parents se taquinaient à l’époque des conflits intenses entre l’IRA et le gouvernement britannique. Or leur affection l’un pour l’autre me semblait contradictoire à la lumière des relations coloniales entre l’Irlande et l’Angleterre, celles-ci ayant été la source de brutalité, de grandes famines et de misère pour les Irlandais. Comment ces deux personnes avaient-elles pu s’aimer et fonder une famille en dépit de l’histoire de leurs peuples respectifs ?

Ces questionnements enfantins et naïfs se sont en quelque sorte transposés avec les années aux peuples autochtones du Canada et la population non autochtone : comment ces peuples peuvent-ils, ou pourront-ils s’aimer, se respecter et construire ensemble des relations fortes en dépit de leur histoire ? En plus de vouloir trouver des éléments de réponse à cette question, j’espérais pouvoir contribuer au projet de réconciliation entre les peuples en question. J’entrepris d’abord de me renseigner sur les peuples autochtones et leurs relations avec les non-Autochtones, au Canada et ailleurs. Je suis particulièrement reconnaissante à Jacob Wawatee et à son projet de l’Université de la forêt, auquel j’ai eu la chance de participer en 2006 grâce à une initiative de professeurs du cégep de l’Outaouais, Gaston Adam, Bernard Ouellet et Richard Marcouiller, à qui je dois également mes remerciements. L’atelier d’une durée de trois jours portait sur la cueillette de l’eau d’érable et sa transformation en sirop, et ce grâce à des techniques anishnabe. Un séjour à Aotearoa/Nouvelle-Zélande, la même année, éveilla ma curiosité. Du point de vue d’une Canadienne, ce que les Māori ont réussi à accomplir en terme d’activisme, de reconnaissance de leurs droits et même, plus simplement, en matière de visibilité au sien de la société néo-zélandaise, est impressionnant : la langue māori est une langue officielle du pays, le système électoral garantit un nombre minimum de députés Māori, etc. Je me demandais alors si, et comment, une situation similaire pourrait éventuellement être atteinte au Canada.

C’est ce qui m’a amenée à me pencher sur les relations entre Autochtones et non-Autochtones et sur les projets de guérison et/ou de réconciliation à travers un cheminement en anthropologie socioculturelle. En 2006, alors que je suis étudiante en première année au baccalauréat en anthropologie à l’Université Laval, j’assiste à une présentation de Sarah Clément sur HOSW. L’idée de participer au rassemblement de 2010 me suit pendant toutes mes études au premier cycle et devient éventuellement mon projet de maîtrise. Le présent mémoire marque la fin d’un premier passage aux études supérieures qui, je l’espère,

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xv

débouchera sur des projets me permettant de poursuivre mon élan dans le cheminement que j’ai entrepris, il y a presque 20 ans, en compagnie de mon grand-père

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Introduction

Healing Our Spirit Worldwide (HOSW) est un mouvement autochtone international axé sur la guérison, la santé et le bien-être. Il a pour mission d’apporter des solutions à des problèmes communs à nombre de communautés autochtones à travers le monde, dont l’abus de drogues et d’alcool, l’obésité et le diabète ne sont que quelques exemples. Ces problèmes sont décrits au sein du mouvement comme des symptômes des traumatismes intergénérationnels causés par les processus de colonisation que vivent les Autochtones depuis plusieurs centaines d’années et qui perdurent encore aujourd’hui sous différentes formes. Le mouvement a donc également pour mission de contribuer aux processus de décolonisation en mettant de l’avant des initiatives permettant de préserver, de renouveler et de mettre en valeur les cultures autochtones, de consolider les relations au sein des communautés, ainsi qu’entre les communautés et les nations, et de favoriser leur cheminement vers l’autodétermination, entendue ici comme la prise en main de leur avenir, notamment par la prise en charge des programmes et services communautaires en matière de guérison, de santé et de bien-être.

Le mouvement promeut une conception holiste de la guérison qui tient compte des aspects physique, mental, émotionnel et spirituel d’une personne afin de favoriser sa guérison ainsi que le maintien de sa santé et de son bien-être. Une telle conception ne prend pas en compte que les personnes, mais également leur entourage familial, leur environnement, les communautés et les nations, et cela se reflète dans la variété des techniques et des approches proposées au sein d’HOSW. Il prend principalement la forme de rassemblements qui ont lieu environ aux 4 ans. Ceux-ci se déroulent chaque fois dans des lieux différents. Le plus récent rassemblement a eu lieu en septembre 2010 à Honolulu, à Hawai’i. Les rassemblements précédents ont eu lieu à Edmonton (Canada) en 1992, à Sydney (Australie) en 1994, à Rotorua (Aotearoa/Nouvelle-Zélande) en 1998, puis à Albuquerque (États-Unis) en 2002 et à Edmonton (Canada) en 2006.

Dans cette recherche, je me suis avant tout intéressée aux discours des participants du rassemblement de 2010 sur la guérison et l’autochtonéité, c’est-à-dire l’identité autochtone. Puisqu’il n’a encore fait l’objet d’aucune étude scientifique, je présente une description du mouvement HOSW en abordant son historique, ses mandats et sa structure. Des descriptions détaillées du rassemblement de 2010 fournissent des informations sur le profil des participants du mouvement et révèlent plus clairement les différents axes de celui-ci. Son potentiel de guérir et de rassembler les participants dans un esprit de communauté et de solidarité, notamment parce qu’il entraîne l’émergence d’une conscience de ce qui les rassemble, est également abordé. Enfin, j’effectue une comparaison entre les dynamiques que des

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anthropologues tels que Ronald Niezen et Anne-Céline Guyon décrivent par rapport aux discours sur l’identité autochtone mondiale ou panaméricaine au sein d’espaces onusiens et de la Fondation autochtone de guérison du Canada (FADG) et celles que j’entrevois au sein d’HOSW.

Le premier chapitre expose le contexte historique, politique et culturel de l’émergence d’un mouvement international des peuples autochtones (MIPA) et d’un discours mondial sur l’identité autochtone, ou autochtonéité, qui l’accompagne. Le mouvement de guérison autochtone, qui s’inscrit dans le mouvement international des peuples autochtones est également examiné. Une discussion de la littérature consultée sur le concept d’autochtone, de l’autochtonéité et de la guérison autochtone tient lieu de problématique de recherche. Le chapitre se conclut avec la présentation de la question et des objectifs de recherche.

Le deuxième chapitre porte sur ma démarche réflexive et le cadre méthodologique de ma recherche. J’aborde notamment ce qu’il est convenu d’appeler la « décolonisation de la recherche », des considérations éthiques propres à un contexte de recherche en milieu autochtone ainsi que des biais et des pièges qu’il m’apparaît important de s’efforcer d’éviter dans un projet tel que celui que j’ai entrepris. Il est question de la théorisation ancrée, méthode mise en avant dans ce projet de recherche, des étapes de collectes des données et des différents types de données mises à profit dans le présent document. Je décris ensuite mon cheminement personnel par rapport à mon passage à la maîtrise, et ce dans une logique de transparence et de cohérence avec une approche s’inspirant de la décolonisation de la recherche et des paradigmes constructivistes et interactionnistes. De plus, je présente brièvement mon processus de rédaction et mes choix terminologiques.

Dans les troisième et quatrième chapitres, j’expose les données recueillies sur HOSW, et plus précisément sur le rassemblement de 2010 s’étant déroulé à Honolulu, à Hawai’i. Dans le troisième chapitre, j’aborde d’abord l’historique du mouvement et ses mandats. Je présente ensuite sa structure en examinant les responsabilités de l’International Indigenous Council (IIC) et des comités locaux ainsi que les méthodes employées pour promouvoir chaque rassemblement. La deuxième section du chapitre porte sur le rassemblement d’Honolulu : la programmation de l’événement, qui lui confère une « saveur » résolument hawaïenne et révèle les axes principaux d’HOSW, la structure des délégations, le profil des conférenciers et des participants, les facteurs liés à la participation et, enfin, les volontés exprimées par les membres de l’IIC et des participants pour le futur du mouvement, sont analysés afin de jeter les bases des discussions qui suivent dans le chapitre suivant.

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Le quatrième chapitre porte sur une analyse poussée d’HOSW et tisse des liens avec une littérature anthropologique pertinente. J’y examine d’une part les discours de conférenciers ayant participé au rassemblement de 2010 sur l’expérience de la colonisation et de ses impacts, qui est considérée comme commune aux peuples autochtones. Les critiques des conceptions occidentales de la santé et de la guérison sont également abordées de manière à situer clairement l’originalité des techniques et des approches de la santé, de la guérison et du bien-être promues au sein d’HOSW, dont l’utilisation des histoires, la prise de parole, l’humour, la célébration et le partage d’un moment d’unité et de solidarité. En les décrivant, je souligne à la fois le potentiel guérisseur des rassemblements HOSW ainsi que la promotion, par le mouvement, d’une conception holiste de la guérison. Le concept de la relationalité ressort clairement de l’analyse des données. Les relations avec les ancêtres, le territoire, la famille et la communauté, que les conférenciers désignent comme communes à tous les Autochtones, sont donc examinées en lien avec les discours sur la guérison. Enfin, en conclusion, j’effectue un retour sur la problématique de recherche en établissant une comparaison entre les dynamiques que des anthropologues tels que Ronald Niezen et Anne-Céline Guyon décrivent par rapport aux discours sur l’identité autochtone mondiale ou panaméricaine au sein d’espaces onusiens et de la Fondation autochtone de guérison du Canada (FADG) et celles que j’entrevois au sein d’HOSW. Ce faisant, j’examine certains facteurs qui peuvent avoir une influence sur les discours sur l’autochtonéité au sein d’HOSW.

En conclusion, la portée mondiale d’HOSW, c’est-à-dire son potentiel de bénéficier à des populations autochtones et non autochtones à travers le monde, est abordée brièvement. Je situe la pertinence de ma recherche tout en détaillant ses limites de même que des avenues de recherche intéressantes par rapport à HOSW.

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Chapitre 1 : Contexte historique et cadre

conceptuel

1.1 Introduction

Dès les années 1960, l’intensification des mobilisations par les Autochtones devient de plus en plus évidente à travers le monde, surprenant ainsi des États-nations qui annonçaient autrefois la disparition imminente de ces peuples (De la Cadena et Starn 2007a : 1). En plus de se déployer sur des scènes locales et nationales, ces mobilisations prennent des proportions internationales. Des réseaux d’échange qui avaient été désarticulés par la colonisation sont ainsi ravivés, et de nouvelles connexions sont créées entre des peuples qui prennent alors conscience des similitudes frappantes entre leurs expériences et les problèmes auxquels ils font face. Petit à petit, et plus clairement dans les années 1980, les définitions et utilisations des concepts tels qu’« autochtone », ou « indigenous » en anglais, se transforment et acquièrent une nouvelle portée sur les plans politiques et juridiques. Elles suscitent dès lors de vifs débats. À travers les disciplines et les domaines d’action, comme d’une région du monde ou d’une langue à l’autre, de nombreux acteurs prennent part aux débats houleux entourant ces concepts et d’autres qui leur sont rattachés. L’auto-identification en tant qu’« autochtone » est une des nouvelles utilisations les plus controversées de ce concept. En effet, un discours mondial, sur l’autochtonéité, donc sur ce en quoi consiste être autochtone, émerge et se consolide dans les instances onusiennes et au sein de réseaux de rencontre et de solidarité transnationaux. Dans la littérature consultée dans le cadre de la présente recherche, un tel discours est décrit comme discours identitaire autochtone mondial ou discours pan-autochtone.

Les anthropologues (et autres spécialistes en sciences sociales) s’intéressent particulièrement aux processus par lesquels les Autochtones réussirent non seulement à survivre à des régimes de colonisation, de marginalisation et de dépossession pendant des périodes de plusieurs centaines d’années, dans certains cas, mais également à en émerger avec des ordres sociaux et culturels renouvelés (Sahlins 1999). Leurs réactions face aux nouveaux discours identitaires de ces peuples continuent de faire couler beaucoup d’encre : certains anthropologues1 les jugent trop essentialistes,

inauthentiques et stratégiques (Kuper 2003), alors que d’autres les décrivent comme les seuls outils

1 Ces débats ne sont pas limités à la discipline anthropologique, bien entendu, et des acteurs de différents domaines

y participent. L’orientation du présent projet de recherche m’a menée à porter une plus grande attention aux travaux anthropologiques, toutefois.

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5

pouvant être utilisés par des peuples subissant différentes formes de marginalisation et de domination (Gasset et al. 2011).

Afin de situer le contexte ayant mené à l’internationalisation du concept d’« autochtone » et du discours identitaire qui s’y rattache, je me penche d’abord dans ce chapitre sur le mouvement international des peuples autochtones international (MIPA) au sein duquel les Autochtones de différentes régions du monde affirment et tentent de faire reconnaître, depuis les années 1960, leur existence (Bellier 2009 : 76), leur identité, leur culture distincte, l’oppression et la marginalisation dont ils sont toujours victimes ainsi que leurs droits spécifiques (Gagné et Salaün 2009 : xiii). Ensuite, je traite du mouvement de guérison autochtone au sein duquel s’inscrit plus précisément HOSW. Je détaille enfin brièvement les différentes critiques du concept d’autochtone en portant plus attentivement mon analyse sur les critiques anthropologiques de celui-ci et, ce faisant, je précise ma position vis-à-vis de celles-ci et mon utilisation de ce concept. En somme, ce chapitre présente des éléments qui ont été fondamentaux à l’ancrage du problème de recherche : l’état de la littérature sur les questions de l’identité autochtone mondiale, ou autochtonéité, et de la guérison permet de situer la pertinence de la question et des objectifs qui ont été façonnés pour la présente recherche et qui sont présentés à la fin de ce chapitre.

1.2 Le mouvement international des peuples autochtones

L’émergence du mouvement international des peuples autochtones (MIPA) est fréquemment attribuée, dans la littérature consultée dans le cadre de la présente recherche, aux peuples amérindiens de l’Amérique du Nord, surtout ceux des États-Unis continentaux et du Canada, qui se mobilisent dans les années 1960-1970 afin de dénoncer les politiques assimilationnistes des États et d’affirmer leur refus de les subir davantage (Morin 2011 ; Niezen 2003 ; Weaver 2001). En effet, aux États-Unis, les nations autochtones participent dans les années 1960 au mouvement des droits civils (Niezen 2000 : 126) et reçoivent l’appui d’activistes afro-américains du Black Power, tels que Martin Luther King (Morin 2011 : 58) et Angela Davis (Marienstras 1980 : 287)2. Parallèlement aux mobilisations des Afro-Américains,

leurs mobilisations sont connues sous le nom de mouvement Red Power (De la Cadena et Starn 2007a : 10).

2 Les mobilisations autochtones des années 1960 s’inscrivent dans un contexte mondial marqué par les processus

de décolonisation qui découlent de l’écroulement des empires coloniaux après la Deuxième Guerre mondiale. En Afrique et en Asie, d’anciennes colonies européennes deviennent des États indépendants (Clifford 2013 : 15 ; Friedman 2009).

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L’American Indian Movement (AIM) est créé en 1968 (Morin 2013 : 7). Ayant d’abord pour mission de lutter contre l’injustice à Minneapolis, et particulièrement contre la brutalité policière, il regroupe une vingtaine d’organisations autochtones œuvrant dans les ghettos, mais dont les actions n’avaient jusqu’à ce moment pas eu les effets escomptés. L’AIM élargit par la suite son champ d’action à l’amélioration des conditions économiques des Autochtones, et s’intéresse aux réserves ainsi qu’à l’éducation : il appuie notamment les survival schools où les enfants peuvent apprendre dans leur langue vernaculaire. Le mouvement est divisé en 79 chapitres et 8 de ceux-ci sont canadiens (Marienstras 1980 : 160-161). Ses membres occupent entre novembre 1969 et juin 1971 l’ancienne prison d’Alcatraz, située près de San Francisco (Delugan 2010 : 89) et participent également, en 1973, à l’occupation de Wounded Knee. Ils appuient la portion de la population de la réserve sioux oglala de Pine Ridge qui dénonce, entre autres, la gestion frauduleuse du président du conseil tribal, Richard Wilson, et du commissaire du Bureau of Indian Affairs (BIA) ainsi que l’inaction des autorités judiciaires par rapport au lynchage de deux hommes Oglala (Marienstras 1980 : 164). Lorsque quelques centaines de Sioux et de membres de l’AIM occupent Wounded Knee en février 1973, Wilson fait appel au Federal Bureau of Investigation (FBI) et aux marshals fédéraux qui établissent un siège autour de la ville qui durera 71 jours. Aux termes des négociations, le gouvernement américain accepte d’ouvrir des enquêtes sur la gestion des fonds tribaux et la gestion du BIA, mais plus de deux cents personnes sont arrêtées après la fin du siège. Les événements auront néanmoins attiré l’attention d’un public national et international (Marienstras 1980 : 170) et intensifié la solidarité entre différents peuples autochtones3.

Du côté canadien, la Fraternité Nationale des Indiens (National Indian Brotherhood) est créée en 1968 avec pour objectif d’unifier les contestations autochtones grâce à une approche intertribale de la défense de leurs droits (Morin 2013 : 7). Le dépôt du Livre Blanc par le gouvernement Trudeau en juin 1969 suscite de vives réactions de la part des Autochtones canadiens : le document propose d’éliminer la Loi sur les Indiens, et par le fait même le statut particulier d’Indien et les droits qui lui sont rattachés, dont des droits territoriaux (Guyon 2005 : 14 ; Tsing 2007 : 42). Mais c’est également la relation de nation à nation entre l’État canadien et les peuples autochtones, énoncée dans la Proclamation Royale de 1763, que le gouvernement tente d’abolir. En raison de la menace très réelle que le Livre Blanc pose à leur souveraineté, déjà niée par le Canada, les peuples autochtones se mobilisent. En 1970, l’Indian

3 Il est important de noter que les actions posées par l’AIM ne font pas l’unanimité chez les Autochtones

eux-mêmes, comme le rapporte de la Cadena et Starn (2007 : 10) et King (King 2012). Ailleurs dans le monde, des activistes autochtones sont aussi divisés par des objectifs et des idéologies différentes : en ce sens, bien que je parle d’un mouvement international des peuples autochtones, il est important de comprendre qu’il ne s’agit pas d’une entité monolithique, pour reprendre les termes employés par de la Cadena et Starn (De la Cadena et Starn 2007a : 10)

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Association of Alberta publie le document Citizen Plus, par la suite connu sous le nom de Red Paper, qui propose une alternative au Livre Blanc et demande au gouvernement qu’il respecte les traités et ses responsabilités envers les peuples autochtones en matière d’éducation, de santé et d’éducation (Indian Association of Alberta 1970 ; UBCIC 1970).

En Novembre 1969, quelques mois après la parution du Livre blanc, trois jeunes activistes de la Colombie-Britannique, Rose Charlie de l’Indian Homemakers Association, Philip Paul de la Southern Vancouver Island Tribal Federation, et Don Moses de la Fraternité Nationale des Indiens (National Indian Brotherhood), invitent les bandes de la province à se rassembler à une conférence à Kamloops afin de discuter de ce document et de la lutte pour la reconnaissance des droits autochtones. Grâce à la participation de représentants de 140 bandes4, cette conférence est la plus grande rencontre de leaders

autochtones que la province n’ait jamais connue. Il en résulte la création d’une nouvelle organisation provinciale, l’Union of British Columbia Indian Chiefs (UBCIC), qui présente en 1970 un document rejetant le Livre Blanc : la Declaration of Indian Rights: The B.C. Indian Position Paper, aussi connu sous le nom de Brown Paper, lequel affirme que les Autochtones continuent de détenir des droits sur leurs territoires (UBCIC 1970). En plus de forcer le gouvernement Trudeau à abandonner le projet de faire adopter le Livre Blanc, les mobilisations des peuples autochtones canadiens leur permirent de s’organiser de manière plus officielle et structurée.

D’après Françoise Morin, les Amérindiens de l’Amérique du Nord sont les premiers à se dire « Autochtones », ou « Premières Nations » au Canada, (Morin 2011 : 131). Ils se mobilisent massivement et acquièrent rapidement une visibilité internationale, s’affairant dès les années 1970 à investir des instances internationales telles que l’ONU, ce dont il sera question plus loin. Néanmoins, des mobilisations autochtones voient le jour dans diverses régions du monde dans les années 1960-1970. À Hawai’i, un mouvement de souveraineté voit le jour au milieu des années 1970 (Friedman 1992 : 842 ; 1996 : 279). En plus de ses activités explicitement politiques, James Clifford le décrit comme un « processus dynamique de souvenance » (dynamic process of remembering) : l’intensification de la culture de taro5, le renouvellement des connaissances, de la langue, des hulas6 et des rituels, notamment

à travers les écoles, ainsi que la mise en relation de la musique reggae avec des paroles à teneur

4 Au sens de la Loi sur les indiens : « “bande” Groupe d’Indiens, selon le cas : a) à l’usage et au profit communs

desquels des terres appartenant à Sa Majesté ont été mises de côté avant ou après le 4 septembre 1951 ; b) à l’usage et au profit communs desquels, Sa Majesté détient des sommes d’argent ; c) que le gouverneur en conseil a déclaré être une bande pour l’application de la présente loi. » (Gouvernement du Canada 2013)

5 Racine similaire à une patate sucrée, à la chair mauve et servant à la préparation de divers mets. 6 Danse traditionnelle hawaïenne.

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politique, sont autant de gestes qui sont mis enavant (Clifford 2013 : 25). En Nouvelle-Calédonie, le mouvement des Kanak, les Autochtones de ce pays, prend son essor dans les années 1970 avec les demandes de restitutions de terres ancestrales d’où les populations autochtones avaient été bannies depuis une cinquantaine d’années (Clifford 2013 : 51). En 1975, le festival Mélanésia 2000, qui s’est tenu à Nouméa en Nouvelle-Calédonie, montre à la France néocoloniale, aux nations du Pacifique, aux instances internationales et aux Néo-Calédoniens d’origine européenne le renouveau des échanges intertribaux, des chants, des danses et des récits traditionnels. Des alliances s’y créent et l’identité kanak s’y consolide plus clairement (Clifford 2013 : 53). Les exemples de ce type se multiplient lorsqu’on s’intéresse également à Aotearoa/Nouvelle-Zélande, à l’Amérique Latine ou aux pays circumpolaires.

Si les histoires de survivance, de résistance et de renaissance des peuples autochtones ne sont devenues particulièrement évidentes que récemment, celles-ci peuvent être retracées loin dans le temps7. En réalité, les Autochtones ont activement résisté aux entreprises de dépossession,

d’assimilation et d’extermination mises en avant par les métropoles, d’abord, puis par les gouvernements nationaux :

La voix des Amérindiens qui commence à se faire entendre au monde ne surgit pas du néant. Si, faisant écho à d’autres voix, elle parvient aujourd’hui à la conscience d’un plus grand nombre, elle n’en est pas moins le prolongement d’une revendication, d’une résistance et d’une révolte qui n’ont jamais pu être totalement étouffées depuis la « découverte » européenne. (Marienstras 1980 : 12).

En effet, les Autochtones résistèrent très tôt à la négation de leur souveraineté, l’irrespect des ententes convenues avec les Européens et les efforts assimilationnistes déployés par ces derniers. Comme l’exprime Sylvie Poirier, « Alors qu’ils subissaient les pratiques coloniales, les gens ont aussi résisté et agi ; ils n’ont jamais cessé de “faire” leur propre histoire » (Poirier 2000 : 137). Différents soulèvements eurent lieu à travers les époques. Parmi ceux-ci, la révolte de Pontiac marqua particulièrement l’histoire nord-américaine (Marienstras 1980 : 74-75). De plus, les Autochtones résistèrent également pacifiquement, en pratiquant leurs rituels malgré les interdictions. Ce fut le cas pour les peuples de la côte Ouest du Canada pendant l’interdiction des potlatchs ou des Hopis au dix-septième siècle sous le règne espagnol (Marienstras 1980 : 49 ; 51). Dans le rapport Bidaaban : modèle de guérison de la première nation Mnjikaning (Ojibway, Ontario, Canada), des extraits d’entrevues avec des membres de

7 Il faut cependant noter qu’il est récent que les stratégies de résistance et de revendication portent le libellé

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9

la communauté révèlent que des techniques de fabrication de panier de frêne noir, de coloration des piquants de porc-épic, et la langue ojibway ont été pratiquées et enseignées en secret afin d’être préservées (Couture et Couture 2002 : 11-12). L’étude des mobilisations autochtones met en lumière les nombreuses initiatives mises en avant par les prédécesseurs des activistes des années 1960-1970. Par exemple, dès 1923, Levi General Deskaheh, membre des Six Nations Iroquoises, obtient une audience à la Ligue des Nations où il argumente en faveur de l’autogestion totale des gouvernements tribaux et contre l’intégration formelle des nations autochtones dans le Canada (Niezen 2000 : 123). Au 19e siècle,

la révolte de Pai Mārire bat son plein en Aotearoa/Nouvelle-Zélande, où des Māori contestant le règne britannique s’adressent à la reine d’Angleterre, dénonçant les abus des colons (De la Cadena et Starn 2007a : 7). De tels exemples, et de nombreux autres8, indiquent que si on ne peut nier ni la nouvelle

intensité des mobilisations autochtones dans les années 1960-1970, on ne peut faire abstraction de leurs ancrages dans des histoires de résistance anciennes.

Malgré leur émergence dans une multitude de contextes, locaux et uniques, les mobilisations autochtones peuvent bel et bien être décrites comme faisant partie d’un mouvement international. D’une part, les activistes autochtones se sont inspirés d’initiatives d’autres peuples : le Red Power s’est ainsi inspiré du Black Power9 (Morin 2011 ; Tsing 2007 : 46-47) et les Hawaïens ont récupéré la musique

reggae pour y accoler leurs messages politiques, s’inspirant des luttes de décolonisation jamaïcaines (Clifford 2013 : 25). En Aotearoa/Nouvelle-Zélande, le mouvement Polynesian Panther voit le jour, inspiré des Black Panthers des États-Unis (De la Cadena et Starn 2007a : 10). De plus, certains peuples réinvestissent ou renouvellent des réseaux d’échange millénaires (Bellier et Legros 2001 ; Delâge et Laugrand 2008 : 7). Dans les Amériques, l’affirmation identitaire et le renouveau, voire le mélange des traditions, sont favorisés par des rencontres internationales ainsi que la création d’organisations panaméricaines (Delâge et Laugrand 2008 : 5).

Au-delà du renouvellement de connexions et d’alliances qu’avaient entretenues leurs ancêtres, les peuples autochtones du monde participent également à la création de réseaux de solidarité transnationale. Suite aux protestations autochtones contre le Livre blanc, Pierre Elliott Trudeau, alors

8 Voir notamment de la Cadena et Starn (De la Cadena et Starn 2007b : 7), Gagné (2013 : 21-47) et Tsing (Tsing

2007 : 42-43) sur la résistance des Autochtones du Canada et des Māori.

9 Selon Anna Tsing, « […] the Red Power movement caught attention at home and abroad as a transformation of

the Black Power and the U.S. civil rights movements. Black Americans were a symbol of struggle not only among minorities all over the world but also among postcolonial nations, who saw anti-colonial energies extended in black movements, and communists, who saw the dirty outcome of advanced capitalism revealed for all in black oppression. » (Tsing 2007 : 46).

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Premier ministre du Canada, envoie en 1971 et 1972 des missions officielles en Aotearoa/Nouvelle-Zélande et en Australie pour qu’elles mènent des consultations sur la gouvernance autochtone. George Manuel, alors président de la Fraternité Nationale des Indiens (National Indian Brotherhood), et d’autres leaders font partie de ces missions. De leur rencontre avec des leaders Māori émergent, selon Anna Tsing, « an interwined story about « indigenous peoples » » et une relation de coopération et d’inspiration mutuelle s’instaure entre les peuples māori et autochtones du Canada (Tsing 2007 : 42-43). Puis, en 1974, une rencontre internationale a lieu à Standing Rock (États-Unis). Elle rassemble environ 3600 représentants autochtones (Marienstras 1980 : 187) appartenant à 98 nations de l’Amérique du Nord et de l’Amérique latine (Morin 2013 : 7). Organisée par l’American Indian Movement (AIM) et par George Manuel, elle porte sur les traités violés par les États et la souveraineté des nations autochtones. Au terme de la rencontre, le Conseil International des Traités Indiens (International Indian Treaty Council) est créé avec pour mission de faire pression sur les États pour qu’ils respectent les traités et d’obtenir que les nations autochtones soient représentées à l’Organisation des Nations Unies (ONU) (Marienstras 1980 : 150 ; Morin 2006 : 58 ; 2013 : 7). Un an plus tard, en 1975, une cinquantaine de leaders Sami, Inuit, Amérindiens, Māori et Aborigènes australiens se rencontrent à Port Alberny, au Canada, et mettent en place le Conseil Mondial des Peuples autochtones (World Council of Indigenous Peoples) (Morin 2006 : 58 ; Tsing 2007 : 43). Des crises locales contribuèrent également à consolider la solidarité internationale entre les peuples autochtones et à rallier des alliés importants à leurs causes, dont des groupes écologistes tels que Greenpeace : ce fut le cas des luttes contre les projets hydro-électriques de la Baie-James, au Québec, (Beaudry 1993 ; Niezen 2003) et du Belo Monte, au Brésil. Terence Turner, un anthropologue, milite contre ce dernier dès les années 1970 et obtient l’appui d’artistes célèbres, dont Sting. Il contribue ainsi à en forcer la suspension durant plusieurs décennies (Yapp 2011)10. Dans les

années 1980, des conférences régionales autochtones ont lieu en Bolivie, en Équateur, au Guatemala, en Australie, en Aotearoa/Nouvelle-Zélande et en Scandinavie (Tilley 2002 : 529). En 1990, la Crise d’Oka (Canada, 1990) attire particulièrement l’attention internationale et la solidarité de différents groupes autochtones (Obomsawin 1993).

10 La construction du barrage du Belo Monte a toutefois commencé en 2012 et fait face à une nouvelle vague d’opposition puisqu’elle a entraîné la relocalisation forcée et l’inondation des terres de différents groupes autochtones. Amazon Watch et d’autres ONG participent à une campagne de sensibilisation internationale. James Cameron, réalisateur du film Avatar, a été directement interpellé par les groupes autochtones affectés pour qu’il leur vienne en aide. Son documentaire Message From Pandora présente les impacts néfastes qu’aura le projet Belo Monte sur les populations locales et trace un parallèle entre ce cas et l’histoire des Na’avi racontée dans son long métrage Avatar (Cameron 2010).

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1.2.1 Investissement des espaces onusiens

Ne réussissant pas à faire entendre leurs voix sur la scène nationale ou à obtenir des États qu’ils respectent leurs droits, les Autochtones se tournent dès les années 1970 vers des instances et des publics internationaux (Bellier et Legros 2001 : 4). Tout en poursuivant différentes avenues d’action à l’échelle nationale, ils établissent des réseaux d’entraide et d’affirmation de leurs droits à l’échelle internationale : ils trouvent, sur la scène internationale, un outil privilégié pour faire respecter leurs droits, soit le discours des droits humains onusien (Gagné et Salaün 2009 : xiii ; Morin 2011 : 58). Avec l’appui d’ONG telle que l’International Work Group for Indigenous Affairs (IWGIA), qui est créé en 1968 par des anthropologues, les Autochtones accèdent à des conférences internationales qui leur ouvrent les portes de l’ONU. En 1977, pour la première fois, une centaine de représentants issus de soixante nations autochtones entrent au Palais des Nations : dans le cadre d’une conférence portant sur « la discrimination contre les populations autochtones des Amériques », ils s’identifient comme des membres de « peuples autochtones » et affirment qu’ils entretiennent des liens étroits avec la terre. Ils jettent dès lors les bases des travaux qui vont mener à l’adoption de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones par l’Assemblée générale de l’ONU en 2007, trente ans plus tard (Morin 2006 : 58-59). En 1981, lors d’une conférence portant sur le rapport des Autochtones à la terre, des Aborigènes Australiens et des Sami de Norvège se joignent aux discussions (Morin 2013 : 8), auxquelles participaient surtout des représentants des peuples autochtones du Canada et des États-Unis auparavant.

Au moment de la création du Groupe de travail sur les populations autochtones (GTPA) en 1982, l’ONU se dote d’un espace où tout représentant autochtone peut prendre la parole. Des représentants autochtones d’Australie, d’Aotearoa/Nouvelle-Zélande, de l’Inde, du Bangladesh, des Philippines, du Japon et d’Europe rejoignent en moins de 10 ans les rangs du groupe qui doit notamment se pencher sur le manque d’outils juridiques adaptés pour la défense des droits des peuples autochtones (Morin 2006 : 58-59). Le GTPA devient un ancrage important pour ces peuples (Clifford 2013 : 19 ; Gagné et Salaün 2009 : xiii ; Morin 2011 : 58 ; Tilley 2002 : 529). À la fin des années 1990, plus de 1000 délégués participent aux rencontres annuelles du groupe : ils représentent plus de 370 millions de personnes réparties sur 5 continents (Morin 2013 : 9). D’après Françoise Morin, c’est ainsi que l’identité dite autochtone est devenue « planétaire », mondiale : les représentants découvrent dans ces rencontres les grandes similarités de leurs expériences (colonisation, tentatives d’acculturation, déplacements forcés, spoliations territoriales, etc.) et établissent des liens de solidarité et des initiatives communes (Morin 2013 : 9).

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Le long parcours qui mène à la création de la déclaration onusienne sur les droits des peuples autochtones est parsemé de nombreuses embûches et, bien que des gains importants aient été réalisés par les Autochtones depuis son adoption en 2007, tels que la nomination à l’ONU d’un rapporteur spécial sur la situation des droits de l’homme et des libertés fondamentales des populations autochtones (Morin 2013 : 13), Morin estime qu’« un fossé existe entre ce texte ambitieux et son application au niveau local » (Morin 2013 : 15). Je ne dispose pas ici de l’espace nécessaire pour aborder ces éléments en détail, que Ronald Niezen (2000, 2003, 2006) et Françoise Morin (Morin 2006, 2009, 2011, 2013) ont déjà exploré en profondeur dans leurs travaux. Il est néanmoins essentiel de s’attarder aux principaux critères employés par l’ONU pour déterminer quels peuples peuvent être considérés comme autochtones : le critère d’antériorité (qu’ils soient les habitants originaux d’un territoire ancestral), la spécificité culturelle et l’auto-identification (Gausset, Kenrick et Gibb 2011 : 136 ; Morin 2006 : 59-60 ; 2013 : 8). La spécificité culturelle et le fait d’avoir été colonisés et marginalisés différencient donc, selon les catégories onusiennes, les peuples autochtones des autres minorités (Bowen 2000 :12 cité dans Trigger et al. 2010 : 47). Ces critères sont proposés par Martinez Cobo en 1972. En 1971, ce diplomate équatorien est chargé, par la commission des droits de l’Homme de l’ONU, de produire un rapport sur la discrimination à l’encontre des populations autochtones. Or, la définition onusienne de la catégorie « autochtone » en plus d’avoir une portée juridique, est employée comme référent identitaire. Ainsi, Morin et Niezen estiment que les experts et les juristes non autochtones ont donc joué un rôle très important par rapport à la définition de l’identité autochtone mondiale qui s’est construite à l’ONU (Morin 2006 : 59-60 ; Niezen 2003).

1.2.2 Une multiplicité d’acteurs et d’espaces

Les instances de l’ONU telles que le GTPA ont donc fourni un espace important pour la construction d’un discours mondial sur l’autochtonéité et la création de liens de solidarité entre les peuples autochtones. Toutefois, la forte attention portée aux espaces onusiens dans la littérature consultée dans le cadre de la présente recherche est selon moi une de ses principales lacunes puisqu’il me semble que de nombreux autres contextes de rencontres ont été et continuent d’être le cadre de l’émergence d’un discours mondial sur l’autochtonéité, par et pour les Autochtones. Par exemple, Robin Maria Delugan estime, suite à la réalisation d’un travail ethnographique auprès de populations autochtones à San Francisco, que les migrations provenant de l’Amérique latine mènent à un élargissement de la définition de l’identité autochtone urbaine. D’après elle, les acteurs, dont plusieurs sont des Mayas du Guatemala et du Mexique, des Navajos, des Hopis et des Cherokee, parlent d’une identité autochtone partagée, soulevant des liens interculturels et des intérêts communs entre peuples autochtones (Delugan 2010 : 87-91). De

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plus, certains échanges, qui se produisent à l’échelle nationale ainsi qu’internationale, prennent des formes plus insaisissables et temporaires, comme celles de rencontres ponctuelles entre leaders ou guérisseurs, notamment au sein des Amériques. Tel que l’expriment Laugrand et Oosten :

Par leurs cures et leurs savoirs, des Ojibwas de l’Ontario ont sollicité les services de chamanes de l’Équateur. Les Galibis de Guyane et les Kayapos du Brésil ont rencontré des Innus de la Côte-Nord. Dans l’Arctique, au Nunavut et au Nunavik, des équipes volantes de pasteurs-guérisseurs en provenance des îles Fidji et de Samoa se déplacent pour pratiquer des exorcismes in situ et réconcilier les générations inuites. (Laugrand et Oosten 2007a ; 2007b cités dans Delâge et Laugrand 2008 : 6).

Il est également utile et pertinent d’aborder plus en profondeur les contributions des artistes autochtones au MAI. Employant souvent l’ironie et l’humour11, les artistes autochtones désignent, critiquent et

déconstruisent les stéréotypes sur les Autochtones (Cerdan 2003 : 69 ; Sioui Durand 2001 : 70 ; 81-84). Ils remettent en question les catégories occidentales divisant les formes d’art (artisanat, art utilitaire, art religieux, art avant-garde, etc.) (Sioui Durand 2001 : 81). L’art est donc un lieu de rencontre, de dialogue, d’expression, une tribune (Cerdan 2003 : 67 ; 70).

Guy Sioui Durand, artiste et sociologue Huron-Wendat, parle des artistes autochtones canadiens contemporains comme des « nouveaux/chasseurs/guerriers de l’art » (Sioui Durand 2001 : 80 ; 2003 : 30). En effet, les artistes autochtones contemporains se réapproprient à travers l’art les identités collectives et individuelles désarticulées par la colonisation et réinvestissent symboliquement leurs territoires à travers leurs œuvres (Cerdan 2003 : 67 ; 70). Ils dénoncent et critiquent les projets d’assimilation et contribuent à réhabiliter l’art rituel, qui a dans certains cas fait l’objet d’interdictions (Sioui Durand 2001 : 70 ; 80). Or, l’effervescence artistique dans les milieux autochtones est indissociable, selon Sioui Durand, de leurs mobilisations qui s’intensifient dans les années 1960. C’est en 1960 que les Autochtones canadiens obtiennent le droit de vote et l’accès aux études supérieures (sans être forcés de perdre leur statut d’Indien) :

1960 marque le début de l’organisation politique et des revendications culturelles de réaffirmation des Premiers Peuples du Canada. En 1967 [à l’exposition universelle de Montréal], pour la première fois, un pavillon indien autonome de ceux du Canada et du

11 La référence au Trickster est fréquente chez les artistes autochtones contemporains (Sioui Durand 2001 ; Cerdan

2003). Il suffit de penser à Kent Monkman, artiste cri qui ridiculise les représentations occidentales des Autochtones et critique la répression de l’homosexualité par les forces coloniales à travers la mise en scène de Miss Chief Eagle Testickle, son alter-ego aux allures de chef amérindien drag queen.

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Québec présente à la face du monde la réalité de la vie dans les réserves pour les Amérindiens12. Huit artistes dont le peintre-chaman ojibway Norval Morrisseau ornent le

pavillon de grandes œuvres explicitement politisées. (Sioui Durand 2001 : 79)

Sioui Durand estime également que l’accès à l’éducation supérieure contribua à faire émerger d’autres générations d’artistes politisés. La Crise d’Oka, en 1990, et la multiplication des ententes politiques et juridiques pendant la décennie suivante contribuent aussi, selon lui, à une résurgence de l’art amérindien contemporain et à attirer l’attention du public et des grandes institutions muséales sur les Autochtones contemporains (Sioui Durand 2001 : 70 ; 79). Les artistes autochtones contemporains multiplient leurs engagements et leurs champs d’action, ce qui brouille d’autant plus les frontières entre les différentes sphères dans lesquelles le mouvement international des peuples autochtones intervient. Jimmie Durham, artiste amérindien américain, a ainsi exposé ses œuvres à travers le monde et a également été actif au sein de l’American Indian Movement. Il a été directeur de l’International Indian Treaty Council, qui a participé à l’élaboration de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (Cerdan 2003 : 67)13. De plus, des festivals internationaux, comme The Dreaming (Australie) (Slater

2007, 2010) ou des rassemblements sportifs, comme les North American Indigenous Games (Canada et États-Unis), offrent autant de contextes de rencontres, d’échange et de partage. Ainsi, le mouvement international des peuples autochtones doit être compris comme faisant intervenir des acteurs provenant d’origine et de parcours variés et ce, par rapport à des objectifs tout aussi diversifiés. Si les espaces onusiens ont été très utiles à la consolidation de ce mouvement, et du discours sur l’autochtonéité dont il est porteur, ils ne sont pas les seuls espaces qui ont joué ce rôle.

1.3 Cheminement vers la guérison

Parce qu’il émerge comme réponse à des expériences d’aliénation culturelle et politique vécues par les Autochtones du monde entier (Niezen 2003 : 25), le MIPA amorce un travail de décolonisation, de lutte pour l’autodétermination et pour la reconnaissance des droits autochtones. Ces luttes, qui prennent des formes variées, se déploient aux niveaux local, national et international (Gagné et Salaün 2009 : xiii ; Bellier et Legros 2001 : 3) et mènent notamment à la mise en place d’initiatives originales conçues pour contrer la souffrance sociale qui afflige les communautés autochtones et ce dans le respect de ce qu’elles considèrent comme leur spécificité culturelle. Ces initiatives forment ce qui est appelé, du moins en

12 Dans le cadre de l’exposition universelle de Montréal, en 1967.

13 Il est intéressant de noter qu’en vertu de la loi américaine The Arts and Crafts Act, cet artiste ne peut s’identifier

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Amérique du Nord, le mouvement de guérison autochtone. Celui-ci trouve ses ancrages principaux au Canada dans les années 1960, et gagne en ampleur dans les années 1990 et 2000. Suite aux témoignages des survivants des pensionnats indiens et aux travaux de la Commission royale sur les peuples autochtones (CRPA)14 dans les années 1990, la Fondation autochtone de guérison (FADG) est

créée par le gouvernement canadien en 1998. Son mandat est de financer des projets de guérison communautaire et d’autres initiatives de guérison autochtone et d’aider les Autochtones à mettre en œuvre et à établir des processus de guérison durables permettant de remédier aux effets des sévices physiques et sexuels commis sous le régime des pensionnats, y compris les répercussions intergénérationnelles qui en découlèrent (Guyon 2005 : 19).

Le mouvement de guérison autochtone ainsi que le mouvement international des peuples autochtones dont j’ai traité préalablement ont évolué parallèlement : la division entre ceux-ci est par ailleurs très floue tant ils sont étroitement liés. En effet, la guérison est décrite dans les milieux autochtones comme nécessaire au succès d’initiatives liées à la décolonisation et à l’autodétermination, entendue ici comme la prise en main par les Autochtones de leurs propres communautés et non pas comme la formation d’États autochtones. Au Canada, l’Assemblée des Premières Nations (APN), la CRPA (CRPA 1996b) et la FADG (Castellano 2006 ; FADG 2006) mettent en avant cette perspective : pour reprendre en main leur avenir, les Autochtones doivent être capables de se guérir de leurs traumatismes intergénérationnels, retrouver qui ils sont, en être fiers et acquérir les aptitudes nécessaires à la gestion de leurs propres communautés. Pour ce faire, ils misent sur l’éducation, la renaissance culturelle, la décolonisation, la valorisation de leur culture et de leur identité ainsi que des initiatives de guérison. Cette relation étroite entre ces éléments est également soulignée dans les travaux de divers anthropologues (Adelson 2000, 2001 ; Clément 2007 : 13 ; Niezen 2003). Anne-Céline Guyon affirme, dans son mémoire de maîtrise en anthropologie intitulé Le processus de guérison et revitalisation culturelle. Les enjeux du mouvement de guérison autochtone (2005), que la FADG a d’ailleurs contribué à tisser ensemble ces différents éléments et à traduire clairement une image de la guérison comme nécessairement liée à la revitalisation culturelle et à la réappropriation ou la réinterprétation des traditions (Guyon 2005 : 21). Ainsi, plutôt que de catégoriser les mobilisations autochtones, dans des catégories distinctes (politiques, culturelles, spirituelles, etc.) il me semble plus pertinent et réaliste de souligner les différentes facettes

14 La CRPA se penche sur les impacts de la colonisation et examine des indicateurs sociaux qui révèlent des

disparités entre les Autochtones et le reste de la population canadienne, notamment en matière de santé. Voir le document Sur le chemin de la guérison. Rapport de la Table ronde nationale sur la santé et les questions sociales (CRPA 1993).

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de chacune d’entre elles. Par exemple, le mouvement Idle No More15 peut certes être pensé comme une

mobilisation visant principalement à défendre les droits et les territoires autochtones, mais il se rattache également à de nombreux autres objectifs, et fait intervenir des acteurs issus de milieux différents.

Parler d’un mouvement de guérison, en ce sens, occulte une partie de la réalité : le mouvement de guérison dont il est question est intimement lié ou fait partie de ce que j’ai décrit préalablement comme le mouvement international des peuples autochtones (MIPA). Les actions liées à la guérison se sont certes multipliées plus tardivement suite à l’émergence de ce mouvement mondial (les regroupements, associations et projets se systématisent et se structurent plus clairement dans les années 1980), mais elles commençaient déjà à voir le jour dans les années 1960 (Hodgson 1989). Il serait peut-être plus juste de parler de la « facette guérison » du mouvement autochtone international, mais pour des raisons pratiques et en raison du vocabulaire qui prévaut dans les milieux autochtones (healing movement) je conserve cette appellation d’« un mouvement de guérison ».

Je n’ai pas la prétention, dans ce mémoire, de rendre compte de l’histoire, des champs d’action et des acteurs du mouvement de guérison autochtone ni de dresser le portrait des formes qu’il prend ou des contextes au sein desquels il émerge dans différents pays, tels que le Canada, les États-Unis, l’Australie et Aotearoa/Nouvelle-Zélande, d’où la majorité des participants d’HOSW proviennent. Je ferai référence à des travaux anthropologiques sur la guérison, la santé et le bien-être en milieux autochtones dans le quatrième chapitre de manière à tracer des parallèles entre HOSW et le mouvement de guérison de canadien. Le choix de me concentrer sur une littérature examinant des cas canadiens reflète d’une part la nature de la littérature pertinente sélectionnée dans le cadre de la présente recherche, mais également la difficulté d’examiner en profondeur plusieurs mouvements de guérison autochtones (canadien, australien, néo-zélandais, etc.)16. Je me concentre plutôt, dans la présente recherche, sur les discours

sur l’autochtonéité véhiculés au sein d’HOSW et à la place de l’identité au sein du processus de guérison tel qu’il est décrit dans ce mouvement. Afin de jeter les bases de cette discussion, j’aborde dans la section suivante les débats sur les discours mondiaux sur l’autochtonéité.

15 Décrit par des activistes autochtones comme le 8em feu, en lien avec une prophétie anishnabe, Idle No More a

émergé au Canada en 2012 suite à l’adoption par le gouvernement fédéral d’une loi Omnibus modifiant le statut de différents territoires et les procédures de consultation devant précéder des aux impacts environnementaux potentiellement graves. Le mouvement a rapidement trouvé des ramifications internationales.

16 Le document Décolonisation et guérison : expériences des peuples autochtones aux États-Unis, en

Nouvelle-Zélande, en Australie et au Groendland, préparé pour la FADG par Linda Archibald (2006), rend compte des

impacts de la colonisation et des parcours de guérison dans d’autres pays que le Canada tout en abordant une littérature pertinente sur ces thèmes.

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1.4. Débats sur les discours mondiaux sur l’autochtonéité

Les discours sur l’autochtonéité émergent d’une diversité de contextes de rencontres et sont donc nécessairement pluriels et hétérogènes. Ancrés dans des réalités locales différentes les unes des autres, ils représentent néanmoins les similitudes entre celles-ci. Ils sont l’objet d’observations scrupuleuses et de critiques qui prennent différentes formes, et passent des considérations sur l’application pratique du concept d’autochtone à la déconstruction et la négation totale, par certains, de ceux-ci. Il est impossible d’aborder tous les débats en question en profondeur et l’aperçu suivant, gardé bref volontairement, en présente à peine l’intensité : il serait néanmoins inutile de tenter de rendre compte, ici, de ce que d’autres auteurs ont si habilement su résumer et analyser. En effet, Françoise Morin (Morin 2009, 2011), Gausset, Kenrick et Gibb (Gausset, Kenrick et Gibb 2011) et Pelican (Pelican 2009) ont finement souligné les arguments et attitudes principaux des anthropologues participant à ces débats ainsi que les avenues permettant d’aller au-delà de ceux-ci, puisqu’ils prennent parfois l’apparence d’une impasse. Un tracé bref, voire quelque peu caricatural, de ces débats peut être représenté ainsi :

Les débats « pratiques » :

 Comment définir « autochtone » pour en faire un concept ayant une portée juridique ?  Comment le faire reconnaître dans les outils juridiques internationaux ?

 Comment appliquer la déclaration sur les droits des peuples autochtones en contexte local (aménagements constitutionnels, juridiques, etc.) (Motard et Otis 2009) ?

 Comment déterminer, voire mesurer l’identité autochtone (Weaver 2001) ?

 Comment déterminer qui a le droit de bénéficier de droits spécifiques et collectifs en tant qu’autochtone (Gausset, Kenrick et Gibb 2011 : 137 ; Niezen 2003) ?

 Comment faire reconnaître des droits autochtones collectifs dans les systèmes juridiques des États, axés sur des droits individuels (Motard et Otis 2009 ; Niezen 2003) ?

 Les problématiques causées par la tentative de transposer des traditions juridiques différentes, par exemple la problématique des territoires occupés et utilisés par divers peuples et faisant l’objet de revendications territoriales (Kuper 2003 : 391).

Au-delà de ces débats pratiques, principalement axés sur la définition légale de l’autochtonéité, sa portée juridique et sa mise en application, d’autres débats fondamentaux retiennent principalement mon attention. Scientifiques, activistes et autres acteurs sont nombreux à les soulever, et la brève exploration de littérature qui suit a pour but de refléter les diverses voix qui y participent

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