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5. 1 Limites de la recherche

Cette recherche est un apport humble au corpus ethnographique traitant d’événements autochtones internationaux. Les rassemblements HOSW offrent la chance aux chercheurs de se pencher sur une multitude d’enjeux actuels : les échanges et les transformations transnationales des spiritualités autochtones, les partages de pratiques liées à la guérison, le renouveau culturel et spirituel lié aux processus de guérison autochtone, en sont quelques exemples. D’autres événements de ce type, comme des conférences organisées par des acteurs autochtones du milieu de la santé, du bien-être et des services sociaux ou des événements sportifs ou culturels internationaux méritent selon moi davantage d’attention ethnographique. Par exemple, les événements sportifs autochtones offrent des terrains de recherche intéressants par rapport aux liens entre l’identité culturelle et le bien-être, aux discours sur l’autochtonéité et à la mondialisation des réseaux autochtones. Lors du rassemblement HOSW 2010, quelques conférences et démonstrations traitent des activités sportives et de leur lien avec le bien-être et la guérison. Wilton Littlechild souligne également l’importance des événements sportifs dans les processus de guérison :

The world indigenous games, an effort that started in 1979, are now coming close to happening in 2012 in the city Winnipeg. The first World Indigenous Nations Games are going to happen [applaudissements]. They will be about sport, contemporary sport. But very importantly also, they will be about traditional games, and the cultural element which you have so proudly and strongly displayed here this week. So I invite you to Winnipeg in august 2012, to celebrate in a different way healing our spirit through sport (Wilton Littlechild, Honolulu, le 7 septembre 2010).

Or, je constate qu’il existe peu de littérature scientifique sur des événements sportifs internationaux tels que les World Indigenous Nations Games et North American Indigenous Games (NAIG). Mes recherches en ce sens produisent des résultats peu nombreux, bien que très pertinents (Forsyth et Giles 2013 ; Hallinan et Judd 2013 ; Jacob 2006 ; King 2014 ; Wamsley et Forsyth 2006). Dans ses travaux sur les festivals culturels aborigènes, The Dreaming (Queensland), qui rassemblent des artistes autochtones de différentes régions du monde, et le Laura Dance and Cultural Festival (Cape York) auquel participent principalement des communautés locales, Lisa Slater (2007 ; 2010) souligne l’importance de s’intéresser à des événements autochtones internationaux. L’auteure décrit ces festivals en tant que zones liminaires, des lieux de célébration, de partage et de préservation des cultures autochtones et de contestation des représentations dominantes à leur égard.

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La question centrale de la recherche, celle des liens entre l’identité autochtone mondiale et la guérison telle que décrits lors du rassemblement HOSW de 2010 a fait l’objet d’une approche exploratoire plutôt que vérificatoire : ma recherche, qui tient lieu de première exploration scientifique d’HOSW, ouvre donc des portes vers un grand nombre de nouveaux questionnements. Je les présente ici en tant que les limites de mon approche et des avenues de recherche futures.

Une limite fondamentale associée à une analyse de discours est précisément celle de l’absence de dialogue entre les personnes dont les discours sont analysés et le chercheur. En effet, bien que les entrevues aient servi à valider certaines de mes observations lors du rassemblement et certaines conclusions tirées de l’analyse du discours des conférenciers, ces derniers n’ont pas été rencontrés dans le cadre de la présente recherche. Ainsi, mes conclusions n’ont pu être validées auprès d’eux. Une telle vérification représentait, dans le cadre des recherches menées lors de mon cheminement à la maîtrise, l’ajout de plusieurs tâches supplémentaires qui aurait grandement alourdi la collecte des données : recherche des coordonnées des conférenciers, prise de contact, soumission des transcriptions des conférences aux conférenciers, discussion avec chacun des résultats de l’analyse de leur conférence et analyse des entretiens avec les conférenciers au sujet de leur conférence et de mes propres conclusions à leur égard. Une validation auprès des conférenciers est une étape qui pourra être entreprise dans le futur pour enrichir la présente recherche.

Une exploration plus poussée de l’utilisation des technologies de la communication par les participants et les organisateurs des rassemblements HOSW aurait permis de compléter les données présentées dans ce mémoire et de tisser des liens avec une littérature pertinente sur les utilisations de ces technologies par les Autochtones et sur l’ethnographie en ligne (Boellstorff et al. 2012 ; Landzelius 2006 ; Lucas 1996 ; Niezen 2005 ; Wilson et Peterson 2002). Il serait également utile de s’intéresser aux traces, somme toute rares et éphémères, qui sont laissées à la suite des rassemblements : disponibilité des enregistrements du rassemblement de 2006, sites Internet éphémères, rares publications denses, soit en format papier ou en ligne, etc.

Avec cette recherche, je souhaitais me pencher sur un contexte international, celui d’un rassemblement HOSW, et analyser les discours des conférenciers sur l’autochtonéité. Ma recherche s’inscrit donc dans une littérature anthropologique dense sur la mondialisation des mobilisations des peuples autochtones qui a été abordée dans le premier chapitre. Or, il m’apparaît essentiel de se pencher non seulement sur la dimension mondiale de ces mobilisations, mais aussi de les mettre en parallèle avec leurs expressions et leurs impacts locaux. Une avenue de recherche pertinente pour poursuivre les recherches sur HOSW

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serait donc d’examiner plus attentivement les impacts locaux du mouvement et les dynamiques au sein des délégations y prenant part. Pour ce faire, il serait possible de se pencher sur le travail d’organisation d’un rassemblement ou sur les groupes qui, au niveau communautaire, rassemblent leurs forces pour financer leur participation à un tel événement, par exemple. Examiner le portrait des personnes actives au sein du mouvement dans une recherche axée sur les récits de vie permettrait également de souligner les ramifications d’HOSW sur les plans international et local. J’ai tenté de relever, dans la présente recherche, les affiliations des conférenciers et des membres de l’IIC lorsque ces informations étaient disponibles. Toutefois, une exploration plus poussée de profils personnels révèlerait selon à moi à la fois l’expérience, les perspectives, opinions et objectifs que les participants apportent au sein d’HOSW ainsi que les contacts et apprentissages réalisés au sein d’HOSW qu’ils mettent à contribution dans leurs activités personnelles ou professionnelles, locales ou internationales. Procéder de cette manière permettrait aussi de mieux documenter les dynamiques de pouvoir et les stratégies discursives présentes dans le mouvement que j’ai abordées dans la section 4.6.

Une recherche axée sur un contexte mondial tel que le rassemblement HOSW de 2010 reste nécessairement superficielle en regard des différences entre les participants y prenant part. J’ai mentionné dans le deuxième chapitre les difficultés associées à l’analyse de conférences dont des extraits sont rendus inaccessibles puisqu’ils sont prononcés dans différentes langues autochtones. Si des connaissances limitées vis-à-vis des mots en Māori ou Hawai’ien m’ont été utiles, il m’aurait été impossible d’acquérir les compétences linguistiques me permettant de traduire moi-même tous les segments prononcés en différentes langues, ou même de trouver des traducteurs pour chaque segment. Mais au-delà de cette difficulté linguistique, ce sont aussi des différences culturelles et contextuelles qui ont complexifié le travail de recherche et limité la portée de mon analyse. Chaque tribu, nation ou peuple représenté au sein d’HOSW a sa propre culture, sa propre histoire coloniale, sa propre relation avec l’État-nation et la société dominante du pays d’où il provient, ses objectifs, des problématiques communautaires particulières, etc. En ce sens, il m’a fallu acquérir des connaissances sur une grande diversité de contextes nationaux et régionaux dans le cadre de la présente recherche. Néanmoins, des chercheurs spécialistes des cultures représentées au sein d’HOSW pourraient certainement souligner des éléments dans les données qui demeurent invisibles à mon regard. Des recherches axées sur la participation des délégations au sein d’HOSW et sur ce que chacune partage, accomplit et présente au sujet d’elle-même lors des rassemblements, pourrait enrichir les données présentées dans la présente recherche. Par exemple, il serait possible de sélectionner certains moments, tels que rituels, du rassemblement de 2010 et de les soumettre aux descriptions des personnes qui y ont participé pour qu’elles fournissent des explications à leur sujet. Bien entendu, si mon projet de recherche renvoie à des

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réalités locales différentes, je visais d’abord l’analyse d’éléments rassembleurs dans un contexte de rencontre, de coopération et de solidarité internationale.

Enfin, il aurait été intéressant et extrêmement pertinent d’examiner le rôle des femmes au sein du mouvement HOSW. Il est intéressant de noter, par exemple, que Dre Hodgson était jusqu’à 2010 la seule femme dans l’IIC. Des femmes Aborigène, Hawaïenne et Nez Perce ont rejoint l’IIC à ce moment, mais deux d’entre elles ont depuis quitté leurs fonctions. Le comité jeunesse créé pour le rassemblement de 2010, était quant à lui composé d’un homme et de six femmes. En 2006, 62% des personnes ayant pris part au processus d’évaluation du rassemblement sont des femmes. Selon les informations présentées dans le rapport d’évaluation du rassemblement de 2010, parmi les 2588 participants (registrants) 1475 personnes indiquent sur leur formulaire d’inscriptions qu’elles sont des femmes, 596 indiquent qu’elles sont des hommes, et 517 ne fournissent pas de réponse à cette question. Comme le font remarquer les auteurs du rapport, ce sont donc 20% des participants qui n’ont pas répondu à cette question, mais même si toutes ces personnes étaient des hommes, les femmes forment néanmoins la majorité des participants. Il serait intéressant de se pencher sur les raisons qui expliquent que tant de participants ne fournissent pas de réponse à la question. L’exploration des questions liées à l’identité et l’orientation sexuelle serait peut-être pertinente, en ce sens : en effet, il est possible que certains participants ne s’identifient pas comme homme ou femme, mais autrement (two-spirits, transgenre, etc.). La question, effectivement, porte sur le genre et non sur le sexe. Il n’y a pas d’indication dans le rapport qui laisse croire qu’une option « autre » ait été disponible (LGT 2012 : 17-18). La formulation même de la question a peut-être amené certaines personnes à ne pas répondre. Ces éléments me semblent pertinents puisque les processus de décolonisation impliquent une critique de l’hétéronormativité imposée par la colonisation. Il suffit de penser à Kent Monkman, artiste cri qui ridiculise les représentations occidentales des Autochtones et critique la répression de l’homosexualité par les forces coloniales à travers la mise en scène de Miss Chief Eagle Testickle, son alter ego aux allures de chef amérindien drag queen. Une présentation de Tania Dopler lors du rassemblement de 2010, Reclaiming our place of Honor : Two- spirited people in Canada, aurait pu être utile pour explorer cette thématique.

D’autres thématiques qui ont été évacuées de la présente recherche, faute d’espace, pourraient être abordées à partir des données que j’ai collectées grâce à l’observation participante lors du rassemblement, l’analyse de discours et les entretiens semi-dirigés. Par exemple, les processus de réconciliation, qui m’intéressent particulièrement pour les raisons que j’ai décrites dans l’avant-propos, sont présentés dans les conférences analysées comme étroitement liés à la guérison des peuples autochtones, mais aussi à la guérison des non-Autochtones. Shawn Atleo affirme par exemple que les

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processus de guérison autochtones ne seront pas achevés tant que les relations entre les Autochtones et les sociétés occidentales ne seront pas rétablies comme des relations harmonieuses d’égal à égal (Honolulu, le 7 septembre 2010). Cet objectif de réconciliation est d’ailleurs partagé par différents acteurs du mouvement de guérison autochtone canadien, dont la Fondation autochtone de guérison (Brant Castellano 2008 ; CRPA 1996b : 30-45 ; Younging, Dewar et DeGagné 2009 : 31). En contrepartie, la réconciliation elle-même est décrite comme une forme de guérison par certains conférenciers. Les non- Autochtones, d’après Gregory Phillips, devront se guérir de leurs propres souffrances par rapport au rôle qu’ils ont joué dans les processus de colonisation (Honolulu, le 7 septembre 2010). Or, selon Rod Jeffries, la réconciliation est abordée au sein d’HOSW, mais n’en constitue pas un objectif central puisque les Autochtones doivent d’abord se réconcilier avec eux-mêmes : « I believe we need to start the process [of reconciliation] but we need to reconcile with ourselves first. And that is what healing is all about. And if we cannot reconcile with ourselves, we cannot reconcile with anybody else. So the healing process is very much necessary first » (entrevue réalisée le 23 juillet 2013). Wilton Littlechild abonde en ce sens: « As we were reminded today and elsewhere, sometimes we cannot get to reconciliation unless we're healed. We have to heal first » (Wilton Littlechild, Honolulu, le 7 septembre 2010). Cependant, HOSW offre tout de même un point de départ intéressant pour des recherches axées sur les perspectives des peuples autochtones sur la réconciliation.

5. 2 La portée mondiale d’HOSW

Au-delà de la guérison et du bien-être de leurs propres peuples, les conférenciers qui participent à HOSW 2010 attribuent au mouvement HOSW une portée très large. Pono Shim partage à ce sujet une prophétie qui décrit le rôle que les Hawaïens devront jouer dans le futur pour protéger le monde entier :

« […] A prophecy that was shared by an aunty of mine. She was known as a keeper of the secrets of Hawaii, her name was Aunty Pilahi Paki. Aunty Pilahi passed away in 1985. […] And she was proponent of aloha70. And Aunty Pilahi prophesised that in the 21st century

the world would be in chaotic mess, that there would be risk to the world that would threaten the entire world and all world culture itself. And the world would look to a solution. And the solution would be found in Hawaii. And the solution was aloha. And she made us promise that we would never let it go. That we would be keeper of this until the time came » (Pono Shim, Honolulu, le 6 septembre 2010).

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Les efforts réalisés par les participants d’HOSW sont en effet décrits par les conférenciers comme ayant un très grand potentiel d’aider d’autres peuples. Certains conférenciers énumèrent des éléments que les peuples autochtones peuvent offrir au monde entier. D’une part, leurs conceptions de la santé, de la guérison et du bien-être sont décrites comme pouvant être utiles aux non-Autochtones. Dre Mirta Roses Periago, directrice générale de PAHO (Pan-American Health Organisation) et originaire d’Argentine, estime que de plus en plus de non-Autochtones s’intéressent aux savoirs et aux pratiques autochtones en lien avec la santé, le bien-être et la guérison puisqu’ils sont insatisfaits par rapport aux approches dominantes (mainstream) occidentales (Dre Mirta Roses Periago, Honolulu, le 7 septembre 2010). Elle insiste sur l’utilité d’HOSW en ce sens. D’après Stevenson Kuartei, les Autochtones doivent partager leurs savoirs avec le monde : « Embedded in the traditions of native and indigenous peoples are the lessons of survivability which they have owned for several centuries. We must trust in that journey and tell the world » (Stevenson Kuartei, Honolulu, le 6 septembre 2010).

En somme, au terme de la présente recherche, le rassemblement HOSW 2010 apparaît comme un lieu et un moment d’unité et de solidarité entre les personnes qui y prennent part. Celles-ci y prennent notamment conscience des similarités qui les rassemblent, et se reconnaissent les unes et les autres comme autochtones en fonction de celles-ci. La réactualisation, la consolidation et la création de relations pendant l’événement confèrent à celui-ci un grand potentiel guérisseur. De plus, la portée mondiale d’HOSW a été mise en lumière : les conférenciers parlent de la responsabilité des Autochtones de prendre soin de la Terre (environnement, changements climatiques, etc.), mais également de guérir le monde entier, de lui apporter leurs propres contributions. Enfin, l’autochtonéité décrite et véhiculée au sein du rassemblement de 2010 ne semble pas tendre vers l’uniformisation ou à la disparition des multiples identités qu’HOSW rassemble, mais est d’abord et avant tout ancrée dans ce qu’elles ont en commun, dans la célébration de leur diversité et dans une volonté de solidarité.

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