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Oncologie : Article pp.84-88 du Vol.8 n°2 (2014)

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ARTICLE ORIGINAL /ORIGINAL ARTICLE DOSSIER

À défaut d ’ « après » : myélome multiple et temporalités

Afterwards? Multiple Myeloma and Temporality

A. Polomeni

Reçu le 20 avril 2014 ; accepté le 09 juin 2014

© Springer-Verlag France 2014

RésuméLe myélome multiple (MM) est une forme de can- cer qui, malgré les avancées thérapeutiques significatives, reste incurable. S’ils permettent d’augmenter la durée de vie et de prolonger les périodes de rémission, les traitements

« à répétition » ont des conséquences non négligeables sur la qualité de vie des patients. Nous discutons les répercussions psychiques de cette pathologie d’allure chronique et le vécu de la temporalité chez les patients qui en sont atteints.

Mots clésMyélome multiple · Qualité de vie · Répercussions psychiques · Chronicité · Temporalité

Abstract The multiple myeloma (MM) is a type of cancer which, in spite of significant improvement of therapeutic, remains incurable. If therapeutics increase the life expectancy and extend the periods of remission,“repeated”treatments will have significant consequences on the patients’quality of life.

We discuss the psychic repercussions of this“chronic”patho- logy and the real-life experience of patients living with MM.

KeywordsMultiple myeloma · Quality of life · Psychic repercussions · Chronicity · Temporality

Time present and time past

Are both perhaps present in time future, And time future contained in time past What might have been and what has been Point to one end, which is always present1.

T.S. Eliot—Four Quartets

Introduction

Parmi les hémopathies malignes les plus fréquentes en France (14 % des nouveaux cas en 2012)2, le myélome mul- tiple (MM) est une forme de cancer qui provoque des lésions osseuses entraînant des tassements vertébraux et des fractu- res spontanées. Les autres manifestations de cette pathologie sont l’insuffisance médullaire, responsable d’infections gra- ves et de risques hémorragiques, et l’hypercalcémie, avec des risques d’insuffisance rénale.

Le traitement repose sur la chimiothérapie—le plus souvent administrée en mode ambulatoire—qui permet de contrôler pendant un temps plus ou moins long la maladie, sans que l’on puisse parler de guérison. Des résultats positifs peuvent être obtenus par des intensifications de chimiothérapie rendues possibles par les autogreffes de cellules souches hématopoïé- tiques. Actuellement, de nouveaux traitements, proposés dans de cadre d’essais thérapeutiques, s’avèrent prometteurs.

Malgré les avancées significatives thérapeutiques, le pro- nostic des patients atteints de MM reste médiocre : les taux de survie nette à cinq ans (40 %) se réduisent de moitié à dix ans [1].

S’ils permettent d’augmenter la durée de vie et de prolon- ger les périodes de rémission, les traitements « à répétition » ont un impact non négligeable sur la qualité de vie des patients. Les effets secondaires les plus fréquents sont les trou- bles digestifs, les neuropathies, la toxicité hématologique, les risques infectieux et l’hypertension artérielle. Selon le type de traitement, les patients se plaignent de fatigue intense, de malaises, d’étourdissements, de somnolence ou, pour d’autres, de troubles du sommeil, d’irritabilité, de réactions agressives.

Le contrôle de ces effets secondaires est primordial, d’autant plus qu’ils peuvent avoir un impact sur le traitement lui-même et sur son efficacité : la tolérance étant souvent dose-dépendante, l’adaptation des prescriptions peut altérer l’efficacité du traitement.

A. Polomeni (*)

Service dhématologie clinique et thérapie cellulaire,

hôpital Saint-Antoine, Assistance publiqueHôpitaux de Paris, 184, rue du Faubourg Saint-Antoine, F-75012 Paris, France e-mail : alice.polomeni@sat.aphp.fr

1Le temps présent et le temps passé Sont sans doute présents dans le temps futur Et le temps futur contenu dans le temps passé Ce qui aurait pu être et ce qui a été

Renvoient à une fin toujours présente.

2 Notons que les hémopathies malignes restent des affections rares lorsquelles sont étudiées par sous-type histologique, mais représentent globalement 10 % des nouveaux cas de cancer [1].

DOI 10.1007/s11839-014-0461-7

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Retentissements

Les symptômes de la maladie, associés aux effets secondai- res des traitements, ont un impact considérable sur la vie des patients et de leur entourage. La fatigue, les douleurs et les symptômes anxiodépressifs sont fréquents [2].

Les répercussions psychosociales de cette symptomatolo- gie semblent évidentes. En effet, diverses études montrent que la qualité de vie des patients atteints de MM est infé- rieure à celle de patients atteints d’autres hémopathies mali- gnes et d’autres types de cancer [3].

Les douleurs (osseuses ou neuropathiques) interviennent sur les capacités fonctionnelles des patients au quotidien, ce qui se répercute sur les plans psychique (vécu de la dépen- dance) et relationnel. Persistantes, ces douleurs sont amoin- dries par les traitements antalgiques dont les patients tentent néanmoins de réduire les doses par peur des effets collaté- raux (constipation, somnolence) et de dépendance [2].

D’étiologie multifactorielle, la fatigue liée aux patholo- gies cancéreuses se présente sous une forme spécifique, en ses différentes composantes—physique, sensorielle, cogni- tive et affective [4]. Dans le cas du MM, liée aux taux d’hémoglobine et de RCP [4], elle apparaît comme une plainte constante chez ces patients atteints de MM tout au long du parcours thérapeutique du fait de son impact direct sur leurs activités quotidiennes.

Coleman et al. [5] établissent une corrélation entre ces symptômes les plus fréquents chez les patients avec MM et les troubles du sommeil et/ou de l’humeur.

Notons, néanmoins, avec Potrata et al. [6] que la pénibilité de cette symptomatologie est nuancée par le sens donné aux symptômes, mieux supportés s’ils paraissent liés à une phase de la maladie et/ou à un traitement particulier et s’ils sont limités dans la durée, et ce, malgré leur intensité et sévérité.

La durée des symptômes, les manifestations intermit- tentes de la pathologie, son incurabilité et l’inexorabilité de son pronostic sont des éléments centraux du vécu des patients atteints de MM [7].

Une maladie chronique ???

Une maladie chronique est une maladie de longue durée, évolutive, souvent associée à une invalidité et à la menace de complications graves.

Cette définition de l’Organisation mondiale de la santé regroupe les maladies non transmissibles (diabète, cancer, asthme…) et les maladies transmissibles persistantes (VIH- sida), certaines maladies mentales (psychoses…) ou des atteintes anatomiques ou fonctionnelles (cécité, sclérose en plaques…).

La définition impose une abstraction qui a pour effet d’aplanir les désagréments que ces différentes pathologies

peuvent produire, les changements des modes de vie qu’elles imposent —sans oublier les représentations sociales dont elles sont chargées. « Quoi de commun, dans les pays occi- dentaux, entre une personne dialysée et une autre diabé- tique ? », interroge pertinemment Deschamps [8].

Et en quoi seraient-elles comparables avec les cancers

— pourrions-nous ajouter, en insistant sur le pluriel, afin de souligner les différences considérables entre les atteintes cancéreuses selon l’organe touché, selon le stade de la mala- die, selon les traitements administrés ?

Permettant un dépistage et un traitement précoces, élar- gissant la palette des possibilités thérapeutiques, augmentant significativement la survie des malades, les progrès médi- caux ont transformé certaines formes de cancer, auparavant aiguës et rapidement mortelles, en maladies chroniques.

Si le discours médical fait « de la chronicité une victoire- étape du savoir scientifique sur la maladie » [9], il paraît légitime d’interroger— du point de vue des patients et de leur entourage—cet adjectif « chronique » juxtaposé au mot cancer. L’emploi de l’adjectif est à double tranchant : s’il permet d’atténuer le caractère mortel associé à cette patho- logie, il tend à la banaliser et à émousser les espoirs de gué- rison : pas d’après dans la chronicité !

En effet, si la notion de rémission venait déjà évincer la dichotomie curable/incurable installant le pronostic de la maladie cancéreuse dans une incertitude probabiliste, la notion de chronicité élimine la possibilité de guérison et installe le patient dans une « trajectoire conjecturale » façonnée par les modalités de prise en charge hospitalière.

Rappelons, avec Pourtau et al. [10], que cette chronicisation n’est pas sans effets sociaux : l’alternance rémission/rechute pouvant engendrer des disjonctions temporelles— partielles ou totales — entre le patient et son entourage familial ou professionnel.

Le parallèle avec les situations de handicap peut être évoqué, à cela près que la pathologie cancéreuse est poten- tiellement évolutive et se revêt d’une imprévisibilité déstabi- lisante sur les plans individuel et collectif. Le statut de

« malade » reste-t-il pertinent—du point de vue social— lorsque les stigmates de la maladie ne sont pas « visibles », lorsque le patient est en rémission et en mesure d’exercer ses fonctions professionnelles et sociales ?

Les différents temps de cette « trajectoire conjecturale » [11], inscrite dans un ordre chronologique, scandée par des impératifs médicaux, s’intègrent sous formes diverses dans le vécu des sujets.

Ainsi, alors que le diagnostic produitde faitune « rupture biographique » présentant la maladie comme une figure de l’irréversible et de l’irrévocable, l’insertion de la pathologie dans la dimension de la chronicité « place le malade dans une position temporelle différente, étant alors assimilable à sa durée, son absence de fin rend sa présence permanente » [12].

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À défaut d’après…

L’expression est ambiguë en ce qu’elle peut évincer la dimension de « rupture » inhérente au diagnostic : il y a un

« après » le diagnostic, qui installe le sujet dans la durée de la pathologie, mais il n’y aura pas d’« après » la maladie, en ce que le MM « n’a d’autre durée que celle du sujet » [12].

Dans d’autres formes de cancer, « potentiellement léta- les », le temps de la maladie est un temps structuré par le projet thérapeutique qui ouvre la perspective d’un après [13].

L’« après » est une mise en perspective : on attend du temps qu’il nous apporte le moment suivant et, avec lui, un chan- gement… en l’occurrence, la rémission, le retour à la vie normale, celle « d’avant ».

Dans le cas du MM, la pathologie est « certainement létale », la part d’incertitude se limitant alors à la question de la durée. Cette durée est néanmoins rythmée par la dimen- sion écliptique de la pathologie : entre « échappement » et

« rattrapages », entre « récidives » et « rémissions », le temps se structure dans une succession de périodes qui, paradoxale- ment, laissent entrevoir des « après »…fragiles, éphémères.

Freud [14] nous rappelait la difficulté de l’humain de faire face à l’éphémère, même si la réalité se charge quotidienne- ment de démentir nos rêves d’immuabilité et d’immortalité.

C’est ainsi que chez certains sujets la perspective d’un

« après » vient s’ancrer dans la croyance dans la médecine : les avancées scientifiques et les innovations thérapeutiques revêtant, pour eux, une promesse de prolonger l’espérance de vie, nourrissant la chimère de la guérison.

De même que le bouleversement de la représentation du temps par l’émergence de la figure de la mort qu’évoque le diagnostic est là modulé par les modalités d’inscription psy- chique de cette réalité, le vécu du temps, de la durée de la pathologie dépendra de la façon dont chaque sujet pourra conjuguer passé, présent et futur, articulant les différentes temporalités dont nous sommes constitués [15].

Prenant à contre-pied les représentations convenues de la temporalité, la notion freudienne d’après-coup désordonne la chronologie, brouille notre représentation commune du temps [16]. Et à Lacan d’affirmer que le temps du sujet (temps pour voir, pour comprendre, pour conclure) est plus logique que chronologique [17].

La théorie psychanalytique conceptualise les différents registres temporels au sein du psychisme3 que la clinique vient illustrer, en montrant comment « chaque forme psy- chopathologique traduit le rapport problématique aux tem- poralités » [19].

C’est autour de ce « rapport problématique aux tempora- lités » que va se décliner, dans la pathologie cancéreuse, la question du temps. « Paradoxe d’un temps tout à la fois

complètement là objectivement (rythme des traitements, périodicité des consultations et contrôles, prise de rendez- vous, attentes et reports divers, etc.) et complètement pas làsubjectivement (impression d’imminence, relation dévita- lisée, échange de pure fonctionnalité, discours réduit à la stricte actualité des événements diagnostique et thérapeu- tique et de leurs inconforts, etc.) » [20].

Paradoxe des temporalités qui se figent autour de la figure de la mort—omniprésente, menaçante, éludée. Paradoxe du rapport à l’irréversible qui à la fois rend possible, voire nécessaire, le projet et qui avorte sa réalisation. Paradoxe du vécu de la durée—un « entre-deux » où le présent est provisoirement coupé du passé et du futur à oublier, d’autant que celui-ci s’identifie au retour du passé (récidive). Durée se situant entre attente sans horizon et espoir démesuré… temps de la répétition ou temps de la différence ?

On pourrait ainsi identifier dans le rapport du sujet au vécu du temps dans la pathologie cancéreuse les différentes impas- ses psychiques de la temporalité : les formes de pétrification du temps, les modes de suspension temporelle et les modali- tés de collusion temporelle [19]. Et interroger comment, dans la durée de la maladie, se conjuguent passé, présent et futur ? Comment se décline la relation au corps propre, à autrui, à l’Autre ? Comment s’y inscrit le « frottement » du sujet à l’incertitude ?

Le récit de Véronique fait écho à ces questions.

Du temps et ses « passages »

J’ai rencontré Véronique dans le cadre de son hospitalisation pour une autogreffe de cellules souches hématopoïétiques. Je

« passais » la voir—en témoin de son expérience du traite- ment dans cet espace-temps de l’hospitalisation. Quelques mois après, elle déménage de la région parisienne. Je la revois lors d’un « passage » à Paris, à sa demande. Cette rencontre est pour elle l’occasion de faire le récit de son expérience de la maladie, trois ans après l’autogreffe. Ce traitement lui avait été proposé comme la meilleure réponse thérapeutique à son MM—celle lui permettant une rémission probablement plus longue. Elle avait bien intégré les informations médicales sur le traitement mais, tout en étant avertie, a eu du mal à suppor- ter les effets secondaires de la chimiothérapie et les transfor- mations corporelles qu’elle a entraînés (alopécie, perte de poids, affaiblissement, diminution — temporaire — de ses capacités physiques et cognitives).

Plus que l’annonce de diagnostic, c’est ce traitement qui vient faire « rupture » dans sa façon de vivre son corps, le temps, les relations avec ses proches, de « vivre tout court ».

Elle s’arrête sur ces/ses mots : la durée de la rémission a été d’à peine six mois. Et elle s’exclame : « tout ça pour ça » !!!

La déception est criante et renvoie à une promesse non tenue. Le temps de la promesse — le futur antérieur —,

3Nous nous référons à Roussillon [18].

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énonçant ce que nous devons avoir fait pour accéder à…, est aussi le temps du sujet—« en tant qu’il anticipe, dans un futur incertain et lointain, un passé encore futur dans le pré- sent de l’énonciation et qui conditionnerait ce qui reste à advenir » [21].

Or, là, le sentiment de « tromperie » vient du fait que « la promesse n’indique pas un futur certain, mais un subjonctif du possible ».

La certitude du pronostic est réitérée par l’aléatoire de l’efficacité thérapeutique : aucun recours ne semble alors fiable pour contrer l’incertitude temporelle de l’à-venir.

Et à partir de là, les propositions thérapeutiques sont ran- gées à l’enseigne du « mirage »… Une certaine méfiance s’installe : elle cherche à se maintenir informée sur les nou- velles molécules, les essais thérapeutiques en cours, de repé- rer les « bons services hospitaliers et les meilleurs spécialis- tes »…Et Véronique décrit « tout ce qu’on doit faire pour continuer à croire ». Ce sont les raisons mises en avant pour justifier son adhésion à une association de malades. Elle y participe « tout en gardant ses distances » : elle refuse de se définir comme « une malade », ainsi de s’identifier à d’autres personnes ayant la même pathologie. Elle a été surprise de constater l’écart entre les patients concernant leurs expérien- ces de la maladie, et ajoute en souriant : « et pourtant, vous aviez bien dit que cette expérience était singulière…».

Elle met en avant les différences—la plus visible étant l’âge : elle est jeune par rapport à la plupart des adhérents de cette association (en effet, Véronique est en dessous de la moyenne d’âge des patients atteints de MM). Elle dit la dif- ficulté de se projeter dans la vieillesse, à la fois du fait du pronostic de la maladie (« c’est sûr que je ne verrai pas mes petits-enfants grandir ») et des transformations corporelles infligées par l’âge. Elle se dit surprise de constater la façon dont ces personnes âgées « s’agrippent » à la vie, restent à l’affût de toute innovation thérapeutique, adhèrent aux pro- tocoles proposés…

Véronique nous dit là l’outrage que le temps porte à l’identité—ce rêve d’éternité. Et comment, « (…) vu de la libido objectale, « le temps est éponyme du manque » et, vu de la libido narcissique, il est éponyme de la mort » [16].

Elle s’étonne elle-même de cette ambivalence : souhaiter rester en vie le plus longtemps possible, mais éviter la dégra- dation physique. C’est d’ailleurs ce rapport au corps qui l’oriente dans les choix thérapeutiques et qui l’amène à affir- mer son adhésion à l’idée de l’euthanasie active : « je ne veux pas me voir grabataire, je ne veux pas offrir cette image de moi à mes proches ».

À ce propos, Véronique dit ses difficultés de « faire avec » les effets secondaires de son traitement : la fatigabilité, les trous de mémoire, la diminution de la capacité de concentra- tion, un « ralentissement global » qu’elle tente de neutraliser pour « vivre normalement ».

« Vivre normalement » c’est tout d’abord « ne pas être vue comme une malade ». Le regard de l’autre faisant là office de miroir, rappelant une image d’un corps défaillant et renvoyant à un rôle social où le handicap, la dépendance, l’isolement peuvent venir figer le sujet. Au-delà du désir d’échapper au « stigmate », ses efforts pour résister aux effets secondaires parlent aussi du désir de ne pas réduire son corps à un « corps-objet », réifié par le savoir que la science médicale déverse sur lui.

Véronique dit comment ce savoir finit par s’intégrer dans son quotidien : savoir lire les examens de contrôle, savoir déceler dans les symptômes physiques leur caractère de gra- vité ou pas, repérer éventuellement des signes de reévoluti- vité de la maladie. Ce rapport instrumental au corps reste néanmoins une façon de tenter de contrôler l’incertitude.

Incertitude qui vient s’immiscer dans le vécu quotidien : d’une part, en permettant d’élire des priorités, de se recentrer sur ce qui est important et, d’autre part, en bridant les rêves, entravant les projets.

Véronique parle du paradoxe de « ce temps qu’on sait limité, mais qui dure », d’une certaine « routine » au sein de laquelle même le risque de récidive est assimilé. Les réci- dives qui récidivent, qui se répètent—mais jamais vécues de la même manière.

Ces propos illustrent l’ambiguïté de la chronicité : temps de la répétition et, invraisemblablement, temps de la diffé- rence : « dans la durée, le Même est toujours Autre, c’est toujours, au cœur même de la répétition, la venue de l’in- connu » [22].

Temps de conclure ?

C’est en quoi la chronicité ne protège pas de « frottement à l’incertitude », qui place le sujet entreElpis, l’espoir, l’attente ambiguë du futur etPhobos, la crainte. C’est ce que la mytho- logie grecque nous dit de la temporalité des humains : ce rapport à l’indéterminé, oscillant entreprométheia(le savoir anticipé, la prévoyance) et épimétheia (la compréhension après-coup) [23].

C’est pourquoi l’expérience de la maladie, la confronta- tion à l’incertitude, à la finitude, à la vulnérabilité constitu- tives de la condition humaine [24] viennent se déployer dans une temporalité singulière pour chaque patient— souvent décalée de la logique institutionnelle, des intercurrences médicales, des événements qui scandent le parcours de soin.

C’est pourquoi il est important de saisir—dans ce temps chronologique de la prise en charge de la maladie, selon les circonstances et au mieux des possibilités ouvertes—kai- ros, le moment opportun. Le moment opportun pour qu’un passage —de la répétition à la remémoration, de l’imagi- naire au symbolique (la réintégration du passé), du chaos à

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l’histoire, du silence au récit, de l’infantiaà la parole [16]— puisse avoir lieu.

Ces passages sont sous-tendus par un continuum— la continuité d’être (aimé) qu’évoque Winnicott [25]. C’est en ce sens que l’engagement thérapeutique s’avère le moyen d’apprivoiser le temps et de « dans le champ du malheur, planter une objection » [26].

Conflit d’intérêt :l’auteur déclare ne pas avoir de conflit d’intérêt.

Références

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