• Aucun résultat trouvé

« Le temps c'est de l'argent », mais l'argent fait-il le bonheur ? Étude des facteurs d'influence sur l'engagement bénévole au sein du projet de bénévolat intergénérationnel de Caritas Genève

N/A
N/A
Protected

Academic year: 2022

Partager "« Le temps c'est de l'argent », mais l'argent fait-il le bonheur ? Étude des facteurs d'influence sur l'engagement bénévole au sein du projet de bénévolat intergénérationnel de Caritas Genève"

Copied!
85
0
0

Texte intégral

(1)

Master

Reference

« Le temps c'est de l'argent », mais l'argent fait-il le bonheur ? Étude des facteurs d'influence sur l'engagement bénévole au sein du projet

de bénévolat intergénérationnel de Caritas Genève

SOTTAS, Marie

Abstract

Quels sont les facteurs déterminants dans l'engagement des jeunes bénévoles en 2018 ? Le bénévolat est-il devenu une stratégie des jeunes pour faciliter leur insertion sur un marché du travail précarisé ou est-ce le fruit d'un comportement bienveillant et généreux ? Sortir des explications binaires entre altruisme et égoïsme lorsque l'on s'intéresse aux motivations relatives au bénévolat est essentiel pour apporter un éclairage plus complet sur les variables déterminantes au moment de l'engagement. En partant d'un cas d'étude particulier - le projet de bénévolat intergénérationnel (BIG) de Caritas Genève - cette étude explore les raisons de l'engagement des jeunes participant-e-s de BIG. En considérant l'engagement comme un processus multidimensionnel, cette analyse qualitative explore l'influence de multiples facteurs explicatifs, en intégrant tant le rôle des circonstances sociales, qu'individuelles ou organisationnelles sur les motivations des bénévoles.

SOTTAS, Marie. « Le temps c'est de l'argent », mais l'argent fait-il le bonheur ? Étude des facteurs d'influence sur l'engagement bénévole au sein du projet de bénévolat intergénérationnel de Caritas Genève. Master : Univ. Genève, 2019

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:123422

Disclaimer: layout of this document may differ from the published version.

1 / 1

(2)

« Le temps c’est de l’argent », mais l’argent fait-il le bonheur ?

Étude des facteurs d’influence sur l’engagement bénévole au sein du projet de bénévolat intergénérationnel de Caritas Genève

Marie Sottas

Travail de master en socioéconomie

Sous la direction de : Jean-Michel Bonvin

Juré : Aljoscha Landös Août 2019

(3)

2

Table des matières

Remerciements...4

Introduction...5

A. Le bénévolat ...8

A.1 Définitions et étymologie ...8

A.2 Origines et émergence du bénévolat actuel ... 11

A.3 Transformation des engagements bénévoles ... 13

B. Quels facteurs influencent l’engagement bénévole ? ... 17

B.1 Les caractéristiques sociodémographiques des bénévoles ... 18

B.2 Influence des processus de socialisation sur l’engagement ... 20

B.3 Les cadres de références idéologiques des jeunes et des bénévoles ... 21

B.3.1 Les valeurs des jeunes en Europe selon Olivier Galland (2011) ... 22

B.3.2 Les valeurs des bénévoles dans la littérature ... 25

B.4 Les motivations qui poussent à s’engager : recension des écrits ... 26

B.4.1 Quelques données empiriques ... 27

B.4.2 Motivations des bénévoles au sein des sciences économiques ... 29

B.4.3 Motivations des bénévoles au sein de la psychologie sociale ... 30

B.4.4 Motivations des bénévoles : l’apport des sciences sociales ... 31

B.5 Influence de la pratique organisationnelle ... 33

B.6 Typologie des motivations des bénévoles selon l’état de la recherche ... 36

C. Terrain d’étude et méthodologie ... 39

C.1 Cadre du terrain d’étude : le projet de Bénévolat InterGénérationnel (BIG) de Caritas Genève 39 C.1.1 Le contexte institutionnel du projet BIG ... 39

C.1.2 Contexte socio-sanitaire du projet BIG... 39

C.1.3 Les objectifs du projet BIG ... 40

C.1.4 Déroulement du projet BIG ... 41

C.2 Méthodologie ... 43

D. Analyse des données du terrain ... 45

D.1 Les caractéristiques sociodémographiques des bénévoles de BIG ... 45

D.2 Une socialisation engageante ? ... 48

D.3 L’humain : une grande famille valeureuse ? ... 50

D.4 Un patchwork de motifs ... 51

D.4.1 Motifs personnels ... 52

D.4.2 Motifs civiques et citoyens ... 55

D.4.3 Motifs relationnels ... 59

(4)

3

D.4.4 Motifs intergénérationnels ... 60

D.4.5 Motifs professionnels ... 61

D.4.6 Motifs organisationnels ... 64

Conclusion ... 69

Bibliographie ... 74

Annexes ... 80

Grille d'entretien ... 80

(5)

4

Remerciements

Je tiens à remercier chaleureusement les différentes personnes qui ont contribué à la réalisation de ce mémoire :

Tous les bénévoles qui ont accepté de répondre à mes questions et se sont livrés avec une grande confiance et sans qui ce travail n’aurait pas été possible,

Jean-Michel Bonvin, mon directeur de mémoire, pour l’encadrement de ce travail, son soutien et ses conseils avisés,

Aude Tholomier, la responsable du projet BIG, et Dominique Froidevaux, le directeur de Caritas Genève, pour leur accueil, leur bienveillance et leurs conseils,

Enfin, je remercie de tout cœur ma famille et mes proches pour leur accompagnement tout au long de ce travail, et tout particulièrement Noélie Merle, Valentina Zardi, Manon Fournier, Juliette de Montmollin, Clément Lambelet, Odile Magnenat, Elise Rapp et Juliette Papaloizos pour leurs conseils, leurs relectures, leur disponibilité et leurs indéfectibles encouragements m’ayant permis d’achever ce travail.

(6)

5

Introduction

Le 20 mai 2013, le magazine américain Time arborait la couverture suivante : « The Me Me Me Generation » où la génération Y, aussi appelée Millennials, était décrite en sous-titre comme « lazy, entitled narcissists who still live with their parents ». Ces jeunes sont souvent présentés comme désengagés, absorbés par leurs préoccupations individuelles et peu concernés par les problématiques collectives, dans un discours encensant une époque révolue des années 1960 où les préoccupations sociales étaient supposément plus fortes. Cependant, cette tendance à présenter cette catégorie de la population comme n’étant plus une force sociale et politique nécessite d’être revisitée aux vues de nombreux mouvements sociaux existants initiés par la jeunesse, tel que le mouvement contre le réchauffement climatique débuté en 2018 par des étudiants. Il existe de nombreux mouvements portés par la jeunesse qui contredisent ce type de discours et démontrent la persistance d’une participation des jeunes visant des retombées collectives. Ces actions se déclinent sous de nombreuses formes, une d’elles étant le bénévolat.

C’est sur cette dernière forme d’engagement que porte ce travail.

À l’heure de la remise en question et des transformations de l'État social depuis la fin des Trente Glorieuses, le bénévolat est tantôt présenté comme un contre-pouvoir à un État social défectueux, tantôt comme un révélateur de nouveaux besoins sociaux, tantôt comme une résistance de modes de relations du passé, tantôt comme une action complémentaire des services professionnalisés. Certains voient en effet dans le bénévolat une forme de résistance à la société capitaliste marquée par l’utilitarisme, le productivisme et l’individualisme. Il favoriserait le sentiment d’appartenance à un collectif et la défense d’une communauté solidaire. Le bénévolat serait alors l’expression d’un constat d’échec de nos sociétés qui ne parviennent pas à faire cohésion, à être dans une réelle intégration sociale et un « vivre ensemble ». La déclinaison du bénévolat est tributaire de la politique sociale d’un pays donné à savoir des besoins sociaux pris en charge, des acteurs impliqués et des moyens déployés. Et la définition des formes de solidarités est en proie au conflit perpétuel entre des valeurs libérales et sociales. Le bénévolat est ainsi appelé à pallier les lacunes de services qui pourraient être imputés aux pouvoirs publics selon l’idéologie politique défendue.

Toutefois, quelle que soit la vision portée sur le rôle du bénévolat, il est indéniable que les activités bénévoles constituent une force sociale majeure dans nos sociétés. L’engagement

(7)

6 bénévole des citoyens1 joue un rôle central, reconnu depuis plusieurs années dans l’intégration sociale, et les enjeux sociétaux autour du bénévolat sont considérables. En Suisse, environ 33%

de la population résidente de plus de 15 ans effectue au moins une activité bénévole2 en 2010 (OFS, 2011) et la valeur monétaire de ce travail bénévole est estimée pour l’année 2016 à 34 milliards de francs (OFS, 2017). Les bénévoles jouent donc un rôle crucial pour le bon fonctionnement d’innombrables prestations, notamment au sein du monde associatif. Au vu du rapport de dépendance de nombreuses actions sociales associatives envers les bénévoles, l’engagement et la fidélisation de ceux-ci constitue un enjeu majeur de leur survie.

Un des questionnements concernant le développement des actions bénévoles consiste à savoir, comme le soulignent des chercheuses spécialisées dans ce domaine, « si les nouveaux publics bénévoles, tels que (…) les jeunes, prêteront leur concours à des réponses concrètes et directes aux besoins de solidarité et d’engagement actuels » (Castonguay, J., Vézina, A., & Sévigny, A 2014, p.24). Les jeunes constituent, en effet, un groupe clé pour assurer la relève bénévole, et des projets de recherches ciblés sur les jeunes bénévoles sont nécessaires pour mieux comprendre leur engagement.

Un terrain d’étude propice à l’approfondissement de cette problématique s’est présenté par le biais d’un stage de quatre mois au sein de l’association Caritas Genève. Il s’agissait de participer à la réalisation d’un projet pilote de bénévolat intergénérationnel, nommé projet BIG, pour sa première phase en 2017 à Genève. Cette activité bénévole propose à des jeunes de 18 à 25 ans de rendre visite à des personnes âgées en situation d’isolement à un rythme hebdomadaire pendant six mois. Nous reviendrons plus en détails sur la présentation du terrain ultérieurement.

Dans l’état de la recherche sur les enjeux de l’engagement bénévole, un fort accent a été mis sur l’étude des motivations des bénévoles qui aboutit souvent à une opposition entre des motivations intéressées et désintéressées (Gagnon et Fortin, 2002, pp.67-68). Ces résultats ouvrent alors un vaste débat invérifiable pour savoir s’il existe réellement des conduites altruistes. Le bénévolat semble effectivement être un symbole fort censé incarner la preuve de l’existence idéale de comportements désintéressés. Dès lors, lorsque les motivations observées vont à l’encontre de cette « croyance », le débat semble se scléroser. Face à ce phénomène peu

1 Dans le présent document, les termes employés pour désigner des personnes sont pris au sens générique dans le

seul but de ne pas alourdir le texte ; ils ont à la fois valeur d’un féminin et d’un masculin.

2 Ces chiffres englobent le bénévolat formel et informel.

(8)

7 fructueux, des perspectives critiques cherchent à aborder la question de l’engagement dans une perspective plus compréhensive et c’est dans cette lignée que s’inscrit la présente recherche.

Afin de contribuer à mieux cerner les enjeux de l’engagement des jeunes, en évitant de tomber dans une explication des motivations uniquement individuelle et binaire, ce travail cherche à mettre en évidence les multiples facteurs qui encouragent l’engagement bénévole dans le cas du projet BIG. Nous envisageons ici l’engagement comme un processus multidimensionnel. En effet, comme l’écrit le sociologue Gregor Stangherlin cette perspective « nous incite à analyser la manière dont les ressources sont acquises et comment elles affectent l’engagement, l’adhésion ou le désengagement, selon les contextes d’opportunité et de contrainte. Une telle approche implique d’étudier l’engagement par rapport aux autres sphères de vie et au contexte historique (Fillieule, 2001 ; Passy, 2002). » (2006, p.153).

L’objet de notre recherche est donc de comprendre quels facteurs influencent l’engagement de ces jeunes bénévoles, tant d’un point de vue des circonstances sociales qu’individuelles.

Nous souhaitons intégrer l’influence des conditions sociales des jeunes, de leurs groupes d’appartenance, de leurs trajectoires de vie, de leurs motivations, de leurs convictions, du sens qu’ils donnent à leur activité bénévole et le rôle des conditions de la pratique bénévole, afin d’avoir un meilleur entendement des éléments intervenant dans leurs décisions de s’engager bénévolement.

Dans une première partie, nous allons présenter la notion de bénévolat en revenant sur sa définition, ses origines historiques et les transformations des engagements depuis la fin du XXe siècle. Nous nous pencherons, en deuxième lieu, plus spécifiquement sur les facteurs qui agissent sur l’engagement des bénévoles selon la littérature. Dans cette partie, nous examinerons le rôle des caractéristiques sociodémographiques des bénévoles ainsi que les processus de socialisation qui peuvent faciliter l’engagement. Nous soulignerons ensuite les cadres de références idéologiques des jeunes et des bénévoles, avant de dresser un tableau des diverses motivations répertoriées dans les écrits. Ce à quoi, nous ajouterons l’impact sur l’engagement des pratiques organisationnelles. Après la présentation de notre terrain d’étude et de la méthodologie employée, nous effectuerons l’analyse empirique de notre cas d’étude à la lumière des éléments présentés dans la revue de la littérature. Nous souhaitons confronter nos résultats à ceux mis en avant dans les recherches existantes dans une démarche comparative, avec un cas d’étude actuel genevois, inscrit dans les enjeux sociétaux contemporain. Cette démarche a pour but d’éclairer les préoccupations, les motivations, le sens que les jeunes

(9)

8 donnent à leur activité bénévole dans leur parcours de vie, mais également de cerner l’impact des facteurs non-individuels sur leur décision de s’engager ou non.

A. Le bénévolat

Dans un premier temps, il est nécessaire de définir la notion de bénévolat, comprendre l’historique et les transformations de cette pratique afin de mieux cerner ses enjeux actuels.

A.1 Définitions et étymologie

Le bénévolat a des définitions multiples et hétérogènes selon les perspectives théoriques ou professionnelles de ceux qui tentent de le définir. Sa définition représente en soi un enjeu de pouvoir. Le bénévolat est généralement décrit comme « une action libre sans rémunération pour la communauté » (Ferrand-Bechmann, 2000, p.13) en dehors du temps professionnel et familial. Cette définition met en avant deux critères principaux, celui d’un engagement libre - par rapport au sentiment d’obligation d’un proche aidant ou au lien contractuel d’un salarié- et la gratuité de l’action.

Le terme « bénévole » apparaît en 1282 (CNRTL, consulté en mars 2018) du latin benevolus de bene : bien et volo : je veux. Son étymologie signifie, selon la traduction, vouloir le bien ou bienveillant. Le substantif « bénévolat » quant à lui apparaît tardivement dans le dictionnaire de la langue française. Il est inscrit en 1954 dans le Petit Robert pour définir « la situation de celui qui accomplit un travail gratuitement et sans y être obligé » (Bovay, Tabin et Campiche, 1994, p.100). Le terme « bénévole » véhicule en soi une connotation positive et désigne une personne de bonne volonté qui participe à une action de solidarité. Le bénévolat comporte l’idée d’une reconnaissance d’un besoin et une attitude de responsabilité sociale du bénévole vis-à- vis de ce besoin, pour lequel il s’engage sans rétribution financière ni contrainte.

Cinq conditions

Le bénévolat contient une notion de don de soi pour les autres et se caractérise par cinq conditions selon le Centre d'Étude et d'Information sur le Volontariat (CEIV France) : « Le bénévole (…) est celui qui s'engage (notion d'engagement), de son plein gré (notion de liberté),

(10)

9 de manière désintéressée (notion d'acte sans but lucratif), dans une action organisée (notion d'appartenance à un groupe, à une structure), au service de la communauté (notion d'intérêt commun) » (cité dans Jovelin, 2005, p.104). Le bénévolat est donc « l'activité de citoyens qui, en dehors de leurs obligations professionnelles et sans y être contraints, consacrent une partie de leur temps et de leurs compétences, seuls ou le plus souvent au sein d'organismes variés, au service de la communauté » (Beriot, 1985, cité dans Jovelin, 2005, p.106).

Le bénévolat est souvent défini par rapport au salariat dont il cherche à se distancier « en réclamant de l’autonomie contre la subordination, et en défendant des valeurs morales et sociales par rapport à la motivation financière » (Demoustier, 2002, p.102). Il est décrit comme une relation non marchande.

Bénévolat formel et informel

La définition du bénévolat au sein d’une action organisée correspond au bénévolat formel. Il existe également le bénévolat informel qui a lieu en dehors d’une organisation et désigne les actes d’entraide qui ont lieu à titre privé comme garder les enfants d’une connaissance, aider le voisin à faire ses courses etc. Ce type de bénévolat se confond parfois avec le travail domestique ou familial qui est également non rémunéré, mais qui n’est en revanche pas toujours librement consenti. Le bénévolat informel est peu mesuré dans les études sur le bénévolat en raison de ses contours difficiles à appréhender. Dans ce travail, nous nous intéresserons particulièrement au bénévolat formel dans le domaine de l’action sociale3, étant donné que notre cas d’étude a lieu dans le cadre d’un projet social organisé par une association.

Le bénévolat : un objet flottant

Le bénévolat dans le champ de l’action sociale prend différentes formes. Il peut s’agir de tâches administratives, de récolte de fonds, de gestion (participation à un comité) ou de prestations d’aide, à savoir de services rendus à des personnes. Ces prestations s’étendent sur une large palette allant de l’accompagnement lors d’une sortie de classe à l’aide aux demandeurs d’asile, en passant par la distribution de repas ou l’accompagnement de personnes en fin de vie (Bovay, Tabin et Campiche, 1994, pp.34-35). Toutefois, la nature de la prestation accomplie ne permet pas en soi de définir le bénévolat étant donné que ces tâches peuvent aussi bien être effectuées par des salariés que par des bénévoles. En effet, le travail accompli par un pompier bénévole ou professionnel est parfois le même, tout comme les activités effectuées en maison de retraite

3 Le bénévolat a lieu également dans les domaines de la politique, du sport, des loisirs, de la religion, etc.

(11)

10 par un bénévole ou par un stagiaire en animation sociale peuvent être similaires. Ainsi, la nature des activités ne permet pas de définir ce qu’est un bénévole, comme l’explique Ferrand- Bechmann : « Entre les uns et les autres, la différence est souvent mince et l'identité du bénévole est fragile, ne tenant qu'à une définition ponctuelle et sociale » (1992).

Face à la grande variété d’actions bénévoles et de cadres de leur exercice, il est difficile de donner une définition claire et définitive du bénévolat. C’est une notion définie en fonction d’un contexte social dans un lieu et temps donné, et ce qui est nommé bénévolat aujourd’hui n’est pas forcément considéré comme tel dans un autre contexte temporel, culturel ou économique.

Les frontières de cette notion sont floues et mobiles puisque l’usage et la légitimité du bénévolat sont déterminés par un processus culturel. Il s’agit donc d’un « objet flottant dont les contours sont tributaires des circonstances telles que le contexte institutionnel local, l’initiative des professionnels et l’image social qu’on se fait du bénévolat » (Bovay, Tabin et Campiche, 1994, p.98).

Les fonctions du bénévolat

Les bénévoles occupent selon Jean-Pierre Fragnière (1985) diverses fonctions : une fonction de suppléance, en prenant en charge les besoins non assumés par les pouvoirs publics ; une fonction d'intégration, en participant à l'intégration de personnes en difficulté lorsque les services sont insuffisants ou inadéquats ; une fonction d'anticipation, lorsqu’ils stimulent la création de services ou de modes d’organisation en amont de l’intervention publique ; une fonction de recherche et d'expérimentation, en testant des interventions innovantes pour répondre à des nouveaux besoins sociaux ; et une fonction d'humanisation, en défendant la solidarité. Les bénévoles jouent aussi un rôle d’animation, générateur de lien social, en apportant des contributions spécifiques à la communauté, un rôle de participation à la vie sociale, et parfois de contre-pouvoir en tant que lieu d’expression et de pratique de la démocratie. En anticipant, complétant, innovant, questionnant l’action ou l’inaction de l’Etat ainsi que des institutions privées lucratives qui échouent à répondre à certains besoins sociaux, le bénévolat offre des solutions alternatives moins coûteuses et rigides. Il a ainsi également pour effet un partage des responsabilités.

Le bénévolat est une dimension peu visible et pourtant majeure de notre société, à travers laquelle les acteurs questionnent la société, soulèvent des contradictions, déconstruisent, reconstruisent à l’écart des sentiers battus pour une société plus solidaire et inclusive. C’est en ce sens un moteur du système social.« Le bénévolat participe au débat sur l’Etat et il est au

(12)

11 cœur des dynamiques sociales les plus militantes et innovatrices » (Ferrand-Bechmann, 1992, p.30).

A.2 Origines et émergence du bénévolat actuel

La définition du bénévolat est donc variable et plurielle. Pour mieux comprendre cette absence de consensus, il est nécessaire de revenir brièvement sur les origines et l’évolution historique du bénévolat.

Le bénévolat associatif actuel est un concept récent, qui trouve ses racines dans les notions de charité religieuse, de philanthropie, d’entraide et de militantisme. En effet, le bénévolat émerge de divers mouvements historiques : « de la laïcisation du paternalisme du XIXe siècle et des activités de charité basées sur un objectif d'ordre moral et public, ainsi que de la dépolitisation des mouvements d'entraide ouvrière » (Demoustier, 2002, p.100). Les racines du bénévolat sont contradictoires : d’un côté elles émergent des classes dominantes, comme les actions des dames patronnesses, qui cherchent à sauver leur âme, éduquer et normaliser les classes paysannes et ouvrières, et de l’autre, elles trouvent leur terreau dans les pratiques de solidarité des classes ouvrières et paysannes. Les motifs poussant à pratiquer le bénévolat vont de la peur de la sanction de son groupe social, à la volonté de gagner sa place au ciel, au maintien de l’ordre public, en passant par la charité paternaliste, la recherche de reconnaissance sociale, le souci d’entraide, etc. (Ferrand-Bechmann, 1992, pp. 16-17). Dan Ferrand-Bechmann met en évidence deux types de bénévolat : celui d’une classe qui se penche sur une autre, et celui d’un groupe, souvent en difficulté, qui travaille pour lui-même et sa communauté (2000, p.10). Ainsi, comme l’écrit Martine Barthélémy, « inhérent aux relations sociales, le bénévolat s'incarne au siècle dernier dans les conduites endogènes de solidarité mutualiste au sein des classes ouvrière et paysanne comme dans les pratiques charitables des classes dominantes inspirées par les valeurs chrétiennes » (citée dans Demoustier, 2002, p.100). La solidarité est alors le penchant laïc de la charité et de la bienfaisance.

Lors de la première moitié du XXe siècle, le bénévolat s’exerce principalement dans le domaine social et son action est alors majoritairement discrétionnaire et conservatrice. Ce type de bénévolat commence à être contesté dès la Deuxième Guerre mondiale. Sa volonté normalisatrice et son origine chrétienne poussent une part du mouvement laïc à s’en distancier.

C’est alors qu’un « bénévolat militant » voit le jour. Dans les années 1950, de nouvelles actions

(13)

12 de solidarité, telles qu’Emmaüs, sous l’impulsion de l’Abbé Pierre ou le mouvement Aide à Toute Détresse (ATD), émergent et recourent aux médias pour susciter la générosité et le soutien, et faire pression sur l’Etat. Le développement de l’Etat-Providence, lors des Trente Glorieuses, instaure une entraide nationale et obligatoire contre les risques de l’existence, et semble diminuer le rôle crucial du bénévolat, qui paraît alors relégué à des causes résiduelles.

Toutefois, il continue à répondre aux besoins qui ne sont pris en charge ni par la sphère étatique empêtrée dans une bureaucratie lente et complexe, ni par la sphère privée (Jovelin, 2005).

Lors des mouvements sociaux des années 1970-1980, dans un contexte de crise de l’État- Providence, la revendication d’un “bénévolat militant” se fait plus forte. Le milieu associatif - en plein essor - s’introduit dans la sphère publique avec un rôle militant exerçant une fonction de « dynamisation de la « société civile », de contre-pouvoir par rapport à l'Etat, et de socialisation contre l'anomie sociale croissante » (Tassel cité dans Demoustier, 2002, p.101).

En parallèle, le bénévolat actuel émerge également sous l’influence de la professionnalisation de l’action sociale et sanitaire qui joue un rôle important dans son développement et son orientation (Bovay, Tabin et Campiche, 1994). En effet, l’action sociale se professionnalise dans la deuxième moitié du XXème siècle, et cherche alors à justifier son existence et sa légitimité en se démarquant des « dames d’œuvres », de la charité, et de l’amateurisme, avec la mise en avant de techniques psychosociales et d’un ethos professionnel laïc. Cette évolution contribue « à développer le soupçon qui entoure aujourd’hui l’engagement bénévole dans le domaine social » (Bovay, Tabin et Campiche, 1994, p.30). Paradoxalement, elle contribue aussi, en dépit de cette méfiance, à son essor sous sa forme contemporaine dans les années 1970.

Le bénévolat actuel est souvent perçu et imaginé comme le retour d’une forme moderne de solidarités traditionnelles et d’entraides qui auraient autrefois été très importantes. Certes le bénévolat social moderne est l’expression d’élans de solidarité, mais il est surtout issu de l’évolution du dispositif socio-sanitaire et de l’Etat social. En effet, les professionnels jouent un rôle central dans la définition et l’action du bénévolat social, dont les contours sont déterminés en fonction de l’Etat social et des besoins de le compléter, de l’améliorer, etc. Dès les années 1970, des groupes de bénévoles voient le jour, souvent organisés par des professionnels de l’action socio-sanitaire avec une vocation complémentaire à la mise en place de services professionnalisés. Le bénévolat social peut être considéré selon Bovay, Tabin et Campiche (1994, pp.30-31) comme un « produit » de la professionnalisation. L’invention du bénévolat social moderne cherche d’une part à étendre l’action en développement du dispositif

(14)

13 socio-sanitaire et d’autre part à mettre en place la répartition des rôles et des compétences entre les professionnels et la société. Le bénévolat est donc dépendant de la reconnaissance sociale des professionnels du rôle potentiel des bénévoles dans la détection et la prise en charge de certains besoins sociaux. Aline Charles montre à ce propos dans son étude sur le bénévolat hospitalier « qu’avec l’étatisation et la professionnalisation des soins dans les années 1960, les bénévoles sont évincés des soins et de la direction des établissements auxquels ils prenaient part. S’en est suivi un confinement des bénévoles au caring, c’est-à-dire l’accompagnement, la présence et le réconfort » (citée dans Gagnon et Fortin, 2002, p.69). Le rôle des bénévoles se modifie et la dimension relationnelle devient de plus en plus importante. Le bénévolat devient alors plus encadré, formé, et utilisé comme forme d’activité particulière, tout en étant davantage valorisé pour attirer et reconnaître les bénévoles et leur apport.

A.3 Transformation des engagements bénévoles

Le concept de bénévolat traverse une redéfinition dans les années 1980-1990. Dans un contexte de crise de l’emploi et de remise en question de l’Etat Providence, le rapport au bénévolat se modifie.

Un travail bénévole ?

Un mouvement souvent nommé « professionnalisation du bénévolat » a lieu à la fin du XXème siècle. Cette expression est utilisée pour désigner le fait que le bénévolat ressemble de plus en plus à un travail rémunéré, et que les associations changent leur rapport aux bénévoles dans le sens « d’une gestion de la ressource bénévole » inscrite dans une dynamique d’employeur à salarié. Cette nouvelle approche « professionnelle » du bénévolat se traduit dans l’apparition de diverses mesures. De véritables stratégies de recrutements sont mises en place et des groupes dédiés au bénévolat sont constitués pour favoriser la rencontre entre « l’offre et la demande » bénévole. Des périodes d’essai sont instaurées. La formation des bénévoles devient toujours plus importante et des formations fleurissent dans de nombreuses associations afin de donner les connaissances techniques adéquates aux bénévoles. Des accords quasi contractuels entre les associations et les bénévoles sont mis en place et il est demandé d’adhérer à des chartes définissant le cadre déontologique à l’exercice du bénévolat. Une division des tâches bénévoles est observée et entraîne une répartition plus spécialisée des bénévoles en fonction de leurs compétences (Demoustier, 2002, p.107). Ces diverses procédures de formalisation dénotent la

(15)

14 nouvelle proximité entre salariat et bénévolat, qui est dès lors souvent qualifié d’activité ou de travail bénévole.

L’expression « professionnalisation du bénévolat » est contestée par Maud Simonet, une sociologue spécialisée dans la question du « travail bénévole ». Selon elle, ces procédures relèvent « plutôt d’un processus d’institutionnalisation de cette pratique : elles visent à institutionnaliser la présence de ce travailleur non institutionnel dans une situation de travail institutionnalisée » (Simonet, 2004, p.147). Ce mouvement d’institutionnalisation est lié selon Bovay et al. (1994) à une volonté de l’État, qui cherche à associer le bénévolat à ses propres impératifs. L’ambivalence du bénévolat tient alors au fait que de plus en plus de qualifications sont requises, mais que les bénévoles ne sont par définition pas rémunérés.

Cette approche « professionnelle » du bénévolat comporte un risque de biais de sélection favorisant les bénévoles plus qualifiés et expérimentés, rendant l’intégration de certains au bénévolat plus difficile. Cela engendre également une « demande croissante de promotion et de valorisation du travail bénévole » (Demoustier, 2002, p.107). Ainsi, le bénévolat dont la définition est traditionnellement basée sur la gratuité et la liberté se retrouve ébranlée par cette

« professionnalisation » qui modifie son statut.

En parallèle de cette dynamique, en réponse aux difficultés d’insertion sur le marché du travail, une stratégie de mise en activité se développe pour les chômeurs, les étudiants, les retraités, les bénéficiaires de l’aide sociale, dans le but de les socialiser ou dans l’espoir de faciliter leur parcours professionnel. Le bénévolat devient alors parfois une forme de sous-emploi de l’économie grise (Bovay et al., 1994) à l’intersection entre le marché du travail et la prestation gratuite, une activité marquée par une durée provisoire et par l’instabilité. Il fait donc l’objet d’une double approche utilitariste, d’une part par les institutions comme mesure d’activation des citoyens hors du marché de l’emploi, d’autre part comme stratégie individuelle pour améliorer son employabilité. Les comportements des bénévoles s’orientent ainsi vers des formes d’engagements plus éphémères, ponctuels ou utilitaristes (Worms, cité dans Demoustier, 2002, p.105). Cette transformation s’accompagne d’une exigence de résultats concrets et rapides de l’action bénévole, engendrant une préférence pour des « missions » avec des effets visibles et « mesurables » de l’apport personnel du bénévole (Thibault et al. 2007, p.5).

Maud Simonet qualifie donc le bénévolat actuel de « monde du travail non rémunéré inscrit dans et, en partie au moins, construit par les enjeux (chômage et insertion des jeunes…), les

(16)

15 normes (précarité et désir d’utilité sociale) et les pratiques (contrats de bénévolat, procédures de recrutement et de formation des bénévoles…) du monde du travail salarié » (Simonet, 2010 citée dans Simonet, 2012, p.204).

L’atténuation de la frontière entre travail et bénévolat, découlant des évolutions décrites ci- dessus, entraîne donc un risque de gestion du bénévolat basée sur l’efficacité, la rationalité et l’utilité, et une perte de sens civique et politique de l’engagement (Demoustier, 2002, p.111).

Ces transformations du bénévolat combinées à l’individualisation de l’engagement met donc à mal la définition du bénévolat comme libre, désintéressé et tourné vers la collectivité.

Cependant, ces transformations, bien qu’elles comportent un risque de détournement du sens du bénévolat, ne signent pas pour autant la disparition d’un engagement en faveur de nouvelles dynamiques sociales.

Le bénévolat : un acte citoyen et militant ?

Certains tentent de définir le bénévolat en l’opposant au militantisme. La différence résiderait dans le fait que le militant a un projet et une volonté de changement social profond, alors que le bénévole a, « par rapport à une série d’injustices ou d’écarts basés sur des valeurs morales, le désir d’aider ceux qui sont à remettre dans le circuit » (Corthay et al. 1979, cité dans Bovay, Tabin et Campiche, 1994, p.101). Le bénévole serait intégré au système, contrairement au militant. Mais pour d’autres au contraire, il y a une « notion de militantisme, militantisme étant la croyance en quelque chose qui pousse à faire des choses en dehors de la logique ambiante », dans le bénévolat (idem). Dans cette optique, le bénévolat relève de l’action civile, c’est-à-dire

« l’action de la vie quotidienne de tout ce qui reste encore l’initiative des gens » (ibidem). Les bénévoles militent ainsi dans un espace où des choses ne se font pas. Selon Philippe Lyet, (cité dans Demoustier, 2002, p.103), le bénévole serait donc « un militant aux ambitions modestes » motivé davantage par un militantisme moral que politique. La dimension militante de l’engagement bénévole réside selon lui dans l’alliance entre l’aspect désintéressé de son action et le souci de transformer certains aspects de la société par son activité. Le bénévolat contient, comme le montre l’aspect de « mise au service de la communauté » du bénévole, une dimension citoyenne. L’engagement civique dont fait partie le bénévolat, englobe effectivement des actions plus larges que l’engagement politique qui comprend des actions telles que voter, manifester, signer des pétitions, être impliqué dans des organisations politiques, etc.

L’engagement civique peut être défini comme « le résultat de l’acquisition de comportements et d’attitudes qui expriment une volonté affirmée des citoyens de s’impliquer dans leur société ou leur communauté, et ce, dans le respect des principes démocratiques » (Ménard, 2010, p.1).

(17)

16 Comme le dit Dan Ferrand-Bechmann (1992), la citoyenneté est donc également présente et construite dans des actes moins visibles, comme trier des vêtements, aider une association à faire son administration ou rendre visite à des personnes malades.

Le bénévolat peut donc contenir une dimension militante. Il constitue un engagement plus ou moins fort qui renvoie au militantisme dans le fait de décider d’œuvrer pour une cause. Ferrand- Bechmann affirme que « Les bénévoles ont un rôle fondamental : celui de dénoncer, signaler, être des vigiles, des médiateurs. Ce sont des passeurs […] on peut militer sans salaire, on peut moins militer au risque de son salaire » (Ferrand-Bechmann, 2011, p.23). Le bénévolat, malgré sa proximité avec le travail rémunéré, aurait donc un rôle crucial, plus facile à mener à bien hors d’un rapport salarial. Il permet une forme de résistance par le don.

Le bénévolat : une logique de don qui échappe au marché ?

Jacques T. Godbout a proposé une des définitions du bénévolat ayant le plus permis de faire avancer ce domaine de recherche, en sortant des notions d’intérêts et de rémunération. Il définit le bénévolat comme un don, et non comme un produit (Godbout, 2002). Cet auteur s’inscrit dans la tradition anthropologique de la réflexion sur le lien social et le don inspirée de l’œuvre fondatrice de Marcel Mauss.

Mauss s’oppose à la volonté des économistes libéraux de « désencastrer » l’économique du social pour reprendre la formule de Polanyi et conteste la réduction des pratiques de don/contre- don à un seul échange économique. Il met en avant dans ses recherches un système de réciprocité doté de trois obligations : donner, recevoir et rendre. Il « y voit une « fonction morale », à savoir la perpétuation des relations sociales pacifiques » (Delas et Milly, 2011, p.70). Ainsi, comme il l’écrit, Mauss souhaite considérer « le caractère volontaire, pour ainsi dire, apparemment libre et gratuit, et cependant contraint et intéressé de ces prestations » de don et contre don (idem). En effet, comme le dit Alain Caillé, « le don n’est jamais gratuit » (1994, cité dans Delas et Milly, 2011, p.74) et les relations de réciprocité sont ambigües. L’acte de don s’accompagne d’un contre-don, mais celui n’est pas forcément immédiat et cette forme d’équivalence ne relève pas d’une définition marchande, mais sociale. Plusieurs travaux suggèrent que « les rétributions sociales et symboliques de ce « travail engagé », viendraient en quelque sorte se substituer à la part de rémunération et de sécurité qui lui ferait défaut » (Largos, Narcy 2004, Preston 1989, cités dans Simonet, 2012, p.207).

Godbout et Caillé définissent le don de la façon suivante : « Comme le marché, le don c’est aussi une façon de faire circuler les choses et les services entre nous. Mais c’est une façon

(18)

17 différente de la forme marchande. La circulation des choses qui passent par le don repose plus sur les liens sociaux et les valeurs d’appartenance. La circulation par le don repose aussi sur la liberté. Mais c’est une autre liberté que la liberté du commerce. On peut définir le don comme le fait de se priver librement du droit de recevoir quelque chose en retour (Bourdon et al., 1999) ou, plus positivement, comme le fait de libérer le receveur de l’obligation contractuelle de rendre. Alors que le marché repose sur la valeur d’échange, le don se fonde sur ce qu’on pourrait appeler la valeur de lien de ce qui circule » (Godbout et Caillé, 1992, cités dans Godbout, 2002, p.43).

Jacques T. Godbout en définissant le bénévolat comme un don, affirme que le bénévole s’engage alors dans une forme de résistance à la pensée productiviste dominante. Selon Godbout (2000), donner de son temps semble suspect dans une société ou « le temps, c’est de l’argent » comme l’a dit Benjamin Franklin, et le bénévole en donnant, s’oppose à la vision assertant que tout lien social doit être traversé par le rapport salarial ou les échanges marchands pour être valide. Dans cette optique, Ferrand-Bechmann affirme que « Le bénévolat proposerait à l’individu une voie de conduite alternative et conforme à des valeurs qu’il ne peut mettre en acte dans une société dominée par l’argent et l’échange monétaire. » (Ferrand-Bechmann, 1992, p.39). Le bénévole, sans forcément remettre l’ensemble de la société en question, attire l’attention sur des valeurs négligées par la voie dominante utilitariste et met le lien social au centre.

Pour conclure, cette première partie nous a permis d’aborder la notion de bénévolat et ses enjeux. Nous avons mis en avant les difficultés à définir cette pratique, ainsi que ses origines et ses évolutions majeures. Enfin, nous avons dévoilé la complexité de ce phénomène qu’est le bénévolat, en le révélant comme un objet de tensions en proie à des forces contradictoires, entre incursion de dynamiques marchandes et acte de contestation de la société de marché, ainsi qu'entre approche individualiste et collective.

B. Quels facteurs influencent l’engagement bénévole ?

(19)

18 L’engagement bénévole est envisagé ici comme un processus où interviennent divers facteurs qui se combinent et s’inter-influencent. La majorité des études se concentre sur les motivations des bénévoles. Toutefois, pour comprendre pourquoi les jeunes décident d’entreprendre une activité bénévole, il est nécessaire de considérer plusieurs autres variables.

Nous allons donc présenter, dans cette partie, plusieurs facteurs facilitants ou contraignants mis en avant dans la littérature pour comprendre l’engagement bénévole. L’engagement découle en effet tant de facteurs individuels et sociaux que de facteurs organisationnels, ces derniers étant pourtant encore peu considérés.

Nous allons donc commencer par nous pencher sur l’influence des caractéristiques sociodémographiques des bénévoles sur leur engagement, puis nous regarderons l’impact des processus de socialisation. Nous aborderons ensuite la question des cadres de références idéologiques des jeunes et des bénévoles, avant de présenter les motivations principales des bénévoles mises en avant dans la littérature à ce sujet. Finalement, nous exposerons le rôle des facteurs organisationnels sur le bénévolat.

B.1 Les caractéristiques sociodémographiques des bénévoles

Comme le montrent diverses investigations empiriques, sociologiques et économiques, les caractéristiques sociodémographiques d’une personne - telles que son âge, son genre, son niveau de scolarité, sa catégorie socioprofessionnelle, son niveau de revenu - influencent sa participation bénévole.

Comme le dit François Héran (1988), les associations constituent un monde sélectif dans lequel il observe « la liaison privilégiée du capital culturel avec l’engagement associatif » (cité dans Simonet, 2012, p.196). Le public associatif est d’abord recruté dans les classes d’éducation supérieure et parmi les intellectuels. Le lien significatif entre le niveau de formation et la participation bénévole est confirmé dans plusieurs études4, notamment par Prouteau et Wolff (2004) qui trouvent dans leur analyse de données d’une enquête menée par l’INSEE sur la vie associative en France, que les bénévoles sont très souvent bénéficiaires d’un haut niveau d’étude (à partir du Bac et plus). L’enquête d’Edith Archambault dans les années 1990 montre également que la pratique bénévole augmente avec le diplôme, mais aussi avec le revenu. Le

4 Voir Smith (1994, p.248) pour plusieurs études américaines.

(20)

19 niveau de revenu a une influence particulièrement positive dans le domaine de l’action sociale et de la défense de droits, où plus une personne a un revenu élevé, plus elle a de chance de s’engager (Prouteau et Wolff, 2004, p.22). Ces derniers soulignent aussi l’effet de la catégorie socio-professionnelle. Leurs résultats soulignent que « toutes choses égales par ailleurs, les ouvriers et les professions indépendantes non agricoles se distinguent par une propension à s’engager plus faible que celles des employés, des professions intermédiaires et des cadres supérieurs, mais surtout sensiblement inférieure à celle des agriculteurs » (Prouteau et Wolff, 2004, p.13). L’influence de la variable d’âge est aussi confirmée dans diverses études : contrairement à certaines prénotions, ce sont les 35-54 ans qui forment la classe d’âge la plus bénévole, puis les plus jeunes, puis les plus âgés, formant une courbe en U renversé (Archambault, 2005). Toutefois, dans le champ de l’action sociale envers les personnes âgées, Jovelin (2005, p.110) montre dans une étude sur les bénévoles de l’association « Les Petits Frères des Pauvres », œuvrant auprès des personnes âgées, un nombre important de bénévoles ayant plus de soixante ans. L’étude d’Archambault révèle également une division sexuelle des engagements associatifs avec une surreprésentation des hommes dans le sport et les associations professionnelles et des femmes dans les secteurs sociaux. Toutefois, l’influence de la variable de genre varie selon les études.

Lemon, Palisi et Jacobson (1972) trouvent ainsi dans les variables sociodémographiques un fil conducteur « de statut dominant » dans la participation bénévole qu’ils nomment le « dominant status model ». Pour eux, la participation est plus forte pour les individus caractérisés par « a more dominant [sociocultural system-valued/preferred] set of social positions and roles » (cités dans Smith, 1983, p.86).

Castonguay, Vézina et Sévigny (2014, p.18) ont mis en évidence dans une étude sur l’engagement bénévole dans le domaine du soutien à domicile des aînés les caractéristiques des bénévoles dans ce secteur. Il s’agit majoritairement de femmes et de personnes relativement âgées et vivant à proximité de leur lieu d’activité. Nous pouvons voir que le profil des bénévoles qui s’engagent pour soutenir des personnes âgées diffère de celui présenté plus largement dans la littérature sur les bénévoles dans leur ensemble.

Nous allons donc chercher à voir dans notre analyse dans quelle mesure les profils des jeunes bénévoles engagés dans le projet BIG confirment ou infirment ces résultats.

(21)

20

B.2 Influence des processus de socialisation sur l’engagement

L’engagement civique est influencé par les processus de socialisation. La socialisation désigne

« le mouvement par lequel la société façonne les individus vivant en son sein » (Encyclopædia Universalis). Cette notion exprime « le processus par lequel un être biologique est transformé en un être social propre à une société déterminée [et a pour objectif de] comprendre comment des formes de relations sociales, plus ou moins durables, fabriquent des « types d'homme » différenciés (Max Weber), des « êtres sociaux » adaptés à une société et, plus précisément encore, aux « milieux spéciaux » auxquels ils sont destinés (Émile Durkheim) » (Encyclopædia Universalis). Il s’agit donc d’un processus par lequel des valeurs et des normes sont transmises dans le but de construire une identité sociale et d'intégrer l'individu à la société. Nous allons donc explorer dans cette partie comment les différentes institutions de socialisation jouent un rôle sur la décision de s’engager d’un individu.

La famille est une institution de socialisation primaire influençant très fortement le développement ou non de l’engagement bénévole. En effet, les parents ou les autres membres de la famille influencent le façonnement de la personnalité et de la structure du Moi (Delas et Milly, 2011, p.255) à travers le système de valeurs transmis. L’habitus familial joue ainsi un rôle important dans la décision de faire du bénévolat. Comme le montre l’enquête de Constance Flanagan et ses collègues (citée dans Ménard, 2010, p.2) sur le rôle de l’école et de la famille dans la genèse de l’engagement civique dans sept pays, les jeunes sont « plus susceptibles de s’engager civiquement lorsque la famille leur inculquait des valeurs et un sens des responsabilités sociales ». Archambault confirme l’impact du système de valeurs hérité familialement : « le bénévolat est deux fois plus fréquent qu'en moyenne quand l'un ou les deux parents de la personne enquêtée ont eux-mêmes été bénévoles »5 (2005, p.23). Ce résultat a également été précédemment mis en avant par Smith et Baldwin (1974, cités dans Smith, 1994) qui trouvent que les attitudes parentales envers la participation bénévole forment un prédicteur significatif de la participation chez l’adulte. Ainsi, l’engagement des parents - l’existence d’une tradition bénévole familiale - a un impact significatif sur le bénévolat de leur enfant.

D’autres éléments importants de socialisation secondaire comme l’école, ou d’autres réseaux dans lesquels les jeunes évoluent, tels que des associations ou des groupes (scouts etc.) participent à l’élaboration d’une activité bénévole à travers les normes sociales véhiculées. Le

5 Lien significatif également trouvé par Prouteau et Wolff (2004).

(22)

21 groupe d’amis du bénévole et les orientations de ce groupe ont une influence sur son initiative à faire du bénévolat. En résumé, comme le dit Gregor Stangherlin, « le réseau relationnel influence l’intention de l’acteur de s’engager. Celui-ci estime le coût de son engagement à l’aune de l’évaluation des autres membres du réseau » (2006, p.148).

La religion est également une institution qui peut peser sur la décision de l’individu. Si l’appartenance politique ou religieuse semble avoir peu d’influence sur le bénévolat en général, le degré de pratique religieuse est en revanche une variable influente. Plus un individu pratique régulièrement, plus il est bénévole. Ce résultat traduit probablement l’influence des valeurs religieuses, dont notamment l’injonction à s’occuper d’autrui (Archambault, 2005 ; Prouteau et Wolff, 2004).

Est-ce que nous observons chez les jeunes du projet BIG une tradition familiale bénévole ou de manière plus large un engagement qui contribuerait à leur choix ? Quelles sont les orientations des réseaux sociaux dans lesquels ils évoluent ? Qu’en est-il de la religion ? Le bénévolat dans les sociétés occidentales trouve ses origines notamment dans la charité judéo-chrétienne, mais quid de l’impact de cette institution aujourd’hui pour des jeunes qui ont grandi dans un monde largement sécularisé ?

B.3 Les cadres de références idéologiques des jeunes et des bénévoles

Howard Becker (1970) affirme que pour comprendre l’engagement d’une personne, il faut passer par la compréhension de ses valeurs. Notons en passant que, dans le cadre de ce travail, le terme de valeurs est entendu comme « ideas held by people about ethical behaviour or appropriate behaviour, what is right or wrong, desirable or despicable » (Oxford Dictionary of Sociology, 2015). Selon Becker, l’engagement trouve ses racines à l’intérieur de systèmes de valeurs déterminés, propre à une « sous-culture », et les valeurs sont ainsi spécifiques à un groupe social, à un âge particulier, etc. Cette approche s’appuie sur l’idée d’une transmission à l’individu de croyances et de valeurs, d’un cadre de référence normatif, par le biais des institutions de socialisation. En effet, pour des sociologues comme Emile Durkheim ou Max Weber, l’unité de la société se fonde sur le partage de certaines valeurs et « d’idéaux collectifs » transmis aux individus. Ces références normatives communes et idéales sont alors considérées comme le fondement des opinions et des comportements (Galland, 2012).

(23)

22 Pour d’autres, comme Gregor Stangherlin « au lieu d’envisager les représentations sociales comme l’extériorisation de dispositions intériorisées (Bourdieu, 1979) (…) [il faut les considérer] comme des ressources cognitives inégalement distribuées et mobilisées par les acteurs sociaux en fonction des situations qu’ils rencontrent (Boltanski/Thévenot, 1991). » (2006, p.149). Stangherlin critique l’approche de surdétermination sociale des attitudes et des comportements des individus et insiste sur la réflexivité des acteurs, soit sur leur « capacité à prendre distance par rapport aux rôles et normes, afin de les soumettre à une analyse critique » (2006, p.149). Il s’appuie, pour cela, sur les travaux de Boltanski et Thévenot (1991) qui proposent une approche des cadres de références idéologiques comme étant soumis à des justifications différentes selon les situations rencontrées par les acteurs.

Afin de comprendre l’engagement, il est donc nécessaire d’étudier les cadres de références idéologiques des jeunes bénévoles - conceptualisés comme des ressources cognitives par Strangherlin – et leur influence sur le processus d’engagement. Ces ressources, composées des valeurs, des normes, des idéologies politiques ou religieuses vont être mobilisées par les acteurs sociaux et leur permettre de penser et construire symboliquement le lien avec la cause, et vont créer des raisons de s’engager.

Nous allons donc mettre en avant, dans la partie suivante, les cadres de références idéologiques dans la littérature, tout d’abord des jeunes selon l’étude d’Olivier Galland (2011), puis des bénévoles en général selon Philippe Lyet (1998) et Stéphanie Vermeersch (2004).

B.3.1 Les valeurs des jeunes en Europe selon Olivier Galland (2011)

Les valeurs étant fondamentales pour comprendre l’engagement, nous allons présenter brièvement les valeurs des jeunes en Europe mises en avant par Olivier Galland (2011) qui s’est basé sur des enquêtes menées en 1981, 1990, 1999 et 2008.

Les attitudes religieuses sont une composante importante du système de valeurs et du positionnement conséquent vis-à-vis de la société et de ses normes. Quelles sont donc les attitudes générales des jeunes à l’égard de la religion ? Olivier Galland ne trouve pas, contrairement à une idée répandue, un recul régulier de la religiosité chez les jeunes. Galland observe un net recul de l’assise institutionnelle religieuse, ainsi qu’un faible niveau de pratique.

Il y a bel et bien un déclin du « religieux » dans notre société, déclin de l’institution de laquelle les jeunes se détachent, mais ceci n’équivaut pas à une disparition de la religion. Les croyances

(24)

23 se maintiennent. Cependant, les jeunes ont une attitude générale de méfiance à l’égard des institutions et des grandes idéologies d’encadrement moral, religieux ou politique. Comme le souligne Françoise Champion (1998, citée dans Galland, 2011, p.7) : « à une appartenance stable, reçue en héritage, […], s’est substituée une adhésion, non seulement volontaire, […], mais aussi, personnalisée, modulée et mobile ». Un développement d’une religiosité sans appartenance (théorisé par Grâce Davis, 1996) a lieu. Olivier Galland observe donc une persistance de la structuration des valeurs autour du rapport à la tradition dans laquelle la religion tient une place importante. Ces résultats vont donc à l’encontre d’une vision évolutionniste simpliste où les sociétés modernes s’éloigneraient toujours davantage d’une conception traditionnelle des valeurs.

Concernant les attitudes des jeunes à l’égard de la politique, une baisse de la participation politique classique est observée – liée à la perte de confiance dans les institutions politiques – en parallèle d’une forte croissance de la participation politique protestataire. Ainsi, « si les jeunes s’éloignent de la politique professionnelle, ils restent une catégorie qui s’engage plus que d’autres, et de plus en plus dans des formes d’actions politiques contestataires » (Galland, 2011, p.12). En outre, soulignons que la politisation est très positivement liée au niveau d’étude.

Les politistes interprètent majoritairement le mouvement de retrait des jeunes de la politique classique non pas « par “un incivisme juvénile permanent” mais plutôt par une situation sociale caractérisée par la précarité qui donne « un sentiment amoindri d’appartenance à la collectivité » (Percheron, 1987, citée dans Galland, 2011, p.13). Annick Percheron (1987) met d’ailleurs en avant l’influence du chômage et de la précarité, qui touchent de nombreux jeunes à leur entrée dans la vie active, sur une dépolitisation relative aux cadres partisans et syndicaux.

Olivier Galland montre également à ce propos que les jeunes français se sentent moins bien intégrés dans la société, notamment en raison de leurs difficultés à stabiliser leur emploi et d’une conception très élitiste du système éducatif « qui mine l’estime de soi et la confiance en la société » (2009a, cité dans Galland, 2011, p.3). Il souligne que cette situation mène une partie des jeunes à se déclarer partisans d’un changement radical de l’organisation de la société par une action révolutionnaire. En ce qui concerne la majorité des jeunes, Galland (2011) trouve qu’ils se rapprochent d’un modèle socio-démocrate de l’économie dans lequel ils reconnaissent le rôle du marché, tout en étant attachés à l’égalité et en considérant le rôle de l’État comme important pour compenser les inégalités. En effet, son étude montre que la diminution des inégalités fait partie des préoccupations sociales des jeunes.

(25)

24 Nous chercherons donc à voir dans notre analyse quel est le rapport des jeunes de BIG à la religion et à la politique et si une situation sociale précarisée leur donne un sentiment amoindri d’appartenance collective et les pousse à s’engager. Leur participation à BIG s’inscrit-elle dans une politisation alternative des jeunes qui se tournent davantage vers des actions concrètes et ciblées, dans un engagement plus individualisé et affranchi de tutelles institutionnelles ?

Olivier Galland montre également que les jeunes sont aujourd’hui très attachés à un

« libéralisme » qui « consiste pour chacun, dans la sphère privée, à pouvoir choisir librement sa manière de vivre, indépendamment des conventions sociales ou morales et des normes religieuses » (2011, p.18). Il montre que cette idée est fortement associée chez les jeunes à une valorisation de la tolérance et du respect des autres. Ces valeurs semblent former les conditions indispensables pour les jeunes à une meilleure cohésion sociale et davantage de convivialité, qui représentent des aspects importants pour la jeunesse. Dans un mouvement plus centré sur l’individu, les jeunes adoptent également des valeurs accordant une grande importance à l’épanouissement et la satisfaction personnelle. Comme nous le verrons plus tard, dans la partie sur les motivations des jeunes à s’engager, la notion de réciprocité est importante chez les jeunes. Ils attendent en retour une reconnaissance de leur valeur. Dans l’aller-retour permanent entre dynamiques d’individualisation et de participation à « l’intérêt général », une étude (SCP Communication, 2007, citée dans Galland, 2011) montre que les intérêts liés au « bien commun » peinent à transcender chez les jeunes leurs intérêts individuels. Les jeunes sont, semble-t-il, plus individualistes et moins concernés par des élans de solidarité envers des populations défavorisées. Les jeunes qui choisissent de s’engager au sein du projet BIG semblent à priori contredire, par leur choix, ce résultat et s’inscrire davantage dans

« l’individualisme humaniste » de Durkheim (1898, cité dans Galland, 2011) où l’individu place ses intérêts particuliers au second plan, et où la liberté et la dignité de l’humain forment des valeurs suprêmes. Par ailleurs, Bréchon et Galland (2010, cités dans Galland, 2011, p.21) trouvent dans une recherche sur la population française que « l’individualisation – entendue comme la valorisation de l’autonomie personnelle – [n’est] pas associée à l’individualisme, c’est-à-dire au repli sur soi et à la défense du strict intérêt individuel ».

Après avoir passé en revue les valeurs des jeunes européens en général, nous allons regarder maintenant plus spécifiquement quelles sont les valeurs qui animent les individus qui décident de s’engager bénévolement.

(26)

25 B.3.2 Les valeurs des bénévoles dans la littérature

Philippe Lyet (1998) met en avant dans son étude sur l’engagement bénévole d’étudiants au sein du soutien scolaire du Secours Catholique, que les valeurs de tous les jeunes bénévoles interrogés sont ancrées dans l’altruisme et la tolérance. Les jeunes valorisent le temps donné pour d’autres, pour la collectivité, et ils souhaitent rendre service gratuitement. Ces jeunes sont sensibles aux phénomènes d’exclusion et à la souffrance émergeant de situations perçues comme injustes (1998, p.109). Chez certains, ce sentiment d’injustice s’accompagne d’une critique d’un système de valeurs essentiellement productiviste. Leurs valeurs, qu’ils nomment souvent « éthique », s’opposent - à travers leur action bénévole - à une montée de l’individualisme dans la société. Ces jeunes valorisent des actions de convivialité, et la libre expression des acteurs sociaux les pousse à agir à l’égard d’une situation donnée.

Stéphanie Vermeersch (2004) a étudié deux associations parisiennes - une antenne des Restos du Cœur et l’association Urbanisme et Développement - dans lesquelles s’engagent des bénévoles de tous âges. Elle trouve selon le lieu d’engagement deux registres de valeurs6 évoqués par les bénévoles. Pour la première, un registre de valeurs humanistes et universalisantes - telles que l’humanité, la fraternité, l’amour, la générosité - qui met en avant une appartenance commune entre bénévoles et bénéficiaires. Pour la seconde, un registre de valeurs de citoyenneté et de civisme où l’engagement se fonde dans l’inscription dans la Cité (Vermeersch, 2004, pp.687-688). Cette différence de registre est expliquée par les différents profils socioculturels des bénévoles et par l’orientation plus ou moins militante des organisations. Stéphanie Vermeersch met en avant une éthique commune à tous les bénévoles, qu’elle nomme pragmatique : les bénévoles adaptent « leur action aux conditions de faisabilité, d’efficacité et de satisfaction ». Ils partagent également tous une attitude de dévalorisation de la politique telle qu’elle est menée, voire de l’action publique et privilégient l’action en opposition à des discours perçus comme stériles (Vermeersch, 2004, pp.687-688). De plus, elle observe chez les bénévoles un rejet explicite de la morale religieuse et des « grandes causes idéalistes ». Les bénévoles rejettent l’influence de la religion, de son idée de charité, de sacrifice, tout en étant imprégnés de valeurs religieuses d’inspiration chrétienne qui réapparaissent sous une forme laïcisée (aider les autres, agir par amour des gens etc.). Ainsi, la morale religieuse, vécue comme une influence extérieure sur leur choix, est dévalorisée, car

6 Le registre ou répertoire de valeurs constitue en quelque sorte la base commune de ce qu’elle nomme l’éthique de l’engagement associatif et forme un trait d’union entre les différentes valeurs mentionnées (Vermeersch, 2004, p.693).

(27)

26 elle entre notamment en contradiction avec l’idéal d’un Moi souverain autonome. Toutefois,

« ces principes forment malgré tout une grande partie de l’appareil de légitimation éthique de l’action dans la civilisation occidentale » (Vermeersch, 2004, p. 691). Le rejet des « grandes causes idéalistes » reflète quant à lui, le besoin de l’individu d’exercer un contrôle sur son environnement par une action aux conséquences mesurables. Il y a donc une forte valorisation des actions de proximité, directes et autonomes. « Le bénévolat caritatif met alors directement aux prises, morale religieuse et idéal du moi comme libre et autonome, dans un jeu de tension et de conciliation par l’action » (Vermeersch, 2004, p.691).

A travers nos entretiens, nous allons chercher à percevoir dans quel registre de valeurs s’inscrivent les jeunes du projet BIG. Sont-ils animés par des aspects militants, humanistes, individualistes, hédonistes ? Existe-t-il une certaine homogénéité des registres de valeurs observable parmi les bénévoles ? Quel registre de valeurs ressort le plus fortement ? Dans le spectre de ces différents résultats, où se situent les valeurs, « l’éthique » des jeunes du projet ?

B.4 Les motivations qui poussent à s’engager : recension des écrits

Définition du concept de motivation

Le terme de motivation désigne dans son acception psychologique « l’ensemble des facteurs dynamiques qui orientent l'action d'un individu vers un but donné, qui déterminent sa conduite et provoquent chez lui un comportement donné ou modifient le schéma de son comportement présent » (CNRTL, consulté en mars 2018). Pour les économistes, il s’agit de « l’ensemble des facteurs qui déterminent le comportement d'un agent économique » (idem), tandis que la philosophie définit la motivation comme « l’ensemble des considérations qui servent de motif(s) avant l'acte et de justification à cet acte, à posteriori » (ibidem).

Nous venons de présenter les cadres de références idéologiques des jeunes et des bénévoles qui peuvent constituer une partie des motifs et des justifications à leur passage à l’acte, mais d’autres facteurs interviennent dans la décision du bénévole. Les écrits scientifiques sur le bénévolat portent largement sur les motivations qui poussent à l’engagement bénévole. Cette problématique a notamment été traitée dans des recherches issues des sciences économiques, des sciences politiques, de sciences de la gestion, de la sociologie, et de la psychologie sociale.

Nous allons donc présenter dans la partie suivante les motivations principales mises en avant

Références

Documents relatifs

Il existe donc un point de rattachement en Suisse pour les actes de blanchiment commis au préjudice d'un citoyen suisse, de même d'ailleurs que pour le

En effet, les résultats de la PEP montrent que lorsque les individus effectuent une tâche sans avoir eu la possibilité de faire un choix pertinent dans la réalisation de

Bien entendu, comme pour des enfants de toute origine, leur comportement a tendance à être influencé par des facteurs démographiques tels que le nombre d’enfants dans la fratrie

le secteur de la construction, pour la réalisation du projet; et encore le secteur des médias, par la présence de Canal+. Pour ces acteurs, l’objectif premier est la réalisation

Alors bon, quand elle m’a fait cette sortie sur son assurance, je dois avouer que ma première réaction était d’avoir envie de lui expliquer qu’en fait son assurance

En conséquence, si nous soutenons que l’action, comme l’acteur/agent, sont bien des formes construites dans le processus interprétatif, la nature même de ces formes peut

Dans l’étude 2, nous avons, comme dans l’étude 1, mesuré le niveau de matérialisme mais aussi le degré de motivation à adopter un comportement pro-environnemental avec, pour

Cette déclaration stipule que les infor mations obtenues en Suisse par la voie de J 'entraide ne peuvent être utilisées contre des ({personnes suisses», et cela si «tous