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Peut-on imputer la « faillite » des opérateurs à la faiblesse des tarifs?

CHAPITRE 2. GENERALISATION DU SERVICE D’EAU : UN ECHEC A

I. Peut-on imputer la « faillite » des opérateurs à la faiblesse des tarifs?

D’une manière générale, une partie du déficit d’exploitation des trois distributeurs d’eau est imputée à l’insuffisance des tarifs qui ne permettraient pas de recouvrir les coûts. Lusaka fait figure d’exception avec un recouvrement à plus de 100% des coûts d’exploitation et de maintenance, pourtant la LWSC ne recouvre pas tous les coûts du service (investissements, amortissement du capital, etc). S’il est vrai qu’à Nairobi le tarif domestique peut être inférieur aux seuls coûts d’exploitation et de maintenance à Nairobi, ce n’est pas le cas pour les deux autres opérateurs. Dans tous les cas, les tarifs appliqués aux autres catégories d’usagers sont supérieurs au seuil de recouvrement. Cependant, les structures de clientèle sont déséquilibrées en faveur des usagers domestiques, les plus nombreux. C’est pourquoi les opérateurs, tout en

maintenant un principe de péréquation en leur faveur, réclament une augmentation des tarifs de la catégorie domestique.

A)

Les tarifs du WSD et de la DAWASA (jusqu’en 2003) sont

trop bas : les services d’eau sont largement subventionnés

A Nairobi, pour les abonnés du réseau municipal, le tarif de base pour une consommation entre 0 et 10 m3 par mois (petits consommateurs domestiques), est de 12 Ksh par m3. D’après les responsables du WSD165 et les experts du cabinet Halcrow, les tarifs municipaux sont

insuffisants pour couvrir les coûts de production et de distribution de l'eau. Les consommations sont facturées bi-mensuellement, avec une tarification progressive.

Tableau 31 : les tarifs municipaux de l'eau à Nairobi Consommation

mensuelle, en litres.

Prix en US dollars par m3

0 - 10 0,20

11 - 30 0,30

31 - 60 0,46

Plus de 61 0,58

Vente en gros pour revente

0,17

Source : WATER AND SEWERAGE DEPARTMENT (département Eau et Assainissement de la municipalité de Nairobi), novembre 1999.

Ces tarifs n’ont pas été augmentés depuis 1996. Dans le même temps, l’inflation a provoqué une baisse significative de la valeur du tarif, de l’ordre de 53%. D’après le cabinet de consultant Halcrow, les tarifs actuels se situent bien en deçà du niveau des tarifs internationaux et ne permettent pas de recouvrer la totalité des coûts. Malheureusement, les coûts unitaires d’exploitation et de maintenance ne sont pas indiqués et, étant donné le manque de production de statistiques et de données de la part du WSD, il ne serait pas étonnant que le coût de production de l’eau ainsi que le tarif d’équilibre ne soient pas connus ou seulement très approximativement. Selon M. Kariuki, des experts de la Banque Mondiale ont estimé que le recouvrement des coûts nécessiterait un tarif de 75 Ksh par m3 (soit environ 1$)166. D'une manière générale, la faiblesse des revenus collectés n'a pas permis au WSD

d'entretenir correctement l'ensemble du réseau ni d'étendre ce réseau aux quartiers défavorisés, pas ou insuffisamment desservis. Le cabinet d’études Halcrow conclut que la situation financière du WSD n’est pas pérenne. Le WSD ne peut pas faire face à ses obligations financières et n’est maintenu à flots que grâce aux apports du gouvernement. A Dar es Salaam, le gouvernement a tenté d’enrayer le déficit d’exploitation en augmentant les tarifs dès le milieu des années 1980 et a également modifié la structure tarifaire, malgré des réticences certaines de la part du ministère de tutelle167 : une différenciation des catégories

de consommateurs et surtout une augmentation des tarifs, en particulier du tarif domestique de plus de 300% de 1985 à 1998, suivie d’une nouvelle augmentation entre 1992 et 1995 de 61% et enfin de 52% entre 1996 et 1998. Ces augmentations spectaculaires s’expliquent également par le contexte du milieu des années 1980 marquées par les réformes liées au Programme d’Ajustement Structurel, fondé en partie sur la limitation du subventionnement des services de base. La structure tarifaire connaît plusieurs modifications, selon une volonté du gouvernement de surtaxer les gros consommateurs. C’est à partir de 1988 que la tarification distingue 5 catégories d’usagers. Puis en 1993, de nouvelles catégories d’usagers

165 Entretien personnel avec M. Mwangi, ingénieur au WSD, juillet 2000.

166 GULYANI. S. TALUKDAR. D. KARIUKI. M. “Universal (non) service? Water markets, Household Demand and the Poor in Urban Kenya”, Urban Studies, Vol. 42, n°8, July 2005, p 1247-1274.

167 MESSER. V. La gestion de l’eau à Dar es Salaam (Tanzanie) ; Défaillance institutionnelle et réponses citadines, thèse présentée à l’Université Louis Pasteur de Strasbourg, sous la direction de J.L. Piermay, Laboratoire Image et ville, Strasbourg, novembre 2003, p 185.

nouvelles apparaissent : vendeurs d’eau par camion-citerne et fabricants de brique. Enfin en 1994, l’irrigation n’est plus considérée comme un usage domestique mais bien comme un usage agricole, au tarif beaucoup plus élevé. Ce sont donc surtout les gros consommateurs qui sont visés, selon la volonté gouvernementale des les surtaxer. Le ministère de l’eau est favorable à une péréquation entre petits et gros consommateurs. Cependant, le déficit chronique de la société n’a pas été enrayé par l’augmentation des tarifs car, selon V. Messer, le coût de production est toujours resté supérieur aux tarifs. Cependant cette hypothèse est sujette à caution.

Encadré 12 : Le tarif est-il réellement inférieur aux coûts ?

Il est difficile de se prononcer sur cette question. Si l’on calcule le coût de revient de l’eau en rapportant les dépenses totales de l’entreprise d’après le budget de 1997 (dépenses totales = 9 413 251 837 Tsh/ an, soit 25 789 731 Tsh/jour) à la production d’eau (273 000 m3/jour), on obtient un coût unitaire de 94,5 Tsh/m3 (25 789 731/273 000 = 94,5). Cependant, on sait que l’eau réellement disponible (121 000 m3) est inférieure à la quantité produite, ce qui renchérit le coût unitaire de production en le portant à 213 Tsh/m3. Or, d’après les données de V. Messer recueillies auprès de la DAWASA, le tarif moyen payé par les usagers domestique est de 414 Tsh/m3. D’après mes calculs, le tarif domestique serait suffisant pour couvrir les coûts de l’entreprise, cela sans compter que les tarifs appliqués aux autres catégories d’usagers sont bien supérieurs. Pourtant, en 1995, la société de production estimait le coût de production de 1000 gallons à 433 Tsh, tandis que le tarif demandé aux usagers domestiques n’était que de 120 Tsh168. S’il est vrai que le budget de l’entreprise est déficitaire (- 4937 millions de Tsh pour l’exercice 1996-1997), la cause du déficit n’est peut être pas, comme elle l’a longtemps fait valoir auprès du gouvernement, à rechercher dans le tarif mais bien auprès d’autres facteurs. On peut penser notamment que la quasi absence de compteurs pèse lourdement sur le déficit de l’entreprise. L’opérateur Citywaters ne s’y est pas trompé : il prévoyait l’installation, en mesure prioritaire, de plus de 170 000 compteurs169, mais n’en a pas eu le temps avant la rupture du contrat.

Sources : calculs personnels et données tirées de MESSER. V. La gestion de l’eau à Dar es Salaam (Tanzanie) ;

Défaillance institutionnelle et réponses citadines, thèse présentée à l’Université Louis Pasteur de Strasbourg,

sous la direction de J.L. Piermay, Laboratoire Image et ville, Strasbourg, novembre 2003, p 185.

A Nairobi comme à Lusaka, il est difficile de connaître véritablement les coûts de production. Par conséquent, on ne peut pas non plus déterminer si les tarifs permettent ou non de couvrir ces coûts. Cela est lié au manque de transparence des services d’eau, mais peut être, également, à leur ignorance possible de la totalité des coûts de production. Pendant des décennies, les responsables de ces services n’ont pas eu à s’en soucier précisément puisque les Etats couvraient les déficits par de généreuses subventions de fonctionnement. C’est pourquoi les outils comptables nécessaires au suivi des coûts n’ont pas été mis en place. De plus, les services ne payaient pas certaines de leurs dettes, notamment les factures d’électricité, fournie à l’époque par des services publics. Ainsi, elles n’apparaissent pas dans les budgets d’exploitation, quand ils existent, et on ne peut savoir si ou comment ces factures sont prises en compte dans le calcul des coûts de production. Il est frappant de noter que le manque de transparence et le déséquilibre d’informations entre l’opérateur et l’Etat ont souvent été dénoncés à propos des opérateurs privés, mais on y pense moins souvent à propos des opérateurs publics170. Pourtant, ces deux exemples illustrent le fait que deux opérateurs

« historiques » peuvent aussi jouer de ce déséquilibre pour réclamer une hausse des tarifs pour rétablir l’équilibre d’exploitation, solution qui leur est beaucoup plus simple à mettre en œuvre par exemple, qu’une réelle rationalisation des budgets. La question de l’augmentation a révélé toute son importance lors du conflit qui a opposé Citywaters et l’Etat tanzanien en 2005. L’opérateur demandait une augmentation des tarifs et l’Etat tanzanien a dû avoir

168 1000 gallons = 4,546 litres. Source: MWILANI. D. 1996. p 26, cité dans MESSER. V. Ibidem.

169 Entretien personnel avec M. Becker, responsable de Citywaters, septembre 2003. Le nombre de compteurs est supérieur au nombre de connexions pour des raisons techniques.

170 Voir les articles de D. Lorrain, C. Defeuilley, J. Ingles et J.M. Salles, in FLUX n°31/32, « Demain les services urbains : efficacité, justice, régulation », (Cahiers scientifiques internationaux Réseaux et Territoires), janvier-juin 1998.

recours à un cabinet indépendant pour juger du bien-fondé de cette demande. Cela montre que les anciens responsables, devenus alors employés du régulateur sectoriel mis en place, n’étaient pas en mesure, malgré leurs connaissances supposées (puisqu’ils avaient eux-mêmes récemment dirigés le service) de trancher la question. Finalement, le cabinet a déclaré que l’augmentation n’était pas nécessaire et l’opérateur privé a été évincé.

B)

Un exemple de gestion plus rationnelle : la LWSC recouvre

ses coûts de production et de maintenance

A Lusaka, selon les calculs du régulateur NWASCO, le tarif moyen171 en 2002-2003 est de

1,088 Kw/m3 (le 2° tarif le plus élevé parmi les distributeurs d’eau potable en Zambie). Toujours selon le NWASCO, il est supérieur au coût unitaire de production (un peu moins d’1 Kw/m3 en 2003). Un tarif social est appliqué pour les 6 premiers m3 consommés. En revanche, au-delà de 10 m3, c’est le plein recouvrement des coûts qui définit le tarif, avec une tarification progressive. Dans les zones à faible revenu, le tarif de l’eau varie de 500 kwachas à 4500 kwachas par ménage et par mois, alors que la LWSC estime que le tarif permettant le recouvrement des coûts est d’environ 3000 kwachas. Globalement, la facturation couvre les coûts d’exploitation et de maintenance : en 2002-2003, 114% des coûts d’exploitation et de maintenance, mais seulement 80% des coûts totaux sont couverts par la facturation172. Lusaka

fait donc figure d’exception parmi les opérateurs étudiés. Cette relative efficacité est certainement à mettre en relation avec l’ancienneté du changement de statut de la LWSC et les objectifs de performance qui lui ont été attachés. Cependant, comme le recouvrement des coûts n’est pas total, le régulateur NWASCO estime qu’une augmentation « raisonnée » des tarifs doit être réalisée : « Le rôle du NWASCO est d’autoriser des tarifs qui permettent de recouvrer les coûts mais parallèlement de protéger les usagers de tarifs injustes et de défaillances du service, ce qui signifie que les tarifs ne peuvent atteindre le seuil de recouvrement des coûts tant que les défaillances persistent. Si le régulateur autorisait une augmentation des tarifs couvrant l’inefficacité des services, cela ne les inciterait pas à améliorer leurs performances. Les niveaux de pauvreté actuels, le pouvoir d’achat des usagers ainsi que les changements de comportement doivent être pris en compte dans la structure tarifaire de manière à éviter les augmentations drastiques de tarif, surtout pour les pauvres »173.

Bien que les trois opérateurs réclament une augmentation des tarifs, cette dernière n’est donc pas la solution unique pour améliorer le recouvrement des coûts. Il est vrai qu’il est difficile de connaître le coût total unitaire de l’eau et qu’il existe un déséquilibre en termes d’information entre l’opérateur et les autorités décisionnaires. Augmenter des tarifs qui couvrent déjà théoriquement les coûts d’exploitation et de maintenance est une solution de facilité, qui reste néanmoins politiquement délicate. D’autres mesures peuvent être prises, comme une baisse du taux d’eau non comptabilisée, une augmentation des taux de facturation et de recouvrement des factures, et enfin une augmentation du taux de connexions équipées de compteurs. Comme nous allons le voir, dans ces domaines, les trois opérateurs disposent d’une grande marge de progression.

171 NWASCO. Urban and Peri-Urban Water Supply and Sanitation Sector Report, 2002-2003, Lusaka, 2003, p 27. 172 Idem.