• Aucun résultat trouvé

D. Analyse des données du terrain

D.4 Un patchwork de motifs

D.4.1 Motifs personnels

52 nous pencher sur les divers types de motivations qui les animent. Nous avons déjà vu dans la partie précédente l’influence des motifs humanistes sur leur choix de s’engager, nous allons désormais analyser le rôle des motifs personnels, civiques et citoyens, relationnels, professionnels, organisationnels, ainsi que les motifs plus spécifiques à l’aspect intergénérationnel du projet. Ces types de motivations - issus de notre typologie extraite de la revue de littérature - sont évidemment interreliés et inter-influents.

D.4.1 Motifs personnels

Les motivations de type personnelles jouent un rôle central dans l’initiation et le maintien de l’engagement des jeunes de BIG. Elles peuvent être réduites à trois variables qui sont interconnectées. La première est le sentiment d’utilité, de savoir que l’action menée a un effet et fait une différence visible. Ce sentiment suscite la deuxième variable qui est le plaisir. Le plaisir à la fois dans la sortie de soi, à travers le sentiment d’utilité par l’action et le plaisir pour soi, à savoir d’être soi, de donner du plaisir, d’exister, d’être reconnu (Vermeersch, 2004). La variable du plaisir est ainsi elle-même en interrelation avec la troisième variable d’accomplissement personnel. Nous observons en effet dans l’étude des motivations des participants que le fait de se sentir utile représente une motivation importante pour les jeunes. L’utilité ressentie est liée à la « réussite » de la création d’un lien social agréable avec la personne visitée et au fait de constater des effets positifs pour la personne âgée. Les bénévoles ressentent des sentiments positifs (fierté, joie, plaisir) lorsqu’ils mesurent l’impact bénéfique de leur engagement, comme le montrent les déclarations suivantes : « le fait de s’engager et de voir que ça apporte quelque chose, c’est positif (…) je me sentais très bien quand j’allais chez Madame X, et je la faisais beaucoup rire. » (E3) ; « j’ai eu énormément de plaisir. (…) moi en tout cas, ce que j’ai ressenti, j’ai vu qu’il y avait une certaine amélioration de son état d’âme notamment. Et puis qu’il avait un peu plus de motivation, il était plus près à faire certaines choses. Et ça m’a fait plaisir » (E4). Une bénévole raconte un moment particulièrement heureux et gratifiant lorsqu’elle et la personne âgée sont sorties au bord du lac et ont pris la mouette : « J’ai senti que ça lui faisait beaucoup de bien. Justement cet échange là il était un peu différent aussi. Comme elle se faisait du bien, je pense qu’elle était moins focalisée sur ses problèmes et du coup elle était plus ouverte à discuter d’autres choses je pense » (E5).

53 Sentir les bienfaits de cette sortie sur le moral de la personne âgée et par conséquent pouvoir vivre un échange et un partage différent avec elle, moins « unilatéral » dans le sens où la bénévole est beaucoup en position d’écoute, entraîne une motivation importante pour cette dernière. Outre le plaisir dû au sentiment d’utilité, le plaisir de la qualité du moment échangé est donc également crucial pour que le bénévole poursuive son engagement. Plus les visites sont un moment agréable pour le bénévole, plus l’engagement est fort. Deux bénévoles mentionnent ainsi l’équilibre et les bienfaits que leurs visites leur ont apportés : « de changer un peu, le fait d’aller manger avec elle, de parler d’autre chose [que des études]. C’est bien. » (E3) ; « Clairement ça m’a fait du bien, je ressortais de là, pour moi c’était aussi une bouffée d’air. Je m’attendais pas à ça, mais c’était une bouffée d’air. C’était une interruption du temps un peu dans le capharnaüm dans lequel on évolue au quotidien » (E4).

Le sentiment d’utilité et la bonne entente engendrent un plaisir direct, et ils ont également un effet sur le sentiment d’accomplissement et d’épanouissement personnel des jeunes, qui va à son tour générer du plaisir. Une bénévole exprime bien ces interactions : « Je me sens plus utile, parce que des moments je me sens vraiment inutile. Je vais à l’école, j’ai mes cours et tout et là je me sens beaucoup plus, j’ai l’impression de contribuer dans la vie de quelqu’un même si c’est petit je me dis, au moins j’ai vraiment un effet sur quelqu’un. » (E2). Un autre affirme : « j’ai toujours dans ma tête qu’aider les autres c’est une forme de m’aider moi-même parce que ça me permet de me sentir un peu mieux, parce que je sens que je fais quelque chose pour m’améliorer, ou que je contribue d’une manière ou d’une autre à améliorer les choses. » (E3). Nous observons bien ici comment le fait de se sentir utile en aidant quelqu’un participe à l’accomplissement du bénévole.

Représentation des interactions entre les variables des motifs personnels :

Sentiment d’utilité Création de lien social

Plaisir Accomplissement

personnel

54 Les jeunes bénévoles ayant eu du plaisir affirment que leur engagement a contribué à leur accomplissement personnel. Cela leur a apporté confiance en eux, notamment en constatant qu’ils ont surmonté leurs appréhensions initiales : « j’avais peur de me sentir mal à l’aise et d’être un peu intimidée (…) et pas savoir comment réagir et au final, j’arrive à bien gérer la situation donc ça me donne une certaine confiance en moi parce que je me dis que j’arrive quand même à gérer une relation comme ça. » (E1) ; « j’étais trop nerveux le premier jour (…) et après voir que ça a marché, que je peux quand même parler discuter, établir ce lien avec elle, ça m’a aidé. » (E3). La confiance vient aussi du sentiment de réussite10 et de la découverte de leurs forces ou du renforcement de leurs compétences, telles que gérer un cadre et la juste distance, la patience, l’écoute active, la communication, l’adaptation au rythme et besoins de l’autre, le sens des compromis, la tolérance. Ces compétences acquises et renforcées, ainsi que la confiance qui en découle, participent à leur développement et épanouissement personnel, mais aussi pour certains à améliorer leur insertion professionnelle future. Nous reviendrons là-dessus dans la partie sur les motifs professionnels.

À l’inverse, lorsque les bénévoles n’ont pas de plaisir lors des visites, ceci entraîne une démotivation et des difficultés à maintenir l’engagement. Un des bénévoles n’a pas réussi à créer un lien proche avec la personne à qui il rendait visite et leurs rencontres étaient parfois marquées par l’ennui et la difficulté à échanger. La personne âgée a souhaité arrêter au bout d’un moment les visites et ceci a été dur à vivre pour le jeune. Il est resté avec un sentiment de culpabilité et d’échec par rapport aux attentes qu’il avait en s’engageant. Ceci a eu un effet négatif sur son épanouissement, puisqu’il dit avoir un peu perdu confiance en lui et dans sa capacité à plaire. Un autre a vécu parfois des échanges difficiles avec la personne qu’il visitait et dit ne pas avoir ressenti de plaisir direct durant ces visites, mais il s’est raccroché à l’idée du « plaisir comme faire du bien ça fait du bien ». Ce bénévole est croyant et fait preuve d’une abnégation très religieuse. Il a toutefois diminué le rythme alors très important de ses visites en raison de ces difficultés, mais a poursuivi son engagement.

Le sentiment d’utilité, l’épanouissement personnel et le plaisir constituent donc des moteurs de motivation centraux pour les jeunes de BIG. Notre analyse des motifs personnels confirme ainsi

10 « En voyant à la fin que mon engagement a porté ses fruits, je me suis dit que voilà c’est quelque chose que j’ai

réussi entre guillemets donc effectivement oui ça apporte un peu plus de confiance » (E4).

55 les résultats de notre revue de littérature. L’importance de ces motifs nous semble particulièrement forte en raison de l’âge des participants. Ils sont au début de leur vie d’adultes et de leurs parcours professionnels, et ils cherchent encore à définir leurs compétences, leurs forces et leur identité.

Cette dimension de leur motivation pourrait être qualifiée de façon péjorative de plus individualiste.

Il nous semble qu’elle est l’expression d’une société libérale moins contraignante et cadrante, dans laquelle il est davantage nécessaire de se définir soi-même, de se trouver. Les jeunes peuvent potentiellement renforcer leur estime d’eux-mêmes par leur engagement, mais cela ne doit guère éclipser le fait que ce renforcement vient d’une volonté d’implication et de changement social inscrit dans l’intérêt commun et le désir de sociabilité. Nous allons donc développer dans la partie suivante les motivations civiques et citoyennes des jeunes.