7670
H°2 (3e Série) /-"croissant le 15 de chaque mois. 15 pétftfie* 1935
Abonnement auBulletin (unanj
France... 35 fr.
Etranger. 50 fr.
Adresser lemontant des Abonnements k l'Institut du Pin.— C. C. Bordeaux 9237
Le Numéro.
Le Numéro decollection.
BULLETIN
DE
France... 3 50
Étranger. 5 »
France
etEtranger 7 »
(portensupplément)
L'INSTITUT du PIN
Sous îe contrôle du Ministère de l'Agriculture
et rattaché à la Faculté des Sciences de Bordeaux
csss
/ vV ' •v'-.r. -,
f**.- 5'.
i \
r
SOMMAIREMaurice VEZES
Sa Vie — Son Œuvre
I. Articles originaux Pages
A I 76 Maurice Vèzes, parM. G. Dupont .. 21
A I 77 Discours prononcé aux obsèques de M. le Professeur Vèzes, parM. Chaîne . . 25 A I 78 Discours prononcé aux obsèques de M. le
Professeur Vèzes, par M. Callen .. 27
A I 79 Discours prononcé aux obsèques de M. le Professeur Vèzes, par M. Fortin
A I 80 Discours prononcé aux obsèques de M. le Professeur Vèzes, parM. Manville
A I 81 Travaux scientifiques de Maurice Vèzes..., Pages
28 28 31
JVIODE DE CLASSIFICATION DH NOS DOCUMENTS
Généralités.
B. Récolte et traitement des résines.
C. Essences de térébenthine, terpènes etdérivés.
I). Constituants solides des résines et leurs dérivés.
/ Articles originaux. —IlDocumentation.
E. Dérivéschimiquesdubois.
F. Cellulose de bois.
G. Documents divers.
Adresser la Correspondance :
INSTITUT
DU PIN, Faculté Des Sciences, 20, Cours Pasteur,BORDEAUX
Le Directeur technique reçoitle lundi, de 9à 12 heures, de 14 h. 30 à 18 heures, et les autres jours sur rendez-vous.
E. CONSTRUCTEUR,
143, BoulevardVictor-Emmanuel
111 -BORDEAUX
■ Bureaux et Ateliers : COURRET Se JViORLASMIME. Rue Gay, 4 - TaLENGE (près la rouie de Toulouse)
PROCÉDÉS
LtS PLUS MODERNES pourla Distillation
et le Traitement ôe$ Gemmes ôePin
S
APPAREILS A DISTILLER
■
enIons genres
g
Distillation
àfeu
nu Distillation à vapeurDistillation
«
I en marche continue par le vide
et parlavapeur.
■ g
; Concessionnairedes Procédés
s CASTETS
APPAREILS
SPECIAUX
pour lapréparation
despâles térébenthines et le traitement descolophanes
Filtres, Malaxeurs
Cuves de décantation Sécheurs Etuves à Colophane
POMPES, WAGONNETS SPECIAUX g PLATEAUXA COLOPHANE |
*
Dépotoirs pour le litrage g des barriques | CHAUDIÈRES A VAPEUR, MACHINES. MOTEURS, PYLONES. RÉSERVOIRS
!
S I
| Installations complètes d'Usines
—Plans
—Devis
—Etudes
surdemande f
8 MANUTENTION MECANIQUE :
; DES GEMMES
•
S
Téléphone 58.88 — Références nombreuses France et Pat/s Etrangers — R- Com. Bordeaux 2339 B
VERNIS RAPIDE S Sec
g* 3 Heures ^ R ARIDE EMAIL
é I asti q u e
à vieillissement ralenti
résistance aux intempéries, à l'eau de mer, aux agents chimiques et mécaniques les plus actifs
FABRICATION
DE J. CANOUET, LE BOUSCAT-BORDEAUX
-T. 82.4401
fit m-
Agent à Paris : R. UZAC, S, Rue Gannebière, T. G-ob. 87.48 l
N* 2 (3e Série1» Paraissant le 15 de chaquemois. 15 pévpiep 1935
BULLETIN
DE
L'INSTITUT DU PIN
Sous le contrôle du Ministère de l'Agriculture
et rattaché à la Faculté des Sciences de Bordeaux
A i 76
Maurice VÈZES
Professeur honoraire à la Faculté des Sciences
de Bordeaux
Directéur honoraire del'Institut du Pin
Par Georges DUPONT
Professeurà la Sorbonneet à l'École Normale supérieure
Directeur honoraire de l'Institut du Pin
L'industrie résinière vient, en même temps que la Science Française, de subir une perte cruelle en la personne de Maurice Vèzes.
Né à Agen le 20 novembre 18'64, sa famille vint Rétablir peu d'années après à Bordeaux. C'est là qu'il fît ses études et, qu'après quelques années
d'une absence nécessité par ses études et par son début de carrière, il revint passer une vje pleine
d'honneur, de labeur et de dévouement pour ses
compatriotes.
Très brillant élève du Lycée de Bordeaux, il est admis au concours d'entrée de l'Ecole Normale Su¬
périeure en 1885. En 1888, il est agrégé des Sciences physiques. Son rang à ce concours et les qualités
dont il avait fait preuve, le font désigner comme
agrégé-préparateur à l'Ecole Normale supérieure.
Il conserverace poste jusqu'en 1893, où, docteur-ès-
seiences avec une.thèse très remarquée il est nom- nié Maître de Conférence à la Faculté des Sciences dp tiennes.
Un an après, il est nommé à la Faculté des Scien¬
ces de Bordeaux qu'il ne quittera plus jusqu'à sa mort.
En 1898, il obtient le titre de professeur-adjoint
et il est titularisé en 1901, à 37 ans, dans la chaire
de chimie minérale.
Il devait occuper brillamment cette chaire jus¬
qu'en 1924 où, les fatigues accumulées de cette vie
de labeur et, en particulier, le très mauvais état de
sa vue, usée par de longues et patientes recherches polarimétriques, l'obligèrent à demander une re¬
traite très prématurée puisque 40 années le sépa¬
raient encore de l'âge normal.
Durant cette période hélas trop brève de sa vie
universitaire, Vèzes rendit, en dehors des devoirs
stricts de sa charge, des services précieux à l'Uni¬
versité. Par son esprit méthodique, pratique et
ordonné, par l'intérêt avec lequel il se tenait au
courant de tout ce qui pouvait intéresser la Faculté,
son intervention et ses conseils étaient soigneuse¬
ment provoqués de la part des doyens successifs
ou de ses collègues qu'il représenta pendant une vingtaine d'année au Conseil de l'Université et qui,
à plusieurs reprises, le désignèrent comme asses¬
seur du doyen.
Il fut membre du jury d'agrégation en 1908.
Des honneurs mérités vinrent reconnaître ses ser¬
vices et sa science : officier de l'Instruction'Publi¬
que en 1900, chevalier du Mérite Agricole en 1909
et de la Légion d'Honneur en 1920, Vèzes reçut, en.
1907 la médaille d'or de l'Académie des Sciences et Belles-LettresdeBordeaux, dont il fut nommé meni-„
bre en 1910 et Président en 1930. v
/ y
|=» (
4W\ T
il?
22 BULLETIN DE L'INSTITUT LU PIN — N°2 - Février 1935
L'Œuvre Scientifique
L'œuvre scientifique de Vèzes comporte deuxpar¬
ties bien distinctes : les travaux relatifs aux métaux
précieux et les travaux se rattachant à l'industrie
et à la chimie des produits résineux.
Les recherches sur les métaux précieux occupent
toute la première partie de la .carrière de Vèzes.
(Dès 1888, comme agrégé-préparateur à l'Ecole Normale, il collabore avec Joly et étudie avec ce maître, d'abord quelques nitrites doubles de ruthé¬
nium et de potassium puis l'osmium métallique. Ils
réussissent les premiers à fondre ce métal particu¬
lièrement réfractaire dont ils décrivent les proprié¬
tés physiques remarquables.
Ainsi orienté vers l'étude des métaux précieux,
Vèzes se consacra à celle de leurs sels complexes
encore bien mal connus, et publie toute une série
de mémoires sur ce sujet.
Je ne puis mieux faire, pour indiquer l'intérêt et
la valeur de ces recherches, que de rappeler l'opi¬
nion particulièrement autorisée de M. Urbain dans
un de ses rapports.
« Les résultats obtenus par M. Vèzes font date
dans l'histoire de la chimie de ces métaux (ruthé¬
nium, platine et palladium). Il n'existait alors au¬
cun guide permettant de s'orienter dans le dédale des sels complexes que forment ces éléments. La systématisation de Werner est postérieure aux tra¬
vaux de M. Vèzes qui l'ont préparée. On ne dis¬
tinguait pas alors entre complexes et sels doubles et la dissimulation des radicaux ne semblait pas contradictoire avec les représentations dualistiques
alors admises. Des deux séries de sels de platine, la
série platinique était la mieux connue. Pour que la série platineuse put se développer il était néces¬
saire de savoir préparer le platochlorure de potas¬
sium qui était le véritable point de départ de cette série.
iM. Vèzes, en réduisant les plati-chlorures par l'oxalate de potassium, a donné la seule préparation
actuellement utilisée et dont les conséquences de¬
vaient être si remarquables.
Son étude des platonitrites est classique aujour¬
d'hui. On sait toute l'importance de ces nitrites qui, résistant à l'hydrolyse, assurent à la théorie actuelle des complexes le plus clair de sa valeur.
Les plato-sels, corps incomplets, fixent directe¬
ment les halogènes àla façon des corps non saturés
de la chimie organique : on passe ainsi de la série plato à la série plati. C'est ce que M. Vèzes a magis¬
tralement démontré en décrivant les platichloroni- trites, les platibromonitrites et les platiiodonitrites.
Il décrivit d'autre part les platochloronitrites el les platobromonitrites. Développant ces exemples
de substitution de radicaux négatifs dans les molé¬
cules complexes, il a obtenu des plato-oxalonitrites.
Enfin, il a étendu ses résultats à la chimie des
complexes du ruthénium dont il a décrit les nitrites
et à celles du palladium dont il a décrit les palla-
dooxalates et, avec la collaboration de M. Loiseleur, les palladooxalonitrites.
Les recherches de M. Vèzes sont ainsi fondamen¬
tales pour la chimie des complexes des métaux de
la famille du platine. Cette famille est devenue le prototype de la chimie des complexes des métaux
des autres familles.
Ainsi l'œuvre de Vèzes a pris, dans le domaine
des complexes, une importance de premier ordre qui n'est apparue clairement que dans ces derniè¬
res années. »
J'ajouterai, qu'en dehors des travaux signalés
ci-dessus par M, Urbain, M. Vèzes a, en collabora¬
tion avec ses élèves, généralisé les résultats acquis
à d'autres métaux de la famille du platine : en collaboration avec (M. Wintrebert aux sels com¬
plexes d'osmium (osmyloxalates), en collaboration
avec M. Duffour, aux sels complexes d'iridium (iri- didichlorooxalates, iridodichloro-nitrooxalates).
Les recherches intéressant les résines et l'indus¬
trie résinière, absorbent, après 1900, la plus grosse
partie de l'activité scientifique de Vèzes.
Son attention est attirée, en effet, par l'état pré¬
caire de l'industrie qui, dans cette grande région
landaise dont Bordeaux est la capitale universitaire,
dérive de l'exploitation des produits (bois et résine)
de la forêt de pin maritime, forêt si merveilleuse¬
ment créée sur un sol quasi-désertique, par le génie
et la ténacité de Brémontier et de Chambrelent.
Vèzes pense à juste titre que, si ces savants ont
su créer la forêt, c'est encore à la science chimique
cette fois, qu'il faut demander de mettre en valeur
ses produits.
Vèzes s'est désormais consacré à cette œuvre jus¬
qu'à la fin de sa vie.
Dès 1899 il crée, bénévolement à la Faculté des Sciences de Bordeaux, un cours public pratique sur la récolte et le traitement de la gemme. A ce cours,
BULLETIN L)E L'INSTITUT DU PIN — N°2 - Février 1935 23
des jeunes ingénieurs et des étudiants, mêlés à des
industriels et à des commerçants, viendront apprendre les méthodes d'une industrie encore très primitive et les principes qui doivent permettre
d'améliorer les rendements et la qualité des produits.
Dès l'année suivante (1900) un « Laboratoire de Chimie appliquée à l'Industrie des Résines » était
fondé et reconnu par l'Etat. Ce laboratoire devait,
en 1908, être officiellement chargé de l'analyse des
échantillons résineux en vue de la répression des
fraudes.
Malgré la précarité des moyens mis à sa disposi¬
tion, ce laboratoire rend rapidement des services.
C'est, d'abord, la récolte, dans les périodiques étrangers, d'une abondante et précieuse documen¬
tation sur les travaux faits jusqu'à ce jour sur les produits résineux. Vèzes, grâce à sa parfaite con¬
naissance de l'anglais et de l'allemand et à une mé¬
moire admirable, mène à bien ce travail rendu par¬
ticulièrement délicat par l'énorme fatras de publi¬
cations embrouillées et souvent contradictoires. Ces
documents sont publiés principalement dans le
«Moniteur Scientifique» de Quesneville; ils for¬
ment, jusqu'en 1922 un imposant ensemble de
17
fascicules qui sont le fidèle miroir de nos connais¬
sances, très incertaines encore, des produits rési¬
neux et la base solide sur laquelle le laboratoire a pu dès lors travailler.
Puis ce sont des études critiques et documentées
sur l'état de l'Industrie résinière dans les autres pays : Etats-Unis, Russie, etc. et sur la qualité
et
la nature des produits données par les diverses sor¬
tes de pins et de sapins.
Ensuite c'est l'étude critique des méthodes indus¬
trielles en usage et des perfectionnements qu'il con¬
vient de leur apporter, concernant la récolte et le
traitement de la gemme (de 1902 à 1921) la fabri¬
cation des huiles et des essences de résine (1900 à 1912) la décoloration des colophanes, la prépara¬
tion des résinâtes, etc.
La fraude des essences de térébenthine menace à cette époque sérieusement le commerce et l'indus¬
trie honnêtes et compromet les applications de l'es¬
sence. Vèzes s'attache donc à établir les méthodes d'analyse et y parvient si bien que ses
méthodes
sont encore utilisées sans changement et permet¬
tent de décéler, sans aucune ambiguïté, la fraude et
sa nature. Dosage réfractométrique (1901) polari- métrique et densimétrique (1904) dosage par les
courbes de miscibilité (1910); dosage acidimétri-
que des colophanes (1901) étude colorimétrique des colophanes (19O50; définition de l'essence de téré¬
benthine commercialement pure (1910) sont les di¬
verses étapes de ce travail, couronné par la loi ré¬
cente pour la répression des fraudes des essences de térébenthine, loi du 30 décembre 1931, qui a conservé, sans changement appréciable, la défini¬
tion des essences pures donnée par Vèzes.
'Ces recherches qui, au premier abord, paraissent
essentiellement pratiques, amenèrent Vèzes à abor¬
der des sujets de physicochimie ; solubilité réci¬
proque de l'essence de térébenthine et de l'alcool aqueux, de l'aniline, etc; saponification de la colo¬
phane, etc.
Enfin, en 1920, prévoyant l'évolution de l'indus¬
trie dans le monde d'après-guerre et le rôle que les
méthodes scientifiques devaient jouer dans cette évolution et, envisageant l'importance, uue devait prendre en conséquence, l'organisme original qu'il
avait créé, il sentit la nécessité de développer celui-
ci et d'élargir les moyens trop insuffisants qu'il
avait à sa disposition.
Malheureusement sa vue était gravement atteinte
comme je l'ai dit par l'excès même de l'effort qu'il
lui avait demandé pour ses longues recherches bibliographiques et surtout par les nombreuses heures passées dans la chambre noire du pola-
rimètre sous les dangereux rayons de l'arc au mer¬
cure.Il fit au signataire decette notice l'honneur de
lui demander sa collaboration pour l'œuvre qu'il
fallait poursuivre et développer. C'est de cette col¬
laboration qu'est né « l'Institut du Pin », dont
Vèzes reste le père et le fondateur.
Jusqu'en 1924 il assumait d'ailleurs la direction
de cet Institut et contribuait activement à son essor, mais, à cette époque, le développement de son infir¬
mité l'obligeait, malgré les vifs regrets qui lui
étaient exprimés de tous côtés, à abandonner ses fonctions en même temps d'ailleurs que sa chaire
à la Faculté. Cependant cet abandon n'était pas absolu et, jusqu'à ses derniers jours, il s'occupa
activement de l'Institut du Pin dont il était le Directeur honoraire; il en suivait avec intérêt les
travaux et l'aidait de ses précieux conseils et de
ses relations.
24 BULLLT1N DE L'INSTITUT VU PIN — N° 2 - Février 1935
Le Professeur
Maurice Vèzes était un professeur dans toute l'acception du terme. Il aimait enseigner et son
enseignement était d'une qualité telle, par son or¬
dre, sa précision et sa clarté, que ses élèves en ont gardé la plus forte empreinte.
11 ne se contentait pas, pour préparer ses cours, de renseignements puisés dans les ouvrages didac¬
tiques, mais allait chercher aux sources, dans les mémoires originaux, des faits et des chiffres dont il savait montrer la signification.
Tout d'abord il enseigna la chimie m'inérale,
mais bientôt, admirablement préparé par sa con¬
naissance approfondie des sciences physiques, il se passionna pour la chimie-physique à laquelle son
collègue et ami Duhem donnait une impulsion si féconde. Vèzes, prévoyant l'importance croissante que devait prendre les méthodes physiques dans
les sciences chimiques, créa à Bordeaux, dès 1894,
un cours de physico-chimie, qu'il ne cessa depuis
de retoucher et d'améliorer en suivant les évolu¬
tion rapides et les aspects variés de cette science de liaison.
Son activité sur ce point ne fut pas arrêtée par la retraite car, dès ce moment, il porta tout l'effort
de son cerveau resté alerte et'précis sur ce cours de
chimie physique, lui apportant encore des retou¬
ches et des compléments. Avec la collaboration pré¬
cieuse d'une compagne admirablement dévouée, il rédigea ce cours qui parut en librairie en 1927 et fut couronné par l'Académie des Sciences (prix Ge- gner 1928). Cet ouvrage obtint un si «vif succès auprès des étudiants que Vèzes dut, deux ans après,
faire paraître une seconde édition.
Ce sont également, en grande partie, les matières développées par Vèzes dans ses leçons sur l'Indus¬
trie des Résines qui ont fourni les éléments du livre intitulé « Résines et térébenthines » publié en 1924
avec la collaboration du signataire de ces lignes et qui, lui aussi, fut couronné par l'Académie des Sciences.
L'homme
les concerts ou en jouant lui-même au piano les
œuvres des grands maîtres.
Enfin, tous ceux qui ont connu Vèzes savent com¬
bien chez lui une droiture parfaite savait s'allier à
une infinie bienveillance qui rendait particulière¬
ment agréable sa fréquentation. Mais son cœur ne montrait toute sa mesure qu'auprès des siens, près
de cette épouse admirable, fille, elle-même d'un grand universitaire et qui, au long de sa digne car¬
rière si douloureusement et précocement entravée par son infirmité, l'a constamment et si noblement aidé et soutenu physiquement et moralement.
Grâce à ce précieux soutien, grâce à la sympa¬
thie dont l'entouraient ses enfants et ses petits- enfants, grâce encore à la fierté qu'il avait de ses fils et de sa fille qui, suivant le bel exemple de leur père, avaient su, chacun dans sa voie, devenir quel¬
qu'un. Maurice Vèzes a pu, malgré son infirmité, malgré un coup cruel du sort frappant durement
l'un des siens, conserver jusqu'à son dernier jour
son-humeur bienveillante et sa sereine dignité.
La mort l'a frappé doucement au milieu des siens
dans la douceur d'une fête de famille... Puisse les siens trouver, dans ces circonstances et dans les regrets unanimes de tous ceux qui ont connu Vèzes,
une atténuation à leur légitime douleur.
Pour moi, je ne puis être ici que l'interprète bien
insuffisant de la douleur et des regrets de tous ceux
qui ont pu apprécier et aimer Vèzes, de ses collè¬
gues de l'Université et de ses disciples de l'Institut
du Pin, en même temps que de ceux qui, indus¬
triels, commerçants, résiniers, vivant de la forêt landaise, ont envers le noble disparu, une grande
dette de reconnaissance qu'ils ne sauraient oublier-
Vèzes possédait, à côté d'un cerveau de savant,
une âme d'artiste. Musicien de talent, il se reposait
des fatigues du laboratoire en suivant assidûment
BULLETIN DE L'INSTITUT DU PIN — /V°2 Février 1935 25 A i 77
Discours prononcé
aux
Obsèques de M. le Professeur Vèzes
Par M. CHAINE
Doyen de la Faculté des Sciences de Bordeaux.
A peine commencé, l'année 1935 est bien cruelle pour l'Université de Bordeaux, la mort frappant
dru dans nos rangs. Hier, c'était le professeur Sel¬
lier de la Faculté de Médecine que, dans une afflic¬
tion profonde, nous accompagnions à sa dernière demeure; aujourd'hui, c'est le professeur Vèzes, au¬
quel je viens adresser, au nom de la Faculté des Sciences, le dernier et suprême adieu.
Maurice Vèzes, bien que né à Agen, pouvait se dire Bordelais, sa famille s'étant fixée de bonne heure dans notre ville; c'est donc à Bordeaux qu'il
passa sa vie d'écolier. Il fut ainsi un des plus bril¬
lants élèvesdenotre lycée, et lorsqu'il fut nommé à
notre Faculté, il aimait à rappeler que quelques-uns
de ses collègues d'alors l'avaient interrogé aux bac¬
calauréats.
Rapidement, il franchit toutes les étapes univer¬
sitaires, de sorte que sa vie d'études peut être don¬
née en exemple à la jeunesse de nos Ecoles. Bache¬
lier ès-sciences et ès-lettres en 1882, il est élève de l'Ecole normale supérieure en 1885; en 1887, il
obtient les deux licences de mathématiques et scien¬
ces physique; en 1888, il est agrégé des sciences physiques et en 1892 il est docteur en Sorbonne,
avec une thèse très remarquée; il passe 5 ans à l'E¬
cole comme agrégé-préparateur; en 1893, il est
nommé Maître de Conférences à Rennes et, l'année suivante à Bordeaux qu'il ne devait plus quitter.
Sa carrière yfut très rapide : en 1898, il est nom¬
mé professeur-adjoint et professeur titulaire dans
la chaire de chimie minérale en 1901; il n'avait alors que 37 ans. Malheureusement en 1924, en
plein rendement de travail scientifique, au moment
où il était dans la plénitude de son savoir et dans
toute sa puissance intellectuelle, il fut obligé de
demander sa mise à la retraite à cause de « l'état de ses yeux qui ne lui permettait plus de continuel¬
les fonctions » comme alors il l'écrivait lui-même.
Il fut alors nommé professeur honoraire.
Après seulement 23 années d'exercice, une émi- nente carrière était ainsi brutalement brisée par
un de ces coups terribles que la fatalité nous ré¬
serve parfois.
Cette obligation de se séparer aussi brusquement
de ses collaborateurs et de ses élèves, de quitter le
laboratoire où il avait passé de si agréables mo¬
ments, absorbé dans ses recherches, de renoncer enfin à tout travail, futpour lui un très vif chagrin.
Il aurait mal supporté cette épreuve, s'il n'avait été
soutenu par la très grande et très profonde affec¬
tion de la compagne de sesjours. Grâce à elle, grâce
aux soins intelligents dont elle l'entoura, à ses en¬
couragements de tous les instants, à ses préve¬
nances délicates et constantes, il put monter le cal¬
vaire qui lui était imposé, lentement, il est vrai,
mais avec assez de sûreté pour avoir pu, il y a
quelques années, reprendre ses occupations intel¬
lectuelles.
Durant sa vie universitaire, ses qualités profes¬
sionnelles furent grandement reconnues et juste¬
ment appréciées par l'Administration supérieure,
comme en témoignent les missions qui lui furent
confiées. C'est ainsi qu'il fit partie des jurys d'agré¬
gation des sciences physiques, du concours d'entrée
à l'Ecole Normale et des bourses de licence. Il prit
une part toujours très active à divers Congrès de chimie, soit en France, soit à l'étranger, réunion au
cours desquelles il se fit toujours remarquer par
sonpuissant savoir, sa haute compétence, sa grande intelligence. Sa notoriété scientifique dépassait
ainsi de beaucoup les frontières de notre pays.
Aussi, en récompense de ses nombreux services, reçut-il, en juillet 1920, la Croix de Chevalier de la Légion d'Honneur. Il était déjà titulaire de la Croix
d'Officier de l'Instruction Publique (1900), de celle
de Chevalier du Mérite Agricole (1909) et de la
Médaille d'Or de l'Académie de Bordeaux (1907).
Enfin, en 1910, il était élu membre de cette compa¬
gnie dont il devint plus tard président.
Je ne puis songer à retracer ici toute l'œuvre scientifique de Maurice Vèzes, tellement ses recher¬
ches furent multiples et ses publications nombreu¬
ses; ayant été un grand laborieux, sa carrière bien
que trop tôt finie, fut, en effet, des plus fécondes.
Parmi cette ample moisson de travaux, il est cependant à signaler tout particulièrement ses étu¬
des de certains métaux : osmium, palladium,ruthé¬
nium, iridium, platine. Dans son laboratoire en.
26 BULLETIN DE L'INSTITUTDU PIN — N°2 - Février W3à
sous-sol de la Faculté des Sciences où l'espace et
la lumière sont si parcimonieusement mesurés, avec
une méthode impeccable et une grande habileté d'expérimentateur, il a découvert, pour ces corps, des propriétés et des combinaisons inconnues jus¬
qu'alors. Puis ce sont ses belles recherches sur les composants et les dérivés des produits du pin qui
devaient le conduire à de si importants résultats.
Tantôt il travaillait seul, tantôt il s'adjoignait des
élèves d'élite dont certains aujourd'hui, à leur tour,
sont devenus des maîtres.
Mais ces travaux de pure spéculation scientifique
et bien d'autres encore, poursuivis dans le silence
du laboratoire, ne lui suffirent bientôt plus; ils
étaient, cependant, d'un intérêt puissant; mais il
pensa qu'il était de son devoir, armé comme il l'é¬
tait, d'être plus utile encore en se mettant au ser¬
vice d'une grande industrie régionale dépourvue jusqu'alors de direction éclairée. D'autres, plus qua¬
lifiés que moi, ont déjà dit ce qu'il fit ainsi poul¬
ies résiniers.
Cependant, je crois devoir rappeler ici que, dès 189'9, il prit l'initiative de créer un enseignement pratique sur la récolte de la gemme, la distillation
de l'essence, la purification de la colophane et tou¬
tes autres questions connexes. Bientôt, à ce cours,
public et fait bénévolement, il adjoignit un labora¬
toire spécial qui fut reconnu par l'Etat : le Labora¬
toire de Chimie appliquée à l'Industrie des Rési¬
nes. Enfin, en 1908, le laboratoire des résines fut officiellement chargé de l'analyse des échantillons
résineux en vue, de la répression des fraudes.
L'initiative de Maurice Vèzes répondait à un besoin si évident que tous les concours lui furent
vite acquis; lesbonnesvolontés des industriels rési¬
niers s'affirmèrent chaque jour, et c'est ainsi que
naquit un organisme puissant, l'Institut du Pin, qui
rend actuellement de si importants services sons
l'impulsion que lui donna Vèzes et qui fut si heu¬
reusement continuée par ses successeurs lorsqu'il
dut abandonner son laboratoire.
Maurice Vèzes était un professeur dans toute l'acception du terme. En outre de ses travaux de recherche, il aimait enseigner; ses leçons étaient
fort appréciées de ses élèves tellement il exposait
son sujet avec science, ordre, méthode et clarté. Son enseignement porta successivement sur toutes les
branches de la chimie : chimie générale, chimie minérale,, chimie organique, chiipie: appliquée à
l'industrie des résines; mais il ne saurait être passé
sous silence qu'il créa à Bordeaux, dès 1894, un
cours de chimie physique qu'il ne cessa, depuis, de perfectionner, d'agrandir, de faire croître en impor¬
tance. Vers la fin de sa carrière, il semblait faire porter plus particulièrement son activité professo¬
rale sur cet enseignement, au point qu'il demanda
et obtint que le titre de sa chaire soit transformé en celui de chimie minérale et chimie physique.
Après sa mise à la retraite, il pensait encore, et
bien souvent, à son enseignement de chimie phy¬
sique; il compulsait souvent ses notes, et même parfois les complétait. L'idée lui vint d'éditer son
cours. Mais ses yeux, lui refusant tout service, ne lui permirent pas de rédiger le manuscrit. Et c'est
alors que naquit une de ces collaborations tou¬
chantes que ne peut créer qu'une affection sincère
et bien profonde. Madame Vèzes, dont le dévoue¬
ment jusqu'alors s'était borné aux soins physiques
et moraux à apporter à son mari, devint la secré¬
taire fidèle de celui-ci; luq fut le cerveau qui pen¬
sait; elle, accomplissait toute l'énorme besogne
matérielle que comporte l'édition d'un ouvrage d'une telle importance. Ainsi prit jour ce traité de
chimie physique, aujourd'hui connu et apprécié de
tous les chimistes et qui fut couronné par l'Acadé¬
mie des Sciences.
L'esprit méthodique etordonné de Vèzes se mani¬
festait en toute chose. Nul, mieux que lui, n'était
au courant de tout ce qui pouvait intéresser notre Faculté; toute décision prise en Assemblée ou en Conseil, tout règlement administratif, tout arrêté
ministériel était soigneusement consigné par lui,
de sorte qu'à toutinstantil était à même de donner
un renseignement mieux que personne.
Ce sens pratique de la vie, si rare chez un savant,
ses qualités innées d'administrateur, furent recon¬
nus par ses collègues de la Faculté qui le désignè¬
rent pour les représenter au Conseil de l'Université
où il siégea pendant près d'une vingtaine d'années.
Il fut aussi assesseur du Doyen à diverses reprises.
Cet esprit d'ordre et de méthode, ce sens profond
de l'organisation permirent à Vèzes de sauver de
l'état d'anarchie dans lequel il se trouvait, la très
riche bibliothèques de la Société des Sciences Phy-
BULLETIN DE L'INSTITUT DU PIN — N°2 - Février 1935 27
siques et Naturelles de Bordeaux; et, si je signale
ce fait, qui peut paraître banal, comparé aux tra¬
vaux scientifiques de haute valeur qu'il a publiés,
c'est que j'estime que dans sa simplicité il montre,
à l'évidence, à quel point Vèzes était bien doué; il
conduisit en effet ce travail si long, si difficile, si compliqué, si pénible et, il faut le dire, si nouveau pour lui, sans rien interrompre de ses travaux de
laboratoire et sans modifier en quoi que ce soit sa vie de professeur .
Notre regretté collègue se donnait aux obligations
de sa charge avec une telle ardeur que ses travaux
de laboratoire et la préparation de ses leçons absor¬
baient tout le temps dont il pouvait disposer. Il
ne prenait de repos qu'auprès de sa famille; c'était
là toute sa joie. Il montra bien la grande affection qu'il avait pour les siens lorsqu'à la suite d'un
cruel coup du sortil accueillit chez lui sa fille et ses petits-enfants. Sa famille ainsi subitement agrandie
fut pour lui, au cours de ces dernières années, le
seul milieu où il se plaisait à vivre; il prenait part
aux jeux et aux plaisirs de ses petits enfants et
c'est au cours d'une de ces fêtes de famille à carac¬
tère intime si prenant que la mort vint le frapper.
Au moment même où il remettait à une de ses
petites-filles le cadeau traditionnel pour fêter son anniversaire, il tomba comme foudroyé pour ne
plus se relever. Choc terrible et des plus
doulou¬
reux pour ses proches, mais qui tout de
même
leur apporte ce réconfort que le dernier geste decelui
qui les quitte fut le geste d'un bon
grand-père et
que sa dernière pensée fut pour la famille
qu'il
aimait.
Aussi comprenant la profonde douleur de ceux
que sa mort a frappé, qu'il me soit permis
de dire
à sa veuve et à ses enfants, au nom de la Faculté
des Sciences tout entière, combien nos cœurs bat¬
tent à l'unisson des leurs, combien nous prenons
une large part à leur peine, combien aussi
la mé¬
moire de celui dont nous saluons respectueusement
ici la dépouille mortelle restera durable dans nos
souvenirs. Puisse notre sincère et profonde sympa¬
thie apporter à vous tous qui le
pleurez
unadou¬
cissement dans le malheur qui vient de vous attein¬
dre d'une façon si cruelle.
A I 78.
Discours
prononcé
aux
obsèques de M. Maurice Vèzes
Par M. J. CALLEN Président de l'Institut du Pin
» Laperte que la science vient de faire en la per¬
sonne du professeur Vèzes, nul ne la ressent plus
vivement que l'Institut du Pin. —
» Seul, en France du moins, M. Vèzes s'était spé¬
cialisé il y a déjà longtemps, dans l'étude de la gemme, étude pourtant si passionnante pour un chercheur et sur une matière si riche en dérivés;
mais, subissant comme tous les physiciens et chi¬
mistes de notre pays, la grande pauvreté des labo¬
ratoires que seuls rachetaient le désintéressement
et le dévouement des savants qui y consacraient leur existence, il eut l'idée d'appeler à son aide les propriétaires de pins et les industriels en produits
résineux.
» Déjà connu, par ses travaux, de tous ceux qui produisaient et utilisaient la gemme, l'aide qu'il
demandait lui fut rapidement accordée; ce fut la
naissance de l'Institut du Pin.
» Quêtantauprès de l'Etat, des départements, des
communes, des Compagnies de Chemins de fer,
l'Institut obtint vite de grosses subventions qui fu¬
rent versées à la Faculté des Sciences et libéré de tout souci d'argent, M. Vèzes put, en collaboration
avec M. Dupont, poursuivre ses recherches favorites
et publier ce livre « Résines et térébenthines —
Industries dérivées », qui eut un retentissement
mondial.
» Comprenant qu'il fallait d'abord défendre des produits nécessaires à l'existence des propriétaires
des Landes et des cantons forestiers de la Gironde
et du Lot-et-Garonne, il se dressa de toute son éner¬
gie contre la fraude de l'essence de térébenthine et
il eut la joie, tardive, hélas, de voir ses efforts cou¬
ronnés de succès.
Travailleur méthodique et obstiné, le professeur
Vèzes avait dans ses longues et patientes études,
usé ses yeux et ses forces, l'heure de la retraite
avait sonné, mais cette retraite ne pouvait être