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L'accès à l'eau des citadins pauvres : entre régulations marchandes et régulations communautaires (Kenya, Tanzanie, Zambie)

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Academic year: 2021

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HAL Id: tel-00194126

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Submitted on 5 Dec 2007

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L’accès à l’eau des citadins pauvres : entre régulations

marchandes et régulations communautaires (Kenya,

Tanzanie, Zambie)

Anne Bousquet

To cite this version:

Anne Bousquet. L’accès à l’eau des citadins pauvres : entre régulations marchandes et régulations communautaires (Kenya, Tanzanie, Zambie). Géographie. Université Panthéon-Sorbonne - Paris I, 2006. Français. �tel-00194126�

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Directeur de Thèse : Sylvy JAGLIN

Thèse présentée et soutenue pour l’obtention du titre de Docteur de l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne Discipline : Géographie

Jury

Bernard Barraqué

Francis Beaucire

Bernard Calas

Janique Etienne

Sylvy Jaglin

L’accès à l’eau des citadins

pauvres : entre régulations

marchandes et régulations

communautaires

(Kenya, Tanzanie, Zambie)

Par

Anne BOUSQUET

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REMERCIEMENTS

Kenyans, Tanzaniens, Zambiens, un grand merci pour m’avoir fait partager un peu de votre quotidien difficile, pour m’avoir quelquefois sortie d’un mauvais pas, pour avoir accepté, avec le sourire, de répondre à mes interminables questionnaires…En ces temps d’impécuniosité pour la recherche française, un grand merci aussi à toutes les institutions qui ont financé cette recherche (ministère de la Recherche, ministère de Affaires Etrangères, Egide, Chancellerie des Universités Parisiennes, Institut Français de Recherche en Afrique…). Je n’oublie pas non plus tous les Africains d’adoption, expatriés français dont la réputation de solidarité envers leurs compatriotes en terre étrangère ne s’est pas démentie (merci Solange et Philippe, merci Martial…), en particulier à Lusaka où l’Ambassade de France m’a choyée à plusieurs reprises et a financé une de mes missions en Zambie. Je pense aussi aux universitaires qui m’ont accompagnée dans cette longue et difficile aventure de la thèse. Merci tout particulièrement à Pierre Merlin, qui fut mon premier directeur de thèse et qui m’a toujours soutenue, depuis ma maîtrise en 1998, sans jamais ménager son temps pour toutes les rébarbatives tâches administratives que cela impliquait. Sa grande rigueur intellectuelle m’a beaucoup inspirée. Un très grand merci à ma directrice de thèse, Sylvy Jaglin, à qui je pense tout particulièrement au moment de clore ce chapitre important de ma vie : merci à vous, pour m’avoir incitée à poursuivre mes travaux après mon DEA, pour avoir été un modèle d’exigence mais aussi de grande compréhension, pour avoir toujours fait preuve d’une patience indéfectible à mon égard, y compris dans les moments de doute (mais aussi quand il fallait signer une multitude de formulaires en urgence…). Je n’oublie pas non plus tous les proches qui m’ont accompagnée au quotidien, parents, amis, sans lesquels ce travail n’aurait pas abouti, qui ont supporté mes moments d’angoisse et partagé les moments de bonheur lors du franchissement des multiples obstacles qui se sont dressés devant moi.

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INTRODUCTION ... 5

PREMIERE PARTIE. ... 27

LE TEMPS DE LA GESTION PUBLIQUE : l’ECHEC DE LA

GENERALISATION DU RESEAU ... 27

CHAPITRE 1. L’ECHEC DE LA GENERALISATION DU RESEAU : DISPARITES SPATIALES ET EXCLUSION ECONOMIQUE... 28

I. Historique des réseaux : ségrégation résidentielle et « apartheid hydrique » ... 28

II. Des réseaux spatialement discriminants... 67

III. Les conditions économiques d’accès au service « punissent » les pauvres et favorisent les classes moyennes ... 91

CHAPITRE 2. GENERALISATION DU SERVICE D’EAU : UN ECHEC A IMPUTER A DES FACTEURS INTERNES AUX OPERATEURS… ... 99

I. Peut-on imputer la « faillite » des opérateurs à la faiblesse des tarifs?... 99

II. Des performances techniques et commerciales qui permettent une grande marge de progression... 103

III. Les différents postes de dépense des opérateurs... 108

IV. Efficacité du personnel : des résultats médiocres comparables pour les trois opérateurs 110 V. Emprunts et arriérés de paiement : qui sont réellement les « mauvais-payeurs » ? ... 111

VI. Bilan... 112

CHAPITRE 3. …QUI S’ENRACINENT DANS UN CONTEXTE ECONOMIQUE TRES DIFFICILE... 117

I. Au niveau macro-économique, crise des économies nationales et programmes d’Ajustement Structurel aggravent la pauvreté... 117

II. Au niveau local, appauvrissement massif et fragmentation alimentent la crise urbaine131 III. La fragmentation en question : des indices convergents ... 139

IV. Conclusion... 153

CONCLUSION DE LA PREMIERE PARTIE ... 154

DEUXIEME PARTIE... 156

REFORMES ET DISPOSITIFS A DESTINATION DES PAUVRES. LA

MARCHANDISATION PEUT-ELLE ETRE UN FACTEUR

D’UNIVERSALISATION EQUITABLE DE L’ACCES A L’EAU ?... 156

CHAPITRE 1. L’EAU, UN BIEN ECONOMIQUE ? MARCHANDISATION ET NEW PUBLIC MANAGEMENT ... 158

I. La Zambie, le bon élève de la Banque Mondiale ... 158

II. Les réformes du secteur de l’eau au Kenya : entre rupture et continuité... 167

III. La valse-hésitation de la législation tanzanienne du secteur de l’eau... 192

CHAPITRE 2. DECENTRALISATION ET CORPORATISATION : UN NOUVEAU CADRE QUI S’IMPOSE PROGRESSIVEMENT ... 195

I. Zambie : la gestion en régie perd du terrain au profit de la corporatisation ... 196

II. Corporatisation et rationalisation gestionnaire : des villes secondaires en avance sur la capitale kenyane ... 200

III. Tanzanie : corporatisation précoce dans la capitale, progressive dans les villes secondaires... 212

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I. Zambie : un régulateur actif, « modèle » et qui enregistre déjà quelques succès... 218

II. Les monopoles juxtaposés et régulés au Kenya : vecteurs d’universalisation du service ou de fragmentation urbaine ?... 229

CHAPITRE 4. LA PRESSION POUR L’INTRODUCTION DES GRANDS GROUPES DE L’EAU : VERS QUELS TYPES DE PARTENARIAT PUBLIC-PRIVE ? ... 233

I. Une offensive « par les marges » ... 233

II. Des pressions qui s’intensifient sur les capitales... 241

III. DAWASA, de l’affermage à la recorporatisation : chronique d’un échec... 247

CHAPITRE 5. LES DISPOSITIFS DE L’ACCES A L’EAU DES PAUVRES. DE LA SPATIALISATION A LA TERRITORIALISATION DU SERVICE ... 268

I. Etudes de cas... 268

II. Les conditions de l’universalisation de l’accès : quid de l’équité spatiale et de l’équité sociale ? ... 320

III. Synthèse des enquêtes. Comparaison des trois cas étudiés... 349

CONCLUSION DE LA DEUXIEME PARTIE... 354

TROISIEME PARTIE. LES USAGERS DANS LA GOUVERNANCE ET

DANS LA REGULATION DES SERVICES D’EAU ... 357

CHAPITRE 1. LES FIGURES DE L’USAGER DANS LA REGULATION DES SERVICES D’EAU ... 360

I. LE « LUSAKA WATER WATCH GROUP », ASSOCIATION DE DEFENSE DES USAGERS DE L’EAU: MAIS QUELS USAGERS?... 361

II. TANZANIE. UNE ASSOCIATION DE CONSOMMATEURS D’UN QUARTIER RELATIVEMENT AISE, MIKOCHENI... 368

III. NAIROBI. RICHES DE LANGATA CONTRE PAUVRES DE KIBERA : UNE ASSOCIATION VECTEUR DE SECESSION TERRITORIALE ? ... 374

CHAPITRE 2. LES NOUVEAUX PARTENARIATS : MODES DE REGULATION LOCALE EN APPRENTISSAGE (LA CONSTRUCTION DES ARENES CIVILES) ... 382

I. REGULARISATION DE L’INFORMEL : DE LA CORRUPTION ANARCHIQUE AU RACKET ORGANISE ? ... 382

II. TERRITORIALISATION DE LA GOUVERNANCE ET REGULATION COMMUNAUTAIRE A ZAMCARGO : DE LA CRISE AU « DEUXIEME EVEIL » DE LA SOCIETE CIVILE... 417

CHAPITRE 3. RE-TISSER LA VILLE. VERS UN RECENTRAGE DE LA REGULATION ?... 440

I. DAR ES SALAAM, UNE NOUVELLE POLITIQUE DE L’EAU ENTRE TERRITORIALISATION ET DECENTRALISATION ... 440

II. UNE GESTION PARTAGEE A LUSAKA ? DE GEORGE COMPOUND AU DTF ... 457

CONCLUSION DE LA TROISIEME PARTIE : REGULATION COMMUNAUTAIRE ET REGULATION MARCHANDE... 483

CONCLUSION... 485

REFERENCES BIBLIOGRAPHIQUES... 490

TABLE DES MATIERES ... 516

TABLE DES ILLUSTRATIONS... 523

TABLE DES ILLUSTRATIONS... 523

(6)

INTRODUCTION

«

Q

Q

Q

Q

uand tout le monde dort encore, les petits garçons se lèvent dans les ténèbres et filent à la source, à l’étang ou au fleuve. La technologie leur a donné un sacré coup de pouce en leur offrant le jerrican en plastique, bon marché et léger. Il y a quelques années, ce bidon a révolutionné la vie en Afrique. […] Pendant des siècles et des siècles, ce sont les cuves en argile ou en pierre qui ont servi à transporter l’eau. Or, voilà qu’est apparu le jerrican en plastique. Miracle ! C’est une véritable révolution ! En premier lieu, il est relativement bon marché […] Mais le plus important, c’est qu’il est léger ! Et en plus, il peut avoir diverses tailles, si bien que même un gosse peut transporter quelques litres d’eau. Tous les enfants portent l’eau ! Aujourd’hui on peut voir des bandes de gamins, qui, tout en s’amusant et en se taquinant, vont chercher de l’eau à une source lointaine. Quel soulagement pour la femme africaine, éreintée et à bout de forces ! Quel changement dans sa vie ! Cela lui dégage un temps précieux pour elle-même, pour sa maison ! »

R. KAPUSCINSKI. Ebène. Aventures africaines, Plon, Pocket, Paris, 2000, p 264-265.

Ironique ou pas, R. Kapuscinski décrit néanmoins une réalité malheureusement encore beaucoup trop répandue en Afrique, qui accuse les taux d’accès à l’eau parmi les plus bas du monde, tout autant en ville qu’à la campagne, et des taux records de prévalence des maladies hydriques. Selon la conclusion d’un nouveau rapport de l’OMS et de l’UNICEF1, au cours de

ces dix dernières années, alors qu’un nombre considérable de personnes2 dans le monde a

accédé à un système d'alimentation en eau approprié3, l’Afrique sub-saharienne reste un sujet

de préoccupation. 322 millions d’Africains n’ont toujours pas d’accès à l’eau potable en 2004 (27% des 1,1 milliard de personnes dépourvues d’accès vivent dans cette région du monde4)

et seuls 16% de la population africaine bénéficient d’une connexion privative (dans l’habitation ou dans la cour). Sur ce continent, en dépit des progrès réalisés entre 1990 et 2004, avec l’augmentation de la population desservie de 49% à 56%, un très grand effort reste nécessaire pour atteindre l’objectif de développement du millénaire (« Millenium Development Goal », MDG) fixé par les Nations Unies5, de 75% de taux d’accès en 2015. En

raison du fort croît démographique, sur la période 1990-2004, le nombre de personnes ne bénéficiant pas d’un accès à l’eau potable a augmenté de 23%, ce qui représente 60 millions de personnes. En outre, avec l’augmentation de la population urbaine de 85% de 1990 à 2004, le nombre de citadins non desservis a doublé dans la même période, atteignant 52 millions de personnes en 2004. Le taux d’accès a lui-même baissé de 80 à 82%, tandis que le taux de desserte par connexion privative a connu une régression encore plus manifeste (de 45 à 36%). Si les tendances actuelles se maintiennent, l’OMS estime qu’en 2015, le nombre de personnes non desservies augmentera encore de 47 millions (tandis que pour l’ensemble du monde ce nombre au contraire baissera de 150 millions). Or, le taux réel d’accès doit être encore minoré

1 WORLD HEALTH ORGANIZATION. UNICEF. Meeting the Millenium Development Goals Drinking Water and Sanitation Target,

The urban and rural challenge of the Decade, 2006, 47 p. sur le site : www. http://www.who.int/water_sanitation_health/monitoring/jmpfinal.pdf

2 Environ 816 millions de personnes. voir site internet : http://www.wateryear2003.org/fr/ev.php-URL ID=4096&URL DO=TO TOPIC&URL SECTION=201.html

3 Définition de l’accès à l’eau potable selon l’OMS: « accès à des sources d’eau améliorées : connexion au réseau à domicile, dans l’habitation ou dans la cour, points d’eau collectifs, forages, puits protégé, source protégée, collecte d’eau de pluie » voir : WORLD

HEALTH ORGANIZATION. UNICEF. Meeting the Millenium Development Goals Drinking Water and Sanitation Target, The urban and

rural challenge of the Decade, 2006, 47 p. sur le site : www. http://www.who.int/water_sanitation_health/monitoring/jmpfinal.pdf

4 Idem.

5 NATIONS UNIES. Déclaration du Millénaire, Assemblée Générale, 13 septembre 2000, 10 p sur le site : http://daccessdds.un.org/doc/UNDOC/GEN/N00/559/52/PDF/N0055952.pdf?OpenElement

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compte tenu de la réalité des services, bien en-deçà des statistiques officielles, du fait même qu’être connecté à un réseau ne signifie pas pour autant avoir un approvisionnement fiable (comme l’ont montré les travaux de M-H Zérah en Inde6) mais aussi en raison de la disparité

des définitions de l’accès à l’eau rencontrées dans les différents pays7. La concentration

urbaine accroît le besoin d’infrastructures d’eau et d’assainissement, et celles qui existent souffrent d’un déficit quasi général de gestion et de maintenance. Selon l’OMS, « l’objectif du plan d’action de Johannesburg implique la nouvelle desserte de 404 millions d’Africains en eau potable et de 410 millions en assainissement. Les investissements réalisés sur la décennie 1990-2000 ont permis respectivement celle de 135 millions d’Africains (eau potable) et 98 millions d’Africains (assainissement) avec une aide extérieure totale de 31 milliards de dollars (3,1 milliards/an). »8 Il faudrait donc aujourd’hui multiplier les rythmes

d’investissement du secteur en Afrique au moins par trois pour l’eau et par quatre pour l’assainissement.

Au cours de ces vingt-cinq dernières années, depuis la conférence de Mar del Plata en 1977, de grandes conférences ont tenté de fédérer les efforts de la communauté internationale et de définir des stratégies pour améliorer cette situation (voir encadré).

6 ZERAH. M-H. L’accès à l’eau dans les villes indiennes, [Villes], Anthropos, Paris, 1999, 192 p.

7 Je reviendrai ultérieurement sur cette question importante de la définition de l’accès et des statistiques qui s’y rattachent.

8 ROCHE P.A. «L’eau, un enjeu vital pour l’Afrique », p39-p75, in Afrique Contemporaine, Revue trimestrielle publiée par l’Agence Française de Développement, n°205, mars 2003, Dossier spécial, 245 p.

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Encadré 1 : les grandes conférences internationales sur l’eau potable

La conférence de Mar del Plata en 1977 a été à l’origine d’une série d’actions mondiales dans le domaine de l’eau. Parmi celles-ci, la « Décennie Internationale de l’Eau Potable et de l’Assainissement » (1981-1990), lancée par les Nations Unies, a permis une extension significative de la fourniture des services de base aux plus démunis. Ces expériences ont fait la lumière sur l’ampleur de la tâche, à savoir la nécessité d’un formidable développement de l’approvisionnement en eau et des systèmes d’assainissement, aujourd’hui et pour les années à venir. La Conférence internationale sur l’eau et l’environnement de Dublin en 1992 a défini quatre grands principes qui sont encore applicables aujourd’hui (principe n°1 : « L’eau douce –ressource fragile et non renouvelable- est indispensable à la vie, au développement et à l’environnement », principe n°2 : « La gestion et la mise en œuvre des ressources en eau doivent associer usagers, planificateurs et décideurs à tous les échelons. », principe n°3 : « Les femmes jouent un rôle essentiel dans l’approvisionnement, la gestion et la préservation de l’eau. », principe n°4 : « L’eau, utilisée à de multiples fins, a une valeur économique et devrait donc être reconnue comme un bien économique ». La Conférence des Nations Unies sur l’environnement et le développement (CNUED), en 1992, a permis l’adoption de l’agenda 21 qui, à travers ses sept propositions d’action dans le domaine de l’eau douce, a contribué à mobiliser les populations en faveur du changement et a enclenché une évolution, encore très lente, des pratiques en matière de gestion de l’eau. Ces deux conférences ont été fondamentales car elles ont placé l’eau au cœur du débat sur le développement durable. Le Deuxième Forum Mondial de l’eau, à La Haye en 2000, et la Conférence Internationale sur l’Eau, à Bonn en 2001, ont continué à œuvrer dans la même direction. Toutes ces instances ont défini des objectifs visant à améliorer la gestion de l’eau, mais peu ont été atteints. Cependant, de tous les objectifs adoptés au cours des évènements de ces dernières années, les objectifs de développement pour le millénaire (« Millenium Development Goals ») établis par les Nations Unies pour 2015, dans le cadre de la « Décennie Internationale pour l’Eau Potable » (2005-2015), sont peut être les plus importants, car ils visent à réduire de moitié le pourcentage de la population qui n’a pas accès à l’eau potable. (Les autres objectifs sont les suivants : réduire de moitié la proportion de la population dont le revenu est inférieur à un dollar US par jour, réduire de moitié la proportion de la population qui souffre de la faim, donner à tous les enfants garçons et filles, partout dans le monde, les moyens d’achever un cycle complet d’études primaires, réduire des trois quarts le taux de mortalité maternelle et des deux tiers le taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans, arrêter la propagation du sida, maîtriser le paludisme et d’autres grandes maladies, et commencer à inverser la tendance). En mars 2000, la Déclaration ministérielle de La Haye a énoncé sept défis servant de base à l’action future. Ils ont en outre été adoptés par le WWDR comme critères de suivi des progrès réalisés, notamment satisfaire les besoins humains fondamentaux (assurer un accès à l’eau et à l’assainissement de qualité et en quantité suffisantes), valoriser l’eau (identifier et évaluer les différentes valeurs de l’eau –économique, sociale, environnementale, culturelle-) et tenter d’accorder les coûts de son stockage et de son traitement aux objectifs d’équité et de réponse aux besoins des populations pauvres et vulnérables, gérer l’eau de manière responsable (impliquer chaque secteur de la société dans le processus de décision et prendre en compte les intérêts de toutes les parties). Quatre défis supplémentaires ont été ajoutés aux sept précédents afin d’élargir le champ d’application de l’analyse, notamment « l’eau et les villes » (tenir compte des besoins spécifiques d’un monde de plus en plus urbanisé).

UNESCO. Rapport mondial sur la mise en valeur des ressources en eau. L’eau pour les hommes, l’eau pour la

vie, 2003, 34 p. sur le site : http://unesdoc.unesco.org/images/0012/001295/129556f.pdf

Les préoccupations des grandes conférences internationales sont aussi celles des bailleurs, notamment de la Banque Mondiale et du FMI qui, s’inspirant des stratégies définies et en reprenant certains principes (notamment le principe n°4 de la Conférence de Dublin de 1992 sur la valeur économique de l’eau), ont guidé vingt ans de réformes des services urbains en réseaux en Afrique et notamment du secteur de l’eau potable9. Or, depuis les années 1980, ces

réformes s’inscrivent dans le cadre plus large de la restructuration du secteur public imposée par les Programmes d’Ajustement Structurel, dans un contexte de remise en cause de l’Etat développeur10. Dans son rapport sur le développement dans le monde de 199411, la Banque

9 Les réseaux techniques urbains sont définis comme les services locaux qui forment l’ossature matérielle des villes (eau, assainissement, transports urbains, distribution d’électricité, réseaux câblés, chauffage urbain). Dans les pays du Nord, on les nomme aussi services publics marchands (SPU) distincts des grands systèmes techniques (réseaux de transport d’énergie, de télécommunications, de voies ferrées) qui relèvent d’autres logiques. voir LORRAIN. D. « Gig@ city (L’essor des réseaux techniques dans la vie quotidienne) », in Flux n°47, janvier-mars, 2002, p 7-19.

10 LESUEUR. J-Y. LANE. P. Les services publics africains à l’épreuve de l’assainissement : une évaluation économique et sociale, [Les cahiers de la bibliothèque du développement], L’Harmattan, Paris, 1994, 314 p.

11 BANQUE MONDIALE. Rapport sur le développement dans le monde : une infrastructure pour le développement, New York, Oxford University Press, 268 p.

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Mondiale impute à la gestion publique des infrastructures les taux catastrophiques de connexion des populations, tout en reconnaissant le facteur déterminant de la qualité des services urbains pour le développement économique des pays. Ce facteur est crucial en particulier dans les villes, revenues au centre des préoccupations des bailleurs à la fois pour leur rôle moteur dans la croissance économique, mais aussi pour la pauvreté de certaines couches de leurs populations, qui avait été minorée au regard de la pauvreté rurale. Dans le but d’améliorer le niveau de service, puis d’en universaliser l’accès (notamment pour les pauvres), les réformes visent à limiter le rôle direct des gouvernements, à réformer le management public dans la fourniture des services et à produire un nouveau cadre de gestion et d’exploitation des infrastructures, notamment par le biais de l’introduction du secteur privé. Ce nouveau cadre est interprété par les chercheurs en termes d’éclatement ou de « dé-intégration » des infrastructures de réseaux, comme le montrent les travaux de S. Graham et de S. Marvin12, sur lesquels je reviendrai ultérieurement. Etant donné le contexte de pauvreté

massive des pays en développement et le caractère spécifique de l’eau, à la fois bien social et un bien économique, les réformes de ce secteur ont suscité de nombreuses interrogations à propos de leurs conséquences pour les populations pauvres.

L’émergence d’une problématique dans un cadre comparatif

J’ai commencé à m’intéresser à la question de l’accès à l’eau des citadins pauvres lors de mon stage de maîtrise en 1998, qui portait sur le thème de la privatisation des bornes-fontaines à Lomé (Togo), dans le cadre de la Régie Nationale des Eaux du Togo. Au début des années 2000, le débat international s’articulait largement sur les questions de privatisation et de partenariat public-privé, sur les modalités de délégation des services publics aux grands groupes de l’eau, avec une résonance particulière en France, berceau des leaders mondiaux du secteur et du « French Model » (la gestion déléguée) cher à la Banque Mondiale. C’est donc tout naturellement que j’ai souhaité prolonger mes réflexions sur cette question, ce choix provenant du souci de tester l’idée d’une convergence des processus à l’échelle du continent, quelles que soient par ailleurs les options politiques des régimes en place. Dans le même temps, je découvrais aussi, avec la thèse de P. Gervais-Lambony, De Lomé à Harare, le fait citadin13, les vertus de la comparaison. Dans sa surprenante introduction, P.

Gervais-Lambony explicite non seulement les intérêts d’une étude comparative, mais surtout la nécessité (pour son thème de recherche) de comparer deux objets aussi différents que possible empiriquement, afin de « dégager le conjoncturel du structurel », de mettre en exergue ce qui relève de la tendance lourde tout en dégageant les spécificités locales et leur influence. C’est aussi ce que propose M. Leclerc-Olive (pour une étude urbaine comparative entre le Bénin et le Mali) : « Expérimental et ouvert, le comparatisme dans cette recherche se veut ‘différentiel’ : nous voulons ainsi signifier l’attention portée aux différences, voire aux petites différences, qui par ricochet, obligent à soumettre chaque situation à de nouvelles questions. On explore une piste méthodologique orthogonale à un comparatisme conçu comme construction de généralités, producteur de typologie »14. Ma posture se veut hybride, entre

comparatisme « classique » terme à terme, quand cela est pertinent (notamment sur les points communs de la vision théorique des réformes de l’eau), et « comparatisme différentiel », tant les contextes locaux des trois pays (Kenya, Tanzanie, Zambie) diffèrent (sur les plans économiques, sociaux, urbains…mais aussi dans leurs pratiques des réformes, notamment sur la question du traitement de la pauvreté.)

La deuxième question concerne le choix des pays. Le Kenya et la Tanzanie se sont rapidement imposés, après m’être entretenue sur le choix des terrains avec des chercheurs

12 GRAHAM. S. MARVIN. S. Splintering urbanism : networked infrastructures, technological mobilities and the urban condition, Routledge, London and New York, 2001, 479 p.

13 GERVAIS-LAMBONY. P. De Lomé à Harare, le fait citadin ; Images et pratiques des villes africaines, [« Hommes et Sociétés »], KARTHALA/IFRA, Paris, 1994, 472 p.

14 GEMDEV. ISTED. LECLERC-OLIVE. M (responsable scientifique). Les villes : laboratoires de démocraties ? Bénin-Mali, Synthèse des résultats, Programme de Recherche Urbaine pour le Développement, juin 2004, 9 p. sur le site www.isted.com/programmes/prud/ syntheses/Atelier_A/Leclerc-Olive.pdf

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mais aussi des professionnels des trois grands groupes français15, car ces deux pays

répondaient à deux critères essentiels : d’une part, ils connaissaient des réformes marchandes de leur secteur de l’eau et étaient sur le point, en 2000, de signer des contrats pour la délégation à l’international de la gestion de leurs réseaux d’eau et d’assainissement ; d’autre part, les autres cas de délégation à l’international en Afrique (essentiellement en Afrique francophone) faisaient déjà l’objet de diverses recherches, tandis que peu de chercheurs français s’intéressaient à ces lointains pays anglophones. Si on comprend aisément l’intérêt de choisir ces deux pays, comment expliquer l’ajout d’un troisième terrain, la Zambie ? Le projet initial de la thèse n’incluait pas ce pays d’Afrique Australe, mais au hasard d’une mission de recherche effectuée dans le cadre du PRUD en 200116, il s’est avéré incontournable dans la

réflexion, du fait de la précocité de ses réformes et de leur inflexion originale. Les deux aspects originaux concernaient la mise en place d’un régulateur sectoriel opératoire et la politique alors très novatrice du service d’eau de Lusaka concernant les quartiers pauvres. Ainsi, le cas zambien offre en quelque sorte un éclairage prospectif sur les deux autres, d’autant plus qu’il semble avoir fait école sur certains points auprès de ses deux voisins. Mon sujet de recherche a par ailleurs fait l’objet d’évolutions substantielles. Tout d’abord, alors que la signature de contrats de délégation était annoncée comme imminente, à Nairobi avec Vivendi et à Dar es Salaam avec un appel d’offres en cours, les deux projets ont été abandonnés tour à tour en 2001, dans des circonstances locales sur lesquelles je reviendrai amplement. Le début des années 2000 constitue, de fait, un tournant dans la stratégie internationale des grands groupes de l’eau, tournant dont l’échec de Suez en Argentine en 2001 est le révélateur, voire le déclencheur. C’est ce qu’explique M. Orange dans Le Monde en 200417 (voir encadré), dans un entretien croisé avec Gérard Mestrallet, le PDG de Suez et

Olivier Bouygues, PDG de la SAUR : « Brusquement les investisseurs, mais aussi les responsables des groupes, ont réalisé que la croissance internationale était dangereuse, que les contrats à long terme dans l’eau comportent des risques contractuels, de politiques de change et financiers, qui avaient souvent été sous-estimés. Emportés dans leur volonté d’expansion, les grands groupes ont financé sur leurs fonds propres l’acquisition de leurs parts de marché : ils ont massivement acheté des réseaux dans le cadre de privatisations municipales ou financé de nouveaux équipements et contrats à l’étranger. Sans assurance d’obtenir un rendement. »

15 Notamment Y. Picaud de la Générale des Eaux, A. Mathys de la Lyonnaise des Eaux et enfin, David Logan de la SAUR-I.

16 Programme de Recherche Urbaine pour le Développement (PRUD) 2001-2004, « Action concertée incitative du Fonds de solidarité prioritaire du Ministère de Affaires étrangères », Gemdev/Isted, «Décentralisation et gouvernance territoriale en Afrique ».

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Encadré 2 : « Les champions français de l’eau sont en crise »

« Le modèle de gestion de l’eau, tel que l’ont défendu les groupes français de l’eau, avec notamment le soutien

de la Banque Mondiale depuis le début des années 90, est-il encore valable ?La remise en cause est apparue à la fin de l’année 2001 avec l’Argentine. Du jour au lendemain, Suez a vu un des ses plus beaux contrats, celui qui avait été le point de départ de son expansion internationale, s’effondrer à la suite de la dévaluation du peso […]. Aujourd’hui le bilan des acteurs porte la trace de cette course internationale. Suez a ainsi dépensé plus de 30 milliards d’euros en 5 ans dans l’achat de contrats et filiales. Le groupe s’est retrouvé avec un endettement de 28 milliards fin 2001. Veolia affiche un taux d’endettement de 358% (soit 12,9 milliards de dettes pour un capital propre de 3,6 milliards). Saur de son côté a limité la dégradation de son bilan en restreignant au minimum ses engagements. ‘ Nous avons tous été sous l’influence du modèle économique de l’électricité [beaucoup plus facilement rentable]…On s’aperçoit que l’on ne sait pas financer l’eau de façon classique. Les

retours sur investissements sont beaucoup trop longs. Les tarifs sont des sujets sensibles, placés sous la surveillance du monde politique….’ reconnaît aujourd’hui Olivier Bouygues, président de Saur. ‘ …Nous n’avons pas attendu l’Argentine pour nous apercevoir que le modèle financier soutenu par la Banque Mondiale ne fonctionnait pas…’ soutient Gérard Mestrallet, PDG de Suez. ‘ Des programmes de privatisation

de l’eau ont été lancés, sans apporter de réelle amélioration. Car il y a eu une mauvaise utilisation des ressources financières. L’argent privé a été utilisé pour racheter les actifs existants, non pour augmenter la

qualité de l’eau ou apporter l’eau à ceux qui n’y avaient pas accès.’ Désormais l’heure est à la prudence. Pour

limiter les risques et leur endettement, les groupes entendent réduire leurs engagements. Ils vont désormais au plus sûr. Tous choisissent l’Europe plutôt que les grands contrats asiatiques ou sud-américains, les Etats-Unis semblant pour l’instant fermés à la délégation des services publics. Et, même sur le vieux continent ils ne veulent plus faire de la concession, mais de la gestion de service, qui ne demande pas d’investissement. Seul Veolia Environnement affirme qu’il est possible de travailler comme avant. ‘ Il y a encore des perspectives de croissance formidables. Et nous savons les rendre solvables. Notre modèle, c’est la gestion déléguée. Mais, s’il faut prendre des contrats en concession et racheter des actifs, nous trouvons toujours des partenaires financiers locaux qui sont prêts à investir à nos côtés, et à rémunérer nos services’, soutient Antoine Frérot, numéro deux de Veolia et responsable de l’activité eau. Le groupe assure ainsi qu’il peut monter des tours de table pour des contrats d’exploitation pouvant aller jusqu’à 25, voire 50 ans, où il n’apporte qu’à peine 15% des fonds propres tout en conservant la moitié des profits. Dans les faits, Veolia Environnement parvient surtout à signer de tels contrats en Chine. Dans le reste du monde, les projets sont en nette diminution. En ne voulant plus racheter les réseaux, les groupes ont perdu un de leurs principaux arguments auprès des municipalités pour les amener à confier leurs services d’eau au privé. »

Source : ORANGE. M. « Les champions français de l’eau sont en crise », Le Monde, Entreprises, Services, 29/01/2004, 1p. mise en exergue par l’auteur

Parallèlement, les « remontées » de mes terrains me poussaient à m’intéresser aussi à d’autres processus, en révélant que d’autres formes de partenariats public-privé émergeaient et se consolidaient, notamment entre les collectifs d’usagers pauvres et les autorités locales, en marge des grands contrat avortés. Constituant finalement le cadre majoritaire de l’accès à l’eau potable des citadins pauvres, ces nouveaux PPP exigeaient un changement de « focale »18. Faisant largement intervenir la participation communautaire (expression ambiguë

dont je débattrai ultérieurement), ils méritent d’autant plus cette attention accrue qu’ils résultent d’une histoire beaucoup plus longue, comme le rappelle B. Page, qui les décrit d’ailleurs comme alibi d’une privatisation « insidieuse » : « Alors que la privatisation de l’eau est un objectif politique relativement récent, dans la plupart des pays d’Afrique de l’Ouest (sauf en Côte d’Ivoire) la participation communautaire a une histoire beaucoup plus longue. Le ‘ développement communautaire’ a été introduit au Cameroun anglophone entre 1950 et 1952 quand le ‘ self help’ est devenu la stratégie britannique majeure pour la mise en place de la nouvelle politique de développement colonial ‘welfare orientated’. L’origine de ces méthodes se trouve dans le ‘British Colonial Development and Welfare Scheme’, voté par le parlement de Westminster en février 1940 […] Les idées autour de la participation communautaire sont défendues et relayées par des réseaux d’ONG et d’agences de développement ((Wateraid, Unicef…), par des universitaires […], les départements

18 A ce propos, voir aussi: DE GOUVELLO. B. FOURNIER. B. “Résistance locales aux ‘privatisations’ des services de l’eau : les cas de Tucuman (Argentine) et Cochabamba (Bolivie)”, in Autrepart, n°21, p 69-82.

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gouvernementaux, des conférences (par ex la WEDC…), des journaux (par exemple, Waterlines) et des centres de recherche. Le développement communautaire est devenu la pensée unique du développement. Ce n’est pas la stratégie la plus répandue pour le développement de la desserte en eau rurale et pourtant, ce qui est significatif de la situation contemporaine, c’est que ces méthodes sont élargies pour couvrir non seulement les zones rurales mais aussi les zones urbaines de plusieurs dizaines de milliers d’habitants19

Ainsi, sur la base d’une comparaison différentielle entre le Kenya, la Tanzanie et la Zambie, le questionnement central de cette recherche est le suivant : quelles sont les conséquences des réformes marchandes du secteur de l’eau potable pour les populations urbaines pauvres de ces trois pays? Sont-elles, comme leurs promoteurs le prétendent, un facteur d’universalisation de l’accès au service, notamment à destination des populations pauvres ? Le cas échéant, quelles sont les conditions de cette universalisation ?

Il convient de distinguer « universalisation de l’accès », expression désormais employée par les bailleurs, de « généralisation du service ». Dans le domaine du secteur de l’eau, par cette dernière expression, on entend desserte exhaustive de la population par le biais d’infrastructures répondant à une norme élevée de niveau de service (en général la connexion privative, branchée à un réseau, alimentant un ou plusieurs points d’eau à l’intérieur de l’habitation), tandis que la notion d’universalisation de l’accès est beaucoup plus lâche, désignant tout autant cette première forme de desserte que la mise à disposition d’un point d’eau collectif dans un rayon maximal de l’habitation, la définition de la norme et de la distance variant d’un pays à l’autre20. Cette mise au point en appelle une autre, celle du droit à

l’eau. Les travaux comparatifs d’O. Coutard sur cette question en France et en Angleterre21

ont montré que « le droit à l’eau souffre d’une ambiguïté fondamentale. L’eau est d’une part un bien essentiel, dont nul de peut être privé ; et c’est ce qui explique la protection croissante dont bénéficient les ménages confrontés à des difficultés de paiement. D’autre part, la distribution d’eau par réseau est un service marchand qui doit être rémunéré ; nul, apparemment, ne peut exiger d’être alimenté gratuitement : chaque ménage a droit au service - mais dans l’exacte mesure de ce qu’il peut payer ! » Le droit à l’eau est donc très difficile à mettre en œuvre et se transforme le plus souvent en un droit à l’aide, le premier restant conditionné à la capacité à payer des ménages : « Le droit-créance inconditionnel à l’eau n’existe pas. La règle générale (avec des aménagements ponctuels) est qu’un ménage a droit à l’eau qu’il peut payer. ». Dès lors, deux questions se posent : qui aider ? Et comment ?

19 PAGE. B. “Communities as the agents of commodification: the Kumbo Water Authority in Northwest Cameroon”, in GEOFORUM. « Themed section », “New Perspectives on the politics of development in Africa”, vol 34, n°4, november 2003.

20 Cela participe notamment de la définition de « service universel ». Selon C. Stoffaës, « on entend par là les services dont il est reconnu, à un moment donné, qu’ils doivent être rendus accessibles à tous car constitutifs de l’appartenance à la collectivité, et donc facturés à un prix raisonnable ». voir : STOFFAES. C. Services publics. Question d’avenir, Editions Odile Jacob/La Documentation Française, Paris, 1995, p 235.

21 COUTARD. O. « Le « droit » à l’eau et à l’énergie en France : à propos de quelques évolutions récentes », in MAY. N. VELTZ. P.

LANDRIEU. J. SPECTOR. T. (dir), La ville éclatée, La Tour d’Aigues, éditions de l’Aube, p 143-157.

COUTARD. O. « La face cachée du service universel : différenciation technique et tarifaire dans le secteur de l’eau en Europe », p 111-141, in SCHNEIER. G. DE GOUVELLO. B. (dir.) Eaux et Réseaux, les défis de la mondialisation, IHEAL/CREDAL, Paris, 2003, 346p.

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Africaniser la thèse de la fragmentation urbaine par les réseaux

Les réformes marchandes pilotées par les bailleurs de fonds internationaux trouvent un écho dans les mutations que connaissent aussi depuis plus de deux décennies les services publics en Europe, sous l’impulsion de la Communauté Economique Européenne, suscitant de nombreuses interrogations chez les chercheurs sur le rôle du privé, l’accès au service universel, les nouvelles régulations, etc. s’articulant autour du postulat insuffisamment démontré d’une homologie entre l’éclatement de la ville et celui des services publics. D. Lorrain évoque en 1998 la « vision pessimiste » de « la menace sur le service public », qui se « nourrit de deux inspirations : l’analyse des conséquences de la déréglementation des entreprises en réseaux en Grande-Bretagne, et la thématique de la ville éclatée. […] La baisse de l’offre pour les plus pauvres, la recherche de niches solvables, l’éclatement de l’architecture des réseaux tracent un tableau noir des futures villes. » Il pointe néanmoins les nombreuses faiblesses de cette thèse, notamment « pour ce qui concerne l’éclatement urbain. Pour le moment les auteurs ont présenté un schéma d’une ville virtuelle, éclatée, conforme à leurs hypothèses : mais intuition ne vaut pas preuve. Pour progresser, il faudrait sans doute travailler dans plusieurs directions de recherche. Mentionnons les rapidement, elles ne sont pas limitatives. Peut-on démontrer empiriquement que des espaces, des quartiers, sont traités inégalement soit par insuffisance des réseaux, soit par l’effet cumulé du débranchement des habitants ? Peut-on aussi progresser dans la compréhension des liens entre l’existence d’architectures institutionnelles éclatées et une production spatiale éclatée ? 22». L’ouvrage

de T. Kirszbaum de 2000, Modernisation des services publics et éclatement de la ville sous le regard des chercheurs, dresse un bon état des lieux de ces interrogations23. Il faut d’abord

démontrer que l’éclatement de la ville, ou la fragmentation urbaine, est effectif, ce dont la multiplication des travaux et leur convergence, relative24, semblent attester, tant dans les pays

riches que dans les pays en développement. Je retiendrai pour ma part la définition de la fragmentation formulée par O. Coutard (à partir de réflexions collectives25 ) : « La notion de

fragmentation urbaine […] renvoie aux facteurs de délitement des interdépendances socio-économiques antérieures et aux tendances à la désolidarisation entre groupes sociaux ou entre leurs espaces d’habitat notamment. Cette notion s’oppose en première analyse à celle d’intégration ou de cohésion (sociale et territoriale) urbaine, qui met au contraire l’accent sur l’ensemble des liens de solidarité, d’interdépendance contribuant au fonctionnement unitaire des villes et, par conséquent, au fait que la ville ‘fasse société’. Mieux que les termes de ségrégation ou de segmentation, qui désignent des divisions fonctionnelles compatibles avec un degré élevé d’intégration économique, par exemple, la notion de fragmentation permet de rendre compte de processus de dislocation et d’atomisation non régulée ou régulée à des échelles très -trop?- fines, celles des groupements communautaires, des affinités résidentielles ou de l’entre-soi (plutôt qu’à celle des régions urbaines considérées, ou même d’espaces plus larges).» O. Coutard rappelle également, comme l’ont montré les travaux de S. Jaglin ou encore de C. Bénit sur les villes d’Afrique du Sud26, que si les deux termes

(ségrégation et fragmentation) « désignent à la fois des états (espace ségrégué, espace fragmenté) et des processus (caractérisant un espace dont le degré de ségrégation ou de fragmentation s’accroît) », ils ne sont pas sur le même plan. « La notion de ségrégation porte

22 LORRAIN. D. « Le régulateur, le service public, le marché et la firme », p 13-23, in Flux n°31-32, « Demain les services urbains, efficacité-justice-régulation », janvier-juin 1998, 127 p.

23 KIRSZBAUM. T. Modernisation des services publics et éclatement de la ville sous le regard des chercheurs, collection "Recherches", n°124, Plan Urbanisme Construction Architecture, Ministère de l'Equipement, des Transports et du Logement, Direction Générale de l'Urbanisme, de l'Habitat et de la Construction, Paris, 2000, 115 p.

24 Sur le débat sur la notion de fragmentation urbaine, voir : HAUMONT. N. LEVY. J-P. (dirs) La ville éclatée, quartiers et peuplement, [« Habitat et Sociétés »], L’Harmattan, Paris, 261 p. ou encore : NAVEZ-BOUCHANINE. F. « Emergence d’une notion : quelques repères historiques » in La fragmentation en question : des villes en fragmentation spatiale et fragmentation sociale ? l’Harmattan, Paris, 2002, p20-103.

25 Formulation issue de réflexions collectives dans le cadre du projet ATIP du LATTS (ENPC) « Réseaux et fragmentation urbaine : regards croisés Nord-Sud », in COUTARD. O. « Fragmentation urbaine et réseaux : regards croisés Nord-Sud », p 2, présentation à l’IDDRI, sur le site www. iddri.org/iddri/html/themes/finance/sem_services.htm

26 BENIT. C. La fragmentation urbaine à Johannesburg, Université de Poitiers, thèse de Doctorat, 512 p. JAGLIN. S. « Villes disloquées ? Ségrégation et fragmentation urbaine en Afrique Australe », in Annales de Géographie, n°619, mai-juin, p 243-265.

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sur la composition (sociale, ethnique, etc.) des portions de l’espace considéré : plus on mettra en évidence, d’une part, la séparation (état séparé ou processus de séparation…) spatiale entre groupes hétérogènes et, d’autre part, l’homogénéité (ou homogénéisation) interne de portions d’espace au sein de l’espace considéré, plus on sera fondé à parler de ségrégation socio-spatiale. La notion de fragmentation, quant à elle, porte sur les relations entre portions d’espace : plus on mettra en évidence la faiblesse (ou l’affaiblissement) des liens politiques, fiscaux, fonctionnels, sociaux, gestionnaires…entre portions de l’espace considéré, plus on sera fondé à parler de fragmentation. » L’hypothèse que l’on peut alors faire est qu’une organisation fragmentée du service rend plus difficile la mise en œuvre ou la préservation de formes de solidarités entre portions d’espaces, entre groupes sociaux, et plus généralement entre usagers (par exemple, en rendant les subventions croisées plus visibles, elle les rendrait du même coup plus sujettes à controverse ou à contestation), mais cela reste cependant à valider.

Ma thèse portant en partie sur l’exploration des liens entre marchandisation du service d’eau potable et fragmentation urbaine, je ne proposerai pas une analyse exhaustive de cette dernière dans chacune des villes étudiées, mais plus modestement une mobilisation des indices convergents issus des travaux d'autres chercheurs ou de sources émanant des institutions internationales, pour montrer comment, après les indépendances, ces villes d’Afrique sont passées d'une ségrégation spatiale fondée sur la séparation des Européens et des autres "ethnies", à une fragmentation urbaine fondée sur des critères multiples (autres que l'ethnie). Il s'agit d'une part de "déségrégation résidentielle" dans les anciens quartiers blancs et, d'autre part, du morcellement interne d'anciennes aires d'habitat perçues comme homogènes. La différenciation socio-économique des populations noires s'inscrit désormais à l'échelle de l'îlot, même si on peut encore circonscrire de larges territoires d'extrême pauvreté (bidonvilles ou quartiers illégaux)27.

Ainsi, si la fragmentation urbaine semble attestée, il reste à faire le lien entre ces deux phénomènes, l’éclatement du service public et l’éclatement de la ville. Plusieurs auteurs explorent, notamment à partir d’études sur les villes en développement, la thèse d’une fragmentation urbaine croissante confortée par les modalités dominantes de mise en œuvre des réformes des services de réseaux, thèse que deux chercheurs britanniques, Stephen Graham et Simon Marvin, ont systématisée dans un ouvrage récent28. Ils la généralisent à tous

les services en réseaux et à l’ensemble des régions économiques du monde (vieux pays industriels, pays en développement, nouveaux pays industrialisés, pays d’Europe centrale et orientale). Présentant une indiscutable cohérence, la thèse de la «fragmentation par les réseaux » s’inscrit néanmoins dans un cadre d’analyse encore incomplètement stabilisé et demeure insuffisamment étayée empiriquement. S’il est très tentant et enrichissant pour les chercheurs qui s’intéressent aux services en réseaux africains de se pencher sur les questionnements européens, il ne faut pas pour autant négliger leurs contextes très différents. C’est ce défi qu’a relevé l’équipe du projet ATIP mené par le LATTS (Ecole Nationale des Ponts et Chaussées) intitulé « Fragmentation urbaine et réseaux : regards croisés Nord-Sud »29, prolongement et mise en perspective critique des réflexions sur la thèse de la

fragmentation par les réseaux (« Splintering Urbanism ») de S. Graham et de S. Marvin (voir encadré).

27 Sur le cadre analytique du questionnement, voir références note 24.

28 GRAHAM. S. MARVIN. S. Splintering urbanism : networked infrastructures, technological mobilities and the urban condition, Routledge, London and New York, 2001, 479 p.

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Encadré 3 : la thèse de la fragmentation urbaine par les réseaux de Graham et Marvin

« De puissants facteurs* concourent à une dé-intégration (‘unbundling’) des infrastructures de réseaux qui favorise la fragmentation de la structure sociale et matérielle des villes. En effet, cette dé-intégration des infrastructures rend possible des stratégies de contournement (‘bypass’), c’est-à-dire des stratégies visant à connecter des usagers et des espaces ‘non valorisés’ ou ‘moins puissants’, tout en contournant les usagers et les espaces ‘non valorisés’ ou ‘moins puissants’. Ces processus conduisent à la constitution d’espaces-réseaux de première classe (‘premium network(ed) spaces’) : ainsi, les élites sociales ou les classes supérieures vivent de plus en plus dans des lieux/espaces (‘places/spaces’) déconnectés de la structure urbaine d’ensemble (dans des ‘gated communities’, ‘new town complexes’ et autres ‘planned communities’). Cette tendance renforce le cercle vicieux de l’éclatement (‘splintering’), dans lequel des débuts de sécession conduisent à une appréhension accrue du mélange social, accroissant ainsi la pression en faveur de plus de sécession, et ainsi de suite. Et le fossé croissant entre espaces et populations connectés et espaces et populations non connectés est d’autant plus préoccupant que nous vivons dans un monde qui est, de plus en plus, selon l’expression de M. Castells, une société en réseaux dans laquelle la pauvreté qui compte est désormais moins une pauvreté matérielle qu’une pauvreté de connexion (qui limite la capacité des personnes ou des groupes à étendre leur influence dans l’espace et dans le temps). »

* Graham et Marvin mentionnent cinq facteurs principaux : la crise des infrastructures urbaines ; les changements affectant l’économie politique du développement et de la régulation des réseaux ; l’affaissement du principe d’intégration (‘comprehensive ideal’) dans la planification urbaine ; l’étalement urbain ; les changements culturels.

Source : COUTARD. O. « Fragmentation urbaine et réseaux : regards croisés Nord-Sud », p 1, présentation à l’IDDRI, sur le site www. iddri.org/iddri/html/themes/finance/sem_services.htm

Remettant en question la systématicité de cette thèse et sa validité inconditionnelle pour tous les types de pays, les chercheurs du projet rappellent que, dans l’analyse des effets potentiels des réformes sur les conditions d’accès aux services essentiels, c’est l’ensemble de l’offre de services qui doit être considéré, même si le réseau peut avoir une place considérable. L’hypothèse la plus controversée est certainement celle de « l’idéal infrastructurel moderne » selon l’expression d’O. Coutard, véritable « âge d’or » du réseau intégré et intégrateur durant lequel il est universalisé, période précédant la phase des réformes. A ce propos, S. Jaglin soulève la question suivante : « Le constat et l’analyse qu’ils [Graham et Marvin] en proposent sont-ils transposables aux villes d’Afrique subsaharienne, alors que l’idéal des réseaux intégrés n’y fut presque jamais approprié […] ? Y observe-t-on cependant une fragmentation ‘à l’africaine’, et comment, dès lors, caractériser cette recomposition ? 30» Les

interrogations soulevées par les chercheurs participant au projet ATIP du LATTS m’ont fourni un cadre analytique précieux et m’ont permis d’affiner mes questionnements.

En dépit d’une abondante littérature sur ces questions, de vastes pans de connaissance restent insuffisamment explorés. Si les approches sectorielles normatives sont nombreuses, la dimension diachronique, qui permettrait de restituer l’histoire du cadre institutionnel hérité, leur fait souvent défaut et masque ainsi les multiples enjeux politiques et socio-économiques sous-jacents aux réformes. L’exploration de la dimension locale est aussi lacunaire : elle interroge pourtant la capacité réelle des autorités publiques à piloter le changement et à en assumer les conséquences. De façon caricaturale, le débat s’est focalisé sur les avantages ou les inconvénients de la privatisation, opposant les nombreux rapports émanant de la Banque Mondiale, faisant souvent l’apologie de l’efficacité du secteur privé (même si on constate une évolution récente sur ce point) aux recherches comme celle du PSIRU (« Public Services International Research Unit », Université de Greenwich), dénonçant les attentes irréalistes des privatisations et leurs réussites mitigées31. Certains vont même plus loin, faisant

30 JAGLIN. S. Réseaux et fragmentation urbaine. Services d’eau en Afrique Subsaharienne. Habilitation à Diriger les Recherches, Université Paris 8/LATTS, février 2004, p 87.

31 BAYLISS. K. “Water privatisation in SSA: Progress, problems and policy implications”, PSIRU, Presented at the Development Studies Association Annual Conference, University of Greenwich, 9th November 2002, 17 p. ou encore BAYLISS. K. HALL. D. “Unsustainable conditions – the World Bank, privatisation, water and energy,” 7th August, 2002, 14 p. www.psiru.org

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l’amalgame entre privatisation de la ressource et privatisation des services publics et entre pays développés et pays en développement. B. Barraqué « [s]’amuse » ou « [s]’agace » des présupposés de certains « alter-mondialistes » qui vont jusqu’à se « convaincre qu’on va vers une situation où même l’eau comme ressource sera vendue et où les multinationales assoifferont littéralement les pauvres »32. En termes de bilan, les travaux académiques, pour

la plupart principalement centrés sur les architectures institutionnelles et l’organisation du cadre d’action33, contribuent à l’émergence d’une littérature critique en construisant, à partir

d’études de terrain, des connaissances et un cadre théorique sur la spécificité des réformes de réseaux dans les villes en développement, mais n’ont fait qu’entamer la vaste question des effets des réformes pour les usagers. Quant à leurs résultantes sur les espaces urbanisés, en termes d’équité socio-spatiale ou d’accroissement des inégalités, c’est une question le plus souvent absente. Selon S. Jaglin, « seule la multiplication et l’actualisation de telles approches sur le continent africain pourrait cependant permettre d’y affiner la vision de ce que l’actuelle progression de la marchandisation engendrera, à l’issue des réformes, en termes de modèle de régulation stabilisé et des conséquences sociétales. L’analyse du rôle et de la place des services dans la régulation collective des sociétés urbaines africaines demeure embryonnaire. Elle transpose parfois des notions et des concepts dont la pertinence dans ces contextes n’est pas toujours validée (intérêt général, cohésion sociale, post-fordisme, modèle républicain d’intégration…). Elle sous-estime souvent l’extraordinaire disparité des situations et des rythmes de développement réel des réseaux d’infrastructures entre villes du Nord, dont l’équipement est achevé, et celles du Sud, où il demeure très partiel et confronté à des difficultés spécifiques (croît démographique urbain rapide, pauvreté massive, informalisation des économies). Il s’agit donc, pour ensuite consolider les approches comparatives, de concevoir les termes d’une analyse propres à des situations urbaines de grande pauvreté durable, de polarisation socio-économique et de sous équipement.34 » C’est

donc dans cette perspective que s’insèrent mes recherches, dans le but de contribuer au bilan africain des réformes des services urbains de l’eau, à la fois en termes de mutation des relations entre ces services et les espaces urbanisés, mais aussi en termes de conséquences pour les usagers.

Pour cela, le questionnement central énoncé précédemment doit être explicité. Derrière le questionnement sur les conditions de l’universalisation du service à destination des pauvres, se profile donc la question de la « dé-intégration » des infrastructures en réseaux et de son lien avec la fragmentation urbaine.

Tout d’abord peut-on déceler, à travers l’évocation de leur histoire urbaine, des indices de fragmentation dans les trois capitales, Nairobi, Dar es Salaam et Lusaka? Notons dès à présent que si les évolutions récentes des réseaux ne peuvent pas être interprétées comme des facteurs hégémoniques de la fragmentation urbaine, elles sont néanmoins un bon analyseur des tensions entre forces centrifuges et processus centripètes et de leur réagencement, ainsi que des mécanismes de régulation qu’il suscite. Dans l’objectif de mettre en perspective critique « l’idéal infrastructurel moderne » de S. Graham et de S. Marvin, se pose la question de l’organisation et des conditions de l’accès au réseau, notamment pour les populations pauvres, avant les réformes : cet idéal était-il réalisé ? Si non, pourquoi ? Quel a été, dans l’échec de la généralisation du service, le poids du mode d’organisation de la fourniture et des facteurs socio-économiques exogènes et endogènes ? C’est ce que la première partie de la thèse se propose d’examiner.

32 BARRAQUE. B. « Eau (et gaz) à tous les étages : comment les Européens l’ont eue, et comment le Tiers-Monde pourrait l’avoir ?, présentation au séminaire de l’IDDRI, « l’accès aux services essentiels dans les pays en développement », Paris, 14 janvier 2005, 15 p. sur le site www.iddri.org

33 voir notamment : BATLEY. R. « Public-Private Relationship and Performance in Service Provision », in Urban Studies, vol. 33, n°4-5, 1996, p 723-751., LESUEUR. PLANE. Op. Cit., 1994, COING. H. « Nouveaux acteurs ou monopoles du service public : l’eau en Amérique Latine », in BLARY. R. BOISVERT. M. FISETTE. J. (dirs), Services urbains dans les pays en développement : modèles de

gestion, Economica, Paris, p 229-256.

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La deuxième partie de la thèse aborde le contenu des réformes et leur bilan en termes d’universalisation de l’accès à l’eau. Deux niveaux de questionnement sont ici privilégiés :

Les réformes constituent-elles une rupture par rapport à la période précédente ? Favorisent-elles la « dé-intégration » de l’organisation du service d’eau, ou en d’autres termes la fragmentation technico-gestionnaire du cadre de fourniture de l’accès à l’eau, et dans quelle mesure? Pour le déterminer, on a utilisé les indicateurs suivants, chacun pouvant jouer dans le sens de la fragmentation ou au contraire d'une plus grande intégration : indicateurs de diffusion, continuité du réseau, intégration gestionnaire, offre de service, système tarifaire et financement du service, culture technique. Les trois pays ont-ils le même discours concernant le contenu de ces réformes ? Existe-t-il un lien entre les mutations des villes (polarisation sociale, spécialisation des espaces, désolidarisation) et celle des réseaux ? En quoi les évolutions plus générales des sociétés urbaines se traduisent-elles dans les nouvelles formes de gestion et de régulation des services d’eau, et réciproquement ?

Cependant, chacun sait qu’un large hiatus peut séparer le discours des pratiques, notamment en fonction des contextes locaux. Si le contenu institutionnel des réformes définit un nouveau cadre de fourniture de l’accès, quelles sont les conditions matérielles de l’accès à l’eau des populations pauvres ? Font-elles l’objet de mesures spécifiques ? Les autorités publiques des trois pays étudiés ont-elles une marge de manœuvre sur cette question et s’en saisissent-elles ? Si oui, comment ? A travers quels dispositifs ? Comme je l’ai évoqué, l’hypothèse de la difficulté accrue de la mise en œuvre ou de la préservation des formes de solidarité dans un contexte d’organisation fragmentée mérite d’être examinée et le déterminisme de la fragmentation technique doit être nuancé. Cela pose la question de l’équité de ces dispositifs, laquelle se décline selon trois définitions. L’équité horizontale, qui garantit le traitement égal et impartial des citoyens, signifie absence de discrimination (positive ou négative) et se traduit dans le domaine des services, par le principe de l’usager-payeur : chaque usager assure par le tarif la couverture des coûts qu’il induit. C’est l’équité des économistes. La deuxième dimension de l’équité, qui intéresse tout particulièrement les géographes, est la dimension spatiale. L’équité spatiale est l’engagement d’une société à garantir certains droits individuels et collectifs à tous les citoyens de manière universelle, quel que soit leur lieu de résidence, mais il s’agit d’un droit d’accès, qui reste subordonné au paiement. Enfin, l’équité sociale ou verticale repose sur le principe de redistribution au profit des groupes et des individus les plus défavorisés. Elle porte des enjeux de cohésion sociale (en vertu d’un inégal mais équitable traitement des inégaux). C’est la combinaison des deux dernières dimensions de l’équité qui offre une garantie du maintien ou de la préservation des solidarités, conditions nécessaires de la cohésion urbaine. Dans quelle mesure les réformes favorisent elles à la fois les performances des organisations, l’équité spatiale (par universalisation progressive de l’accès à l’eau potable) et l’équité sociale (en améliorant le bien-être des pauvres au moyen de redistributions tarifaires et fiscales) ? C’est bilan concret des réformes passe, notamment, par la tenue d’enquêtes, que j’ai réalisées dans les trois capitales des pays retenus.

De la difficulté de réaliser des enquêtes dans les quartiers

pauvres en Afrique : méthodologie et questions pratiques

Aborder la question des conditions matérielles de l’accès à l’eau des pauvres dans une perspective diachronique (avant et après les réformes) nécessitait la tenue d’enquêtes à l’échelle de quartiers dans les capitales, car peu de données existaient, et les données disponibles, parfois sujettes à caution, ne me permettaient pas de constituer un dispositif

Figure

Tableau 1 : les étapes de la construction du système d’approvisionnement en eau de Dar  es Salaam
Tableau 2 : consommations d’eau à Dar es Salaam en 1947  Population  Population  Litres /jour
Tableau 10 : production d’eau potable annuelle en m3, de 1995 à 1999  Année  Eau de surface
Tableau 12 : récapitulatif de la production et de la demande en eau potable
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