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CHAPITRE 2. GENERALISATION DU SERVICE D’EAU : UN ECHEC A

VI. Bilan

Dans les trois capitales, les distributeurs d’eau potable enregistrent un grand manque à gagner en termes de recettes : l’eau perdue dans le réseau, les connexions illégales, l’absence de compteurs et le non-paiement des factures entraînent une situation budgétaire catastrophique. Les responsabilités sont partagées entre les usagers légaux et clandestins et l’opérateur dont l’effectif souvent pléthorique en souligne d’autant l’inefficacité. Non seulement peu d’usagers paient leurs factures mais les tarifs sont sous évalués et les gouvernements, pour des raisons politiques essentiellement, rechignent aux augmentations. A Nairobi, d'une part en raison du contexte macro-économique, d'autre part en grande partie par les nombreuses défaillances de la gestion du WSD, celui-ci s'est avéré incapable de desservir, avec un niveau de service satisfaisant, l'ensemble de la population citadine. Les pauvres, segments les moins rentables et les plus vulnérables de la clientèle, en sont les premières victimes. A titre d'exemple, le plan de rationnement ne touche pas tous les quartiers de la même façon. Ainsi, une grande partie de l'eau qui devrait approvisionner le quartier informel de Kibera, grâce à un réseau secondaire financé par la Banque Mondiale, est détournée au profit du quartier de Langata, se situant en aval à l'ouest de Kibera198. Il s'agit

d'un des quartiers les plus riches de Nairobi, abritant une partie de la communauté d'expatriés dont les habitudes de consommation sont semblables à celles de pays riches. Or, ce sont non seulement des consommateurs solvables, mais aussi disposés à payer leur facture (quand ils la reçoivent).

Pour Dar es Salaam, V. Messer reproduit pour les années 1984 à 1997 le budget annuel du service. Ce budget reflète plus ou moins inégalement, certains des dysfonctionnements relevés au cours des paragraphes précédents, en dépit d’une interprétation des données difficile.

Tableau 38 : budget de la DAWASA entre 1984 et 1997, en millions de shillings tanzaniens Années Revenus d’exploitation Subventions du gouvernement Total des entrées Total des dépenses Solde 1984-85 61 0 61 135 -74 1985-86 98 0 98 164 -66 1986-87 143 0 143 286 -153 1987-88 199 0 199 409 -210 1988-89 933 0 933 742 191 1989-90 765 0 765 5 434 -4 669 1990-91 937 0 937 2 810 -1 873 1991-92 1 395 0 1 395 3 721 -2 326 1992-93 2 673 0 2 673 5 402 -2 729 1993-94 2 784 5 223 8 007 7 980 27 1994-95 3 965 0 3 965 6 703 -2 738 1995-96 2 878 1 502 4 380 10 639 -6 258 1996-97 4 475 Non connue 4 475 9 413 -4 937

Source : DAWASA. Budget DAWASA 1997/1998, Dar es Salaam, p 6, d’après MESSER. V. La gestion de l’eau

à Dar es Salaam (Tanzanie) ; Défaillance institutionnelle et réponses citadines, thèse présentée à l’Université

Louis Pasteur de Strasbourg, sous la direction de J.L. Piermay, Laboratoire Image et ville, Strasbourg, novembre 2003, p 183.

V. Messer affirme que « l’eau perdue dans le réseau, les connexions illégales, l’absence de compteurs et le non-paiement des factures concouraient à la situation budgétaire catastrophique. Elle [la DAWASA] était alors tributaire des subventions du gouvernements et de l’apport des bailleurs de fonds. »199. Pourtant l’auteur ne fait rien figurer dans la colonne

« subvention du gouvernement ». Il est peu probable que les bailleurs aient financé directement le fonctionnement du service d’eau à Dar es Salaam. Je pense donc, bien qu’elles n’apparaissent pas ici, que les subventions du gouvernement comblaient tout ou partie des déficits d’une société qui, si elle n’avait pas été soutenue ainsi, était dans une situation de banqueroute.

Bien que la LWSC ait été « privatisée » depuis plus de 12 ans, ses performances sont toujours relativement médiocres : par exemple, l’entreprise présente un des plus mauvais taux d’eau non comptabilisée parmi les opérateurs zambiens. C’est pourtant l’opérateur qui bénéficie d’un potentiel de clients le plus important. Après recueil et examen des différents indicateurs de performance, le régulateur a émis un certain nombre de recommandations. Une des priorités pour améliorer les performances commerciales de l’entreprise serait, selon le NWASCO, d’équiper de compteurs un plus grand nombre de connexions de façon à établir les factures sur la consommation réelle et mesurée (voir infra, encadré n°10). Les informations concernant les quartiers périurbains sont insuffisantes et les données sur les paramètres financiers et commerciaux sont inconsistantes. Il faut améliorer la comptabilité et le système de gestion de l’information. Si on prend en compte la taille de l’entreprise et les conditions d’exploitation (une seule ville), la LWSC présente la plus mauvaise efficacité de son personnel de toutes les entreprises de distribution d’eau de Zambie. Il faut donc réduire le nombre d’employés rapidement de façon à diminuer la masse salariale. C’est à Lusaka que les usagers subissent la plus faible moyenne d’heures de fourniture du service parmi les grandes entreprises d’eau zambiennes. Or, les heures de service sont un des indicateurs les plus importants pour les usagers, c’est aussi celui pour lequel on dénombre le plus grand nombre de plaintes. Les usagers ne sont alimentés en moyenne que 15 heures par jour, en dépit des améliorations significatives en un an (moins de 12 h en 2001-2002). Mais selon le régulateur, moins de 16h/jour dans une grande ville reste inacceptable. Globalement, le défi à relever est de diminuer le coût du personnel en maintenant une structure de l’emploi équilibrée, avec un

199 MESSER. V. La gestion de l’eau à Dar es Salaam (Tanzanie) ; Défaillance institutionnelle et réponses citadines, thèse présentée à l’Université Louis Pasteur de Strasbourg, sous la direction de J.L. Piermay, Laboratoire Image et ville, Strasbourg, novembre 2003, p 182.

nombre limité d’employés et l’introduction d’une gestion performante. Les coûts de pompage, responsables des dépenses en énergie de l’eau doivent aussi être réduits. En ce qui concerne les quartiers périurbains, le régulateur prend position pour une implication plus importante de l’entreprise en termes de desserte mais aussi d’encadrement des communautés et des ONG qui fournissent elles-mêmes le service.

Tableau 39 : résumé de quelques indicateurs de performance des trois opérateurs

WSD Nairobi DAWASA Dar es Salaam LWSC Lusaka

population totale de la zone desservie 2 400 000 3 000 000 2 000 000

ratio de desserte 88% 60% 68%

Nombre de connexions 187 082 84 473 34 514

Volume d'eau produit/j en m3 399 800 273 000 200 100

Eau non comptabilisée (volume facturé/volume produit) 52% 44% 42%

% d'eau non-comptabilisée total 50% à 52% 50% 58%

Compteurs 25% 4% 32%

facturation en monnaie locale 127,5 millions de KSh 4 milliards 475 millions de Tsh en 1996-97

12 493 milliards 440 millions de Kw facturation annuelle en US dollars 24 400 000 9 728 260 (1 dollar = 460 Tsh en

1997)

14 000 000 ratio de recouvrement des factures ou efficacité du recouvrement 58% 55 à 85% 66%

nombre d'employés 1 767 1 480 482

nombre d'employés/1000 branchements 13.5 15 15

Tarif moyen 25 Ksh/m3 700 Tsh/1000 gallons 1 088 kw/m3

Tarif moyen en Euros 0,35 €/m3 0,20 €/m3 0,40 €/m3

Sources : compilations personnelles à partir des données mentionnées précédemment. Les années peuvent varier entre les données mais restent néanmoins comparables.

Devant de si mauvaises performances, on comprend que les bailleurs aient souhaité une rupture : la crise étant si profonde que seul un changement majeur, la privatisation, a pu apparaître salutaire. Ce changement n’est pas aussi radical que peut le souhaiter la Banque Mondiale : les gouvernements se sont jusqu’à présent contentés d’autonomiser plus fortement les services d’eau sans les privatiser totalement, en leur imposant des pratiques issues du « New Public Management ». Ces pratiques font néanmoins partie intégrante des réformes car elles introduisent des notions et des critères d’efficacité, là où pendant des décennies s’imposait une logique d’offre et de service unique. L’introduction des principes marchands peut être néanmoins perçue comme une étape préalable à une privatisation plus poussée de l’exploitation des réseaux, car elle vise une meilleure rentabilité et donc une attractivité plus grande pour les entreprises internationales potentiellement candidates. En 2003, la délégation de l’exploitation du réseau d’eau de Dar es Salaam à un consortium international, après plusieurs années de gestion « semi-publique » marchandisée, a confirmé l’intérêt du secteur privé, même si l’issue définitive est incertaine depuis la rupture du contrat.

Si les performances des opérateurs sont à mettre en cause dans l’échec de la généralisation du service d’eau dans les trois capitales étudiées, on ne doit pas pour autant éluder leur contexte économique, marqué essentiellement par la crise et la pauvreté à toutes les échelles.

CHAPITRE 3. …QUI S’ENRACINENT DANS UN