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A propos de l'habitat et de l'habitation : tendances nouvelles en archéologie
GALLAY, Alain
GALLAY, Alain. A propos de l'habitat et de l'habitation : tendances nouvelles en archéologie.
Bulletin du Centre genevois d'anthropologie , 1988, vol. 1, p. 3-6
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http://archive-ouverte.unige.ch/unige:97727
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TENDANCES NOUVELLES EN ARCHÉOLOGIE
PAR
Alain GALLA Y
Le regard rétrospectif, que l'on peut porter au
jourd'hui sur les développements des méthodes de l'archéologie, montre que les progrès les plus considé
rables ont essentiellement porté sur l'affinement des méthodes de fouilles et d'enregistrement et l'explosion des méthodes d'analyse physico-chimiques des vestiges, c'est-à-dire sur la collecte de l'information archéolo
gique et sur la présentation de cette dernière à travers des typologies aux fondements de plus en plus sophis
tiqués. Ces approches empiriques butent pourtant sur deux problèmes fondamentaux qui soulèvent une question essentielle: comment attribuer un sens aux vestiges du passé, alors que les hommes qui en sont à l'origine ont à jamais disparu?
Le premier problème concerne l'adéquation du sens et de la mesure dont la maîtrise est, en archéologie, loin d'être parfaite. Depuis une vingtaine d'années, on assiste à un engagement croissant pour les méthodes mathématiques dites de taxonomie numérique. Il convient pourtant de constater que les résultats obtenus ne sont pas à la hauteur de la sophistication des algorithmes utilisés, les auteurs insistant, la plupart du temps, sur les difficultés d'interprétation des confi
gurations formelles obtenues. Nous sommes en pré
sence de mesures qui ne génèrent pas de sens. A l'opposé, nous découvrons une situation exactement inverse dans certains travaux anglo-saxons. Des algo
rithmes mathématiques sont utilisés dans ce cas pour rendre compte de phénomènes historiques extrême
ment complexes, alors que les faits auxquels s'appli
quent les soi-disant mesures ne sont pas définies avec précision. Nous pensons notamment ici à l'applica
tion de la théorie des catastrophes à la compréhen
sion de la chute de certaines civilisations urbaines.
Dans ce cas, la mesure génère un excès de significa
tion.
Le second problème concerne les interprétations de rangs dits élevés dont la plupart sont des interpréta
tions fonctionnelles au sens large. Les travaux anglo
saxons ont ici encore été à l'origine du goût pour les interprétations anthropologiques touchant le social et l'idéologique. Les discours de cet ordre restent mal
heureusement encore fort impressionnistes, dans la mesure où ils ne s'appuient pas sur ·des savoirs consti
tués portant sur les significations possibles des faits matériels mis en évidence par l'archéologue. Il nous paraît en effet utopique de vouloir faire parler les vestiges en dehors de toute référence à un contexte de référence extérieur appartenant au monde vivant. Les vestiges ne parlent pas d'eux-mêmes, ils ne sont que le reflet partiel d'une réalité humaine qui doit être maîtrisée dans le cadre large des sciences anthropolo
giques.
Les études abordant de front ces deux questions essentielles sont encore rares; elles portent à la fois sur la mise en place de mesures adéquates des réalités archéologiques et sur des questions d'ordre ethnoar
chéologique. Nous avons voulu, à travers les articles réunis dans ce volume, illustrer quelques facettes de ces nouvelles tendances dans une série de contribu
tions consacrées à l'habitat et à l'habitation.
H. Kowalewska-Marszalek dresse un bilan des recherches utilisant le concept d'analyse territoriale et précise les limites de ces approches qui restent éminemment empiriques, malgré les références eth
nographiques primitivement utilisées par les promo
teurs de la méthode. Elle met en évidence la diffé
rence fondamentale opposant le caractère centrifuge de l'approche territoriale et le caractère centripète de l'analyse du catchment, différence dont tous les arché
ologues ne sont pas conscients. On va s'approvisionner dans un territoire, mais l'on reçoit des matériaux du
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catchment. On doit pourtant se demander si la réalité archéologique permet réellement d'opérer cette dis
tinction et s'il n'y a pas lieu de rechercher un concept à la fois plus pauvre et plus précis permettant de surmonter cette ambiguïté. Seul serait alors pris en considération le lien unissant un vestige, ou une catégorie de vestiges, découvert dans un site et le lieu possible de son origine à l'extérieur de ce dernier.
C'est dans cette direction, celle d'une meilleure maîtrise des concepts interprétatifs, que progresse l'analyse de H.-P. Francfort, dont l'intérêt se concentre sur les objets introduits sur le site et «pris au piège»
de l'agglomération. L'interprétation du site de Shor
tugaï, en Afghanistan, repose sur un paradoxe:
comment démontrer que l'occupation la plus ancienne de cet habitat, fondé par des colons de la vallée de
!'Indus, est de caractère «urbain», alors que toutes les caractéristiques habituellement mobilisées pour fonder ce concept, dimensions du site, présence de bâtiments spécialisés de type temples et/ou palais, fortifications, etc., sont absentes? Cette situation per
met à H.-P. Francfort de poser la question d'une définition non équivoque du caractère urbain d'un site et du choix des mesures susceptibles de rendre compte objectivement de cette situation. Les réponses apportées pourront paraître surprenantes. Est urbain un site qui traite une variété et une quantité de matière plus importante (que les sites non urbains), à travers des chaînes technologiques plus complexes, ce qui revient à considérer ce dernier comme un îlot de négentropie alimenté par un flux de matière et d'infor
mation dont l'origine peut se situer bien au delà du site lui-même, comme c'est le cas pour des objets déjà manufacturés importés dans l'agglomération. Une mesure objective de cette réalité doit utiliser un iso
morphisme reposant sur une loi physique (cf. mesure de la chaleur fondée sur la dilatation d'une colonne de mercure). En choisissant ce dernier au niveau des lois de la thermodynamique, H.-P. Francfort réalise ici, peut-être pour la première fois, une réelle adéqua
tion du sens et de la mesure.
Les deux études précédentes s'intéressant aux flux de matière et d'information alimentant un site arché
ologique, celles de P. et A.-M. Pétrequin et de A. Gallay abordent les questions touchant à la structuration spatiale interne de l'habitat. L'utilité d'un dialogue entre archéologie et ethnologie transparaît clairement dans les observations de P. et A.-M. Pétrequin sur un campement temporaire en grotte de !'Irian Jaya. Les origines de cette recherche sont connues. A deux reprises, P. Pétrequin avait, en Europe, fouillé des sols d'habitats en grotte, parfaitement conservés du
fait du départ précipité de ses occupants; nous voulons parler du niveau XI de la grotte de Gonvillars (Néo
lithique ancien) et du niveau D2 de la grotte des Planches (Bronze final). Dans les deux cas, la ques
tion des relations existant entre la structuration de l'habitat de plein air et celle de l'habitat en grotte était posée. Cette même problématique se retrouve dans l'analyse du campement papou lié à l'extraction des matériaux nécessaires à la confection des haches polies. Soulignons pourtant ici que l'étude ethnoar
chéologique est postérieure à l'approche empirique de la réalité archéologique et qu'elle valide en quelque sorte les hypothèses avancées bien des années aupara
vant. Cette situation mérite d'être soulignée, car elle montre que le dialogue entre l'archéologie et l'ethno
logie peut également s'appliquer dans le sens d'une contrainte des problématiques archéologiques sur la vision du présent.
Dans notre livre !'Archéologie demain (Paris, Bel
fond, 1986), nous présentions la démarche archéolo
gique comme un savoir artisanal jouant, à la fois sur la description de scénarios historiques et sur la recherche de régularités typologiques, et restant de ce fait une discipline inachevée, incapable d'incorporer dans ses problématiques la notion de lois. Nous étions conscient alors de la fragilité de cette position, car nous connaissions les pièges que pouvaient receler les évidences du sens commun. Ces derniers sont nombreux en archéologie, même lorsque les évidences sont enrichies par un savoir acquis dans le domaines de l'ethnoarchéologie ou de l'archéologie expérimen
tale. L'examen du développement du savoir scienti
fique montre, en effet, que les théories les plus pro
fondes sont souvent contre-intuitives.
On trouvera, dans l'article de ce volume consacré à des camps Touaregs du Hoggar, une réponse possible à cette question puisée dans les réflexions de Binford.
Au terme de loi, nous préférons désormais le terme de mécanismes qui rend mieux compte de la pratique de la recherche scientifique. Si l'archéologue travaille effectivement sur l'axe reliant les scénarios aux régu
larités (les descriptions aux typologies), l'ethnoarchéo
lûgue se consacre, lui, à préciseï les mécanismes
«expliquant» ces mêmes régularités. La petite étude de la structuration de l'espace des camps Touaregs tente d'explorer cette dernière voie et débouche sur une notion de chaîne opératoire proche de celle qui anime la démarche de H.-P. Francfort. Cette conver
gence n'est, à notre avis, pas fortuite. Comme l'a bien montré Leroi-Gourhan, l'une des composantes majeures de l'aventure humaine est le développement de l'intel
ligence technique qui laisse, au niveau de la matière,
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ANTHROPOLOGIE régularités
A
mécanismes SCIENCE
rétrodiction
scénarios )o HISTOIRE
Ce constructions explicatives Ct constructions typologiques
B
Ce constructions
explicatives EXP LICATIONS
le Présent ETHNO
ARCHEOLOGIE
C
Cc constructions compilatoires DESCRIPTIONS
le Passé ARCHEOLOGIE
Fig. 1. Articulation des approches dans les sciences du Passé. A. Relations entre histoire, anthropologie et science. B.
Relations établies entre les diverses étapes de la recherche archéologique. C. Relations entre archéologie, discipline descriptive et typologique et ethnoarchéologique, discipline typologique et explicative. On remarquera la parfaite homologie des trois schémas.
des traces remarquables, les vestiges fonctionnant comme une mémoire de toutes les interactions de l'homme avec son environnement. Comprendre les mécanismes ayant entraîné la formation de ces vestiges, c'est écrire, sur une base archéologique solide, une grande partie de l'histoire de l'homme. On pourra nous objecter que cette analyse saharienne reste inuti-
lisable sur le plan archéologique, dans la mesure où les situations ponctuelles décrites sont, dans la réalité archéologique, toujours brouillées du fait des super
positions dues aux états successifs du système et que, de toute manière, le seul vestige qui subsiste après le lever du camp est une zone charbonneuse, de forme plus ou moins régulière, tous les objets étant emportés
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par les hommes. A ceci, nous répondons que les situations relevant du «syndrome de Pompéi» sont moins exceptionnelles qu'on peut bien le penser et qu'il suffit souvent d'avoir la perspicacité de les reconnaître. Les fouilles de P. Pétrequin, de Gonvil
lars à Chalain, en passant par la grotte des Planches, sont là pour en témoigner. Quant à la seconde objec
tion, elle permet de mettre le doigt sur une distinction importante. L'enquête ethnoarchéologique se doit, en effet, de distinguer l'analyse des mécanismes compor
tementaux, des faits matériels à travers lesquels ils s'inscrivent. Les mêmes comportements peuvent s'enregistrer dans les faits matériels de façon fort diverses. Le fait que les comportements étudiés ne s'inscrivent pas, dans le cas présent, au niveau des vestiges abandonnés lors du départ ne signifie pas que cet enregistrement sur le sol ne soit pas possible dans d'autres circonstances.
Ce volume s'achève sur l'analyse, par P. Donati, ainsi que par C. Orcel et A. Orcel, du village tessinois de Dagro dans les Alpes suisses. Elle montre comment
l'enquête ethnohistorique et la mesure peuvent s'asso
cier en une approche particulièrement dynamique. Le caractère systématique de la mesure dendrochronolo
gique associée à l'analyse architecturale des bâtiments constitue ici le fondement d'une ordination tempo
relle, dont l'explication (donc le sens) se trouve dans la recherche du contexte historique et ethnologique.
Au terme de cette présentation, nous voyons donc poindre, malgré la diversité des sujets, des problèmes épistémologiques communs. Ces derniers ne sont pas toujours ceux auxquels les archéologues ont l'habi
tude de porter quelque attention. Ils méritent donc réflexion et discussion. Se dessine, à travers ces contributions, une archéologie plus consciente de ses limites, qui porte son attention sur les modalités de production des vestiges et la structuration de l'espace rendant compte de cette genèse. Elle fait le pari que cette analyse permettra, à l'avenir, de révéler des pans entiers de ce qu'il y a de plus spécifique dans l'aven
ture humaine.
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