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Oncologie : Article pp.37-44 du Vol.8 n°1 (2014)

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ARTICLE ORIGINAL /ORIGINAL ARTICLE DOSSIER

Sensibiliser les équipes soignantes à la prise en compte de la souffrance psychique : l ’ expérience du dépistage de la détresse au CHU de Québec

Making Healthcare Teams Aware of Taking Psychological Suffering into Account: Experience from the Distress Screening Programme Carried Out at Québec University Hospital

L. Fillion · M. de Serres · A. Tremblay · M.-C. Blais · M.-A. Robitaille · S. Boucher

Reçu le 10 janvier 2014 ; accepté le 15 janvier 2014

© Springer-Verlag France 2014

RésuméÀ partir de l’expérience au CHU de Québec, une réflexion sur la sensibilisation et la formation des équipes soignantes à dépister la détresse est réalisée. Le contexte canadien et québécois ainsi que l’initiative au CHU de Qué- bec permettent dans un premier temps d’introduire le dépis- tage comme une stratégie et une procédure permettant de favoriser l’accès à des soins de soutien centrés sur les besoins de la personne atteinte de cancer. Comme l’implan- tation de ces nouveaux modèles de soins centrés sur la per- sonne se veut systématique, cela nécessite à la fois des chan- gements organisationnels ainsi que des changements de comportements des cliniciens. Ces différents enjeux doivent être pris en considération dans les programmes de formation.

La formation des équipes soignantes et l’intégration du dépistage à la pratique sont donc discutées à la fois comme un changement organisationnel et à la fois comme un chan- gement de pratique clinique. Le changement organisationnel

est décrit comme une série d’étapes incluant notamment la préparation et la consolidation. Le changement de pratiques implique une modification des comportements des cliniciens et comporte plusieurs obstacles potentiels. Le modèle de soins centrés sur la personne implique par ailleurs de prendre en compte les préférences de la personne soignée tout en considérant les valeurs de l’ensemble des acteurs impliqués dans l’organisation. De plus, ce type de modèle nécessite des compétences à la collaboration interprofessionnelle. La for- mation des équipes soignantes en matière de dépistage de la détresse va bien au-delà de l’habilitation clinique.

Mots clésDépistage de la détresse · Formation · Équipe soignante en oncologie · Transfert des connaissances · Changement organisationnel

AbstractFrom the experience at the Centre Hospitalier Uni- versitaire (CHU) of Québec, a reflection on training health care teams in screening for distress is proposed. Canadian and Quebec contexts as well as the initiative at the CHU of Quebec are first introduced. Screening for distress is propo- sed as a strategy and a process to facilitate access to suppor- tive care, based on the needs of the person with cancer.

Because the implementation of this person-centered care model is conducted systematically, it involves both organi- zational and clinical practice changes. These issues must be considered in training programs. Thus, health care teams training in screening for distress are discussed as both an organizational change and a change in clinical practice.

Organizational change is described as a series of steps, inclu- ding the preparation and consolidation. The change in prac- tice involves a change in clinician behaviors and includes several potential barriers. The person-centered care model also implies taking into account the preferences of the person being cared for, while considering the values of all stakehol- ders in the organization. In addition, this type of model requires skills in inter-professional collaboration. Training

L. Fillion (*)

Université Laval, Faculté des Sciences Infirmières, Québec, Qc.,G1V 0A6 ; CHU de Québec, Québec, Canada G1R 2J6 e-mail : lise.fillion@fsi.ulaval.ca

M. de Serres

CHU de Québec, Québec, Canada G1R 2J6 A. Tremblay

Équipe doncologie psychosociale et spirituelle du CHU de Québec, Québec, Canada G1R 2J6 M.-C. Blais

Université du Québec, Trois-Rivières, Québec, Canada G9A 5H7 M.-A. Robitaille

Équipe de recherche Maison Michel-Sarrazin en oncologie psychosociale et soins palliatifs (ERMOS), centre de recherche du CHU de Québec, Québec, Canada G1R 2J6

S. Boucher

Direction clientèle, néphrologie & oncologie, CHU de Québec, Québec, Canada G1R 2J6

DOI 10.1007/s11839-014-0456-4

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of health care teams in screening for distress goes far beyond clinical empowerment.

KeywordsScreening for distress · Training · Health team in oncology · Knowledge transfer · Organizational change La trajectoire de soins en oncologie est complexe. Pour la personne atteinte de cancer et ses proches, le parcours demeure sinueux et regroupe de nombreuses sources de stress qui viennent s’ajouter à la souffrance inhérente à la maladie et aux traitements. Les moments de transition entre différentes phases de la trajectoire de soins sont jugés comme des pério- des de vulnérabilité particulière. Les personnes atteintes de cancer peuvent alors éprouver une détresse qui trop souvent passe inaperçue [16].

Selon le National Cancer Center Network (NCCN), la détresse associée au cancer est une expérience désagréable de nature émotionnelle, psychologique, sociale ou spirituelle qui interfère avec la capacité à faire face au cancer, aux symptômes physiques et aux traitements [21]. Les personnes atteintes de cancer rapportent plus de symptômes de détresse que la population en général [17]. Environ 50 % des person- nes atteintes de cancer vivront une détresse passagère au cours de la trajectoire de soins. Pour l’autre moitié, cette détresse sera plus intense et s’échelonnera sur une plus lon- gue période de temps. Cette détresse intense et prolongée risque fort d’affecter la qualité de vie de ces personnes. Il est donc nécessaire d’identifier rapidement ces personnes, de les soutenir et de les orienter au besoin vers les services et les soins appropriés. Or, en l’absence de moyen de détec- tion systématique, seulement 10 % de ces personnes sont identifiées et bénéficient de services [6]. Une détresse non détectée en début de trajectoire peut évoluer et compromettre à la fois l’évolution de la maladie et le processus d’adapta- tion de la personne soignée à la maladie.

Au Canada et au Québec, tout comme ailleurs dans le monde, des programmes de lutte contre le cancer, visant une organisation de soins centrés sur la personne atteinte et ses proches, ont vu le jour afin de mieux répondre à leurs besoins. Ces stratégies de lutte contre le cancer ont encou- ragé la création de programmes visant le dépistage systéma- tique de la détresse à des moments ciblés de la trajectoire de soins. Cela permet de mieux évaluer les besoins spécifiques de la personne et de mieux structurer une offre de services pour en faciliter la réponse au moment opportun. Ces initia- tives sont encouragées par de nombreux organismes comme l’Union internationale contre le cancer (UICC) [25]. Les per- sonnes atteintes de cancer apprécient d’ailleurs cette mesure de soutien adaptée à leur réalité, autant pour faciliter leur prise de décision que pour réguler leur état émotionnel. Elles veulent être considérées comme des personnes humaines pouvant vivre une souffrance et réclament de plus en plus un rôle actif tout au long de leur trajectoire de soins.

La création de ces nouveaux programmes vise une iden- tification précoce des besoins de toute nature et un meil- leur accès à des soins de soutien centrés sur la personne.

L’implantation de ces nouveaux modèles de soins représente des défis pour les organisations et les soignants. Comment sensibiliser les équipes soignantes au dépistage systéma- tique de la détresse et à l’approche centrée sur la personne ? Comment intégrer une procédure de dépistage systématique de la détresse à une pratique clinique déjà bien remplie ? Comment modifier et maintenir de nouvelles pratiques pro- fessionnelles ? Le texte qui suit vise à susciter une réflexion autour de ce questionnement.

Contexte canadien et québécois en regard au dépistage de la détresse

Au Canada, le dépistage de la détresse fait dorénavant partie des normes d’accréditation des programmes de lutte contre le cancer. Agrément Canada, un organisme qui vise à évaluer la qualité des services dans les soins de santé, a émis une norme explicite à ce sujet, à l’effet que l’équipe devrait procéder au dépistage de la détresse, comme sixième signe vital (Agré- ment Canada, 2010, normes 7.10) [2]. Similairement au Qué- bec, le dépistage de la détresse a été recommandé comme un standard d’accréditation des équipes en oncologie. Le pro- gramme québécois de lutte contre le cancer reconnaissait déjà l’importance d’évaluer les besoins des personnes tout au long de la trajectoire de soins et de mettre enœuvre des services accessibles permettant d’y répondre dès le diagnostic. La Direction québécoise de cancérologie (DQC) renforce cette approche globale et recommande l’évaluation et la réponse aux besoins des personnes atteintes et de leurs proches, tout au long de la trajectoire de soins. Dans un premier avis [19], la DQC a recommandé le développement d’un programme interdisciplinaire répondant aux besoins physiques, sociaux, affectifs, nutritionnels, informationnels, psychologiques, spi- rituels et pratiques des personnes atteintes de cancer et de leurs proches. Des besoins laissés sans réponse dans ces sphè- res sont susceptibles d’accroître le niveau de détresse de la personne atteinte. Un récent avis propose le dépistage de la détresse comme la porte d’accès aux soins de soutien et recon- naît de nouveau le travail en équipe, l’interdisciplinarité tout en soulignant le rôle central des infirmières en oncologie en matière de dépistage [20].

Dépistage systématique de la détresse au CHU de Québec (CHU de Q)

Au CHU de Q, l’équipe d’oncologie psychosociale et spiri- tuelle a amorcé dès 2008 un programme systématique de dépistage de la détresse (PDD) [12]. Rapidement, avec le

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soutien du Partenariat canadien contre le cancer (PCCC) [5], un plan graduel d’implantation a été amorcé, débutant avec la formation des infirmières pivots en oncologie [3,13].

D’entrée de jeu, l’implantation systématique d’un tel pro- gramme a été définie comme un changement organisationnel soutenant le développement d’un modèle de soins centrés sur la personne, nécessitant de nouvelles connaissances et un changement de pratique. De plus, même si les premières phases d’habilitation ont porté sur les infirmières en onco- logie, le dépistage a été vu comme une pratique clinique qui nécessite une collaboration interprofessionnelle débutant entre autres au sein de l’Équipe d’oncologie psychosociale et spirituelle du CHU de Q. Cette équipe a été mandatée pour finaliser l’outil de dépistage, élaborer un plan d’implantation graduelle, d’abord au sein de l’établissement puis sur le plan régional, développer ou adapter des outils de formation, coordonner les efforts et rendre des comptes sur l’intégration du dépistage au niveau local et régional. Centré sur la per- sonne soignée, le PDD a rapidement été retenu dans le plan stratégique du CHU de Q. Il est également devenu le premier projet vitrine pour la recherche au sein de l’unité de recher- che en sciences infirmières (URSI) du CHU de Q. Enfin, il s’agit maintenant d’une pratique dont l’implantation est prio- risée sur le plan régional, car le Plan cancer de la région de Québec prévoit qu’en 2017 toutes ses équipes d’oncologie auront amorcé des activités de dépistage [1].

Dépistage de la détresse comme une occasion de dialogue

Au CHU de Q tout comme dans l’ensemble des équipes cana- diennes qui ont participé au projet du PCCC sur l’implanta- tion d’un PDD, le dépistage constitue une occasion pour ouvrir un dialogue avec la personne et ses proches. La procé- dure est résumée sur la Figure 1.

Cela débute par la remise d’un questionnaire autoadmi- nistré (format papier ; voir Annexe 1 pour l’outil utilisé au CHU de Q). Au Canada, l’outil de dépistage recommandé par le PCCC comprend au moins deux sections : une liste de problèmes regroupés selon différents domaines et l’échelle d’évaluation des symptômes (ESAS) [4]. L’outil élaboré au CHU de Q intègre un troisième indicateur : le thermomètre de détresse suggéré par le NCCN.

Après que la personne soignée ait complété le question- naire, l’infirmière ou un autre intervenant de l’équipe soi- gnante en oncologie utilise les données rapportées (exemple : intensité des symptômes et les problèmes identifiés) pour amorcer un échange. La conversation permet d’orienter le dialogue vers la précision des sources de détresse et la prio- risation des besoins de soutien à cibler. Les infirmières en oncologie et les autres professionnels de l’équipe soignante désignés pour le dépistage agissent comme des intervenants de première ligne dans le dépistage de la détresse. Selon leur champ professionnel, les intervenants procéderont à une éva- luation globale et plus ou moins approfondie des besoins ciblés pouvant se solder par une orientation à d’autres pro- fessionnels de l’équipe interdisciplinaire ou une intervention du professionnel ayant effectué le dépistage, selon les besoins identifiés et jugés prioritaires par la personne atteinte. L’intervention à mettre en œuvre peut donc varier selon le champ de pratique.

Comme l’infirmière en oncologie peut évaluer et interve- nir dans plusieurs domaines de besoins de soutien, tant pour l’évaluation des besoins physiques que pour ceux de nature psychosociale et spirituelle, il n’est donc pas étonnant qu’au CHU de Q et ailleurs au Canada ce groupe d’acteurs soit particulièrement impliqué dans le processus de dépistage de la détresse. Les balises des interventions pour répondre aux besoins des patients, tant au plan physique que psycho- social ou autre, sont définies par les comités d’implantation, selon les ressources des divers milieux (ou équipes). Cela constitue souvent une première façon de s’approprier l’outil de dépistage et l’algorithme d’orientation. Les infirmières pivots en oncologie (un rôle spécialisé pour les infirmières au Québec qui inclut une pratique élargie dans le domaine psychosocial, un rôle et des fonctions précisés ailleurs [10,14]), les travailleurs sociaux et les intervenants spirituels s’impliquent selon les indicateurs définis en équipe pour cer- taines interventions psychosociales. Toujours selon les cotes obtenues à certains indicateurs et discutées en équipe, une référence pour une évaluation en psycho-oncologie peut être indiquée. La procédure élaborée au CHU de Q est fortement inspirée des recommandations qui sont décrites dans le guide d’implantation élaboré par le PCCC [22] ainsi que par celles élaborées par le NCCN.

En ce qui concerne les activités professionnelles des infir- mières en oncologie liées au dépistage, l’orientation est

Fig. 1 Procédure du dépistage de la détresse au CHU de Q

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conforme aux normes de soins recommandées par l’Associa- tion canadienne des infirmières en oncologie (www.cano.ca) et les activités professionnelles comme telles (remise du questionnaire, conversation et dépistage, triage des besoins, évaluation des besoins ciblés, interventions infirmières et orientation vers un service spécialisé ou un autre profession- nel). Ces normes sont bien résumées dans un article récent d’une équipe de chercheurs canadiens [15]. Plusieurs de ces activités professionnelles réfèrent à des guides de pratiques cliniques (exemple : évaluation des besoins, gestion de la fatigue, de l’anxiété, de la douleur) qui sont disponibles sur le site Web du PCCC et l’Association canadienne d’onco- logie psychosociale (ACOP) [23].

Formation des équipes soignantes

L’implantation d’un programme de dépistage implique à la fois un changement organisationnel et un changement clinique. En effet, plusieurs études portant sur l’implantation d’un programme de dépistage de détresse ont clairement fait ressortir que les principales barrières à l’implantation d’un programme de dépistage de la détresse étaient à la fois d’ordre organisationnel et clinique [8].

Sur le plan organisationnel, le dépistage est défini comme un changement majeur puisque cela représente l’implanta- tion systématique d’une pratique correspondant à un jalon central d’un modèle de soins centrés sur la personne. Sur le plan clinique, les intervenants perçoivent qu’ils font déjà un dépistage de la détresse et ressentent peu le besoin de recou- rir à un outil. La modification de la pratique clinique en vue

d’en arriver à un dépistage systématique plus structuré sou- lève donc de nombreux défis. Pour guider l’implantation d’un changement organisationnel et l’intégration de nou- velles pratiques cliniques, le recours à des modèles concep- tuels peut s’avérer utile dans les programmes de formation des équipes soignantes.

Pour guider le changement organisationnel, le comité d’implantation du CHU de Q a retenu, entre autres, le modèle de soutien au changement proposé par Rondeau [24], adapté par Dubois [11] et illustré sur la Figure 2.

La préparation au changement organisationnel débute, selon ce modèle, par une sensibilisation au changement. Il s’agit d’une étape de clarification qui vise à s’assurer que tous les acteurs clés connaissent et comprennent l’orienta- tion du changement, le plan d’implantation prévu ainsi que l’origine du programme. Au CHU de Q, le PDD s’intègre à la fois au plan stratégique de l’établissement et au Plan régio- nal de lutte contre le cancer. De plus, il est cohérent avec les orientations stratégiques de la DQC. La sensibilisation implique de présenter ces faits. Le changement devient ainsi nécessaire et ne peut donc constituer un choix personnel. Il importe toutefois de faciliter l’adhésion des acteurs sur le plan de leurs valeurs, et l’étape de sensibilisation revêt alors toute son importance. Elle permet aux acteurs de compren- dre l’importance et les buts du dépistage systématique de la détresse. En se centrant sur les bénéfices souhaités pour la personne atteinte de cancer, cela rejoint les valeurs de bien- veillance et l’orientation d’une qualité de soins.

Puis, l’étape d’habilitation porte alors sur le développe- ment des compétences cliniques. Cette étape correspond au processus à mettre en œuvre pour favoriser le changement

Fig. 2 Étapes de lappropriation du changement dans le modèle de mise enœuvre de Rondeau (2002), adaptation et diffusion de la figure autorisée par Dubois (2011)

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de pratique clinique et est reprise à la sous-section suivante.

Avant d’aborder ce point, notons que le modèle de change- ment suggère la planification d’étapes d’intégration et de régénération, prévoyant ainsi des rétroactions avec les équi- pes cliniques afin de préciser les barrières et de trouver des solutions pour les atténuer. Pour ces deux étapes, le guide de recommandation du PCCC propose plusieurs stratégies concrètes permettant d’intégrer graduellement le changement en mobilisant les leviers existants au sein de l’organisation.

Changement de pratique clinique, formation et maintien des comportements : bien

au-delà d

un simple transfert de connaissances

Le changement de pratique clinique peut correspondre à un changement de comportement. En recherche, le changement de pratique clinique relève également du secteur des trans- ferts de connaissances. Lorsqu’il est question de transférer à la pratique des connaissances acquises en recherche, deux problèmes se pointent généralement :

laccès aux connaissances ;

le transfert de ces connaissances à la pratique.

Il ne suffit pas de savoir quoi faire pour le faire pour autant.

Le professionnel peut résister au changement. Plusieurs facteurs peuvent affecter son intention.

Un modèle utile est le modèle TDF (Theoretical Domain Framework), élaboré par Michie et al. [18]. Ce modèle a été élaboré en combinant plus de 22 théories applicables dans le domaine de la santé permettant de modifier le comporte- ment de cliniciens. Concrètement, ce modèle permet de questionner précisément les acteurs sur trois facteurs cen- traux qui expliquent leur intention de dépister la détresse :

leur capacité (se sentent-ils capables ou habilités pour le faire ?) ;

leur motivation (sont-ils disposés à faire les efforts pour modifier leur pratique afin d’intégrer le changement) ;

loccasion de pratiquer et de recevoir des rétroactions (peuvent-ils mettre en pratique les nouveaux savoirs rapi- dement et recevoir des rétroactions positives).

L’application de ce modèle aide d’une part à préciser les barrières au changement et suggère par ailleurs des pistes concrètes pour l’intégration du contenu du programme de formation. En ce qui concerne le contenu comme tel, plu- sieurs éléments de formation au dépistage ont été élaborés par le PCCC et se retrouvent sur le site Web de l’Associa- tion canadienne d’oncologie psychosociale. On y retrouve notamment des outils sur la formation à la communication regroupant des thèmes comme : S’approprier l’outil de dépistage comme un moyen de communication ; bien com-

muniquer (écoute active) ; connaître les ressources, l’infor- mation disponible et les services ; comprendre le rôle de chacun incluant en premier lieu celui de la personne soignée ; préciser les différents moments clés de la trajectoire de soins et créer des repères (intégrer l’ODD aux activités en place).

Défis de la formation

Jusqu’à présent des éléments sur la formation ont été abordés afin notamment de freiner le réflexe naturel des gestionnai- res, consistant à limiter la formation des soignants à leur habilitation clinique à dépister la détresse à l’aide d’un outil et arrimer les besoins ciblés aux ressources. Bien que la capacité à émettre un comportement soit un déterminant de ce comportement, nous avons exploré comment d’autres fac- teurs sont également à prendre en compte.

Un des défis qui a peu été abordé est celui de l’habilitation de la personne soignée à agir comme acteur au sein de l’équipe soignante. Pourtant, cela demeure au centre des modèles de soins préconisant un changement de culture et l’intégration active du soigné dans les processus de soins.

En fait, c’est toute la notion de soins centrés sur la personne dont il est question ici. Les expressions « soins centrés sur la personne » ou « patient partenaire » ou « l’expérience patient » suggèrent l’action de prendre en compte les préférences de la personne. Certaines voudront bien agir comme partenaire de soins, mais n’auront pas nécessairement la capacité, la moti- vation ou même l’occasion de le faire. En effet, le modèle TDF dont nous avons parlé au sujet des acteurs soignants pourrait tout aussi bien s’appliquer aux personnes soignées.

Les préférences exprimées par les personnes soignées repose- ront peut-être sur des valeurs qui s’éloignent parfois de celles des soignants. Concrétiser l’approche centrée sur la personne comporte en soi de nombreux défis.

Un autre élément de la formation non abordé et inclusif de tout ce qui a été discuté jusqu’ici relève de la collaboration interprofessionnelle. Celle-ci correspond à « une pratique cohérente entre des professionnels de différentes discipli- nes. Il s’agit d’un processus par lequel les professionnels développent et réfléchissent sur des modalités de pratique qui permettent de répondre de façon cohérente et intégrée aux besoins du patient, de la famille et de la population (p. 11) » [7]. La collaboration interprofessionnelle serait au cœur de l’approche patient et dépasse les concepts de multi- disciplinarité et d’interdisciplinarité. Il s’agit davantage d’un partenariat entre une équipe de professionnels de la santé et un client dans une approche de participation, de collabora- tion et de coordination en vue de prendre les décisions conjointes en matière de santé et de services sociaux [9].

La collaboration interprofessionnelle nécessite des compé- tences dont la communication interprofessionnelle, la pratique centrée sur la personne, la clarification et la compréhension

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des rôles ainsi que la résolution de conflits. Comme toute autre compétence, celle-ci n’est pas innée. Dans le contexte d’implantation d’un programme de dépistage, la formation à la collaboration interprofessionnelle devient tout indiquée et permet notamment la précision des rôles et des fonctions selon le champ de pratique et selon les ressources disponi- bles au sein de l’équipe. Pour les organisations de santé, cela représente un autre défi de taille. Le développement de telles compétences implique heureusement plusieurs facettes pro- metteuses. Cela permet non seulement le développement et la validation des capacités individuelles et collectives utiles au dépistage, mais également l’accès à un soutien émotion- nel entre pairs, qui est moins présent au sein des modèles de soins centrés sur la maladie et relevant de la pratique en silo.

Les rencontres de travail en équipe permettent l’échange et le transfert des connaissances, favorisent ainsi le développe- ment des compétences individuelles et collectives. De plus, ces rencontres peuvent devenir des espaces de parole, favo-

risant l’expression et le soutien en regard de la souffrance du soignant.

Conclusion

En appuyant les programmes de formation des équipes soi- gnantes pour le dépistage de la détresse sur différents modè- les théoriques, cela devient une occasion de revisiter nos façons de faire. La souffrance des personnes atteintes de can- cer est bien réelle, et celle des soignants tout autant. En habi- litant les soignants à ouvrir un dialogue sur la souffrance des soignés, en encourageant à le faire selon une perspective de collaboration incluant la personne soignée, c’est un premier pas à la fois pour le mieux-être des soignés et des soignants.

Conflit d’intérêt : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt.

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Annexe 1. Outil de dépistage de la détresse

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