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Oncologie : Article pp.23-28 du Vol.8 n°1 (2014)

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ARTICLE ORIGINAL /ORIGINAL ARTICLE DOSSIER

Les apories de la formation des oncologues à la psycho-oncologie : réflexions et propositions

The Challenges Involved in Training Oncologists in Psycho-Oncology: Discussions and Proposals

M. Roques · N. Proia-Lelouey

Reçu le 1 janvier 2014 ; accepté le 15 janvier 2014

© Springer-Verlag France 2014

Résumé Aujourd’hui en France, les études médicales ne comportent pas ou que peu d’enseignements de la psycholo- gie (souvent en PACES ou en première année), or, ces caren- ces peuvent s’avérer problématiques au regard des avancées de la science, des nouveaux traitements et de l’évolution de certains cancers. L’insuffisance d’enseignements de cette dis- cipline peut avoir des retentissements non négligeables : sur la prise en charge du patient aux différents temps de sa maladie ; sur la mise en place de la relation de soin ; sur l’utilisation des compétences médicales et le partenariat avec le malade ; sur la santé psychique du médecin lui-même…Nous avons pris le parti d’interroger quelques internes en oncologie et médecins oncologues, afin de recueillir leur avis sur la formation des médecins en sciences humaines, grâce à un miniquestion- naire. En confrontant ces réponses à nos expériences de clini- ciennes et d’universitaires, nous montrerons en quoi la sensibilisation des oncologues à la relation, à la logique du transfert, à l’entretien, grâce à des méthodes pédagogiques interactives (partage d’expériences, supervisions, etc.) peut s’avérer pertinente dans la pratique médicale en oncologie.

Mots clésPsycho-oncologie · Formation · Relation de soin · Méthodes pédagogiques

AbstractActually in France, medical studies do not contain enough teachings of psychology (often in PACES or first year); yet, these deficiencies can turn out problematic with regard to advances in science, new treatments, and the evo- lution of certain cancers. The insufficiency of teachings of this discipline may have important consequences: on the management of the patient in various moments of its disease;

on the implementation of the relation of care; on the use of medical skills and the partnership with the sick person; on the psychic health of the very doctor. We decided to question

some residents in oncology and oncologists, to collect their opinion on the training of the physicians in human scien- ces, thanks to a mini questionnaire. By confronting these answers to our experiences of clinicians and university lec- turers, we shall show how the sensitization of the oncologists to the relation, to the logic of the transference, and to the interview, thanks to interactive educational methods of sha- ring of experiences, supervisions, etc., can turn out relevant in the medical practice in oncology.

KeywordsPsycho-oncology · Training · Care relationship · Training methods

Point de départ de nos réflexions

Si les enseignements universitaires en sciences humaines fleurissent dans les formations d’orthophonistes, d’ambulan- ciers, de kinésithérapeutes, mais aussi dans les instituts de formation en soins infirmiers (IFSI) [nous émettrons quel- ques remarques concernant la méthode par e-learning qui élude la dimension relationnelle à l’œuvre entre le professeur et l’étudiant, sorte de prémisse de la relation entre le prati- cien et son patient], aujourd’hui encore, en France, les études médicales ne comportent que peu d’enseignements de la psychologie. Si la question de la sensibilisation des méde- cins à cette discipline se pose régulièrement, et que des grou- pes Balint ont été initiés ces dernières années, les formations en psychologie restent hétérogènes, et aucun véritable dialo- gue national n’est instauré entre la faculté de médecine et celles des sciences humaines. Or, ces carences en enseigne- ment de la psychologie deviennent problématiques au regard des avancées de la science et des nouveaux traitements.

L’évolution de la pratique oncologique dévoile souvent un sujet noyé dans une médecine technoscientifique [11]. Dans une société où l’evidence based medicines’impose comme vérité universelle, un malaise se dessine [15] qui impacte la pratique en oncologie et n’est pas sans conséquence sur le

M. Roques (*) · N. Proia-Lelouey

Université de Caen, Basse-Normandie, CERReV F-14000 Caen, France

e-mail : marjorie.roques@unicaen.fr DOI 10.1007/s11839-014-0449-3

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patient et sur la posture et la position du médecin. Les ris- ques sont donc accrus pour ces derniers de se transformer en ingénieurs, et pour les patients de devenir de simples usagers du soin, autonomes, tandis que l’engagement relationnel du médecin s’avère être contenant pour le patient. Or, si la science modifie les repères établis, l’être humain, lui, reste fondamentalement le même, et la demande de réassurance des patients en services de médecine, invariable. Par ailleurs, la chronicisation de certains cancers attribue à l’oncologue une position privilégiée avec le patient, à la manière du méde- cin de famille, proche de ses malades, et qui les accompagne tout au long de leur parcours de soin. Mais paradoxalement, les objectifs de formation universitaire en médecine a priori évidents—présenter les différents traitements, tenir compte des directives préalables qu’a pu émettre le patient, maintenir une alliance fondée sur la communication avec le sujet cancé- reux et sa famille, assurer les soins et l’accompagnement d’une personne en fin de vie et de son entourage—ne sont pas toujours atteints. La dimension humaine est souvent négligée, l’accent est essentiellement mis sur les connaissan- ces biologiques et anatomiques. Or, au-delà de l’interrogatoire classique, centré sur la collecte d’informations nécessaires au diagnostic, le premier contact entre le patient et son médecin a surtout pour objectif la mise en place de la relation de soins [18]. Si l’acquisition d’un savoir-être dans l’annonce d’une mauvaise nouvelle et dans l’accompagnement en soins pallia- tifs ou en phase terminale est reconnue par les politiques de santé, les matières transversales propices à une meilleure connaissance globale des individus restent dans l’ombre : informelles, optionnelles. Ainsi, nous tenterons de répondre à la question suivante : qu’en est-il de la mise en pratique de ces connaissances de l’humain ?

Historique de la formation médicale

La formation des médecins a subi de multiples mutations au fil des siècles. Plus récemment, la loi de Debré (1958), consé- cutive à l’essor scientifique de l’après-guerre, crée les centres hospitaliers universitaires, valorisant les soins médicaux et la recherche scientifique de spécialité. Les médecines d’organe triomphent, et la vanité de leurs prouesses est légitimée par les nouvelles avancées biotechnologiques. L’introduction bienve- nue au programme, des sciences humaines et sociales, a per- mis d’apporter une dimension humaniste à cette année de concours ; les épreuves finales « ouvertes » de cette matière complètent les questionnaires à choix multiples des autres disciplines [20]. En dépit de cette remarquable avancée, notons que les quelques heures consacrées aux sciences humaines en PACES demeurent ponctuelles et que leur visée principale, la réussite du concours, biaise l’apprentissage et l’intégration des connaissances (peu de restes mnésiques, selon les dires des internes en oncologie). Une revue de la

littérature révèle quelques écrits produits par les médecins démontrant l’efficacité des groupes Balint. On note par ailleurs un nombre restreint de travaux français en psychologie sur la question de la formation médicale dont, à ce jour, les études sont presque exclusivement anglo-saxonnes. Ce constat peut paraître étonnant si l’on connaît le nombre de travaux historiques sur les représentations du médecin, de la maladie et du malade dans la société, du pouvoir médical ou des recher- ches sociologiques autour des dimensions sociales de la mala- die et des modalités de la relation thérapeutique [10]. En outre, certains ethnologues européens introduits dans les services de médecine ont fait émerger de nouveaux objets d’étude, dépassant l’opposition ancienne entre médecine traditionnelle dotée d’efficacité symbolique et médecine scientifique et tech- nique [9]. Ces travaux devraient encourager une ouverture vers d’autres champs d’étude propices à la psychologie.

Mais hormis Balint [2], qui a mis en place un système de formation tout à fait novateur, et Sapir [22], qui, avec d’autres psychosomaticiens, a ouvert la voie à une compré- hension plus affinée de l’oncologie ou encore Chertok et Bourguignon [5], peu nombreux sont les médecins traitant de la question de la formation médicale dans notre société contemporaine, en dehors du champ habituel de l’anthropo- logie médicale [9]. Pourtant, Sapir a soutenu que « ce n’est pas le psychisme qui fabrique le cancer, mais [que] c’est du psychisme que le cancer peut recevoir un coup de fouet qui accélère son évolution, ou au contraire une rémission qui le ralentit » [22]. Par ailleurs, que reste-t-il de la psychologie médicale, spécialité issue de la médecine, après sa création il y a 40 ans ? Certes, la psychologie médicale est toujours d’actualité dans certaines universités, mais pas dans toutes ; de plus, la psychologie de la santé aurait pour ainsi dire repris le flambeau de cette spécialité, puisque c’est elle qui s’est le plus penchée sur la relation soignant–soigné, notam- ment au travers de l’étude des cognitions et représentations conscientes du médecin lors de sa pratique. Mais on peut parfois reprocher à cette perspective cognitiviste de ne tenir compte que passablement de la dimension holistique et de ne pas se démarquer pédagogiquement de l’approche médicale dans la forme et le fond des enseignements, car reflétant une méthodologie de recherche proche de celle des sciences de la nature. Or, nous soutenons, à l’instar de Bacqué et Razavi [1], que « les aspects comportementaux et cognitifs forment la part externe des manifestations de souffrance ou d’adaptation du sujet, mais [que] la part interne et incons- ciente doit également être abordée » [1] ; et que, par consé- quent, la psychologie clinique psychodynamique a sa place, car elle dispose de spécificités qui peuvent être utilisées à bon escient dans la formation médicale. Précisons néanmoins qu’il ne s’agit pas pour autant de transformer le médecin oncologue en psycho-oncologue, tel que l’ont soutenu les praticiens dis- cutant la disparité et les apories des formations médicales en 1999, lors du 9econgrès de psycho-oncologie.

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La question du transfert

Freud [8] et Ferenczi [7]1les premiers, eux-mêmes méde- cins, appréhendent la pratique médicale sous l’angle du transfert qu’ils considèrent comme un outil thérapeutique essentiel, n’étant pas l’apanage de la cure analytique, car retrouvé dans le soin sous toutes ses formes. Comme le sou- lève Balint ou plus récemment les travaux de Keller sur la relation placebo [14], le médicament le plus utilisé est le médecin lui-même. Ainsi, ce n’est pas uniquement le cachet qui importe, mais la manière et l’atmosphère dans laquelle il est délivré. Ces considérations théoricocliniques soulèvent les difficultés inhérentes à l’enseignement de la psychologie, car il n’existe pas de « pharmacologie de ce médicament essentiel », et « dans aucun manuel [ne figure] la moindre indication sur la dose que le médecin doit prescrire de sa propre personne, ni sous quelle forme, avec quelle fré- quence, quelle est sa dose curative et sa dose d’entretien » [3]. Comment alors apprendre aux médecins oncologues à se prescrire eux-mêmes et les sensibiliser à leurs propres effets désirables et indésirables sur le patient ?

Afin de tenter de répondre à ces questions : aventurons- nous dans un service d’oncologie pour y repérer quelques dysfonctionnements relationnels. Plusieurs exemples à partir de notre pratique seront évoqués. Voici un premier exemple notable : il avait été demandé à la psychologue de rencontrer un patient à qui l’on avait découvert un cancer généralisé tardivement, ce monsieur éprouvait une angoisse vive, ne sachant pas la raison de son hospitalisation en oncologie.

Après une prise de contact avec les différents spécialistes qui l’avaient pris en charge, il s’avéra qu’aucun d’entre eux ne lui avait annoncé qu’il souffrait d’un cancer. La consulta- tion d’annonce avait été éludée pour diverses raisons, et cha- cun pensait que son collègue s’était chargé de ce qui se pré- sentait comme une lourde tâche.

Autre exemple en chimiothérapie : une femme médecin à la vue (probablement insupportable) de la perte de cheveux d’une jeune femme atteinte de leucémie, et pour laquelle aucun traitement efficace ne pouvait être proposé, lui sug- géra, pour des raisons esthétiques, de couper sa dernière mèche de cheveux. Cette maladresse nécessita quelques mois de psychothérapie avec la patiente jusqu’à son décès.

Enfin, un dernier exemple, celui d’un médecin qui jugeait préférable de ne pas annoncer un cancer à une dame âgée, patiente qui se montra particulièrement agressive envers les personnels soignant et médical [21].

Ces situations devraient pouvoir être abordées sans complexe en cours avec les étudiants, non pour accabler leurs prédécesseurs, mais pour qu’ils puissent s’identifier à eux et à leurs difficultés. En outre, tel que les différents exemples l’ont montré, une sensibilisation à la dimension inconsciente serait bienvenue. Ajoutons par là même que la grande majo- rité des médecins ne cherchent pas à porter atteinte à un patient de manière délibérée, mais que certaines conditions de travail, dispositions psychiques, mouvements transféro- contre-transférentiels méritent d’être considérés comme des ennemis possibles qui court-circuitent la relation. Ces quel- ques vignettes illustrent comment certains médecins usent de mécanismes de défense inappropriés pour se préserver, et ce, parfois au détriment du malade. Pourtant, veiller à la santé psychique de ce dernier autant qu’à sa santé physique, c’est accepter le rôle et la place de compagnon d’infortune. En plus de ce statut, le médecin revêt celui de bienfaiteur bien sûr, mais aussi celui d’agresseur, qui déploie un attirail de prati- ques thérapeutiques offensives. Dès lors, comment le patient peut-il accueillir fantasmatiquement cette ambivalence ?

Constats en service d

oncologie et premiers résultats d

un miniquestionnaire à destination des internes en oncologie et des médecins oncologues

Si certains médecins sont naturellement doués pour la relation, d’autres s’y sentent mal à l’aise : en effet, la sensibilité et l’intuition propres à chacun en deçà d’un métier, sans être la condition sine qua non à un bon exercice de la profession, per- mettent à certains oncologues d’appréhender avec plus d’ai- sance certaines situations problématiques, tandis que d’autres, présentant des tempéraments différents, peuvent être englués dans leurs projections et identifications au malade, forcés de se faire violence ou de faire face aux violences des situations rencontrées en service d’oncologie (aux différentes épreuves que sont : la mort, la maladie, les traitements, le traumatisme, la douleur des patients et des familles). Dans tous les cas, les habilités cliniques demanderaient à être identifiées et travail- lées. C’est ce que nous montrent les résultats obtenus suite à la passation d’un miniquestionnaire auquel quatre internes en oncologie et six médecins oncologues, âgés de 28 à 52 ans ayant effectué leurs études dans huit facultés de médecine dif- férentes (sept en France, un en Espagne), ont accepté de répon- dre2. Les questions posées étaient les suivantes (Annexe 1) :

que pensez-vous de la formation en sciences humaines proposée durant votre cursus de médecine ?

1« Combien d’efforts et de peines auraient été évités si, pendant mes études, on mavait enseigné le transfert et la résistance ; jenvie le médecin des temps à venir qui apprendra cela ; l’humanisation du cursus universitaire deviendra une nécessité absolue et simposera finalement » [7].

2 Nous souhaiterions à terme élargir cette recherche, préliminaire à l’heure de l’écriture de cet article, à un niveau national, afin d’avoir une vision plus fidèle et exhaustive des avis des internes en oncologie et des oncologues.

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Auriez-vous souhaité approfondir ces connaissances, et/ou avez-vous cherché à le faire ?

À certains moments de votre pratique en oncologie, vous est-il arrivé de vous sentir en difficulté dans votre relation avec certains patients, au point de nécessiter de faire appel à des connaissances en psychologie ? Ou au contraire, votre personnalité et votre aisance dans la relation en géné- ral ont-elles suffi pour l’exercice de votre profession ?

Pensez-vous nécessaire d’améliorer la formation des méde- cins en sciences humaines ? Si oui, que proposeriez-vous ? Un radiothérapeute ayant effectué ses études de méde- cine en Espagne qualifie sa formation de correcte (psycho- logie clinique en troisième année, enseignée par de bons professeurs), mais quasi unanimement (sauf un oncologue), les internes en oncologie et les médecins oncologues en activité ayant étudié en France pensent nécessaire de renfor- cer ou d’améliorer la formation en sciences humaines qu’ils trouvent insuffisante, voire absente dans les études médica- les, mais pas sous un format classique d’apprentissage théo- rique. Ils préconisent des cours de DES, lors de la formation initiale, sous la forme d’ateliers de mise en situation avec des professionnels de ce domaine, ou sous la forme de par- tage d’expériences pluriprofessionnelles (afin d’initier à la transdisciplinarité). Tous les médecins ou internes interro- gés disent s’être sentis en difficulté à un moment ou à un autre de leur pratique : la majorité d’entre eux ont cherché un soutien, un étayage extérieur (confrère, ami, psycholo- gue) ou ont ressenti le besoin de se former par ailleurs soit grâce à des organismes de formation, soit en effectuant un travail personnel. Les oncologues en activité depuis quel- ques années disent que leurs qualités personnelles leur sont d’un grand secours pour affronter les situations problémati- ques, même si la plupart d’entre eux les considèrent comme insuffisantes. Cette perception n’est, en revanche, pas parta- gée par les internes pour qui la nouvelle expérience relation- nelle avec des personnes atteintes d’un cancer peut générer confusion et désarroi comme l’illustre Nadia, interne :« Les psychologues sont d’une grande aide surtout pour refiler le

« bébé » quand on a plus trop de solution à apporter au patient ; c’est une aide pour la prise en charge globale et surtout devant une souffrance psychologique avec des patients avec une maladie grave. »On comprend donc la nécessité d’une grande vigilance de la part des enseignants, quant à l’acquisition d’une véritable compétence profes- sionnelle et à l’ajustement des qualités psychiques person- nelles des futurs praticiens. En outre, dans le contexte de prises en charge en oncologie à forte charge traumatogène, le risque est grand que le traitement se limite à l’identifica- tion de symptômes, à l’émission d’un diagnostic, à l’instau- ration d’un traitement médicamenteux, à une discussion désaffectivée avec les familles. L’objectif visé rejoindrait les préconisations freudiennes, qui suggèrent de « faire

cohabiter […] la froideur du chirurgien et la sympathie compréhensive» [8].

Réflexions sur des pistes de formation

Nous engageons une démarche active de réflexion, visant à identifier les moyens qui permettraient de renforcer la place de l’approche psychologique des malades atteints de cancer et de rendre cette approche accessible aux oncologues en formation. L’absence d’enseignements de la psychologie en médecine a des retentissements indéniables [6] même s’ils sont souvent difficilement évaluables, ne permettant pas de donner ce que certains considèrent comme étant une assise scientifique à ces assertions. Ces répercussions concernent différentes sphères de la prise en charge et différents acteurs : le patient dans un premier temps, en position d’extrême vul- nérabilité, de dépendance absolue vis-à-vis du médecin ; le médecin lui-même, empêché de déployer ses compétences et d’utiliser ses qualités cliniques dès lors qu’il se trouve para- sité par ses affects ; les aidants qui sont d’un soutien primor- dial dans la prise en charge de leur proche.

Nous rappelons donc l’importance de la transmission clinique et prônons sa revalorisation et l’association à une formation plus large, incluant d’autres types de savoirs qui permettraient d’apporter une distance critique et la compré- hension des exigences éthiques particulières du champ, tou- jours en recherche de la clinique oncologique. Pour mainte- nir vivant l’indispensable questionnement entre théories et pratiques, tant pour les enseignants que pour les enseignés, une valorisation des possibilités de transmissions transversa- les, avec l’obligation d’une ouverture du modèle universi- taire français, serait à privilégier. Une diversification des enseignants serait par ailleurs nécessaire et pourrait être obtenue dans un modèle d’alternance fonctionnelle, où tous les « formateurs » assureraient la transmission des savoirs théoriques et celle des savoirs pratiques, au sein de modules temporaires, sans hiérarchisation de l’une sur l’autre [16].

Nous pourrions envisager plusieurs pistes adaptées aux différents temps de la formation médicale, déjà initiées par de rares universités parisiennes [4]3et de province. Il sem- blerait dans un premier temps important de proposer des cours ou interventions qui suivent les différents temps du parcours de l’étudiant. Premièrement, on pourrait imaginer que l’entrée à l’internat puisse proposer une sélection basée sur des critères qui prendraient en compte la psychologie du futur praticien, au-delà de ses compétences médicales.

Deuxièmement, il s’avérerait intéressant d’enseigner la psy- chologie générale afin de se familiariser avec cette disci- pline lors des premières années et de proposer des cours

3Nous renvoyons le lecteur au fameux article de Boukhobza, paru dans leCarnet Psy[4].

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qui prendraient en compte les spécificités de la psycho- oncologie, car les oncologues ont affaire à diverses formes de détresse psychique, à des états paroxystiques inhérents aux caractéristiques de la maladie cancéreuse et de ses trai- tements. Troisièmement, il s’agirait en complément de trans- mettre une culture de l’analyse des pratiques, du partage d’expériences entre praticiens, supervisés par des profes- sionnels de la santé mentale spécialisés en oncologie, qui proposeraient un suivi des étudiants du début à la fin de l’internat. Enfin, l’acquisition de connaissances à propos de l’entretien [17] serait également nécessaire, articulée à des enseignements sur la traumatologie : la sidération, la tempo- ralité psychique et son décalage avec le temps réel (celui de l’annonce et des traitements), l’inhibition, l’angoisse et la tolérance des silences [19], la forme des questions (ouvertes) pour se mettre en relation avec le patient et laisser advenir ses préoccupations (encourager et non plus redouter sa parole), l’écoute active du malade ainsi qu’une sensibilisa- tion à l’analyse discursive [23]. Sur ce dernier point, il importe en effet d’être attentif aux questions implicites et aux sous-entendus, mais aussi à la livraison de l’information par portions « assimilables », pour ne pas inquiéter inutile- ment le malade, sans non plus le rassurer prématurément [19]. Aller à la rencontre du patient nécessite de prendre le temps de l’écouter raconter son histoire personnelle, son interprétation de sa maladie (roman de la maladie [12]) à la lumière de son contexte de vie. L’initiation des oncologues à la relation, à la logique du transfert, à l’entretien, au partage d’expériences en groupe peut permettre d’éviter certains écueils et souffrances, d’appréhender la complexité psy- chique et d’accéder à une sensibilité clinique, afin de faciliter la rencontre et d’assurer une continuité, une cohésion et une cohérence dans la relation de soins.

Ouvertures praxéologiques

Face à des patients atteints de cancers, à pronostic vital engagé, ou qui peuvent se chroniciser, et pour lesquels les traitements sont invasifs, le médecin oncologue ne peut qu’aborder le patient et son entourage avec précaution et prudence : il se laisse guider par eux tout en se montrant attentif à leurs éprouvés, il doit être capable de résister à l’envahissement de ses propres projections concernant la maladie, il se situe au plus près de ce que le terrain lui offre et se limite à des objectifs psychothérapiques modestes.

Enfin, on pourrait envisager que l’oncologue puisse penser une relation avec son patient au-delà de la rémission (ques- tion de l’après-cancer). Dans ce contexte si particulier où la vie psychique peut être altérée et le fantasme mis en suspens, le transfert et les mots n’ont jamais eu autant de poids et d’importance, car susceptibles de rassurer dans un moment de détresse, d’éponger l’hémorragie narcissique, ou, dans

une perspective moins favorable, de raviver une probléma- tique enfouie, de redoubler le trauma. Ceux à qui revient la lourde responsabilité de manier le transfert et les premiers mots, notamment lors d’une consultation d’annonce, les médecins, ne sont pas toujours conscients de ce savoir et de la portée de leur parole, étroitement liée à leur statut, à leur propre histoire, qui peut conditionner le déroulement d’un traitement, voire participer à la « guérison » du malade.

Si les mots peuvent faire peur, nous encourageons les méde- cins à ne pas avoir peur des mots, car si les mots sont à redouter, ils sont aussi ceux qui permettent de soulager des peurs et de l’angoisse.

L’exercice dans un service d’oncologie conduit inévita- blement à affronter les affres de la douleur physique et de la souffrance psychique. Le fantasme d’être soi-même atteint d’une maladie avec tout ce que cela comporte de préoccupa- tions hypocondriaques, encouragé par la massivité des pro- jections, est susceptible, comme chez tout humain, de se pro- pager chez les oncologues. Ils entravent l’élaboration et neutralisent les processus d’association, attestant la difficulté à penser la pratique, à se dégager d’un contre-transfert et à le démêler, car parfois sidérant, opératoire ou hypocondriaque, en réponse au transfert des patients. Il semble difficile de trouver un juste équilibre entre sombrer dans un intellectua- lisme outrageant ou basculer dans un discours factuel morti- fère. Il s’agit d’instaurer un espace de parole là où justement elle fait défaut, là où la parole rompue fixe le sujet dans un temps suspendu. Afin que cette atemporalité se transforme en temps psychique, soyons prêts à créer un environnement sécure pour les médecins, afin qu’eux-mêmes puissent contenir l’angoisse sidérante des patients, ces silences assi- milés au vide, pour qu’ils puissent se dire.

Appréhender la clinique des patients atteints de cancer dans la formation médicale peut permettre de reconnaître les effets désorganisateurs des traitements, qui demeurent actuels et patents, à admettre un inconscient à vif, une pudeur mal- traitée, une identité malmenée. Si la tentation est grande de réduire le cancer à un élément objectivable ou de le considérer comme un événement quantifiable, n’omettons pas la singu- larité de la souffrance. Il s’agit de transmettre, dans les études médicales, ce qui, dans l’épreuve du cancer, met à mal la personne, fait vaciller les limites corporelles et atomise le cou- ple sujet/symptôme, bouleverse les repères établis.

Quant à la place de l’oncologue, nous laissons la parole à Lucien Israël, professeur de cancérologie, qui affirmait qu’« on ne peut faire ce métier sans que surgissent en soi les grandes questions, sans que s’affine la perception de l’être, sans que l’on prenne la mesure de ce phénomène étrange, mystérieux, inexpliqué qu’est la vie humaine » [13].

Conflit d’intérêt : les auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt.

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Annexe 1. Juliette, interne à Toulouse

Que pensez-vous de la formation en sciences humaines proposée durant votre cursus de médecine ?

Pour être honnête, je crois n’avoir eu des cours de sciences humaines qu’en P1 (première année), et même si je connaissais tout bien à ce moment-là (c’est mieux pour le concours…), je n’en ai que peu de reste. De plus en plus sont mis en place des ateliers « pratiques » dans les facs, type jeu de rôle sur la consultation d’annonce, l’annonce d’une récidive ou de l’arrêt de soins spécifiques. Je n’ai pour ma part (fac de Bordeaux) jamais eu l’occasion d’y participer. Et les cours théoriques sur la consultation d’annonce restent peu adaptés à la « vraie » vie, mais déjà ont le mérite d’exister, et qu’on en entende parler au moins une fois. Après, c’est plus lors des stages d’internes qu’on a (ou non) l’occasion de discuter avec des oncolo- gues expérimentés et de partager avec eux nos difficultés.

Auriez-vous souhaité approfondir ces connaissances et/ou avez-vous cherché à le faire ?

Oui, je pense qu’il est important, même avant d’approfon- dir, d’avoir été mis en situation plutôt que « d’apprendre sur le tas », sans forcément aller très au fond avec des cours théoriques. En pratique, c’est beaucoup notre personnalité, notre vécu qui fait qu’on essaie de s’adapter au mieux à chaque situation. Alors oui, forcément on « travaille » sur nous, sans forcément que ça soit très conscient.

À certains moments de votre pratique en oncologie, vous est-il arrivé de vous sentir en difficulté dans votre relation avec certains patients, au point de nécessiter faire appel à des connaissances en psychologie ? Ou au contraire, votre personnalité et votre aisance dans la relation en général ont-elles suffi pour l’exercice de votre profession ? Oui, je pense qu’aucun médecin ou interne ne pourrait répondre qu’il n’a jamais été en difficulté, ou alors il y a un problème de remise en question. J’ai eu la chance en travaillant à C. de pouvoir faire appel dès qu’on (toute l’équipe des soignants) en ressentait le besoin à l’équipe de psycho-oncologie (un psychiatre et deux psychologues) avec qui ça se passait vraiment bien et qui étaient disponi- bles pour les patients, mais aussi pour nous orienter nous.

Pensez-vous nécessaire d’améliorer la formation des méde- cins en sciences humaines ? Si oui, que proposeriez-vous ? En théorie, oui, je pense qu’il est nécessaire d’approfondir nos connaissances et notre aisance sur ces thèmes ; en pratique, pas si simple à mettre en place. Déjà beaucoup de temps occupé par notre apprentissage « médical », sur- tout en tant qu’internes (et ça ne doit pas aller en s’amé- liorant après, j’imagine). Donc peut-être plus tôt ? Lors de notre externat, ou alors libérer du temps au sein des servi- ces hospitaliers ? Sous la forme de jeu de rôle, de partage d’expériences ; pour ma part, je serai peut-être moyenne- ment réceptive à des cours théoriques : 1) pour apprendre

et faire moins mal la fois d’après ; 2) pour savoir qu’avant nous nos chefs se sont retrouvés face aux mêmes inter- rogations, aux mêmes sentiments.

Références

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