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La contribution de la télévision québécoise à la resocialisation des immigrants d'origine tunisienne nouvellement établis au Québec

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La contribution de la télévision québécoise à

la resocialisation des immigrants d’origine

tunisienne nouvellement établis au Québec

Thèse

Seima Souissi

Doctorat en communication publique

Philosophiae doctor (Ph.D.)

Québec, Canada

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La contribution de la télévision québécoise à

la resocialisation des immigrants d’origine

tunisienne nouvellement établis au Québec

Thèse

Seima Souissi

Sous la direction de :

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RÉSUMÉ

L’immigration constitue l’une des situations de changement les plus significatives et marquantes qu’une personne puisse vivre et, à ce titre, exige d’importants efforts d’ajustement. Le nouvel arrivant, ayant en général d’ores et déjà franchi les étapes fondatrices de socialisation avant son immigration, porte l’héritage socioculturel de son milieu d’origine. Sa resocialisation, dans le pays d’accueil, implique l’appropriation d’un nouveau bagage socioculturel qui s’effectue au contact de différents agents de resocialisation.

Dans cette recherche, je me suis penchée sur le rôle spécifique de la télévision québécoise dans le processus de resocialisation. Considérant que la télévision est un lieu d’expression de l’identité et de la culture locales, je m’intéresse à la rencontre des immigrants avec la société d’accueil à travers ses représentations télévisuelles. Mon but est ici de comprendre comment cette rencontre peut conduire à la conscientisation de l’impératif d’ajuster ses cadres de référence et comment l’écoute de la télévision peut fournir des ressources pour le développement de compétences socioculturelles et communicationnelles.

Le groupe d’immigrants choisi pour ce faire est d’origine tunisienne, ce qui m’a semblé d’autant plus intéressant que les dissemblances entre les sociétés québécoise et tunisienne sont à tous égards importantes et qu’aucune étude ne s’est encore intéressée à ce groupe.

En mettant en œuvre une approche méthodologique qualitative fondée sur les principes d’induction, d’itération et de contextualisation, ma recherche a permis de constater que la télévision est rarement spontanément et consciemment mobilisée comme agent de resocialisation. La méconnaissance du parler québécois, l’incompréhension du contexte socioculturel et le recours à la communauté tunisienne locale sont autant d’obstacles, pour les immigrants, à l’écoute de la télévision québécoise dès leur arrivée. C’est bien davantage après avoir établi des

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liens sociaux, notamment dans le cadre professionnel, que les immigrants trouvent une motivation à l’écoute de la télévision, laquelle se transforme dès lors en une source de connaissances pratiques et symboliques susceptibles de faciliter et nourrir ces interactions sociales.

Les témoignages individuels et les échanges ayant eu cours lors de groupes de discussion indiquent que la télévision joue un rôle significatif dans la découverte et l’adaptation aux différences socioculturelles, y incluant bien sûr les différences langagières. L’écoute des chaines québécoises expose donc les immigrants à des représentations télévisuelles de même qu’à un univers socioculturel totalement nouveaux. Cela les engage dans un processus de comparaison des contenus télévisuels québécois à ceux avec lesquels ils sont familiers et, aussi, de mise en relation de ces mêmes contenus avec les expériences sociales réelles qu’ils vivent dans le pays d’accueil.

Ce faisant, les immigrants identifient ce qu’ils considèrent être les traits caractéristiques de la télévision québécoise, relient de diverses manières ces représentations télévisuelles à «la réalité socioculturelle québécoise», mesurent ce qu’ils estiment être des écarts entre les sociétés d’origine et d’accueil et y réagissent en prenant position à l'égard de ce qu’ils jugent être des spécificités de la société d'accueil. Dans plusieurs cas, cette prise de position se traduit par l’adhésion de l’immigrant à certaines normes et valeurs partagées par la société québécoise alors que dans d’autres cas, elle s’exprime en termes d’opposition et de rejet.

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ABSTRACT

Immigration represents one of the most remarkable and significant change situations that a person could ever experience and, as such, it requires substantial adjustment efforts. The newcomer, generally, having already taken the founding steps of socialization prior to his/her immigration, bears the socio-cultural heritage of his/her original environment. His/her re-socialization in the host country, involves the appropriation of a new socio-cultural baggage that is carried out in contact with various re-socialization agents.

In the present research, I attempted to work on the specific role of the Quebec television in the resocialization process. Considering that television is a place for identity expression and for local culture, I have particularly been interested in meeting the immigrants with the host society through television representations. My objective here is to understand how this encounter can lead to raising awareness of the need to adjust its frameworks and how watching television can provide resources for the development of socio-cultural and communication skills.

The group of immigrants chosen for the purpose of this research is of Tunisian origin, which, in my opinion, is particularly interesting as the differences between the Quebec and Tunisian societies are important in all respects and no study has yet been interested in this group.

By implementing a methodological qualitative approach based on the principles of induction, iteration and contextualization, my research has shown that television is rarely, spontaneously and consciously, mobilized as a re-socialization agent. The lack of knowledge of Quebec language, lack of understanding of the socio-cultural context and the use of local Tunisian community are barriers for immigrants, listening to Quebec television since their arrival. It's much more after establishing social linkages, especially in the workplace, that immigrants are motivated to listen to

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television, which becomes therefore a source of practical and symbolic knowledge likely to facilitate and nurture such social interactions.

Individual testimonies and exchanges that took place with the focus groups, show that television plays a significant role in the discovery and adaptation to socio-cultural differences, to include of course the language differences. Listening to Quebec channels, thus exposes immigrants to television shows as well as a completely new socio-cultural universe. This embarks them on a process of comparing Quebec television content to those they are familiar with and also of linking such content with actual social experiences that they have had in the host country.

Thus, immigrants identify what they see as the features characterizing the Quebec television, would connect in various ways these television representations with the Quebec socio-cultural reality, would measure what they consider to be the differences between the societies of origin and host and would react by taking position with regard to what they perceive as the specificities of the host society. In many cases, such position is reflected in the adherence of the immigrant to certain standards and values shared by Québec society while in other cases, it is expressed in terms of opposition and rejection.

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Table des matières

RÉSUMÉ ... III ABSTRACT ... V TABLE DES MATIÈRES... VII LISTE DES TABLEAUX ... XI LISTE DES FIGURES ... XII REMERCIEMENTS ... XIII

INTRODUCTION ... 1

CHAPITRE 1. PROBLÉMATIQUE ET ASSISES THÉORIQUES ... 4

1.1LA CONCEPTUALISATION DE L’EXPÉRIENCE D’IMMIGRATION ... 4

1.1.1 Une remarquable diversité conceptuelle ... 4

1.1.2 La socialisation comme concept de base ... 8

1.1.2.1 Les racines du concept : de la conception déterministe à la conception interactionniste ... 9

1.2L’IMMIGRATION ET LA RESOCIALISATION ... 16

1.2.1 L’expérience d’immigration comme un phénomène de resocialisation .. 17

1.2.2 L’évolution du processus de resocialisation chez l'immigrant ... 20

1.2.3 La communication au cœur du processus de resocialisation ... 25

1.3TÉLÉVISION ET SOCIALISATION ... 33

1.3.1 La télévision comme agent de socialisation et de resocialisation ... 33

1.3.2 La télévision entre représentation et construction du social ... 41

1.3.3 La télévision comme agent de socialisation ... 48

1.3.4 La télévision comme agent de resocialisation des immigrants ... 55

CHAPITRE 2. PROBLÈME ET MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE ... 60

2.1LE PROBLÈME DE RECHERCHE ... 60

2.2ANCRAGE ÉPISTÉMOLOGIQUE ET MÉTHODOLOGIQUE ... 64

2.3CHOIX MÉTHODOLOGIQUES ... 67

2.3.1 Le recrutement des participants ... 67

2.3.2 Les techniques de collecte de données ... 71

2.3.2.1 L’entretien en profondeur ... 72

2.3.2.2 Le groupe de discussion ... 76

2.4 LA MÉTHODE D'ANALYSE INDUCTIVE GÉNÉRALE ... 78

CHAPITRE 3. L’EXPÉRIENCE D’IMMIGRATION ... 83

3.1LE DÉROULEMENT DES ENTRETIENS... 84

3.2L’EXPÉRIENCE D’IMMIGRATION ... 86

3.2.1 Les motifs d'émigration : Pour une vie meilleure ... 89

3.2.1.1 La quête d’un eldorado ... 90

3.2.1.2 Les contraintes familiales ... 94

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3.2.1.4 L’immigration expérimentale ... 95

3.2.2 L'installation dans le pays hôte : environnement accueillant mais insertion professionnelle difficile ... 97

3.2.2.1 Environnement accueillant ... 97

3.2.2.2 Insertion professionnelle difficile ... 100

3.2.3 Les interactions sociales : relations multiples et distances variables ... 101

3.2.3.1 Les relations avec la communauté d'accueil : convivialité superficielle ... 101

3.2.3.2 Les relations avec la communauté d’origine : réconfort indispensable ... 105

3.2.3.3 Les relations avec la communauté immigrante : rapprochement par identification... 106

3.2.4 Les perceptions des Québécois et de la société québécoise : mœurs déréglées dans une vie bien réglée ... 106

3.2.4.1 Les Québécois entre tolérance et hostilité aux immigrants... 108

3.2.4.2 La courtoisie, l'honnêteté et le respect ... 112

3.2.4.3 L'individualisme ... 113

3.2.4.4 Le dérèglement des mœurs ... 116

3.2.4.5 La joie de vivre ... 117 3.2.4.6 La saine alimentation ... 117 3.2.4.7 La culture du sport ... 118 3.2.4.8 L'esprit écologique ... 118 3.2.4.9 L'amour de la connaissance ... 119 3.2.4.10 Le civisme ... 119

3.2.5 Les perceptions du phénomène de resocialisation ... 121

3.2.5.1 Les dimensions culturelles, relationnelles et affectives... 122

3.2.5.1.1 La dimension culturelle; le brassage des deux cultures ... 123

3.2.5.1.2 La dimension relationnelle; l'ouverture réciproque ... 125

3.2.5.1.3 La dimension relationnelle; l'implication professionnelle ... 126

3.2.5.1.4 La dimension affective; l'épanouissement personnel ... 127

3.2.5.2 Les stratégies comportementales : Entreprendre des relations courtoises et respectueuses ... 128

3.2.5.2.1 Aborder les Québécois ... 129

3.2.5.2.2 Agir avec courtoisie et honnêteté ... 129

3.2.5.2.3 Veiller au respect mutuel des différences culturelles ... 129

CHAPITRE 4 : L’EXPÉRIENCE D’ÉCOUTE DE LA TÉLÉVISION QUÉBÉCOISE ... 132

4.1DE L’ENTRETIEN AUX GROUPES DE DISCUSSION ... 133

4.2LE RAPPORT À LA TÉLÉVISION ... 136

4.2.1 Le rapport à la télévision avant l'immigration : écoute massive et sans frontières ... 136

4.2.2 L'accès à la télévision au début du séjour : Un vide à combler dans l’espace matériel et social ... 138

4.2.2.1 Un indispensable ... 138

4.2.2.2 Un rêve inaccessible ... 139

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4.2.3 La fréquentation de la télévision québécoise : variations dans le temps

... 141

4.2.3.1 Le manque de temps ... 141

4.2.3.2 Le manque d’intérêt ... 143

4.2.3.3 L’assiduité ... 144

4.2.4 Les motivations d'écoute de la télévision québécoise ... 144

4.3LA CONSCIENCE DU POTENTIEL DE RESOCIALISATION DE LA TÉLÉVISION ... 148

4.3.1 La télévision non reconnue comme agent de resocialisation ... 149

4.3.1.1 Le recours à la communauté d’origine ... 150

4.3.1.2 La socialisation directe avec les membres de la communauté d’accueil ... 153

4.3.1.3 L'usage d'Internet ... 154

4.3.1.4 L'incompréhension des contenus télévisuels ... 155

4.3.2 La télévision reconnue comme agent de resocialisation ... 158

4.3.2.1 La télévision pour apprendre le parler québécois ... 158

4.3.2.2 La télévision comme un observatoire de la société ... 160

4.4DES RELATIONS SOCIALES À L'ÉCOUTE DE LA TÉLÉVISION : LES CONTENUS TÉLÉVISUELS, UN RÉSERVOIR DE SUJETS DE CONVERSATION ... 163

4.4.1 De l’écoute stratégique à l’implication ... 168

4.5RÉCEPTION TÉLÉVISUELLE ET RESOCIALISATION ... 173

4.5.1 La manière d’interpréter les contenus télévisuels ... 175

4.5.1.1 Les références à la société d’accueil ... 175

4.5.1.2 Les références à l’héritage socioculturel... 176

4.5.2 Les traits caractéristiques de la télévision québécoise ... 179

4.5.2.1 Les traits caractéristiques jugés favorablement ... 180

4.5.2.1.1 La fonction citoyenne de la télévision ... 180

4.5.2.1.1.1 La proximité avec le public ... 180

4.5.2.1.1.2 La liberté d’expression ... 185

4.5.2.1.2. Une télévision naturelle ... 192

4.5.2.2 Les traits caractéristiques défavorables... 193

4.5.2.2.1 Le québécocentrisme ... 194

4.5.2.2.1.1 Marginalisation de l’information internationale ... 194

4.5.2.2.1.2 La marginalisation des immigrants et de leurs cultures ... 202

4.5.2.2.2 La sexualité à la télévision ... 211

4.5.2.2.3 Le sensationnalisme à l'américaine ... 214

4.5.2.2.4 L'élitisme ... 216

CHAPITRE 5 : RÉFLEXION SUR LA DÉMARCHE ET CONCLUSIONS ... 218

5.1RETOUR RÉFLEXIF SUR MES CHOIX MÉTHODOLOGIQUES ... 218

5.1.1 Le défi de mettre en œuvre une démarche inductive ... 219

5.1.2 La mise en œuvre et les apports de la démarche itérative ... 222

5.1.2.1 Soumettre mes interprétations aux participants ... 224

5.1.2.2 Constater la réflexivité des participants ... 227

5.1.3 Les apports de la contextualisation ... 229

5.2CONCLUSIONS DE LA RECHERCHE ... 231

5.2.1 La télévision et la prise de conscience des écarts socioculturels ... 232

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x

5.2.1.1.1 Un miroir de la société ... 235

5.2.1.1.2 Un miroir déformant de la société ... 237

5.2.2 La télévision et la construction des perceptions ... 239

5.2.2.1 Des perceptions de la télévision aux perceptions de la société ... 240

5.2.2.2 Perceptions de la resocialisation ... 242

5.2.3 La télévision comme source d'action ... 247

5.2.3.1 La télévision pour l’acquisition des compétences communicationnelles ... 247

5.2.3.2 La télévision pour alimenter les interactions sociales ... 249

5.2.3.3 La télévision pour adopter les comportements et les valeurs québécoises ... 251

CONCLUSION ... 252

BIBLIOGRAPHIE ... 258

ANNEXE 1. CANEVAS DES ENTRETIENS EN PROFONDEUR ... 280

ANNEXE 2. CANEVAS DES GROUPES DE DISCUSSION... 282

ANNEXE 3. LES CONTENUS DES GROUPES DE DISCUSSION ... 292

(11)

xi

LISTE DES TABLEAUX

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LISTE DES FIGURES

FIGURE 1:LES MOTIFS D'ÉMIGRATION ... 90

FIGURE 2 :LA RESOCIALISATION SELON L’IMMIGRANT ... 123

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REMERCIEMENTS

Au terme de ce travail, c’est avec émotion que je tiens à remercier tous ceux qui m’ont accompagnée et soutenue tout au long de mon parcours doctoral.

Mes remerciements les plus sincères vont à Madame Véronique Nguyên-Duy qui a dirigé ma thèse avec rigueur et générosité. Je la remercie pour sa disponibilité, sa lecture méticuleuse, ses judicieux commentaires et suggestions ayant grandement amélioré la qualité de mon travail. Je la remercie également pour la liberté et la confiance qu’elle m’a accordées et dont j'espère avoir été à la hauteur. J’aimerais lui

témoigner ma profonde reconnaissance pour son empathie et ses encouragements renouvelés jusqu’à l’aboutissement de ce projet.

Pa ailleurs, je n’aurais pu réaliser cette étude sans l’implication de mes informateurs. Je leur adresse mes remerciements les plus chaleureux pour avoir accepté de partager leurs expériences, pour le temps précieux qu'ils m'ont accordé et l'accueil qu'ils m'ont réservé. Les échanges que nous avons eus ont été pour moi une grande source de motivation.

Je souhaite aussi exprimer ma reconnaissance à Madame Manon Niquette et Monsieur Roger de la Garde pour leurs précieux conseils ainsi qu’à tous les enseignants qui m’ont enseigné et avec qui j’ai eu l’occasion de travailler. Je cite particulièrement Mesdames Amra Ridjanovic et Colette Brin ainsi que Messieurs Daniel Giroux et Charles Moumouni. Leur compétence et leur rigueur scientifiques m’ont beaucoup appris.

Ma profonde gratitude à la Mission Universitaire de Tunisie qui a financé les premières années de cette thèse.

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xiv

Je tiens éminemment à remercier mes chers parents qui m’ont toujours soutenue dans mes choix, encouragée à aller de l’avant, et surtout inculqué la passion des études et l’esprit de persévérance. Sans vous, je ne serais jamais arrivée là où je me trouve aujourd’hui. Votre confiance et votre amour me portent et me guident chaque jour.

Une pensée affectueuse à ma sœur Mejda et à ma tante Souad et à toute ma famille en Tunisie qui, malgré la distance, ont toujours su être présents pour me supporter.

Je souhaite également souligner le soutien amical et chaleureux de mes copines et copains qui m’ont accompagnée toutes ces années. Je m’abstiens de les nommer tellement la liste est longue…

Les mots me manquent pour remercier mon mari et mon compagnon de toujours pour son indéfectible support et sa patience. Mourad, tu as su être ma force et mon réconfort dans les moments de doute. Merci de m’avoir toujours prêté une oreille attentive et pour ta confiance et tes encouragements répétés. Merci de veiller toujours sur mon bonheur. Aujourd’hui, c’est un autre rêve qui se réalise pour nous. Continuons, l’avenir est à nous !

Je ne saurais terminer ces remerciements sans m’adresser à mon fils, Idriss, qui a vu le jour pendant la rédaction de cette thèse et que, depuis, je porte au fin fond de mon cœur. Tes rires, ta bonne humeur et tes câlins me comblent d’amour et de bonheur et m’incitent à travailler avec plus de détermination.

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1

Introduction

Mon intérêt pour le sujet de l'écoute télévisuelle en contexte d'immigration est au premier plan personnel et repose sur ma propre expérience d’immigration. J'ai en effet quitté la Tunisie en 2006 pour poursuivre mes études universitaires au Québec. L'adaptation a certes été difficile, comme pour tous les nouveaux arrivants, mais avec le temps j'ai commencé à m'habituer à mon nouvel environnement et à m'y attacher.

Dès les premiers jours d'installation, mon père m'a offert un poste de télévision. « Avec une télé dans ta chambre aux résidences, tu ne vas pas t'ennuyer et tu vas être au courant de ce qui se passe autour de toi », me disait-il. Ce cadeau m'avait réjoui car déjà en Tunisie, j'étais une passionnée du petit écran, consacrant quotidiennement plusieurs heures à l’écoute de la télévision. Cette habitude s'est poursuivie en arrivant au Québec et, au fil des semaines, les émissionsqui m'étaient au début étranges et incompréhensibles me sont graduellement devenues plaisantes.

À cette époque, j'étais étudiante à la maîtrise et me consacrais à plein temps à mes études. Mes activités sociales se limitaient alors aux rencontres avec mes collègues et professeurs à l'université. Dans un tel contexte d’isolement, l'écoute assidue de la télévision québécoise m'a permis de découvrir le Québec, les spécificités de la société, la vie politique, les personnalités publiques, et autres particularités socio-culturelles.

Ce qui a piqué ma curiosité, c'est de constater que les immigrants dans mon entourage n'avaient pas la même relation avec la télévision québécoise. Certains y étaient complètement indifférents alors que d'autres étaient extrêmement critiques de ses contenus. C'est à partir de ce simple constat que j'ai commencé à m'interroger sur la place de la télévision dans la vie des immigrants et le rôle qu'elle pouvait jouer dans leur cheminement.

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2

Mon intérêt pour le sujet s'est accentué au fur et à mesure que je me familiarisais avec la société québécoise, que je prenais conscience de l’importance de l’immigration dans son histoire et des enjeux et défis que posent aujourd’hui la cohabitation de diverses cultures et l'intégration des immigrants.

Le Québec s’est en effet historiquement constitué au gré de vagues migratoires successives. Aux toutes premières populations venues sur ces terres, ancêtres des nations autochtones, ont succédé les colons français et britanniques, suivis d’immigrants écossais, irlandais, allemands, d’Europe de l’Est, d’Italie ou du Portugal. À partir des années 1960, l’immigration s’est diversifiée avec les communautés asiatiques, latino-américaines, africaines et maghrébines1. Ces

dernières vagues d’immigrants d’origines si différentes constituent ce que Proulx (1996) appelle les « néo-québécois ».

Au fil du temps, la société québécoise s’est donc constituée comme une collectivité multiculturelle (Pauzé, 2003) et, encore aujourd’hui, l’immigration reste la principale solution mise de l’avant pour contrer un taux de natalité et une main-d’œuvre en décroissance. Ainsi, entre 2008 et 2012, le Québec a reçu une moyenne annuelle de 51 000 nouveaux arrivants2.

Un tel volume et une telle diversité d’immigrés ont fait émerger des enjeux d’ordre culturels, linguistiques, identitaires, démographiques, économiques et politiques. Le Québec fait aujourd’hui face au défi d’incorporer cette diversité culturelle tout en s’assurant de la cohésion de la société globale (Daniel, 2006).

Ces enjeux et défis sont au cœur d’un débat public qui occupe une place importante dans l’agenda politique et médiatique. Pensons par exemple à la Commission de consultation sur les pratiques d’accommodement reliées aux différences culturelles

1L’Afrique du Nord occupe le premier rang des régions de naissance avec 21,3 % des mouvements

d’immigration entre 2008 et 2012.

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3

(Bouchard-Taylor)3, lancée en février 2007 par le gouvernement libéral de Jean

Charest, mais aussi au Projet de loi 60 visant à l’adoption d’une charte de la laïcité, dite charte des valeurs, lequel a été déposé par le gouvernement péquiste de Pauline Marois quelques mois avant les élections provinciales d’avril 2014.

La recherche scientifique peut nourrir pertinemment ce débat sur l'immigration en présentant une lecture éclairée de la situation, ce qui pourrait éventuellement guider les politiques publiques. Ma recherche se veut une semblable contribution et se propose d'approfondir notre compréhension de l’expérience d’immigration en étudiant de quelles manières s'articulent l'écoute de la télévision locale et le cheminement de l'immigrant dans son pays d'accueil. Mon objectif est de comprendre comment l’écoute de la télévision pourrait favoriser le rapprochement de l’immigrant à la société d’accueil ou au contraire susciter son rejet.

Ma recherche porte sur les immigrants d’origine tunisienne dont l’héritage culturel est principalement arabo-musulman. Le nombre d’immigrants issus de la culture arabo-musulmane, qu’ils soient du Maghreb ou du Moyen-Orient, a connu une augmentation importante pendant les dernières années4. À la suite de ce

changement démographique, le Québec traverse une phase de bouillonnement pendant laquelle les cultures qui se découvrent cherchent à établir les repères d’une vie collective harmonieuse. Mon étude est animée par l'objectif de participer à la compréhension de la réalité d'un groupe d'immigrants ayant fait l'objet de très peu d'études.

3 À la suite de la consultation publique, la commission Bouchard-Taylor a publié un rapport d'analyses et de

recommandations sur la situation de la cohabitation interculturelle au Québec. Ce rapport est disponible en ligne :http://www.accommodements-quebec.ca/documentation/rapports/rapport-final-integral-fr.pdf.

4 Ministère de l’immigration et des communautés culturelles du Québec, en ligne :

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4

CHAPITRE 1. PROBLÉMATIQUE ET ASSISES

THÉORIQUES

1.1 La conceptualisation de l’expérience d’immigration

1.1.1 Une remarquable diversité conceptuelle

L’expérience des immigrants dans le pays d’accueil est le sujet de préoccupation de nombreux chercheurs affiliés à diverses disciplines. Vu sa complexité et sa richesse, les études l’ont abordée de manières différentes. Certains parlent d’assimilation, d’autres d’intégration, d’acculturation, d’insertion, d’adaptation ou de socialisation. Les premiers travaux en cette matière abordaient l’expérience de l’immigrant dans la société d’accueil en termes d’assimilation (Gordon, 1964 ; Frazier, 1948 ; Taft, 1957). Ce concept est associé aux idées d’adoption de la culture du pays hôte et d’abandon de la culture d’origine. L’immigrant est absorbé par la nouvelle société, il perd toute originalité et toute identité particulière. Tel que décrit dans la littérature (Gordon, 1964), le processus commence par une assimilation culturelle, c'est-à-dire par l’adoption des pratiques culturelles, suivie d’une assimilation structurelle qui se traduit par l’insertion dans divers réseaux sociaux. La théorie assimilationniste, dans laquelle l’assimilation est considérée comme un processus d’alignement des comportements des membres de groupes jugés dominés, a primé dans la littérature sur l’immigration pendant une grande partie du 20ème siècle. L’évolution des réalités

sociales est venue jeter un discrédit sur les fondements idéologiques du concept d’assimilation, conduisant à sa quasi-éradication du vocabulaire scientifique5 et

favorisant ainsi l’essor du concept d’intégration (Safi, 2006 : 6).

5 Les rares études qui s’articulent encore aujourd’hui autour du concept d’assimilation ne focalisent plus sur les

immigrants de première génération, l’assimilation à la population locale n’étant désormais jugée possible que par le biais d’une succession générationnelle. Les tenants de cette thèse, s’ils ne se disent pas tous partisans d’une visée proprement assimilationniste, n’ont cependant jamais su affranchir le concept d’assimilation de la connotation péjorative qui y est associée.

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5

De nos jours, le concept d’intégration est d’usage plus fréquent dans ce champ de recherche. Il désigne alors l’action par laquelle l’immigrant s’incorpore à la nouvelle communauté, certains auteurs distinguant l’intégration culturelle, conçue en termes d’appropriation de la culture d’accueil, de l’intégration socioéconomique, plutôt réfléchie en termes d’accès au monde du travail et d’accroissement des droits sociaux6 (Peacht, 2004 : 22). D’autres auteurs vont plus loin en détaillant les

différentes dimensions de ce processus. On parle alors des dimensions juridique, politique, linguistique, économique personnelle et communautaire (Abou, 1986 ; Kymlicka, 1998 ; Gaudet, 2005).

Dans la tradition sociologique, la notion d’intégration sociale renvoie aux liens de solidarité entre les membres d’une communauté et suppose l’intériorisation des normes et des valeurs dominantes et la création d’un sentiment d’appartenance (Nyanziga, 2006 : 20). On le constate, le concept d’intégration, contrairement à celui d’assimilation, ne repose pas sur une logique de rapports sociaux hiérarchisés pouvant mener à l’imposition de modèles culturels et sociaux, mais bien sur une logique plus égalitaire de négociation et d’adhésion à ces mêmes modèles7.

Une des choses qui caractérise le concept d’intégration, c’est sa remarquable fortune dans les débats qui animent les diverses sphères de la vie sociale. Ainsi, ce concept est-il couramment utilisé dans les échanges sociaux, notamment dans les discours médiatiques, pour débattre d’enjeux liés au phénomène migratoire. Cela s’explique sans doute par son usage généralisé dans la sphère politique pour qualifier les politiques publiques manifestant une direction politique en matière d’insertion des nouveaux arrivants dans le tissu social. Face à l’expansion du

6 Le principe qui fonde cette distinction, semblable à celui qui autorise la distinction entre l’assimilation culturelle

et l’assimilation structurelle, veut qu’il soit possible, voire souhaitable, de réfléchir l’expérience migratoire de manière sectorielle. De mon point de vue, l’expérience d’implantation de l’immigrant dans un nouveau milieu socioculturel conjugue l’adoption des traits culturels et la participation aux diverses instances de la vie sociale. Ces deux aspects sont indissociables, en ce qu’ils se nourrissent mutuellement, et doivent être abordés comme tels, ce que rend possible, j'y reviendrais, la théorie de la socialisation.

7 Ce processus d’intériorisation et d’identification que suppose l’intégration sociale entendue comme liens de

solidarité entre membres d’une communauté, reste dans les études sociologiques un présupposé qui ne fait que rarement l’objet d’une analyse susceptible d’en révéler le rôle dynamique dans le large processus d’intégration, d’où la pertinence et l’intérêt de mon approche qui focalise sur le processus d’adaptation de l’immigrant à son nouveau milieu de vie.

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6

phénomène migratoire un peu partout dans le monde, deux conceptions de l’intégration des immigrants dans le pays d’accueil ont vu le jour. Il y a d’une part le modèle pluraliste (ou le multiculturalisme) fondé sur la reconnaissance des singularités des populations immigrantes et l’unité de la société par le biais de la citoyenneté8. D’autre part, il y a le modèle interculturaliste qui tend vers

l’homogénéité culturelle9 (Schnapper, 2007). Malgré leurs différences, ces deux

modèles ont néanmoins ceci de commun qu’en reliant l’intégration des immigrants à un projet de société, ils en font un enjeu social et politique majeur qui, à ce titre, justifie une intervention de l’état dans la définition, la promotion et la réalisation de ce que l’on désignera désormais sous le vocable de politiques d’intégration10.

Parallèlement à cette politisation du concept d’intégration, je constate que ses usages sont de moins en moins précis, désignant à la fois l’aspect symbolique et sociologique de l’incorporation des populations immigrantes et les conditions matérielles de leur installation dans le pays d’accueil (Renaud et al, 2001). Dans la mesure donc où le concept d’intégration fut très tôt accaparé par les politiques, les médias et les autres acteurs sociaux, son usage savant s’avère de plus en plus délicat.

Par ailleurs, d’autres études mobilisent le concept d’acculturation qui désigne « les phénomènes résultant d’un contact continu et direct entre des groupes d’individus de cultures différentes et qui entraîne des changements dans des modèles (patterns) culturels initiaux de l’un ou des deux groupes » (Cuche, 1996 : 54)11.

8 C’est le modèle d’intégration adopté au niveau du gouvernement du Canada. 9 C’est le modèle d’intégration adopté au Québec.

10 Le projet de la charte des valeurs québécoises déposé par le gouvernement péquiste en novembre 2013 est

un exemple d'intervention gouvernementale dans la régulation des relations interculturelles. Le projet se veut une affirmation des règles communes pour vivre la diversité, selon le gouvernement. Il s'articule autour des valeurs de laïcité, de neutralité religieuse de l’État et d’égalité entre les femmes et les hommes. On peut citer aussi l'exemple de la charte de la langue française (ou la loi 101) adoptée en 1977 qui fait du français la langue officielle du Québec et consacre sa primauté comme valeur commune des Québécois.

11 L’apprentissage initial qui prépare l’individu à la vie collective au sein de sa culture d’origine est désigné par

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L’acculturation est présentée comme un phénomène macroscopique qui s’intéresse aux influences exercées et subies par les groupes culturels en contact. Il n’y a pas à proprement parler de culture uniquement donneuse ni de culture seulement receveuse, selon Bastide12. L’auteur propose plutôt les termes comme

interpénétration ou entrecroisement des cultures. Il s’agit donc d’un phénomène interactif et bidirectionnel. Dans le contexte de l’immigration, les résultats de l’acculturation concernent aussi la culture hôte13.

Contrairement à l’assimilation, souvent associée à l’idée d’imposition de la culture hôte et l’abandon de la culture d’origine (Schnapper, 2007), l’acculturation suppose que les cultures sont préservées. Les transformations s’effectuent par sélection d’éléments culturels empruntés. Les groupes interagissent, s’interpénètrent et évoluent sans perdre leur héritage14.

Le concept d’acculturation dépasse ainsi mon cadre d’étude vu la dimension de réciprocité de l’influence culturelle entre les groupes en contact. Suivant cette logique, étudier l’acculturation impliquerait de considérer aussi bien les perceptions de l’immigrant que celles des gens qui interagissent avec lui. Ma recherche se limitant à la seule perspective du nouvel arrivant, il serait dès lors inapproprié de l’articuler autour du concept d’acculturation.

Cela étant dit, il est important de préciser que de nombreux auteurs utilisent le concept d’acculturation dans une acceptation plus restreinte pour désigner l’expérience d’un individu confronté à une culture différente de la sienne. S’inscrivant

12 BASTIDE, Roger, Encyclopædia Universalis, en ligne :

http://www.universalis-edu.com/article2.php?napp=12958&nref=A910431, consulté le 30 avril 2012.

13 Abou (1986) ajoute que, dans les rencontres interculturelles, il y a souvent un rapport d’inégalité entre un

groupe majoritaire et un ou des groupes minoritaires. Le groupe majoritaire tente d’imposer sa culture mais celle-ci demeure, par la force des choses, perméable aux apports ethnoculturels des groupes minoritaires. Ce qui veut dire que les influences sont bidirectionnelles mais se produisent de façon inégalitaire. Bastide distingue trois types d’acculturation : l’acculturation spontanée, fruit du simple jeu de contact, l’acculturation organisée ou encore forcée qui bénéficie à un seul groupe (esclavage, colonisation, etc.) et l’acculturation planifiée qui est politiquement orientée par les groupes dominants.

14 Les modèles multiculturel et interculturel sont fondés sur la logique de l’acculturation. Dans le modèle

multiculturel, les cultures sont préservées tandis que dans le modèle interculturel il y a empreint d’éléments culturels, interactions et interpénétrations sans perte de l’héritage de la culture immigrante.

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dans cette perspective, le psychologue Berry (1997 : 298) perçoit l’acculturation comme étant « the changes an individual experiences through intercultural contact such as changes in behavior, identity, values and attitudes. The changes may involve some amount of stress and psychological conflict ».

Ces propos sur l’assimilation, l’intégration et l’acculturation, révèlent le flou conceptuel que j’ai constaté en parcourant les travaux de recherche sur l’immigration. Les frontières entre les différents concepts sont très fines et poreuses et les auteurs les mobilisent souvent comme des synonymes désignant le même objet. Parfois, les définitions d’un même concept sont multiples voire contradictoires (Safi, 2006 : 6). De plus, il est très fréquent de voir les concepts se définir l’un l’autre.

Considérant donc ce flou et cette polysémie des concepts d’usage dans les études sur l’immigration, je me suis orientée vers le concept de socialisation qui est certes peu utilisé dans ce champ d’études, mais qui permet de couvrir avec précision la situation que je désire étudier et présente des bases théoriques bien solides. Toutefois, pour construire ma problématique, j’ai puisé dans la littérature qui porte sur l’expérience d’immigration sans égard au concept central mobilisé par l’auteur et j’ai essayé de tirer profit de la richesse qu’offre malgré tout cet éclatement conceptuel.

Dans les prochains paragraphes, je vais étayer les fondements du choix de la socialisation comme concept de base. Je vais commencer par retracer son évolution à travers les approches sociologiques pour préciser ensuite la définition qui sera retenue pour cette étude. Je vais montrer en dernier lieu pourquoi j’estime que ce concept est approprié pour la recherche que je mène.

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1.1.2.1 Les racines du concept : de la conception déterministe à la conception interactionniste

La socialisation désigne le processus par lequel un individu devient un être social. Ce concept a connu de nombreuses acceptions au gré de l’évolution de la pensée sociologique. Il est sous-tendu par des approches différentes ayant chacune sa propre conception de l’articulation de l’individuel et du collectif, des effets de la socialisation et de la marge de manœuvre qu'elle laisse à l'individu.

Ces définitions s’inscrivent sous deux grandes catégories : d’une part la conception déterministe selon laquelle la resocialisation réussie est le résultat d’un simple mécanisme de reproduction et d’autre part la conception interactionniste qui envisage la socialisation plutôt comme le résultat d’interactions entre individus.

La conception déterministe renvoie principalement aux travaux des sociologues culturalistes et fonctionnalistes américains qui partagent le principe de la primauté de la société sur l’individu.

Le culturalisme est un courant sociologique américain ayant dominé durant les années 1930 à 1950 (M. Mead, R. Benedict, R. Linton, A. Kardiner). En empruntant à l’anthropologie la notion de culture, les tenants de ce courant en ont fait l’élément déterminant du fonctionnement d’une société. Selon eux, tant les comportements individuels que la personnalité sont déterminés par la culture. Celle-ci façonne les structures mentales qui caractérisent ce que l’on appelle la personnalité de base, c'est-à-dire l’ensemble des traits généraux partagés par les membres d’une société. Pour l’auteur, à chaque modèle culturel correspond une personnalité de base qui est l’expression de l’être singulier de la société et qui impose à la personne un certain nombre de modèles et de contraintes (Dufrenne, 1966 : 128).

C’est ainsi que les culturalistes considèrent qu’à travers la socialisation, la société opère un conditionnement de l’individu et parvient à se pérenniser. À ce propos, Montoussé et Renouard (2012 : 44) affirment :

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La socialisation prend une importance toute particulière dans les travaux de sociologues culturalistes. Elle est décrite comme un entrainement qui permet à un individu de maîtriser les codes sociaux caractéristiques de son groupe. La culture devient progressivement partie intégrante de la personnalité des individus. La socialisation permet donc à la société de se reproduire de génération en génération.

La socialisation est dès lors envisagée comme un processus mécanique et systématique, ce qui implique que tous les agents de socialisation répondent à une même logique et que les individus soient pleinement réceptifs à ce qu’on leur inculque.

La conception culturaliste du social a été fortement critiquée pour sa tendance au déterminisme culturel et pour sa vision réductrice de l’acteur social si bien que le culturalisme a quitté le devant de la scène sociologique au cours des années 1950. Il a cependant influencé plusieurs théories qui lui ont succédé en particulier celles ancrées dans le fonctionnalisme (Montoussé et Renouard, 2012 : 44).

Le courant fonctionnaliste, qui est l’un des courants dominants du 20ème siècle, est

fondé sur l’idée que les actions individuelles remplissent des fonctions au sein du système social qui sont essentiellement d’intégrer les individus à la société et, ainsi, de contribuer à son maintien. La société est ici considérée comme un système dont les éléments peuvent certes évoluer, se transformer, tout en perpétuant les fonctions qui sont les leurs. Dans ce contexte, l’action sociale est le résultat de choix individuels ayant un sens pour leurs auteurs, mais étant soumis à des contraintes, certes matérielles, mais surtout symboliques dans la mesure où la société impose des valeurs et des normes (Montoussé et Renouard, 2012 : 48).

Pour les fonctionnalistes, la socialisation passe par l’intégration d’une conscience collective, c’est-à-dire d’un ensemble de sentiments, de croyances, de manières de penser et d’agir qui sont partagés par les membres d’une communauté. La socialisation aura ainsi pour fonction de constituer en chaque individu l’être social qui exprime non pas la personnalité individuelle, mais le groupe dont il fait partie.

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Elle conduit en général à produire des individus conformistes, respectant les normes sociales. Dans cette perspective, la socialisation est un outil de reproduction du social (Qribi, 2012 : 84).

Cette conception du rapport entre l’individu et la société a vite été remise en question car elle ne reconnaît pas, ou trop peu, d’autonomie à l’individu qu’elle présente comme soumis aux déterminants culturels et sociaux qui s’imposent à lui. L’estimation du poids de la socialisation en tant qu’action collective sur l’individu et sa force dans la détermination des conduites humaines apparait excessive. Comme le rappelle Boudon et Bourricaud (1982 : 145), « La société ne programme pas de manière absolue et irréversible le comportement de ses membres ». Elle propose, certes, des normes et des valeurs qui demeurent influentes et indispensables à la compréhension des relations et des conduites humaines, mais celles-ci ne représentent pas la cause explicative unique. Il faudrait prendre en considération le processus cognitif, affectif et expressif à l’œuvre chez l’acteur social.

Les tenants de la pensée interactionniste reprochent aux fonctionnalistes et culturalistes d’accorder une priorité à la culture ou au système social sur l’individu et de présenter une vision fausse d’un individu « hypersocialisé » (Montoussé et Renouard, 2012 : 52). Ce courant s’intéresse à l’étude des actions réciproques entre les individus et considère l’interaction comme la relation sociale de base.

Contrairement à la conception déterministe selon laquelle les actions individuelles sont dirigées par la société, pour les interactionnistes l’individu est un acteur à part entière, un sujet conscient dont les actions ont un sens qui dépend largement des relations qu’il établit avec les autres, de ses expériences personnelles et de l’interprétation qu’il leur donne15. Les individus entretiennent alors avec la société

des rapports d’influences et d’actions réciproques qui les constituent en même temps qu’ils forment la trame de la vie sociale. À travers les interactions

15 Sur le plan méthodologique, afin de comprendre les actions sociales, il faudra chercher le sens donné par

l’individu lui-même. Le travail du sociologue consiste à reproduire le discours des individus auquel il pourra accéder à travers la mise en œuvre de dispositifs méthodologiques qualitatifs.

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quotidiennes, se créent, se confirment et se transforment les règles, les normes et les rôles sociaux. Ces éléments ne sont pas des données qui s’imposent aux individus, mais des constructions qui apparaissent, perdurent ou se transforment au cours des multiples interactions.

De cette conception de l’individu et de son rapport au social découle une conception nouvelle du phénomène de socialisation, plus apte à concilier société et individualité. La socialisation apparaît dès lors comme un processus d'interactions entre un individu et son environnement. Il ne s’agit plus d’un processus unidirectionnel par lequel la société façonne, conditionne et détermine un individu plutôt passif, tel que le prétendaient les approches antérieures, mais d’un processus dynamique où l'individu agit sur sa propre socialisation et contribue à faire la société. Depuis la perspective interactionniste, les sociétés s’inscrivent d’ailleurs dans une dynamique permanente de changement et de reconstruction (Laport, 2012 : 195).

Les normes et les valeurs transmises par la société sont moins intériorisées qu'interprétées par les individus en fonction de leurs expériences. Elles sont à l'occasion rejetées ou recrées de manière à favoriser le changement social.

De l’avis de plusieurs, que je partage, la conception interactionniste de la socialisation a le mérite de mettre en exergue le rôle actif de l’individu dans le processus de socialisation, un rôle que Francq et Maroy (1996 : 9) résument dans les termes suivants :

La socialisation n’est pas seulement le résultat d’une pratique de transmission symbolique agencée ou finalisée par un ou plusieurs acteurs ou agents institutionnels. Elle est aussi un travail cognitif, socioaffectif de l’individu qui donne sens à sa trajectoire, à ses activités à ses espaces de référence.

Piaget (1932), est l’un des précurseurs de cette conception particulière de la socialisation. Il s’est attardé sur les thèmes de l'éducation et la socialisation des enfants. L’auteur admet que l’individu ne naît pas social, il le devient

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progressivement par les influences qui s’exercent sur lui. La génération antérieure intervient dans la socialisation en transmettant des modèles. La socialisation est associée à l’enculturation qui réfère à l’ensemble des apprentissages (explicites ou implicites et non intentionnels) par lesquels l’individu s’approprie la culture de son groupe, c’est-à-dire la langue, les rituels, les normes et les valeurs partagées (Camilleri et Vinsonneau, 1996).

Toutefois, les individus ne se contentent pas de recevoir ces apprentissages passivement, ils réfléchissent, comprennent et interprètent à leurs façons les valeurs et les normes transmises par les générations antérieures. Ils les intériorisent à leur façon, ce qui implique d’en modifier le contenu. La socialisation relève donc moins de la contrainte passive que de la coopération active, c’est-à-dire d’un apprentissage volontaire qui traduit l’autonomie de la personne(Francq et Maroy, 1996 ; Vahabi, 2013).

L’adaptation à l’environnement social est la conséquence principale de la socialisation. La personne appartient au milieu, elle y a sa place. Elle partage avec la collectivité suffisamment de traits communs pour se reconnaître dans le nous qu’elle forme (Rocher, 1970 : 135). Cette manière de concevoir le rôle de l’individu dans sa propre socialisation semble aujourd’hui faire l’objet d’un large consensus.

Dans la lignée des travaux de Piaget, Boudon et Bourricaud (1982 : 145) définissent la socialisation comme « un processus d’adaptation à des situations changeantes et variées, processus jalonné d’arbitrages et de compromis effectués par le sujet entre les normes qui s’imposent à lui, les valeurs et les croyances auxquelles il souscrit et ses intérêts tels qu’il les conçoit ».

Cette définition me semble particulièrement intéressante dans la mesure où elle met en évidence la dynamique que traverse l’individu. Exposé à des contradictions multiples, il est porté à faire tantôt des conciliations, tantôt des choix. Il agit à l’intérieur d’un champ de forces composé à la fois des contraintes socioculturelles

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de son environnement, de ses propres convictions ainsi que de ses intérêts personnels.

Pour résumer, d’un point de vue interactionniste, la socialisation se transforme d’une action verticale de la société sur l’individu à un processus de construction de l’individu à travers ses interactions avec son environnement. On parle alors de l’approche « constructiviste » de la socialisation (Vahabi, 2013 : 18).

Ancrée dans cette approche, la théorie de Berger et Luckman (1996) sur La construction sociale de la réalité envisage la socialisation comme « une construction du monde vécu » Berger et Luckman (1996 : 190). Fondée sur la communication et l’échange, la socialisation est plus particulièrement le processus par lequel l’homme et la société se produisent mutuellement tout en construisant la réalité sociale. Ce phénomène s’établit en trois moments, indiquent les deux auteurs. Le moment de l’extériorisation réfère à la réalisation, par les humains, d’activités physiques et mentales qui font que la société est un produit humain. Ensuite, l’objectivation est le moment durant lequel les produits de l’activité humaine s’imposent à tous comme des réalités objectives. En dernier lieu, le moment de l’intériorisation se présente comme le moment où l’homme s’approprie ces réalités via le processus de socialisation, ce qui permet de considérer que l’homme est aussi le produit de la société.

Ce phénomène se produit de manière continue.Il commence dès la petite enfance avec la phase de socialisation primaire qui s’effectue par l'intermédiaire de la famille, lieu du premier contact avec le monde. Ensuite vient la phase de socialisation secondaire qui se superpose à cette première forme de socialisation. Elle se développe sous l’influence d’agents de socialisation qui interviennent dans des moments différents de la vie d’une personne comme les institutions scolaires, les associations, les groupes de pairs ou encore les médias. C’est une étape supplémentaire dans la construction des identités qui nécessite d’incorporer de nouveaux modèles et d’endosser de nouveaux rôles. Aussi différents soient-ils, les

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mondes intériorisés lors des deux niveaux de socialisation peuvent finir par fusionner.

Cette distinction entre la socialisation primaire et la socialisation secondaire a permis au concept de socialisation de s’affranchir du strict univers de l’enfance pour s’imposer comme un phénomène qui débute dès la naissance et se poursuit tout au long de la trajectoire sociale d’un individu (Dubar, 2000 ; Schmitt et Boulliet, 2002). L’enfance demeure néanmoins la phase de socialisation la plus importante parce que c’est à ce moment que l’enfant apprend à vivre en société (Gripsrud, 2002). L’individu ne naît pas membre d’une société, il naît avec certaines prédispositions à l’égard de la socialité. Progressivement, l’individu commence à comprendre ce qui le relie aux autres et les en différencie. Il doit en permanence gérer une certaine tension entre la nécessité de se conformer, d’être semblable aux autres et la volonté de se distinguer et de s’affirmer (Qribi, 2012 : 96).

C’est donc à travers le renouvellement des expériences sociales que l’homme évolue et que son identité est constamment renégociée et reconstruite. À ce propos, Dubar (2000 : 10) écrit : « La socialisation est le phénomène de construction, déconstruction et reconstruction des identités aux diverses sphères d’activités que chacun rencontre au cours de sa vie et dont il doit apprendre à devenir acteur ». Dans la même veine, Schmitt et Boulliet (2002 : 43) précisent que :

les expériences sociales vécues par les individus contribuent à l’actualisation des représentations qui sont au cœur de l’idée qu’on se fait de soi, de sa place dans la société et des relations que nous entretenons avec autrui. Une expérience nouvelle provoque tout un travail sur la mémoire : réinterprétation des évènements, des situations, des intérêts et des valeurs intériorisés comme étant les siens.

L’identité des individus est certes évolutive souligne Ramos (1988 : 48), mais dans une dynamique de recomposition et non pas de substitution d’identités. L’auteur parle d’un bricolage fonctionnel, c'est-à-dire « un processus qui fait compromis entre le vieux et le nouveau, tout en créant quelque chose d’inédit sans détruire totalement les composantes et dynamiques identitaires antérieures » (Ramos, 1988 : 48).

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Pour résumer, la socialisation du point de vue interactionniste constitue un processus complexe, pluriel et inachevé. Complexe car il met en jeu des mécanismes fins et multiples, tel que le décrivent Berger et Luckman (1996) avec les étapes de socialisation primaire et secondaire et les phases d’extériorisation, d’objectivation et d’intériorisation de la réalité sociale. « La socialisation est plurielle car les acteurs rencontrent des contextes nombreux, traversent des mondes sociaux différents et vivent des expériences multiples au cours desquelles ils intériorisent des schèmes qui rentrent en concurrence les uns avec les autres. Elle est enfin inachevée car elle se poursuit tout au long de notre vie » (Schmitt et Boulliet, 2002 : 119).

Ainsi défini, le concept de socialisation me semble bien approprié pour étudier l’évolution de l’individu dans le contexte particulier de l’immigration où tout change significativement du jour au lendemain. Réfléchir en termes de socialisation, permettrait de se saisir de l’expérience d’immigration comme un épisode d’une longue trajectoire biographique et de mettre en évidence la confrontation des apprentissages acquis lors des étapes de socialisation antérieures et postérieures au projet d’immigration, c’est-à-dire prendre en compte les attentes et les perspectives futures de la personne.

1.2 L’immigration et la resocialisation

L’immigration constitue l’une des situations de changement important qu’une personne puisse vivre et qui exigent un véritable effort d’ajustement (Rocher, 1970). L’expérience traversée par un immigrant serait semblable à ce que pourrait vivre toute autre personne confrontée à de nouvelles conditions sociales et ce, sans même avoir quitté son pays16. Cependant, il m'apparait que, dans le contexte de

16 Par exemple, Manuel Cabelguen (2006) s’est intéressé à un contexte particulier d’adaptation sociale en se

penchant sur la dynamique des processus de socialisation carcérale chez des détenus rencontrés dans des centres de détention français.

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l’immigration, il est plus judicieux de parler de resocialisation que de socialisation s’agit souvent d’un changement radical pour l’individu ayant traversé des étapes de socialisation dans son environnement d’origine.

Je montrerai dans les paragraphes suivants comment ma réflexion s’est progressivement précisée et nuancée, me menant à resserrer ma réflexion autour de la notion de resocialisation, que je juge finalement plus adéquate que la notion générale de socialisation pour décrire la situation à l’étude. Ensuite, pour la dernière partie de ce chapitre, je mettrai en exergue l’importance de la communication médiatique dans le processus de resocialisation et plus particulièrement celle du média télévisuel.

1.2.1 L’expérience d’immigration comme un phénomène de resocialisation

La resocialisation est définie selon les termes de Montoussé et Renouard (20012 : 85) comme une acception plus large de la socialisation secondaire (Berger et Luckmann, 1996). C’est la socialisation indispensable pour qu’un adulte s’adapte à un nouveau contexte social. La resocialisation repose sur les mêmes agents que la socialisation tout en les faisant opérer dans des contextes différents.

La resocialisation concerne les expériences qui impliquent des changements majeurs et qui nécessitent un grand effort d’adaptation. À cet égard, Cuche (1996) affirme que la socialisation secondaire peut être dans certains cas le prolongement de la première. Dans d’autres cas, à la suite de divers chocs biographiques, la socialisation secondaire opère une rupture avec la socialisation primaire. « La socialisation est considérée comme un processus sans fin qui peut connaître des phases de désocialisation (rupture avec le modèle d’intégration normative) et de resocialisation (sur la base d’un autre modèle) » (Cuche, 1996 : 48).

La transplantation d’un immigrant dans un pays d’adoption constitue probablement la plus difficile épreuve de resocialisation qu’il soit donné de vivre à l’âge adulte

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(Rocher, 1970). L’immigrant a grandi dans un milieu autre que celui de la société d’accueil. Il a évolué dans un environnement familial teinté d’une autre culture et a été socialisé dans des institutions extérieures au pays d’accueil et qui fonctionnent souvent selon d’autres normes. Il porte tout un héritage culturel, c'est-à-dire de valeurs, de façons d’être, d’agir et de penser, qui sont propres à son milieu originel. La rencontre avec une autre culture et une autre réalité sociale dans le pays d’accueil constitue une expérience humaine importante qui engage l’immigrant dans une négociation culturelle et identitaire et le plonge dans un état d’instabilité. L’immigrant amorce un processus d’interprétation de son passé, de son présent et de son futur.

En effet, l’individu se voit immergé dans un environnement où il ne peut plus se référer pleinement à son code culturel de base. Le schéma de référence qu’il a importé de son groupe natal peut s’avérer inadéquat dans les conditions sociales du pays d’accueil (Schutz, 2003 : 20). Cette situation de décalage incite donc l’immigrant à acquérir un nouveau savoir et de nouvelles compétences sur les modèles culturels et le fonctionnement social de la société d’accueil. L’immigrant est supposé vivre une nouvelle socialisation à ce nouvel environnement ou encore une resocialisation (Eisenstadt, 1956)17.

Dans sa conception idéalisée, l’adaptation est le résultat attendu du processus de socialisation, et naturellement du processus de resocialisation en contexte migratoire18. L’immigrant va chercher à comprendre le fonctionnement de la nouvelle

société, les modes d’interaction entre les individus, pour s’y adapter et parvenir à se trouver une place au sein de la communauté d’accueil tout en respectant ses intérêts et en assurant son bien-être.

La resocialisation de l’immigrant implique l’appropriation d’un nouvel apprentissage socioculturel. Il ne s’agit pas tout bonnement d’ajouter de nouveaux éléments à

17 Eisenstadt était le premier à introduire le concept de resocialisation des immigrants vers les années 1950. 18 L’adaptation est le processus au sein duquel l'immigrant modifie ses attitudes et son comportement afin de

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l’apprentissage déjà acquis, souligne Kim (2001). Il y a souvent un phénomène de désocialisation qui se produit : de nouvelles réponses sont adoptées pour répondre à des questions qui étaient résolues de manières différentes. S’approprier des éléments socioculturels du pays d’accueil implique parfois la perte d’autres éléments du milieu d’origine. Toutefois, le changement des valeurs fondamentales reste extrêmement difficile, lent et rare (Kim, 2001 : 51). L’immigrant est porté à bricoler pour trouver des compromis entre les deux systèmes de valeurs.

En effet, fondée sur une conception libératrice de l’acteur social, la resocialisation implique que l’immigrant donne sens à ses expériences, réfléchisse à ses actions. Il gère les contradictions auquel il est confronté, fait des compromis et des choix raisonnés de manière à atteindre ses objectifs et trouver son équilibre. Il agit en toute conscience sur sa propre socialisation, mais aussi sur son nouvel environnement. Reconnaitre la capacité de l’immigrant à négocier les valeurs et les normes avant de se les approprier, c’est lui reconnaitre la capacité de les transformer et de les ajuster à ses besoins et ses objectifs.

Il est important de signaler que ce processus émotionnel et intellectuel complexe est dynamique, indéfini dans le temps et unique pour chaque personne (Bourbeau, 2004 : 46). En effet, la réaction au nouvel environnement est différente pour chaque personne, elle dépend de ses prédispositions et de son expérience personnelle. Kim (2001) note que dans certains cas, les changements adoptés par l’immigrant se font progressivement avec le temps. Dans d’autres cas, une large partie de ces adaptations se produit soudainement dès la phase initiale d’exposition à la nouvelle culture. D’où l’importance de cette phase initiale et la pertinence de l’étudier.

Pour cette étude, je retiens donc la notion de resocialisation parce qu’il y a un changement important des conditions sociales dans lesquelles l’individu doit vivre. Il doit s’y ajuster en s’appropriant les données caractérisant ce nouvel environnement. L’immigrant est appelé à s’approprier de nouveaux éléments

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culturels et à apprendre à jouer un nouveau rôle social au sein du groupe dont il fait désormais partie. Dans la resocialisation, il y a souvent à la fois intégration et désintégration d’éléments socioculturels. Tous ces changements doivent permettre à la personne d’atteindre un degré minimum d’épanouissement mental et psychologique. C’est pour toutes ces raisons que je préfère plutôt parler de resocialisation que de m'en tenir au concept de socialisation.

Cependant, comme pour le processus de socialisation, l’individu peut manifester des résistances au changement et un rejet des modèles culturels qui lui sont proposés. Ces résistances peuvent être culturelles ou personnelles c’est à dire liées aux convictions et aux objectifs visés par la personne. Elles peuvent s’expliquer par la volonté de la personne de s’affirmer, c’est-à-dire afficher son appartenance à des groupes distincts ou mettre de l’avant ce qui fait d’elle un être unique. Ce besoin d’affirmation pourrait conduire l’immigrant à résister à tout changement et à maintenir sa culture d’origine, quitte à finir à la marge de la société. Le concept de resocialisation permet ainsi d’envisager l’expérience d’immigration également en termes de rejet et ouvre sur les différentes trajectoires migratoires possibles.

Par conséquent, il me semble que l’adaptation à une nouvelle réalité socioculturelle dans un contexte d’immigration est forcément un processus conscient, contrairement au processus de socialisation, qui s’amorce le plus souvent sans l’assentiment conscient du sujet, généralement un très jeune enfant (Bourdieu, 1980 : 94 ; Berger et Luckmann, 1996 : 223). Si la multiplication des situations de confrontation interculturelle et d’incompréhension est source de stress pour l’immigrant, elle est aussi le moment où la personne immigrante prend conscience de la nécessité d’ajuster et de réorganiser son système de référence (Thomas, 1918 : 52 ; Schutz, 2003 : 25).

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La question de la socialisation des immigrants surgit au début du 20e siècle aux

États-Unis. Elle fut l'un des objets de recherches privilégiés de l’École de Chicago fondée par Park et Thomas en 1982 et considérée de nos jours comme le berceau de la sociologie de l'immigration (Nikuze, 2011 : 9)19. Les chercheurs de l’École de

Chicago se sont penchés sur la socialisation des immigrants de la ville de Chicago. Ils ont accordé une place importante à l'observation20 des modes de vie et de

l'organisation sociale des immigrants, c'est-à-dire à ce passage de la culture du pays d'origine à « l'assimilation » dans la société d'accueil (Nikuze, 2011 : 11). Ainsi, de leur point de vue, la socialisation est une « assimilation » qui nécessite d’abord un processus de « désorganisation » par l’abandon de certaines valeurs à la suite du choc de l'immigration, puis un processus de « réorganisation » par l’adoption de valeurs de la culture américaine21.

Cependant, la notion d’assimilation dans ce contexte ne signifie pas l’abandon total des spécificités culturelles des immigrants. Elle concerne les deux groupes culturels en interaction et se réfère davantage à un mouvement d’« interpénétration et de fusion, au cours duquel les individus acquièrent la mémoire, les sentiments et les attitudes de l'autre et, en partageant leur expérience et leur histoire, s'intègrent dans une vie culturelle commune », explique Coulon (2002 : 39) en se référant à Park (1921 : 735). C'est l'ultime étape du processus de socialisation pendant laquelle les différences entre les groupes s’estompent et leurs valeurs respectives se mélangent. Dans les faits, ce processus se compose de quatre étapes selon « le cycle des

19 L’École de Chicago désigne un ensemble de travaux de recherche sociologiques effectués par des chercheurs

et des étudiants du département de sociologie de l'Université de Chicago dont le but était non seulement de comprendre, mais aussi d’améliorer les conditions de vie des habitants de la ville de Chicago qui a connu une véritable explosion démographique à la suite de l’arrivée successive de plusieurs vagues d’immigrants. Qualifiée d’approche interactionniste, l’École de Chicago envisage la socialisation comme un processus d'interactions : c'est par l'échange et la communication avec les autres membres de la société que la personne va « intérioriser » les normes de cette société. L’École de Chicago a marqué un tournant dans la pensée sociologique puisqu’elle était à l’origine du courant interactionniste initié par G. Mead et développé ensuite par son élève H. Blumer à qui on doit l’expression « interactionnisme symbolique ».

20 Sur le plan méthodologique, l’École de Chicago est reconnue comme une sociologie compréhensive qui

cherche à comprendre les phénomènes de l’intérieur. Elle a privilégié les études empiriques notamment à travers l’observation participante qui consiste à s’immerger dans le groupe que l’on étudie (Montoussé et Renouard, 2012 : 47).

21 Cette interprétation sociologique de l'intégration des immigrants est basée sur une étude menée par William

Figure

Figure 1: Les motifs d'émigration
Tableau 1 : Perception des Québécois et de la société québécoise
Figure 2 : La resocialisation selon l’immigrant
Figure 3: La télévision non reconnue comme agent de resocialisation

Références

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