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L'influence de Genève sur les Alpes : critique du modèle classique de l'influence régionale d'une ville

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L'influence de Genève sur les Alpes : critique du modèle classique de l'influence régionale d'une ville

RAFFESTIN, Claude, BALMAS, Daniel

RAFFESTIN, Claude, BALMAS, Daniel. L'influence de Genève sur les Alpes : critique du modèle classique de l'influence régionale d'une ville. Le Globe , 1972, no. 112, p. 39-62

DOI : 10.3406/globe.1972.1059

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:4291

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L'INFLUENCE DE GENÈVE SUR LES ALPES

Critique du modèle classique de l'influence régionale d'une ville

PAR

CLAUDE RAFFESTIN et DANIEL BALMAS

I. REFLEXIONS HETERODOXES

Il y a quelque temps déjà, à l'occasion de la préparation d'un colloque — qui n'a finalement pas eu lieu — sur les problèmes urbains, il nous fut proposé de faire une communication qui aurait dû s'intituler: «Influence de Genève sur les Alpes». Certes, le thème ne laissa pas de nous étonner dans la mesure où nous ne comprenions pas clairement la problématique qui le sous-tendait.

Après réflexion, nous sommes arrivés à la conclusion que la pro- blématique implicite et informulée qui était véhiculée par le sujet s'inspirait du modèle classique qui s'efforce de saisir les relations urbaines dans le contexte régional. Ce modèle qui saisit bien les relations immédiates avec l'espace environnant tend à privilégier la situation géographique de la ville et, par conséquent, à faire une place, peut-être trop grande à des réflexes déterministes. C'est ainsi qu'à partir de la constatation que Genève est une ville péri- alpine, on fait l'hypothèse que ce pôle urbain est au centre d'une trame relationnelle alpine. Dès lors s'impose l'application du modèle classique essentiellement descriptif par nature. Il s'efforce de mettre en évidence le pouvoir d'attraction démographique de la ville sur sa région, d'illustrer le phénomène de drainage des res- sources agricoles nécessaires à l'alimentation d'une concentration humaine, d'illustrer la tutelle industrielle, commerciale et financière et enfin de montrer le rôle culturel et éventuellement administratif et politique exercé par un point sur une surface. En définitive, on cherche à décrire un champ de forces limité à une portion d'espace.

On peut toutefois se demander si, pour les villes de plus de 100.000 habitants l'image que ce modèle permet de construire n'est pas

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finalement très réductrice par rapport à l'influence réelle de la ville.

En effet, si les relations régionales ne sont pas négligeables pour les villes moyennes ou grandes, elles ne représentent pourtant plus un volume significatif par rapport à celles qui se nouent sur Je plan national et international. On peut même aller jusqu'à prétendre, sinon jusqu'à démontrer faute d'informations suffisantes, que celles-ci sont largement majoritaires par rapport à celles-là. C'est du moins l'hypothèse qu'il convient de poser dans le cas de Genève isolée par le cordon disjoncteur de la frontière politique. L'aire régionale soumise à l'influence potentielle de Genève s'en trouve par conséquent amoindrie. Mais par rapport à la critique du modèle général, le problème se situe ailleurs. Effectivement, pour saisir l'influence réelle d'une ville il faudrait disposer d'analyses portant sur les unités fonctionnelles, donc mettre en œuvre des instruments permettant d'appréhender des réalités micro-géographiques et non pas des ensembles macro-géographiques comme dans le modèle classique. Ce dernier, non seulement donne une image incomplète de l'influence urbaine, mais encore, crée l'illusion que celle-ci est essentiellement régionale. En d'autres termes, le modèle traditionnel n'est susceptible que d'une application différentielle en ce sens qu'il est peut-être adéquat pour les villes de moins de 100.000 habitants, mais certainement pas pour celles de dimensions supérieures dont l'influence réelle risque fort d'être masquée.

A travers l'exemple genevois nous souhaiterions montrer le bien-fondé de cette critique et par là-même indiquer le caractère anachronique de certaines formulations qui contraignent à penser le monde réel dans des schémas anciens. C'est pourquoi, dans un premier temps, nous allons reconsidérer dans une perspective inhabituelle, la situation de Genève, puis, dans un second, esquisser les différentes formes que l'influence genevoise a prises à travers le temps. Enfin, nous tenterons de montrer à travers des exemples volontairement contrastés, que le modèle classique devient de plus en plus inconsistant et qu'il correspond davantage à des villes antérieures au XVIIIe siècle, même au XIXe siècle, dans beaucoup de cas, qu'aux villes actuelles 1.

1 Cf. Fernand BRAUDEL:Civilisation matérielle et capitalisme, Paris 1967, p.

372, cite un historien économiste qui avance: qu'un centre de 3000 habitants doit, pour vivre, disposer d'une dizaine de terroirs villageois, soit en gros 8,5 km2.

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II. LA SITUATION GEOGRAPHIQUE DE GENEVE:

CRITIQUE D'UNE IDEE REÇUE

L'influence d'une ville sur l'espace environnant est étroitement liée à sa situation par rapport aux différentes régions physiques limitrophes. Les géographes parlent souvent d'une situation de contact entre différentes régions naturelles pour expliquer le déve- loppement d'une agglomération. Celle-ci profite ainsi de la présence de conditions démographiques et économiques variées. Le contact montagne-plaine ou montagne-piémont est une des situations typiques de la géographie urbaine. Les Alpes, au sein desquelles le phénomène urbain s'est montré discret, sont entourées d'une couronne de grandes métropoles nées, le plus souvent, au débouché des grandes vallées alpines. Ces villes, bien qu'établies dans les régions basses, exercent leur influence sur de vastes zones à l'in- térieur de la chaîne.

Genève est souvent citée dans la liste des villes péri-alpines qui, telles Lyon, Turin, Milan, Vienne, Munich ou Zurich, profitent de la proximité de l'arc alpin. Notre présentation de la situation de contact de Genève est une critique implicite d'une conception trop simpliste qui assimile le cas genevois à celui de grandes villes péri-alpines, comme Turin et Milan. Nous serons donc amenés à reconsidérer, d'une façon peut-être légèrement paradoxale, le rôle joué par l'arc alpin dans l'environnement genevois.

Nous aborderons ensuite un autre volet de la situation urbaine:

le carrefour des voies de communication. Les villes sont les centres de réseaux de voies de circulation qui les relient aux régions envi- ronnantes ou lointaines. Les types de réseaux (routiers, ferroviaires, aériens, fluviaux et maritimes) ainsi que leur forme, densité et charges respectives sont des indications des relations entre la ville et le reste du monde 1.

Les géographes parlent d'une situation de carrefour lorsque des axes importants (surtout des routes) se croisent dans la ville ou ses environs. Cette situation de carrefour est très souvent évoquée dans le cas des villes péri-alpines. Les Alpes, en effet, créent un

1 C'est à dessein que nous employons cette expression très imprécise car un réseau de circulation régional est le vecteur d'un trafic global qui représente une combinaison complexe de trafics régionaux, nationaux et internationaux, qu'il est extrêmement difficile d'isoler.

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obstacle aux voies de communications terrestres et les forcent à se concentrer dans un petit nombre de passages obligés. C'est ainsi que la plupart des grandes villes péri-alpines doivent leur implantation et leur développement à la rencontre d'une ou de plusieurs voies transalpines et des axes de l'avant-pays. La position de ces villes leur assure le contrôle d'un important trafic. Est-il possible de considérer que Genève se trouve placée exactement dans cette situation? Nous allons exposer notre opinion sur la situation du carrefour genevois en nous opposant à plusieurs conceptions, souvent exprimées.

Nous refusons, par exemple, l'idée trop déterministe qui voudrait que toute bonne situation de carrefour engendre nécessairement une implantation et une croissance urbaines. Les géographes ont trop souvent tentés par ce type d'explication a posteriori. De la même façon nous repoussons l'idée simplificatrice qui veut faire croire que le simple passage dans une ville, ou près d'une ville, de grands axes internationaux provoque automatiquement une crois- sance urbaine. Nous avons donc fait appel à la notion de contrôle des voies de communication par une ville. Cette notion sous-entend que le trafic ne transite pas seulement mais nourrit l'économie régionale dans la mesure où les fonctions économiques s'y adaptent.

Par conséquent, dans ce cas, il doit exister un rapport étroit entre l'infrastructure économique de la ville et le type de trafic. Dans le cas contraire, l'axe international ou le carrefour n'a pas plus de signification pour la ville que pour n'importe quel village placé à proximité. Dans notre analyse de la situation particulière du carrefour genevois, nous serons obligés de nous montrer très réservés à l'égard de ceux qui affirment que notre ville jouit d'une position très favorable sur les grandes voies transalpines. Nous montrerons que la situation de Genève est, à cet égard, très ambiguë.

Un autre élément de la situation semblait plus évident à Genève que dans la plupart des villes: la proximité d'une frontière inter- nationale. Nous nous sommes simplement demandé si cet élément de la situation urbaine de Genève améliore ou aggrave les condi- tions de sa position générale par rapport à la chaîne alpine.

Notre analyse de la situation de Genève et des Alpes, donne des éléments de jugement sur le rôle des Alpes dans l'environnement genevois et, par conséquent, sur les possibilités pour Genève d'étendre sa zone d'influence en direction de l'arc alpin.

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a) Un contact déséquilibré

Genève est placée au contact de plusieurs régions naturelles:

le Moyen-Pays suisse, le Jura et les massifs préalpins. Cependant, ces différentes régions n'interviennent pas de façon égale dans l'environnement physique de la ville et y jouent donc des rôles très différents.

Placée à la charnière des chaînes alpine et jurassienne, la région genevoise appartient, en premier chef, au Moyen-Pays qui se termine ici par une ample cuvette. Bien que cette cuvette ne soit reliée au « Plateau Suisse » que par un étroit couloir entre le Jura et le Léman, c'est bien dans la direction du Nord-Est qu'il faut rechercher l'unité fondamentale du support physique de Genève.

Notre ville appartient donc pleinement à la série des métropoles du Moyen-Pays suisse, région dans laquelle les hautes densités ont permis un développement urbain très marqué.

La dépression genevoise est entourée d'un arc discontinu de massifs sédimentaires. L'unité physique la plus massive et la plus longue est constituée par l'extrêmité méridionale du Jura dont le pli principal élève, à l'Ouest de la dépression genevoise, un obstacle remarquable par son altitude et la raideur de sa retombée Sud-Est.

Seul l'accident tectonique qui domine Gex, permet le passage par le col de la Faucille. La situation de Genève par rapport au Jura est parfaitement assimilable à celle de villes qui, telles Yverdon, Neuchâtel, Bienne, Soleure ou Olten, se sont installées au pied de la chaîne et contrôlent les rares passages transjurassiens. Seuls des éléments du site (bout de lac et acropole) ainsi que des facteurs politiques ont éloigné, quelque peu, la ville du pied même du Jura et l'ont obligée à abandonner à Gex le contrôle étroit de la principale voie transjurassienne qui aboutit dans la cuvette.

La dépression genevoise est fermée au Sud par le pli-faille du Vuache et au Sud-Est par le Salève. Le passage entre ces deux massifs est encombré par les épais dépôts glaciaires du Mont-de- Sion. Le Jura, le Vuache et surtout le Salève constituent les élé- ments les plus visibles du cadre physique de Genève.

En effet, les Alpes représentées ici par les Préalpes du Chablais et du Faucigny, ne participent qu'assez secondairement à l'enca- drement de la dépression. Même les Voirons, leur avancée maximale vers l'Ouest sont un peu trop en retrait pour fermer la cuvette

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genevoise vers l'Est. Les différents plis des Préalpes déferlent soit en direction de la rive méridionale du Léman, soit s'enfoncent sous les dépôts du Plateau des Bornes, dans le dos du Salève. Le paysage genevois est donc relativement très peu marqué par la présence du front alpin proche. Paradoxalement l'ouverture, par dessus l'epca- drement préalpin, sur les plus hauts sommets des massifs cristallins internes et, plus particulièrement sur l'imposante face Nord-Est du Mont-Blanc, constitue-t-elle un facteur important du paysage de Genève. Il est intéressant de mentionner cet élément qui n'est pas sans conséquence sur certaines réactions des Genevois. Ainsi il semble que de nombreux habitants de notre ville subissent une réelle fascination pour les Alpes, à l'image d'un de leurs plus illustres concitoyens: H.-B. de Saussure, un des précurseurs des recherches scientifiques dans le monde alpin, inspirateur des pre- mières ascensions du Mont-Blanc et inventeur de l'idée d'un tunnel entre les vallées de Chamonix et l'Aoste.

Genève se trouve donc placée, par rapport aux Alpes, dans une situation de contact très ambiguë puisque, ville du Moyen-Pays et du pied du Jura, les Alpes n'imposent qu'une présence faible dans l'environnement physique. Nous montrerons que l'apport alpin est relativement faible à Genève et que l'extension de la zone d'influence genevoise s'étend peu en direction des Alpes. Nous trouverons certains éléments d'explication dans l'étude de la situa- tion de carrefour et, surtout, de la situation politique de Genève.

b) Une médiocre situation de carrefour

Un carrefour médiocre ! Notre jugement surprendra, peut-être choquera, ceux qui ont toujours entendu dire que Genève était le point de rencontre de grandes voies de circulation internationales et que la ville contrôlait de grandes voies transalpines. Genève est bien dans une situation de carrefour mais celui-ci est relativement mauvais. Alors que la plupart des villes péri-alpines sont de remar- quables carrefours externes où les voies de circulation transalpines rejoignent le réseau de communications de l'avant-pays, Genève est un carrefour interne. En effet, si Genève est, par rapport aux Alpes, un carrefour externe, l'importance de l'arc montagneux qui entoure la cuvette genevoise oblige une série de voies de communi- cations à passer dans la région genevoise. Car Genève contrôla,

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et contrôle encore, parfaitement bien un des éléments du carrefour:

le passage du Rhône. C'est un élément que les géographes englobent dans l'analyse du site de la ville alors qu'il revêt une signification beaucoup plus large. Mais les voies de communication qui passent par Genève sont d'importance très diverse car le relief crée des conditions de passage difficiles. Les portes de la cuvette genevoise sont malaisées à franchir. L'axe privilégié est orienté vers le Moyen- Pays et malgré l'étroitesse du passage entre le lac et le Jura il demeure la grande voie de passage régionale. Une voie secondaire profite de la position reculée des Préalpes du Chablais le long du Petit-Lac pour gagner le Bas-Chablais et le Valais par la rive méri- dionale du Léman. Par contre les passages vers l'Ouest et le Sud sont plus difficiles. L'accès au col de la Faucille n'est possible qu'en surmontant la forte déclivité du Jura. L'étroit défilé de Fort l'Ecluse, entre Vuache et Jura, n'est pas particulièrement attrayant.

Les possibilités de passage entre Vuache et Salève sont plus grandes mais l'allure tourmentée de la montagne de Sion n'offre que de médiocres conditions pour tous les moyens de circulation terrestres.

Reste à examiner le problème des voies transalpines et de leurs relations avec Genève. Va-t-on trouver dans cette direction la grande chance de Genève: le passage d'une ou de plusieurs voies transalpines qui mettent en relation d'importantes régions écono- miques de chaque côté de la chaîne? Le problème est complexe à analyser car les apparences sont trompeuses. A première vue il semble que Genève contrôle, d'une part la prolongation vers le Sud de la grande voie italo-suisse par les passages alpins du Grand- Saint-Bernard et du Simplon et, d'autre part, l'axe qui emprunte la Vallée de l'Arve. La réalité est moins favorable à notre ville.

En effet, le contrôle par Genève du débouché des grands cols valai- sans est assez lâche puisque la plus grande partie du trafic qui se dirige de l'Italie vers le Nord et le Nord-Ouest de l'Europe n'a aucunement l'obligation de pénétrer dans la cuvette genevoise, et qu'il existe au Nord de celle-ci des passages beaucoup plus faciles. Quant au trafic qui transite de l'Italie vers le centre ou le Sud de la France, il trouve des cols alpins mieux adaptés.

La vallée de l'Arve est un cas à part puisque son rôle a complè- tement changé depuis l'ouverture du tunnel du Mont-Blanc. Cepen- dant, elle n'a pu exercer une action primordiale sur Genève pour plusieurs raisons. En effet, pendant des siècles, la vallée de l'Arve

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fut un véritable cul-de-sac dont il n'était possible de s'échapper que par le difficile col de la Forclaz (en direction de Martigny). L'in- fluence de Genève a donc pu pénétrer dans la vallée mais elle fut limitée par la faible importance de celle-ci sur le plan des relations transalpines. L'ouverture du tunnel du Mont-Blanc a naturel- lement modifié la situation. Il semble toutefois que Genève n'ait pas la possibilité de profiter pleinement du passage de cette nou- velle grande voie alpine. D'une part la vallée de l'Arve débouche à une vingtaine de kilomètres de Genève; cela ne serait pas grave s'il n'existait pas plusieurs possibilités, entre Bonneville et Genève, d'éviter de pénétrer dans la cuvette genevoise et de passer par la ville. A moins de vouloir gagner le Moyen-Pays suisse, il est possible d'emprunter le passage à travers le plateau des Bornes en direction du carrefour d'Annecy. En direction du Sud et du Sud-Ouest, il existe encore l'échappatoire qui, partant de la région de Sallanches, permet de rejoindre Ugine puis Chambéry, Lyon et la vallée du Rhône. D'autre part, l'ouverture du tunnel du Mont-Blanc est survenue bien tardivement pour que Genève en subisse des effets favorables importants. La situation économique et politique de Genève était déjà trop bien établie pour que de profondes muta- tions résultent de cette modification des axes routiers européens.

Il est certain que Genève se trouve maintenant placée sur l'axe direct Paris-Rome mais cela n'a aucune signification pour notre ville puisqu'une grande partie du trafic, économique, à l'exception d'un petit courant touristique, lui échappe pour des raisons écono- miques (structures de l'économie genevoise) et politiques (présence de la frontière). En effet, si les éléments d'accrochage de l'économie ne sont pas en place, un trafic routier ou ferroviaire n'est pas en lui- même inducteur d'activités. Le fait qu'une grande partie du trafic qui transite par le tunnel du Mont-Blanc échappe à Genève est bien la preuve que la ville contrôle mal cette grande voie transalpine.

L'impression de médiocrité du carrefour genevois se confirmera en examinant les différents moyens de transport qui s'y croisent.

Sur le plan routier, il est possible de reconnaître certaines qualités au carrefour puisque Genève est le point de rencontre de la route transjurassienne (col de la Faucille) de la route transalpine (tunnel du Mont-Blanc) et surtout de la route du Moyen-Pays suisse qui se continue vers Lyon ou Annecy. La présence d'une autoroute

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dans la direction du Nord-Est confirme d'ailleurs la prépondérance de l'axe qui mène soit vers le « plateau suisse » soit vers le Valais.

Sur le plan des chemins de fer, Genève n'est certainement pas un vrai carrefour. Celui-ci se situe à Lausanne qui contrôle la grande voie européenne passant par le Simplon. Il en aurait été tout autrement si le tunnel ferroviaire de la Faucille avait pris le pas sur le passage de Vallorbe. Genève est, en fait, isolée entre les deux axes ferroviaires transalpins du Simplon et du Fréjus. En direction des Alpes proches, les liaisons ferroviaires sont anémiques. Il n'existe que la voie qui parcourt la vallée de l'Arve et rejoint Genève par la Roche-sur-Foron et Annemasse. Cette voie n'est pas même reliée aux lignes internationales Lyon-Genève ou Bourg-Genève puisque rien ne permet la jonction entre la Gare des Eaux-Vives et Cornavin.

Genève a donc vraiment une position très défavorable sur le plan des chemins de fer.

A l'image traditionnellement admise pour Genève d'une bonne situation de carrefour, il faut apporter quelques retouches impor- tantes. Le carrefour genevois est relativement médiocre et il est à craindre que dans l'avenir, et surtout dans le domaine autoroutier, la situation ne s'améliore pas. En effet, un élément aggrave tous les problèmes genevois: la situation politique.

c) Une enclave suisse en France

A l'extrémité Sud-Ouest de la Suisse, le canton de Genève dessine, en territoire français, une enclave en forme de hernie tant le couloir qui le relie au canton de Vaud est étroit. De ce fait Genève et son canton se trouvent isolés du reste de la Suisse. Cette position excentrée a de nombreuses répercussions psychologiques et maté- rielles. Il est certain que les intérêts économiques et politiques de Genève divergent souvent de ceux des autres cantons.

Il est banal mais nécessaire de répéter que la frontière franco- genevoise coupe complètement Genève de son « arrière pays na- turel ». C'est du côté des Alpes que le tracé de la frontière est le plus arbitraire. En effet, elle n'atteint pas même les Voirons, le bastion le plus avancé des Préalpes. La coupure que provoque la frontière a des conséquences multiples qui sont, en général, peu favorables au développement de Genève. La situation politique aggrave la plupart des problèmes locaux et constitue l'un des principaux

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éléments d'explication de la faiblesse des relations entre Genève et sa région. A la médiocrité du carrefour genevois, la frontière apporte une contrainte supplémentaire, car elle écarte de Genève une partie du trafic routier qui échappe ainsi à son contrôle. A côté du réseau en étoile, dont la ville est le centre, il existe un réseau qui contourne soigneusement la frontière franco-genevoise. Une constante de la politique des autorités françaises en matière de circulation cherche à priver Genève du bénéfice des circulations routières (et actuel- lement autoroutières) interrégionales. Ce refus d'une politique régio- nale bien comprise est la conséquence de la méfiance envers une trop grande emprise de notre ville sur la région environnante. La situation enclavée ou, selon une expression plus imagée, insulaire, provoqua une certaine presbytie dans les relations genevoises qui s'établirent, de préférence, avec des régions lointaines au détriment du proche environnement.

La tentative d'élargir l'espace économique de Genève est concré- tisée par l'institution des « zones » qui entourent presque complè- tement le canton. Du côté du Jura la zone englobe une grande partie du pays de Gex et atteint la crête du premier pli jurassien. Au Sud et à l'Est, l'extension des zones est beaucoup plus faible et il est significatif qu'aucune partie des Préalpes n'y soit incorporée.

Il y a donc là une aggravation de la coupure qui sépare Genève de son environnement alpin.

Il est donc bien certain que la situation politique de Genève, excentrée par rapport à la Suisse et enclavée par rapport à la France, joue un rôle néfaste dans les possibilités d'établissement d'une zone d'influence dans la région alpine. La position politique aggrave donc les effets déjà fort peu favorables des situations de contact et de carrefour de Genève.

La situation n'a cependant pas été toujours celle d'aujourd'hui.

Il nous faut donc envisager les différentes mutations de la zone d'influence genevoise.

III. EVOLUTION DE LA ZONE D'INFLUENCE OU HISTOIRE D'UNE PEAU DE CHAGRIN

A la fin du Moyen Age et au début de la Renaissance, le monde alpin, par son réseau de routes met en contact l'Italie septentrionale et l'Allemagne du Sud. Genève est alors un relais, une étape pos-

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sible dans ce maillage, mais pas une étape obligée. Pourtant la nécessité de s'appuyer sur des villes dans ce grand mouvement d'échanges entre le Nord et le Sud, conjuguée avec l'absence de centres urbains significatifs dans les Alpes, a fait de Genève un élément non négligeable de ce champ de forces alpin. Or, la relative rareté de ces centres est peut-être le facteur qui a fondé la fonction commerciale de Genève et favorisé pour un temps ses foires dont la naissance est attribuée à l'ouverture des routes transalpines au grand commerce, entre la fin du XIIe et le début du XIVe siècle 1.

Mais Genève est alors une petite unité urbaine, démographi- quement modeste, dont l'attraction réelle immédiate intéresse les économies environnantes, parmi lesquelles se rangent celles de la Savoie, du Dauphiné, et du Valais pour ne citer que celles engagées dans les Alpes. Ces économies sont véritablement, pour un temps, tributaires des foires de Genève. A cet égard, on peut distinguer deux modèles de relations qui n'ont pas du tout la même signifi- cation. Le premier consiste dans le caractère d'intermédiaire de Genève qui a fait de cette ville un élément de la solidarité alpine.

Solidarité qui est l'expression d'une réalité économique et sociale.

Mais ce rôle, Genève le perdra au XVIe siècle. Le second modèle, celui des relations avec les économies proches, subsistera mais se transformera au gré des conditions politiques et économiques qui affecteront l'avant-pays alpin. C'est assez dire que dans ce second modèle l'aire d'influence de Genève subira des déformations mul- tiples mais on notera aussi, car c'est d'une importance fondamen- tale, que la richesse de ces espaces partiellement influencés par Genève étant médiocre, il n'en est pas résulté « un engagement alpin » de cette ville. Néanmoins, c'est peut-être alors, et malgré les restrictions que nous avons introduites, que le modèle classique se réalise. Cette réalisation tient à deux choses: une masse démo- graphique de petites dimensions et la nécessité de minimiser les temps de déplacement ou les distances.

Nous allons essayer pour la période contemporaine, c'est-à-dire depuis l'achèvement politique du territoire genevois, de montrer comment s'est réalisée la soudure entre une unité politique, à l'étroit dans ses frontières, et la région alpine contiguë.

1 Cf. Jean-François BERGIER:Les foires de Genève et les économies inter- nationales de la Renaissance, Paris, 1963.

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Au moment de la fixation de la frontière genevoise, entre 1815 et 1816, qui sanctionnait l'achèvement territorial du canton, on a mis en place le fameux système des zones franches qui constituait l'aveu implicite que la frontière politique n'avait pas intégré la dimension économique du problème régional. Par là-même, on reconnaissait tout à la fois l'existence d'un enclavement différentiel et celle d'influences potentielles réciproques dont on ne connaissait les termes que d'une manière très générale, autant dire très imparfaite.

Cette situation issue du malthusianisme économique de la Restauration a duré jusqu'en 1860, date à laquelle la France annexa la Savoie. La France de Napoléon III consciente de cer- taines nécessités économiques institua la Grande Zone qui com- prenait toute la partie septentrionale de la Haute-Savoie. Tout l'équilibre régional en fut modifié et l'espace alpin susceptible d'être influencé par Genève, en fut singulièrement agrandi. Les complé- mentarités intersectorielles entre une région encore très rurale et un pôle urbain en plein décollage démographique ne devaient pas manquer de se réaliser. Ainsi, de 1860 à 1914, s'est tissée une trame de relations entre un espace alpin et un espace péri-alpin. Les Français venaient vendre leurs produits agricoles sur les marchés genevois et symétriquement les Genevois trouvaient dans la région des débouchés pour leurs fabrications et leur commerce. Par ailleurs, Genève exerçait en tant que centre bancaire, un rôle régional significatif mais sans commune mesure avec son rôle international qui la mettait en contact avec les grandes affaires minières et ferroviaires réparties un peu partout en Europe et même aux Etats-Unis. Néanmoins, il est loisible de prétendre que durant un demi-siècle, les échanges régionaux ont atteint un volume qui révèle l'importance de l'interaction régionale qui fut stimulante pour les deux économies qui réalisèrent une intégration commer- ciale poussée. Si l'influence commerciale de Genève était réelle, en revanche l'influence industrielle était limitée à l'horlogerie et encore s'agissait-il pour les Savoyards de fournir des mouvements bruts aux établisseurs genevois qui se chargeaient du terminage et de la commercialisation. Ce type de relation a fait dire qu'il y avait un phénomène de domination qui justifierait finalement une cer- taine conception de l'influence genevoise. Sans doute quelques années avant le premier conflit mondial relève-t-on la présence de quelques établissements industriels genevois qui amorcent une

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décentralisation au profit de la région mais il s'agit moins de la région savoyarde que de celle de Bellegarde. On peut penser que si la guerre n'était pas survenue, les retombées industrielles genevoises au profit de la région auraient été plus nombreuses. Enfin, les Genevois entre 1860 et 1914 financèrent les premiers équipements touristiques dans la région de Chamonix et c'est peut-être dans ce cas-là que l'influence de la cité lémanique a été la plus nette et la plus forte. Les premiers équipements touristiques ont été financés par des sociétés dans lesquelles les Genevois, par le truchement des banques, en particulier, jouèrent un rôle de premier plan dès 1880.

Ainsi, grâce à la grande zone, toutes les conditions étaient réunies avant 1914 pour que s'établisse une région transnationale relati- vement bien intégrée. Cependant, on commettrait une erreur fonda- mentale en oubliant de dire qu'à côté de ces relations régionales, Genève entretenait avec le monde entier, ou presque, des relations complexes et anciennes dont les bases avaient été jetées au XVIIIe siècle et qui après l'éclipse, due à l'occupation française, s'étaient fortifiées et considérablement développées. Les données quanti- tatives manquent, hélas, pour illustrer notre propos. Mais, il est loisible de penser que l'apparition des industries modernes vers 1860 n'aurait pas réussi si elles avaient dû se contenter des médiocres relations régionales.

La guerre et ses conséquences politiques et juridiques pour la grande zone vont complètement modifier le modèle précédent.

Nous passerons sur les événements bien connus qui se sont déroulés de 1919 à 1933, c'est-à-dire de l'introduction de l'article 435 dans le traité de Versailles jusqu'au règlement arbitral de Territet, pour nous concentrer sur les conséquences de la suppression des grandes zones puis des petites zones; ces dernières ont été rétablies d'ailleurs en 1933 selon des modalités dont certaines sont encore en vigueur.

Entre 1920 et 1950, la frontière a littéralement désarticulé le complexe franco-genevois et l'influence genevoise s'est considéra- blement affaiblie. Cette diminution de l'influence genevoise est due au premier chef à la disparition des grandes zones, bien évidem- ment, mais aussi à l'effondrement des monnaies, à la grande crise de 1929 et à la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, pendant une trentaine d'années, les deux régions vont-elles évoluer séparément selon des rythmes propres et selon des modalités telles que l'in- fluence de Genève apparaît peu intense et discontinue. C'est pour-

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quoi, pendant cette période, Genève a dû compenser cette perte d'influence régionale par un développement de ses relations natio- nales et internationales. L'industrialisation de la Savoie s'est d'ailleurs faite indépendamment de Genève dans l'ensemble. Il suffît de penser au décolletage de la vallée de l'Arve, pour s'en persuader. La guerre lui a donné une forte impulsion dans laquelle Genève n'est pas partie prenante.

La phase de croissance dans laquelle Genève est entrée à partir de 1950 va reposer le problème des relations régionales, et partant, celui de l'influence de la cité lémanique sur la bordure alpine.

Nous serions tentés de dire que cette reprise d'influence est une conséquence des difficultés rencontrées par Genève dans le domaine de la main-d'œuvre d'une part et dans celui de l'espace nécessaire à la croissance d'autre part. En effet, les autorités fédérales ayant décidé depuis 1964 de limiter la main-d'oeuvre étrangère, les firmes genevoises ont déclenché une vaste opération de recrutement régio- nal d'où le gonflement des effectifs frontaliers qui ne sont pas soumis aux mesures fédérales 1. D'autre part, la croissance démo- graphique, 2,36% en taux constant de 1950 à 1970, a posé le problème de l'espace disponible et un certain nombre d'entreprises industrielles ont cherché à s'insérer dans la région française. Une poussée semblable est à noter pour le Valais où un potentiel de main- d'œuvre a été libéré ces dernières années par la fin des grands travaux hydroélectriques comme ceux de la Grande Dixence en particulier. Pourtant, dans l'ensemble, force est de reconnaître que la seule influence notable est celle qui s'est exercée sur la main- d'œuvre et qui a donné naissance à ce courant frontalier intense depuis cinq ans.

Ceci dit, les relations qui existent ne sont pas en cause sur un plan qualitatif, mais sur un plan quantitatif. De fait, ces relations n'ont pas dépassé un seuil qu'on pourrait qualifier de significatif.

Nous sommes là, au cœur du problème posé par le modèle classique.

La faiblesse de ce dernier, c'est-à-dire son incapacité à éclairer le « monde réel », provient de ce qu'il ne confronte pas les deux mondes de l'influence urbaine: l'un proche et l'autre lointain. En fait le modèle classique tend à privilégier le monde proche, immé- diat, au détriment du second, ignoré, parce que difficile à saisir.

1 Sur ce point les frontaliers sont assimilés aux travailleurs suisses.

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Ainsi, le modèle classique donne une image amputée de l'influence urbaine, et finalement appauvrie, puisque paradoxalement il restitue une partie seulement et souvent une toute petite partie des relations urbaines.

IV. L'INFLUENCE GENEVOISE SUR LES ALPES:

UN MODÈLE DÉTERMINISTE A L'ÉPREUVE DES FAITS

Si l'héritage déterministe a fait vivre bien et longtemps le modèle classique de l'influence urbaine régionale, c'est sans doute dû à l'absence d'instruments et d'informations adéquats qui auraient permis de remettre celui-ci en cause. On a disposé, dans la plupart des cas, de moyens élaborés en dehors de toute préoccupation géo- graphique. La conséquence directe et immédiate de cette situation a été l'impossibilité, d'une part, de procéder à des analyses au niveau micro-géographique et, d'autre part, de fixer un seuil au-delà duquel on aurait pu parler de relations significatives. Dans les lignes qui vont suivre, nous allons tenter, à l'aide de données, dont certaines sont inédites, recueillies dans le cadre d'une recherche sur la structure de la frontière franco-genevoise, de montrer le bien- fondé de nos critiques à l'endroit d'une hypothétique influence sur les Alpes de la cité lémanique 1.

Du point de vue démographique, s'il est indiscutable qu'entre 1870 et 1914, les Français et particulièrement les Savoyards, donc des Alpins à la limite, se taillaient la part du lion dans l'immigration genevoise, il en va tout autrement aujourd'hui 2. Certes, les Français constituent toujours une minorité importante dans la population étrangère résidant à Genève, mais la « coloration » n'est plus guère savoyarde et le bassin de recrutement s'étend à l'ensemble de l'hexagone. Si, à cet égard, les statistiques disponibles, ventilées par grands groupes nationaux, ne permettent qu'une appréhension macro-géographique et ramènent notre remarque précédente au niveau d'une hypothèse sérieuse, on peut tourner la difficulté en

1 Les Alpes? Cette appellation supposerait une délimitation géographique a priori. Nous préférons y renoncer et indiquer les points extrêmes de l'avancée genevoise, dans le monde alpin.

2 Claude RAFFESTIN:«La population genevoise: évolution et composition » in Grandes villes et petites villes, Paris, 1970, éditions du CNRS, p. 517-521.

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apportant des preuves indirectes, fournies par la connaissance précise que nous avons de la structure démographique des mouve- ments pendulaires 1. Les flux quotidiens des frontaliers dont le

CARTE 3. — DEPARTEMENTS DE PROVENANCE DES FRONTALIERS INSTALLES ENTRE 1965 ET 1969

(tiré de « Travail et frontière », C. Raffestin, J. Burgener, B. Gabioud,P. Landry.

1971, p. 64)

volume s'est accru à un rythme qu'on peut qualifier, sans exagé- ration, d'extraordinaire (6500 en 1965 contre plus de 20 000 en 1972), pourraient être interprétés comme l'expression même d'une

1 Cf. Claude RAFFESTIN,J. BURGENER,B. GABIOUD,Ph. LANDRY:Travail et frontière. Thonon, 1971.

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influence genevoise sur la région. L'emploi du conditionnel n'est évidemment pas fortuit. Effectivement, depuis cinq ans, on observe que la part des frontaliers originaires de la région s'amenuise au profit de celle des pendulaires originaires de tous les départements français qui sont venus s'installer récemment en Haute-Savoie, ou dans l'Ain. On nous rétorquera que ce phénomène ne met finalement pas en cause l'influence genevoise sur )'Avant-pays alpin si les pen- dulaires s'insèrent dans celui-ci. Pourtant si, car peut-on parler d'une influence sur les Alpes, quand on sait que 90% des frontaliers sont concentrés dans la zone frontalière des dix kilomètres. Le reste est dispersé dans une zone plus large, mais la vallée de l'Arve, vecteur alpin par excellence, n'y joue pas un rôle signi- ficatif.

Mais les Alpes, ce n'est évidemment pas seulement le domaine alpin français et on ne saurait oublier le Valais. Mais quel Valais?

Celui de la grande coupure de Martigny à Brigue ou celui des vallées latérales? Une fois de plus, l'information statistique disponible n'offre pas la possibilité de distinguer. Néanmoins, s'il s'agit du premier, le qualificatif alpin est un tantinet abusif du point de vue de la géographie humaine. Seul le second est vraiment représentatif et il n'a pu jouer un rôle qu'entre 1880 et 1930. Actuellement, seul le premier entre en ligne de compte, ne serait-ce qu'à cause de la disproportion du peuplement.

Peut-on aller au-delà dans les Alpes sans sortir des limites qu'impose le modèle d'influence régionale lui-même? Le Tessin, les Grisons, d'autres régions encore intéressent bien sûr les Alpes, mais nous sommes alors bien au-delà du champ de forces genevois.

Qu'en est-il du domaine agricole ? La consommation alimentaire genevoise est-elle couverte par des ressources en provenance de la zone péri-alpine? A l'époque de la grande zone, on l'a vu, l'inté- gration ville-campagne était une réalité et les marchés genevois de fait étaient largement contrôlés par les Savoyards et les gens de l'Ain (sont-ce des Alpins, même au sens large?). Aujourd'hui, les marchés sont des lieux d'approvisionnement résiduels et la petite zone une survivance du passé. Les importations des zones ne repré- sentent d'ailleurs qu'un peu moins de quatre-vingt francs par an et par habitant ! Et encore, dans ce total, les produits laitiers représentent-ils une part importante. Mais ce lait ne vient pas de la

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Haute-Savoie, mais du piémont jurassien, du Pays de Gex. Ceci dit, il faut reconnaître que nous avons affaire à une complémen- tarité bloquée, empêchée, comme en témoigne la faiblesse de la commercialisation à Genève des produits hauts-savoyards. Celle-ci ne dépasse guère 1 à 5% du total disponible et encore pas pour tout.

Peut-on parler d'une influence significative?

On peut penser que la situation du Valais est différente mais il est impossible de saisir exactement le volume des transactions intéressant Genève. Encore que l'on risquerait d'être surpris, car les produits valaisans sont fortement concurrencés par les produits étrangers dans les grandes métropoles.

En matière industrielle, l'influence genevoise sur les Alpes a été contrariée par la première guerre et les crises qui lui ont fait suite.

Cependant, malgré cela, on pourrait imaginer que Genève ait par- ticipé à la grande aventure hydro-électrique des Alpes du point de vue financier. Oui du côté suisse, mais non du côté français et cela s'explique peut-être par le fait qu'au moment où les premières expériences françaises ont eu lieu, l'équipement proprement gene- vois avec l'usine de Chèvres, est alors suffisant pour répondre aux besoins d'une industrie légère. Par ailleurs, l'essaimage des entre- prises genevoises est demeuré modeste. La tendance à s'installer en Haute-Savoie depuis 1950 s'explique par la surcharge dont Genève souffre depuis une ou deux décennies. D'ailleurs, les pôles qui ont bénéficié de ces investissements sont en fait au nombre de deux.

Annemasse et Saint-Julien tous deux collés à la frontière. Et il s'agit, quoi qu'on en dise, pour les entreprises de trouver une solution à leurs problèmes d'expansion. D'autre part, les échanges industriels entre Genève et la région ne dépassent pas, pour les entreprises qui ont noué des relations, 5% de leur chiffre d'affaires.

Du côté du Valais, les implantations genevoises, limitées à quelques unités, ont surtout pour objectif de récupérer une main- d'œuvre meilleur marché en rupture d'activité depuis l'achèvement des derniers grands travaux hydro-électriques. Mais une fois encore, il serait abusif de parler d'une influence genevoise.

En matière de relations commerciales et financières, jouons caftes sur table et avouons que nous ne disposons pas d'informations systématiques et contrôlées. Que sait-on vraiment? D'après nos enquêtes auprès d'entreprises industrielles françaises, nous savons qu'il n'y a pas recours aux banques genevoises. Pourquoi? Le

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réseau bancaire français est suffisant ou la banque genevoise se désintéresse d'affaires dont l'envergure ne lui parait pas inté- ressante? Nous sommes réduits à des conjectures. Toutefois, on peut faire l'hypothèse sérieuse que si l'influence bancaire genevoise ne s'exerce pas au niveau des activités commerciales et industrielles, elle s'exerce au niveau des placements et de la gestion de fortunes.

L'impact du commerce genevois sur la région, en revanche, est certainement très significatif. D'abord, par l'intermédiaire des frontaliers qui dépensent à Genève entre 10 et 25% de leur salaire, ensuite par les gens de la zone frontalière et de plus loin encore, qui payent ainsi en partie leur tribut à l'effet de publicité de Genève.

Des enquêtes précises seraient nécessaires pour se faire une idée moins générale de l'influence commerciale de Genève.

En matière d'influence significative, on doit signaler aussi celle de l'aéroport. L'attraction de Cointrin couvre effectivement une vaste zone qui englobe, cette fois, les Alpes françaises et valaisannes.

Les affaires et le tourisme induisent vraisemblablement l'essentiel de ce trafic.

Reste un dernier point qu'il convient d'aborder, celui relatif à l'influence des équipements culturels genevois. En matière d'en- seignement d'abord, il faut distinguer les institutions publiques des institutions privées. Parmi les premières, seule l'Université présente quelque intérêt en raison de son caractère unique dans la région. Les étudiants domiciliés dans l'Ain et la Haute-Savoie et fréquentant l'Université de Genève ne dépassent pas une centaine.

Encore faut-il relever que leurs communes de domicile sont collées à la frontière. On peut s'étonner de la modestie de ce chiffre mais elle reflète le lancinant problème des équivalences de diplômes.

Quant aux Valaisans, leur nombre oscille autour de trois cent cin- quante. Relativement aux institutions privées, ou semi-privées, tels les cours du soir de nature professionnelle ou plus culturelle, leur fréquentation est le fait de gens qui résident dans une zone large d'environ vingt kilomètres, à partir de la frontière. Genève joue sans doute, dans ce cas, par ses équipements, un rôle d'appoint non négligeable et offre des possibilités d'amélioration tout à la fois du niveau culturel et du niveau professionnel.

Ainsi, de nombreuses analyses de phénomènes régionaux nous montrent que Genève et la Haute-Savoie évoluent dans des cercles indépendants et que les relations s'exercent dans une bande territo-

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riale plaquée à la frontière. La zone d'influence genevoise est d'une faible amplitude (environ dix km). Les Alpes ne sont donc pratique- ment pas touchées par l'influence genevoise, sinon d'une façon ponc- tuelle pour les équipements très spécialisés. La situation géographique de Genève, la présence de la frontière politique, l'histoire des structu- res économiques diversifiées et la permanence de l'influence des facteurs historiques expliquent cette atrophie de l'influence genevoise en direction des Alpes. L'influence de Genève sur les Alpes suisses (surtout valaisannes) est un peu plus prononcée. Il est possible que l'absence de frontière ait facilité certaines relations. Cependant ne pourrait-on pas penser que ces relations doivent être comprises dans un contexte plus vaste: celles que Genève entretient, par dessus son environnement naturel, avec de nombreuses régions plus lointaines. Cela constituerait une nouvelle preuve de la presbytie de Genève en matière de liens de tous genres.

V. POUR UN CHANGEMENT D'OPTIQUE?

La critique du modèle classique de l'influence genevoise et l'image lacunaire et baroque, à certains égards, que nous avons proposées ont été moins suggérées, on s'en doute, par le vain désir de prendre le contre-pied d'une tradition que par celui de montrer l'insatisfaction profonde qu'on peut éprouver à répéter sans contrôle des jugements anciens fondés sur des informations trop générales.

On l'a compris, nous n'avons pas cherché à faire autre chose qu'à rectifier, là où c'était possible, les effets de quelques réflexes géo- graphiques et à mettre en cause un modèle d'inspiration déter- ministe à partir de données dont nous n'avons pas fourni le détail mais qui apparaîtront dans une étude sur la structure de la fron- tière franco-genevoise 1. S'il n'est pas question de conclure, on peut du moins attirer l'attention sur quelques faits qui nous paraissent devoir occuper une place privilégiée. D'abord, quant au modèle régional classique, il faut plaider pour une vérification basée, non pas sur des informations macro-géographiques, mais sur des données micro-géographiques. Ensuite, il conviendrait de concentrer l'atten- tion sur les comportements des acteurs socio-économiques qui

1 En préparation au Département de Géographie de l'Université de Genève.

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conservent des traces plus ou moins nettes de situations qui appar- tiennent au passé, dans le cas de la région franco-genevoise celui des années 1920-1950, mais qui continuent, bien qu'en décalage avec la réalité, à inspirer telle ou telle action. Enfin, il nous semble qu'il faut donner une plus grande importance au concept de limite, ici la frontière, dont la signification est moins géographique que sociale.

Ce programme implique la mise en chantier de toute une série de recherches. Certaines ont été faites, d'autres sont en train de s'achever, mais beaucoup restent à faire. Disons d'emblée que ces recherches sont généralement ingrates et fastidieuses 1, mais que leur résultat permet de corriger certaines idées reçues, fondées sur des intuitions plus ou moins valables.

Ainsi, seulement, il sera possible d'amorcer un changement d'optique et d'avoir une vision de plus en plus claire de la zone d'influence de Genève.

1 Deux exemples suffisent à montrer le caractère ingrat de ces recherches:

dépouillement de 14 000 fiches pour les frontaliers et de plus de 50 000 pour l'aéroport de Cointrin.

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