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Qualité de vie de patientes en rémission traitées pour un cancer du sein non métastasé, selon la surveillance médicale classique ou alternée
Quality of Life of Non-Metastatic Breast Cancer Patients According to Classical or Alternative Medical Follow-up
S. Lantheaume · S. Blois Da Conceição · M. Bosset · L. Fernandez
Reçu le 28 février 2014 ; accepté le 9 juin 2014
© Springer-Verlag France 2014
RésuméObjectif: Évaluer l’impact d’une surveillance alter- née du cancer du sein sur la qualité de vie de patientes en rémission et classées selon leur risque histopronostique de récidive (haut-risque [HR] vs bas-risque [BR] de récidive).
Méthode : Quinze patientes suivies pour un cancer du sein non métastasé en rémission ont participé à un entretien semi- directif et complété le questionnaire FACT-B évaluant la qualité de vie.
Résultats : Le type de surveillance (alternée vs classique) n’affecte pas la qualité de vie des patientes. En revanche, le groupe BR présente une moins bonne qualité de vie que le groupe HR.
Conclusion : Les patientes du groupe BR ne semblent pas assez informées sur la surveillance alternée et sur la place que leur médecin généraliste peut et doit prendre durant l’après-traitement. Dans ce contexte, la mise en place d’un suivi psychologique semble pertinente.
Mots clésCancer du sein · Qualité de vie · Surveillance postthérapeutique · Rémission
AbstractObjective: Assessing the impact of alternative medi- cal supervision of a breast cancer on the quality of life for patients in remission and classified according to their histolo- gical prognosis of recurrence (the high-risk recurrence group [HR group] vs the low-risk recurrence group [LR group]).
Method: Fifteen patients in remission and medically super- vised for a non-metastasized breast cancer participated in a semi-directive interview and answered the FACT-B ques- tionnaire assessing the quality of life.
Results: The alternative follow-up does not differ from conven- tional follow-up concerning the quality of life. In contrast, the LR group shows a lower quality of life than the HR group.
Conclusion: The patients of the LR group do not seem to have enough information about the alternative follow-up and the place their general practitioner (GP) can and should take during the period after treatment. The establishment of psychological counseling is relevant.
Keywords Breast cancer · Quality of life · Follow-up after treatment · Remission
S. Lantheaume (*)
Psycho-oncologue, Hôpital privé Drôme-Ardèche, Groupe générale de santé, clinique Pasteur, Institut du sein, 294, boulevard Charles-de-Gaulle,
F-07500 Guilherand-Granges, France
Doctorante en psychologie de la Santé, laboratoire Santé, Individu et Société : EA-SIS 4129, département de psychologie de la santé, de l’éducation et du développement (PSED), université Lumière Lyon-II, EAM-SIS 4128,
Institut de psychologie, Campus Porte des Alpes,
5, avenue Pierre-Mendès-France, F-69676 Bron cedex, France e-mail : lantheaume.sophie@hotmail.fr
S. Blois Da Conceição (*)
Psychologue de la Santé, Maître de conférences en psychologie de la santé, laboratoire Santé, Individu et Société (SIS, EA 4129), département de psychologie de la santé,
de l’éducation et du développement (PSED), université Lumière Lyon-II, EAM-SIS 4128, Institut de psychologie, Campus Porte des Alpes,
5, avenue Pierre-Mendès-France F-69676 Bron cedex, France e-mail : stephanie.bloisdaconceicao@univ-lyon2.fr
M. Bosset (*)
Radiothérapeute, oncologie-radiothérapie, centre Marie-Curie, 159, boulevard Maréchal-Juin, F-26000 Valence, France Oncologie-médicale, Hôpital privé Drôme-Ardèche, Groupe générale de santé, clinique Générale, rue Delpeuch, F-26000 Valence, France e-mail : mathieu.bosset@wanadoo.fr L. Fernandez (*)
Professeur en psychologie de la santé et du vieillissement, psychologue clinicienne, laboratoire Santé, Individu et Société (SIS, EA 4129), département de psychologie de la santé, de l’éducation et du développement (PSED),
université Lumière Lyon-II, EAM-SIS 4128, Institut de psychologie, Campus Porte des Alpes,
5, avenue Pierre-Mendès-France F-69676 Bron cedex, France e-mail : lydia.fernandez@univ-lyon2.fr
DOI 10.1007/s11839-014-0469-z
Introduction
Selon l’Institut de veille sanitaire (InVS), on dénombrait en 2012, près de 48 800 nouveaux cas de cancers du sein en France, avec une incidence augmentant régulièrement alors que la mortalité tend à diminuer (notamment grâce au dépistage). La survie nette à cinq ans est d’environ 86 % et est elle-même en progression [1]. Ainsi, le nombre de patientes à surveiller augmente chaque année et les deman- des de prises en charge personnalisées des patientes recom- mandées par le Plan cancer 2 imposent de reconsidérer les modalités de surveillance. La surveillance débute dès la sus- pension thérapeutique et se poursuit tout au long de la vie de la patiente. Elle est fondée sur le dépistage précoce de réci- dive locale ou locorégionale, d’un cancer controlatéral, d’une récidive métastatique mais aussi sur l’évaluation de la qualité de vie, du pronostic fonctionnel et esthétique, de la réinsertion professionnelle et psychologique [2].
À ce jour, les études sont toujours sujettes à controverse concernant le bénéfice en termes de survie d’une surveillance rapprochée (versus standard) et intensive (versus limitée avec ou sans examens cliniques et radiographiques) [3–6]. Les résultats de deux essais randomisés italiens comparant les apports de la surveillance intensive1 versus non intensive ont toutefois conduit à prouver l’absence de supériorité d’une surveillance intensive en termes de survie sans rechute, de survie globale et de qualité de vie [7,8]. Les auteurs de ces études en ont conclu que la surveillance postthérapeutique du cancer du sein pouvait se limiter à une surveillance classique, c’est-à-dire à un examen clinique (dont la fréquence est à éta- blir : tous les trois mois durant la première année, tous les six mois durant la deuxième année, puis une fois par an par la suite), complété d’une mammographie annuelle. Bien que datant d’il y a 20 ans, ces conclusions font aujourd’hui consensus et ont été reprises par de nombreuses recomman- dations comme celles publiées par l’Anaes en 2000 (puis dans le guide ALD no30 de la HAS en 2010), l’ASCO en 2000 et d’autres sociétés savantes [9]. Les résultats de ces essais, désormais anciens, sont aujourd’hui remis en question du fait des avancées thérapeutiques et diagnostiques, suggérant de nouveaux critères pour le suivi postthérapeutique dans les cancers du sein et la prise en charge précoce des récidives.
Parmi les critères de plus en plus pris en compte dans l’évaluation de la prise en charge des patients, ceux de la qualité de vie témoignent d’une volonté grandissante d’inté- grer les préférences des malades [10]. La qualité de vie est définie par l’Organisation mondiale de la santé (1994) comme« la perception qu’a un individu de sa place dans l’existence, dans le contexte de la culture et du système de
valeurs dans lesquels il vit, en relation avec ses inquiétudes.
Il s’agit d’un large champ conceptuel, englobant de manière complexe la santé physique de la personne, son état psycho- logique, son niveau d’indépendance, ses relations sociales, ses croyances personnelles et sa relation avec les spécificités de son environnement ». Face au constat d’une altération significative de la qualité de vie des patientes après un cancer du sein [11–13] et d’un impact psychologique variable selon le type de surveillance réalisée [14,15], mais aussi d’un désir de suivi différent en fonction du traitement reçu [16,17], des études ont essayé en 2013 d’adapter le suivi en fonction des caractéristiques des patientes, et notamment de l’âge [18,19]
ou de la présence/absence du gène BRCA [20]. D’autres énoncent l’idée de réaliser une surveillance au cas par cas en prenant en compte l’anxiété des patientes et le coût des examens complémentaires [21]. La mise en place d’une sur- veillance alternée intégrant les médecins généralistes et les oncologues est également discutée [22].
Partant de ces constats issus de la littérature, une surveil- lance alternée a été mise en place à l’Institut du sein (IDS) de l’Hôpital privé Drôme-Ardèche—HPDA—(Groupe géné- rale de santé). Élaborée par le groupe de travail « surveillance du cancer du sein » dans le cadre du Réseau régional de can- cérologie Rhône-Alpes (RRC-RA) [23], elle repose sur une classification des patientes selon un niveau de risque histopro- nostique de récidive. Ce dernier est évalué en fonction de l’utilisation ou non de la chimiothérapie lors du traitement des patientes. Les caractéristiques de cette surveillance sont présentées dans le Tableau 1. Cette surveillance, en incluant le médecin généraliste (cf. mesure 18, Plan cancer 2), vise à pallier le déficit de suivi adapté demandé par les patientes et à modérer les effets psychiques possibles inhérents à l’arrêt des traitements, en offrant un suivi personnalisé (cf. mesure 25, Plan cancer 2) en fonction du risque de récidive.
La présente étude vise à évaluer l’impact de cette surveil- lance alternée sur la qualité de vie de patientes traitées pour un cancer du sein non métastasé, en rémission. En comparant un groupe de patientes sous surveillance alternée à un groupe de patientes sous surveillance classique, il s’agit de rendre compte de la supériorité ou non de la première en termes de qualité de vie (objectif 1). En comparant les patientes à haut- risque (HR) aux patientes à bas-risque (BR) au sein du groupe bénéficiant d’une surveillance alternée, il s’agira également d’évaluer les effets de cette classification sur la qualité de vie des patientes en rémission (objectif 2).
Méthode Procédure
Les patientes ont été recrutées sur la base du volontariat lors de leur consultation de suivi à l’IDS, entre une semaine
1Surveillance incluant examen clinique, mammographie, radiographie pulmonaire et scintigraphie osseuse tous les six mois.
et un mois après la fin de leurs traitements. Le choix du temps de recueil des données repose sur la littérature existante.
Après avoir recueilli leur consentement libre et éclairé, les patientes ont été réparties aléatoirement de la façon suivante :
•
deux groupes expérimentaux bénéficiant d’une surveil- lance alternée (SA) :cinq patientes HR et cinq patientes•
BR ;un groupe contrôle :cinq patientes non classées, bénéfi- ciant d’une surveillance classique (SC).Sujets
Quinze patientes âgées de 36 à 72 ans (m= 54,3 ans ; σ= 13,80) et traitées pour un cancer du sein non métastasé en rémission ont participé à cette étude (Tableau 2). Les patientes de moins de 35 ans et de plus de 80 ans, ainsi que celles présentant une prédisposition génétique (présence du gène BRCA) ont été exclues de l’étude.
Outils
Le questionnaire de qualité de vie FACT-B [24], validé en français et possédant des qualités psychométriques satisfai- santes [25], a été rempli par toutes les participantes. Il est composé de 37 items répartis en quatre sous-échelles (bien- être physique, familial/social, émotionnel et fonctionnel).
Pour chaque item les patientes doivent indiquer dans quelle mesure l’énoncé s’applique à ce qu’elles ont ressenti au cours des sept derniers jours, sur une échelle de Likert en cinq points (de 0 = «pas du tout» à 4 = «énormément»).
La procédure de cotation permet d’obtenir un score par sous- échelle et un score global (variant de 0 à 144). Un score compris entre 0 et 72 indique une mauvaise qualité de vie,
alors qu’un score compris entre 72 et 144 témoigne d’une bonne qualité de vie. La passation est rapide (environ dix minutes) et son utilisation auprès de patientes atteintes de cancer du sein est largement répandue.
Du fait du faible effectif de notre échantillon, une appro- che mixte a été adoptée afin d’étayer les données quantitati- ves par le recueil d’informations qualitatives. Ainsi, des entretiens semi-directifs ont été réalisés auprès des partici- pantes afin d’aborder :
•
la condition de malade et son contexte(constat de la mala- die, refus/acceptation de la maladie, conséquences de la maladie, impact psychosocial, etc.) ;•
l’installation de la maladie et dans la maladie(mécanis- mes de défense, périodes et positionnements, vécu des Tableau 1 Caractéristiques de la surveillance alternée (SA) et de la surveillance classique (SC).SA SC
Haut-risque (HR) Bas-risque (BR)
Présence de chimiothérapie pendant le traitement Absence de chimiothérapie pendant le traitement Fréquence: examen clinique tous les 3 mois la 1reannée, tous les 6 mois la 2eannée Acteurs principaux: spécialistes d’organes Acteurs principaux: médecins traitants Au-delà : une fois par an Acteurs secondaires: médecins traitants Acteurs secondaires: spécialistes d’organes Associé à une
mammographie annuelle Durée du suivi : 5 ans puis au-delà : surveillance
bas-risque
Fréquence: suivi alterné tous les 4 mois : chirugien–radiothérapeute–oncologue
Durée du suivi : 5 ans
Fréquence: suivi alterné tous les 4 à 6 mois : chirurgien–médecin traitant–radiothérapeute (si présence de radiothérapie durant la période de traitement)
Tableau 2 Caractéristiques des patientes selon le groupe de surveillance.
HR BR SC
Effectif 5 5 5
Âge moyen 58,2 60 44,8
Écart-type 14,01 14,08 14,37
Min 36 51 41
Max 72 67 50
Célibataire (%) 0 40 0
Marié, concubinage, pacs (%) 100 60 40
Séparé (%) 0 0 60
Mastectomie (%) 40 40 60
Tumorectomie (%) 60 40 60
Chimiothérapie (%) 100 0 100
Radiothérapie (%) 80 60 100
Hormonothérapie (%) 100 80 100
HR : haut-risque ; BR : bas-risque ; SC : surveillance classique.
symptômes, manifestations psychopathologiques (anxiété, dépression), etc.) ;
•
les attentes relatives au suivi.Analyse des données
Les données issues du FACT-B ont été traitées avec le logiciel SPSS.16 (Statistical Package for the Social Sciences). Compte tenu de l’effectif restreint de notre échantillon, deux tests non paramétriques ont été utilisés : le test de Kruskal-Wallis afin de comparer les trois groupes HR, BR et SC, et le test de Mann-Whitney pour comparer les groupes deux à deux.
Les entretiens réalisés auprès des patientes ont été intégra- lement retranscrits et soumis à une analyse de contenu thé- matique [26]. Le corpus a fait l’objet d’un découpage selon des catégories émergentes qui ont été réorganisées en unités de sens.
Résultats
Analyse des scores de qualité de vie selon le type et le groupe de surveillance
Le Tableau 3 présente les résultats issus des analyses compa- ratives sur le FACT-B. Les groupes HR, BR et SC se distin- guent par leur score de qualité de vie globale (χ2 = 5,71 ; p= 0,05), ainsi que sur les dimensions « bien-être familial et social » (χ2= 6,68 ;p= 0,03) et « bien-être fonctionnel » (χ2= 6,06 ;p= 0,04) de la qualité de vie.
Objectif 1 : Comparaison des scores au FACT-B selon le type de surveillance (alternée vs classique)
Les groupes SA (HR + BR) et SC ne se distinguent sur aucun des scores de qualité de vie (Tableau 3). Les femmes sous
surveillance alternée ne rapportent donc pas une meilleure qualité de vie que les femmes sous surveillance classique, contrairement à ce dont on pouvait s’attendre.
Les groupes BR et SC se distinguent sur la qualité de vie globale (U= 3,00 ;p= 0,04) ainsi que sur la sous-échelle
« bien-être fonctionnel » (U= 2,50 ;p= 0,03). Les femmes sous surveillance alternée classées à bas-risque rapportent une moins bonne qualité de vie globale et un moindre bien-être fonctionnel que les femmes sous surveillance clas- sique (Tableau 3). En revanche, les groupes HR et SC ne se distinguent sur aucun des scores à l’échelle de qualité de vie.
Les femmes sous surveillance alternée classée à haut-risque ne rapportent donc pas une meilleure qualité de vie que les femmes sous surveillance classique.
Objectif 2 : Comparaison des scores au FACT-B selon le groupe de surveillance
Les groupes HR et BR se distinguent en termes de qualité de vie globale (U= 2,50 ;p= 0,03) ainsi que sur les dimensions
« bien-être familial et social » (U= 1,50 ;p= 0,02) et « bien- être fonctionnel » (U= 2,50 ;p= 0,03). Les femmes sous surveillance alternée classées à haut-risque rapportent une meilleure qualité de vie globale, un bien-être familial et social, ainsi qu’un bien-être fonctionnel supérieurs compa- rées aux femmes sous surveillance alternée classées à bas- risque (Tableau 3).
Analyse des entretiens semi-directifs
L’analyse de contenu met en évidence des thèmes communs aux groupes HR, BR et SC (« annonce du cancer », « prise en charge », « surveillance »et« classification »), alors que les thèmes« entourage »et« information »sont spécifiques au groupe BR (Tableau 4). Afin de mieux comprendre les résultats issus des analyses statistiques, nous présenterons ici le discours relatif à la surveillance, illustré par quelques extraits d’entretiens.
Tableau 3 Comparaison des scores de qualité de vie évalués par le FACT-B en fonction des groupes de surveillance.
SA Groupe SC χ2 U
Groupe HR Groupe BR
m(s) m(s) m(s) χ2HR/BR/SC USA/SC UBR/SC UHR/SC
Qualité de vie globale 107,52 (15,35) 84,6 (15,79) 110,58 (12,35) 5,71* 15,00 3,00* 12,00
Bien-être physique 18,6 (7,53) 17,94 (3,44) 24,8 (4,43) 3,45 10,50 4,00 6,50
Bien-être familial/social 26 (2,34) 18,28 (4,12) 23,22 (3,33) 6,68* 25,00 5,50 5,50
Bien-être émotionnel 18 (3,46) 15,6 (3,36) 17,36 (3,05) 1,43 22,00 8,50 11,50
Bien-être fonctionnel 22 (4,52) 13,2 (5,01) 21,2 (4,49) 6,06* 16,00 2,50* 11,50 HR : haut-risque ; BR : bas-risque ; SA : surveillance alternée ; SC : surveillance classique ;m: moyenne ;s: écart-type ;U: U de Mann-Whitney ;χ2: Chi deux de Kruskal-Wallis ;*p < 0,05 ; **p <0,01 ; ***p <0,001.
Tableau 4 Analyse du contenu des entretiens semi-directifs selon le groupe de surveillance.
Groupe HR Groupe BR Groupe SC
Thèmes émergents Cancer, surveillance, classification, prise en charge
Entourage, prise en charge, surveillance, classification, annonce du cancer
Annonce du cancer, fin des traitements, surveillance Extraits d’entretien
concernant la surveillance et la classification
–«Concernant la surveillance, c’est vrai que j’ai souvent envie de revoir le spécialiste afin de me rassurer. » (Mme B.)
–«Je trouve qu’on est bien suivi (…) mais parfois j’aimerai que
les rendez-vous soient mis plus tôt, car quand on sent quelque chose d’anormal on a envie d’être rassurée tout de suite (…) Toutes ces visites par différents spécialistes sont rassurantes. » (Mme X.) –«Je revois un des spécialistes à tour de rôle tous les trois mois. Je trouve que c’est très important d’avoir un suivi régulier. » (Mme D.) –«Je pense que cette surveillance est suffisante quand il n’y a pas de symptômes. Je crois que les examens apportent plus d’anxiété plus qu’ils rassurent. La surveillance est l’occasion de faire le point de ce qui pourrait passer à travers, de ce qu’on ne peut pas repérer toute seule. Ce n’est pas contraignant. Si j’ai un souci, je prends rendez-vous.
J’attends de la surveillance qu’elle détecte ce qui peut me paraître anodin et qui serait, en réalité, un signe d’une rechute. C’est l’occasion aussi de revoir le personnel soignant. Concernant la classification, je n’y accorde pas plus d’importance parce que je sais que dans la mesure où j’ai reçu de la chimiothérapie, c’est quand même plus sérieux. J’ai conscience de ce risque. En tout cas, ce n’est pas une source d’angoisse
supplémentaire pour moi. Je pense que c’est un moyen
pour les médecins d’être plus efficaces : c’est répartir les risques afin de prendre en charge plus rapidement les patientes susceptibles
–«Je trouve qu’il manque un lien entre les spécialistes
et les médecins, un réseau ou au moins qu’ils transmettent correctement les courriers, les résultats d’examens. Les rendez- vous de surveillance sont suffisants oui, moi j’attendais surtout l’image finale pour voir que tout était bien parti. Je pense cependant, qu’à chaque rendez-vous ce n’est pas évident. Moi je n’ai pas de soutien familial donc j’attends beaucoup de ces rendez-vous. Je souhaite qu’on m’apporte encore plus d’informations. J’ai besoin qu’on m’écoute donc c’est vrai que le médecin généraliste pour cela a plus de temps qu’un spécialiste.
En dehors de ça je ne vois pas trop ce qu’il pourrait faire. » (Mme C.) –«Moi j’ai été rassurée surtout dans le fait de n’avoir pas de chimiothérapie, pour moi ça voulait dire que c’était moins grave. Je ne vois pas trop par contre ce que mon médecin généraliste pourrait faire dans cette surveillance. Il n’est pas formé à cela, enfin je ne crois pas. » (Mme F.)
–«Je trouve que les rendez-vous de surveillance c’est trop. On n’a pas l’impression de respirer. Et puis c’est difficile de revenir sur ces lieux, de ré-attendre, encore. Mais c’est bien quand même, car on se sent soutenue. » (Mme G.) –«Mon médecin généraliste s’occupe bien de l’après-cancer.
C’est lui qui m’a expliqué cette surveillance. J’espère juste qu’on va bien me surveiller. Ce qui m’est difficile c’est de dire que comme j’ai eu que de la radiothérapie c’est
«J’attends beaucoup
de la surveillance, car je me suis sentie complètement abandonnée une fois que les traitements se sont terminés. J’ai eu moins l’occasion d’exprimer mes ressentis. Je me suis retrouvée comme seule face à tout ça. » (Mme Y.)
–«Je suis dans la surveillance et pourtant je refuse qu’on m’enlève le PAC. Comme si je refusais d’entrer dans cette période d’après-cancer. Pour moi ce n’est pas terminé. Les consultations de suivi sont suffisantes. Je m’inquiète avant chaque
consultation. Tous les quatre mois, j’ai une bonne crise d’angoisse quelques jours avant. Je ne trouve pas que c’est trop ni pas assez. » (Mme Z.)
–«La surveillance, je trouve ça utile. Je trouve qu’elle est suffisante sur le plan clinique, en revanche je souhaiterais plus d’examens radiologiques, plus de mammographies par exemple.
Ou alors il faudrait faire
une bonne palpation à chaque fois.
Je pense que ça dépend aussi de la confiance que l’on a envers son médecin. Je me rassure en me disant que ce n’est qu’un sein, si ça avait touché un autre organe, sûrement que je serai plus inquiète. » (Mme E.) –«Je trouve l’après-cancer difficile, on a un sacré contrecoup, une fois que les traitements sont terminés. Je trouve qu’on est suivie assez régulièrement au début et après le temps passe vite et les rendez-vous s’espacent.
Ayant reçue de la chimiothérapie c’est vrai que je m’attendais
(Suite page suivante)
Pour les patientes, la surveillance est associée à l’effica- cité et à la sécurité. Celles qui ont reçu une chimiothérapie souhaitent un suivi avec des spécialistes, associé à plus d’examens radiologiques afin de se rassurer et d’éviter la récidive : «Toutes ces visites par différents spécialistes sont rassurantes» (Mme X.) ; «Je souhaiterais plus d’examens radiologiques, plus de mammographies par exemple » (Mme E.). Cependant, chaque rendez-vous de surveillance est source d’angoisse, et les patientes demandent qu’une consultation psychologique soit proposée pour prendre en charge l’anxiété générée par la surveillance : «Je m’inquiète avant chaque consultation. Tous les quatre mois, j’ai une bonne crise d’angoisse quelques jours avant» (Mme Z.).
Le terme« risque », employé pour la surveillance alter- née, est également source d’angoisse pour les patientes, réac- tivant une angoisse de mort ressentie à l’annonce du diag- nostic du cancer : «Je trouve que ça reste anxiogène d’être classée en haut-risque, c’est même une source d’angoisse supplémentaire, là où on n’a pas vraiment envie d’en avoir» (Mme R.). Ainsi, les termes employés ne semblent pas adap- tés en raison de la dimension potentiellement létale qu’ils suggèrent, contrastant avec le besoin de réassurance des patientes.
Les patientes BR expriment des ressentis différents concernant leur médecin généraliste. Pour certaines, il est question du manque d’écoute et d’informations, ou encore d’un doute quant aux compétences perçues du généraliste dans le suivi :« Je ne vois pas trop ce que mon médecin généraliste pourrait faire dans cette surveillance. Il n’est pas formé à cela, enfin je ne crois pas» (Mme F.) ; « Je n’ai pas bien confiance. Si je sens quelque chose d’anormal, j’irai voir directement le spécialiste sans passer par mon
médecin généraliste » (Mme V.). D’autres évoquent une relation satisfaisante basée sur la confiance : «Mon médecin généraliste s’occupe bien de l’après-cancer. C’est lui qui m’a expliqué cette surveillance» (Mme M.) ; «J’ai besoin qu’on m’écoute donc c’est vrai que le médecin généraliste pour cela a plus de temps qu’un spécialiste» (Mme C.).
Ainsi, deux points importants sont aussi à souligner quant à l’implication du médecin traitant dans le suivi des patientes. Il s’agit, d’une part, de l’absence ressentie par les patientes de lien entre les spécialistes et le médecin traitant :
«Je trouve qu’il manque un lien entre les spécialistes et les médecins, un réseau ou au moins qu’ils transmettent correc- tement les courriers, les résultats d’examens » (Mme C.).
D’autre part, la notion de confiance envers le médecin trai- tant abordée par les patientes et qui semble primordiale dans leur suivi après traitement : «Je trouve qu’elle (la surveil- lance) est suffisante sur le plan clinique, en revanche je sou- haiterais plus d’examens […] ou alors il faudrait faire une bonne palpation à chaque fois. Je pense que ça dépend aussi de la confiance que l’on a envers son médecin »(Mme E.).
Discussion
Le premier objectif de cette étude était de comparer les sco- res de qualité de vie de patientes sous surveillance alternée (HR + BR) à ceux obtenus par les patientes sous surveillance classique, afin de montrer l’éventuelle supériorité de la sur- veillance alternée sur la surveillance classique en termes de qualité de vie. Les résultats de la présente étude montrent qu’il n’existe pas de différence significative dans la qualité de vie des patientes selon le type de surveillance, dans les Tableau 4(suite)
Groupe HR Groupe BR Groupe SC
de plus récidiver que d’autres.
Ce sont juste des mots qui renvoient à une certaine réalité. » (Mme P.) –«Je trouve que ça reste anxiogène d’être classée en haut-risque, c’est même une source d’angoisse supplémentaire, là où on n’a pas vraiment envie d’en avoir. En plus je ne crois pas que ce soit aussi bien prédictif qu’on le pense, nous ne sommes pas capables de prédire l’avenir. Dans l’absolu, je ne suis pas bien d’accord avec cette idée de catégorisation. » (Mme R.)
moins grave. J’ai un cancer du sein quand même, j’ai les mêmes inquiétudes qu’une autre patiente. » (Mme M.)
–«Je n’ai pas bien confiance, si je sens quelque chose d’anormal j’irai voir directement le spécialiste sans passer par mon médecin généraliste. » (Mme V.)
à quelque chose d’un peu plus poussé, à des rendez-vous réguliers avec les spécialistes. » (Mme J.)
–«Je pense que la surveillance est très légère. Une chose surprenante c’est qu’après la chimiothérapie, on ne vous fait pas d’examen de contrôle pour vérifier qu’elle a bien marché. Je pense qu’avoir plus d’examens et des rendez-vous rapprochés me rassurerait. » (Mme S.)
HR : haut-risque ; BR : bas-risque ; SC : surveillance classique.
domaines physique, social, émotionnel ou fonctionnel. Ces résultats sont cohérents avec ceux rapportés par Grunfeld et al. [27] qui constatent que le suivi classique (versus par un spécialiste) n’a aucun impact sur la qualité de vie. En revan- che, les données présentées indiquent que les patientes BR ont une moins bonne qualité de vie fonctionnelle que les patientes SC. Ainsi, il semblerait que la participation des médecins traitants à la surveillance du cancer du sein ne favorise pas l’amélioration de la qualité de vie du groupe BR de notre étude. Ce résultat est appuyé par les témoigna- ges des patientes qui évoquent leurs doutes quant à l’impli- cation du généraliste dans leur surveillance, doutes en lien avec leur questionnement concernant la formation et la qua- lité d’écoute des médecins traitants quant à la spécificité de leurs besoins. Comme le soulignent Maloisel et al. [28], les patientes semblent plus satisfaites lorsque les informations proviennent des oncologues et des médecins spécialistes plutôt que du médecin traitant : elles semblent plus rassurées et plus en confiance. Ainsi, elles souhaitent obtenir plus d’information concernant la place et le rôle de leur médecin traitant dans cette surveillance. Par ailleurs, les doutes émis à l’encontre de la surveillance alternée peuvent être mis en lien avec le sentiment d’abandon que peuvent ressentir les patientes « en rémission », sentiment participant parfois au syndrome de Lazare [29]. Ce sentiment d’abandon peut être renforcé par le manque de sollicitude de l’entourage : les patientes BR interrogées énoncent d’ailleurs un besoin de soutien plus important de la part de leurs proches, qui consi- dèrent, du fait qu’elles n’aient pas reçu de chimiothérapie, qu’il s’agit d’un « petit cancer ».
Ce résultat va toutefois à l’encontre des travaux de Couraud-Laouisset [30] qui montre que la participation des médecins traitants dans le protocole de suivi améliore la qua- lité de vie des malades atteintes de cancer du sein. Par ail- leurs, Grunfeld et al. [31] indiquent que les patientes sont plus satisfaites d’un suivi effectué par un médecin généra- liste que par un spécialiste. Les entretiens réalisés rendent d’ailleurs compte de la relation de proximité et de confiance entretenue par certaines patientes avec leur généraliste. Ce résultat inattendu dans notre étude peut être expliqué par le fait que celle-ci a été conduite au tout début de la mise en place de cette surveillance alternée. Il apparaît donc que pour améliorer la qualité de vie des patientes au cours de leur suivi, des efforts doivent être réalisés concernant la commu- nication, l’information et la formation des médecins trai- tants. Il s’agit là de pistes d’amélioration importantes car, comme le souligne une enquête de la Ligue nationale contre le cancer menée en 2010, 84 % des médecins généra- listes ressentent le besoin d’une formation en oncologie. La communication entre les différents acteurs est également un point essentiel : seuls 48 % des médecins généralistes se disent satisfaits de l’information transmise par leurs confrè- res. D’une manière générale, pour 70 % des praticiens inter-
rogés, la place du médecin généraliste dans la prise en charge des cancers n’est pas reconnue à sa juste valeur. Des recher- ches sur le rôle des généralistes dans le suivi des patientes atteintes de cancer suggèrent d’ailleurs que l’amélioration de l’information émanant de l’hôpital peut augmenter la capa- cité du praticien au repérage des besoins psychosociaux des patients [32] et faciliter la coopération entre les spécialistes de l’hôpital et le médecin généraliste [33]. La mise en place prochaine sur l’HPDA d’un dossier médical informatisé mis au service de tous les professionnels de santé devrait faire progresser la prise en charge des patientes BR comme le prévoit l’étude de Milliat-Guittar et al. [34]. Un travail doit également être entrepris pour modifier les représentations des patientes concernant la place et le rôle du médecin trai- tant dans la surveillance de leur cancer. En effet, les évolu- tions sociétales prenant en compte l’autonomie croissante des patients ont considérablement modifié les relations des patients avec leur médecin généraliste [35]. Les rôles pre- miers du médecin traitant (soins quotidiens, accessibilité possible et rapide, etc.) ne sont pas remis en cause mais ne semblent pas suffisants ou adaptés au suivi des patientes atteintes de cancer du sein [36], alors même que la médecine générale est reconnue comme spécialité depuis 2004. Ces résultats invitent à poursuivre les efforts d’écoute et de dia- logue auprès des patientes en accord avec le Plan cancer 3 (2014–2019), afin de renforcer les liens ville–hôpital et de développer la prise en charge ambulatoire.
En revanche, l’inclusion du médecin généraliste dans un dispositif de surveillance alternée chez les patientes HR ne semble pas avoir de répercussions négatives, en comparai- son avec la surveillance classique, puisque les résultats obte- nus indiquent qu’il n’existe aucune différence significative de qualité de vie entre les groupes HR et SC.
Le second objectif était de comparer les scores de qualité de vie du groupe HR à ceux obtenus par le groupe BR, et de voir si les patientes BR avaient une meilleure qualité de vie que les patientes HR. Les résultats indiquent effectivement une différence significative entre les deux groupes bénéfi- ciant d’une surveillance alternée, concernant les scores de qualité de vie globale, de bien-être familial et social et de bien-être fonctionnel évalués par le FACT-B. Contrairement à ce qui était attendu, les femmes HR ont une qualité de vie, un bien-être familial et social ainsi qu’un bien-être fonction- nel plus important que les femmes BR. Rappelons, en effet, que les patientes HR ont reçu un traitement chimiothéra- pique, contrairement aux patientes BR. Or, plusieurs travaux montrent que la chimiothérapie a un impact sur les domaines sexuel et social, diminue la qualité de vie et ne favorise pas l’ajustement psychosocial [37]. Bien que les résultats obte- nus aillent à l’encontre de ces travaux, il semblerait que le suivi par les spécialistes—souhaité par les patientes sous chimiothérapie selon l’analyse de contenu des entretiens— agisse sur ces dimensions médicopsychosociales, rassure les
patientes HR et améliore leur qualité de vie. L’étude de De Bock et al. [17] montre d’ailleurs que les préférences de suivi des patientes varient en fonction du traitement reçu : les patientes sous chimiothérapie préféreraient être suivies par des spécialistes, car leur traitement est un important fac- teur prédictif de détresse psychologique. En revanche, les patientes BR qui souffrent d’un manque d’écoute, d’infor- mation et de confiance envers leur médecin généraliste voient leur qualité de vie altérée par cette surveillance.
Bien que cette étude apporte d’importants éléments de compréhension concernant les effets des différents modes de suivi du cancer du sein, certaines limites doivent être évo- quées. Elles concernent principalement des aspects inhérents au protocole. En effet, bien qu’un certain nombre de résultats soient significatifs, le faible effectif de notre échantillon amène à la plus grande prudence quant à l’interprétation des résultats. Cette étude présente toutefois un caractère exploratoire dont les résultats méritent d’être vérifiés sur un échantillon plus important et représentatif de la popula- tion étudiée. Aussi, afin que la comparaison selon le type de surveillance soit homogène, il aurait été pertinent que le groupe SC se subdivise en deux sous-groupes (traitées par chimiothérapie versus non traitées par chimiothérapie) per- mettant ainsi de contrôler l’impact des traitements sur la qua- lité de vie.
Conclusion
Cette étude révèle l’absence de différences significatives dans la qualité de vie des patientes en rémission d’un cancer du sein non métastasé qu’elles aient bénéficié d’une surveil- lance alternée ou d’une surveillance classique. Toutefois, lorsqu’on distingue les patientes selon leur risque histopro- nostique au sein du groupe ayant une surveillance alternée, on peut observer des différences significatives sur certains aspects de la qualité de vie par rapport aux patientes ayant un suivi classique. Le fait que les patientes à bas-risque témoignent d’une moindre qualité de vie comparées aux patientes bénéficiant d’un suivi classique semble témoigner d’une possible incompréhension du rôle du médecin traitant dans la surveillance alternée chez ces patientes. En effet, les patientes ne semblent pas assez informées sur cette nouvelle surveillance et sur la place que leur médecin peut et doit prendre durant cette période postthérapeutique. Aussi, ces patientes ne semblent pas obtenir l’aide ou les ressources correspondant à leurs besoins, afin de modérer les difficultés inhérentes à l’arrêt des traitements. Cette surveillance à « bas risque » semble ajouter des difficultés chez ces patientes souffrant déjà d’un sentiment d’abandon. Ainsi, des amélio- rations en termes de communication, d’information mais aussi de formation des médecins traitants sur le suivi post- thérapeutique semblent nécessaires. Plus largement, leur
place dans la période post-cancer devrait être pensée dans une continuité d’intégration tout au long du parcours de soins du patient, puisque les médecins généralistes jouent un rôle important à toutes les étapes de la prise en charge du cancer.
Conflit d’intérêtles auteurs déclarent ne pas avoir de conflit d’intérêt.
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