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D. Analyse des données du terrain

D.4 Un patchwork de motifs

D.4.5 Motifs professionnels

61 s’engager dans le projet BIG leur permet aussi de compenser un manque de liens intergénérationnels dans leur vie, soit en raison de l’éloignement physique de leurs proches âgés, soit car ils ont au contraire eu peu de liens avec leurs grands-parents.

L’engagement permet aussi parfois de compenser une forme de culpabilité relative à la solitude de ses proches (d’ailleurs pas forcément de leurs grands-parents, puisque pour un bénévole, par exemple, il s’agit de son père) et au sentiment d’impuissance découlant du fait de ne pas être présent pour y remédier. Mais il permet également, comme nous le disions dans les motifs civiques et citoyens, de devenir acteur social actif face à la confrontation des jeunes à l’isolement des personnes âgées : « je vois souvent des personnes âgées seules qui sont dans des cafés et ça me touche » (E5). Plusieurs bénévoles racontent des situations qui les ont marqués et à travers lesquelles ils ont pris conscience de l’isolement des personnes âgées et de ses conséquences. Ils parlent de leur décision de s’engager comme d’une manière de passer à l’action à leur échelle. Pour illustrer ces motifs citoyens intergénérationnels, prenons l’exemple d’une bénévole qui a suivi un cours de neuropsychologie sur l’isolement social comme facteur aggravant majeur du développement cognitif des personnes âgées. Elle explique : « pendant que [la prof] expliquait ça, je me disais mais oui en fait c’est tellement dommage, c’est tellement simple en fait de mettre en place une mesure comme celle-là, plutôt qu’ensuite donner des médicaments, des IRMs (…) quand j’ai vu [l’affiche du projet] je me suis dit mais c’est tout à fait en fait en lien avec ce qu’elle disait et c’est tellement facile, donc pourquoi moi je le ferai pas puisqu’au final c’est ce que je pensais pendant le cours » (E1). Nous voyons dans son cas, une motivation à devenir socialement active face à cette problématique et à exercer sa propre capacité de changement social. De plus, nous pouvons voir que cette décision de s’engager lui permet d’être cohérente avec elle-même et avec ses valeurs. Son action citoyenne rejoint alors une dimension personnelle par le gain de cohésion de son identité narrative.

Enfin, comme nous le disions auparavant, la motivation à s’engager auprès de personnes âgées peut aussi relever de motifs professionnels. Nous allons développer ce volet dans la partie suivante.

D.4.5 Motifs professionnels

62 Comme le souligne Demoustier (2002), nous observons qu’une partie des motivations à faire du bénévolat évoquée par les jeunes est de favoriser leur insertion professionnelle. Ils sont tous largement conscients du fait qu’à l’heure actuelle sur le marché du travail plus on a d’expérience, plus on a de chance de trouver un emploi.

« je pense que c’est important qu’on puisse à côté faire des activités, ou s’engager, travailler pis pour voir un petit peu ce qui se passe en dehors de l’uni. Et puis mettre en lien ce qu’on peut

apprendre dans n’importe quel type de formations, mais je pense c’est important, parce que sinon voilà après 5 ans sans avoir touché autre chose, que d’aller en cours, je trouve que c’est un

peu difficile de s’insérer après professionnellement » (E5)

Ainsi, deux tiers des jeunes considèrent au moment de débuter leur engagement que ce dernier représente une possibilité d’améliorer leur employabilité et/ou une opportunité de mieux définir leur projet professionnel. Pour une bénévole étudiante en psychologie, elle y voit une chance de mieux comprendre les personnes âgées, qu’elle connaît peu, et de mieux appréhender leur réalité et les problèmes qu’elles rencontrent. Elle espère ainsi développer de nouvelles compétences, renforcer et appliquer des outils appris en cours : « je me suis dit que je comprendrai mieux comment ils vivent. (…) Et puis du coup j’apprends par rapport à mes propres compétences relationnelles en ce qui après ça la suite où je serai sûrement psychologue clinicienne. » (E1). Une bénévole étudiante en travail social s’est, elle aussi, dit que cela lui permettra de rencontrer un nouveau public avec lequel elle n’a pas encore travaillé : « je pense qu’il y avait de ça aussi, d’avoir une expérience d’échange avec des personnes âgées au cas où, pour voir aussi si ça pouvait m’intéresser cette forme de soutien en fait, (…) je me suis dit que ça pouvait être une expérience intéressante pour mon travail. » (E5). Une autre bénévole souhaitait travailler avec des personnes âgées lors de son enfance mais ne sait pas aujourd’hui ce qu’elle veut faire de sa vie professionnelle : « je suis assez perdue, du coup je me suis dit pourquoi pas faire plusieurs autres choses et voir si ça m’intéresse pour le futur et tout ça. » (E2). Nous constatons que le bénévolat a donc parfois une fonction de test de vocation (Houzel, 2003). Le dernier des quatre bénévoles qui reconnaissent avoir pensé à cet aspect en amont admet : « la seule [motivation] qui est la moins noble, qui est peut-être une raison utilitariste ou quelque chose comme ça. Je me disais il faudrait que je fasse du bénévolat, (…) aussi parce que ça paraît bien quand même dans un CV quand on demande des emplois ou des trucs comme ça. C’est bien de dire qu’on a fait un peu de bénévolat.

63 Donc c’est sûr qu’il y avait cette réflexion-là » (E6). Il est très intéressant de soulever la retenue des bénévoles à exprimer leurs motivations professionnelles. Dans les entretiens, ils ont souvent de prime abord une position qui minimise l’importance de ces motifs dans leur décision, de type « c’était pas ma première motivation, mais je me suis dit par la suite mais en fait c’est trop bien, ça tombe bien ». Toutefois, au fil de l’entretien ils « admettent » y avoir vu aussi un intérêt personnel utilitariste. Une fois le biais de désirabilité sociale estompé, les bénévoles expriment ainsi s’être engagés pour une multitude de motivations, tant altruistes et humanistes que personnelles et intéressées. Nous notons qu’ils sont enclins à dévoiler assez facilement la dimension individualiste de leur engagement social. Ceci témoigne de la tension de ces jeunes pris entre une injonction sociale qui pousse à l’individualisme, et une injonction morale et humaniste avec un sens du collectif qu’ils valorisent. Ils naviguent entre ces deux tendances, et ceci n’est pas toujours facile comme le dit ce bénévole : « ça fait calculateur [de penser à son insertion professionnelle] je me juge moi-même à l’occasion. » (E6).

Quatre bénévoles disent donc que l’idée de favoriser leur insertion sur le marché du travail a pesé au moment de leur décision de s’engager, les deux autres n’y ont pas vu d’intérêt professionnel au début. Au cours de leur engagement, ils ont toutefois réalisé par le biais de proches qui le leur ont fait remarquer, qu’ils pouvaient valoriser cette expérience, en l’inscrivant notamment dans leur CV. Cette prise de conscience « tardive » a contribué pour un des bénévoles à poursuivre son engagement lors d’un moment difficile en lui apportant de la motivation.

Outre gagner de l’expérience, explorer son intérêt, démontrer qu’ils sont actifs en dehors de leurs études, ils voient également dans ce projet l’occasion de renforcer ou d’acquérir de nouvelles compétences, tant par la pratique que par la formation suivie, qu’ils pourront ensuite mobiliser pour leur avenir professionnel. Une bénévole souligne : « en fait j’apprends un truc hyper important dans l’entretien clinique en psycho. (…) j’apprends quand même à gérer un cadre. Ce qui est hyper important en fait, ça me donne de la confiance par rapport à mon futur. Je pense que j’aurais plus de confiance pour mes premiers entretiens. » (E1). Nous constatons donc l’importance pour les jeunes des compétences qu’ils développent, non seulement pour leur épanouissement personnel comme nous le mentionnons dans les motifs personnels, mais aussi pour faciliter leur insertion professionnelle. Même lorsqu’ils ne projettent pas de travailler dans le domaine social, ils se disent que les compétences acquises, telles que la patience, la gestion du stress, la tolérance et l’écoute,

64 leur seront utiles à l’avenir. Nos résultats confirment par conséquent l’existence d’une stratégie de mise en activité des jeunes par le bénévolat, mentionnée dans notre revue de littérature (Ferrand-Bechmann, 2000 ; Demoustier, 2002 ; Simonet, 2002 ; Thibaut et al. 2007, Lyet, 1998).