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CHAPITRE 3. L’EXPÉRIENCE D’IMMIGRATION

3.2 L’ EXPÉRIENCE D ’ IMMIGRATION

3.2.4 Les perceptions des Québécois et de la société québécoise : mœurs

3.2.4.1 Les Québécois entre tolérance et hostilité aux immigrants

De l’avis de plusieurs participants, les Québécois sont conscients du rôle de la population immigrante dans la mouvance économique du pays. Ils apprécient donc leur présence et reconnaissent leurs droits civils en tant que contribuables, à condition que ces derniers soient respectueux des valeurs et du mode de vie des Québécois. En revanche, les participants estiment que les Québécois ont des préférences parmi les nationalités immigrantes et sont plus à l'aise avec ceux qui ont une culture occidentale proche de leur propre culture.

En évoquant des situations concrètes, certains participants ont mentionné que certains des Québécois qu'ils ont connus étaient très intéressés par la culture tunisienne. Même s'ils n'y connaissaient pas grand-chose, ils se démontraient curieux d'en savoir davantage et réagissaient avec respect et compréhension face aux différences. D'autres participants ont eu l'occasion de rencontrer des Québécois qui avaient une connaissance assez approfondie des pays arabes et de l'Islam et qui ne cessaient de poser des questions pour en savoir plus sur les spécificités de la société tunisienne. Ils parlaient d’eux avec admiration, estimant que la connaissance de l'Islam dont ils faisaient preuve était plus développée que celle qu’ont les Tunisiens de la religion chrétienne. Par ailleurs, un participant fait remarquer qu'il y a des Québécois qui semblent hésiter à lui poser des questions au sujet de sa culture d'origine de peur de le déranger ou de le mettre mal à l'aise, ce qu’il perçoit comme une forme de respect à son égard et à l'égard de sa culture.

Ce groupe d'immigrants estime que les Québécois sont tolérants et ouverts aux étrangers et que cela est perceptible dans beaucoup de leurs gestes. Ils pensent que les Québécois sont conscients du caractère multiculturel de leur société comme en témoigne par exemple le fait qu’ils prennent en considération les différences culturelles et culinaires des uns et des autres lors de rencontres sociales. Dans leurs interactions au sein de l’espace public, comme par exemple dans les administrations et les commerces, ils les jugent courtois, accueillants et serviables.

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Une immigrante précise que les jeunes Québécois sont plus ouverts aux immigrants que leurs aînés :

Zaineb – Le contact avec mes amis au collège n'a pas été difficile. Le fait que je sois différente n'était pas un obstacle comme je l'avais appréhendé. Mes amis québécois sont toujours curieux d'apprendre sur ma culture et ma religion. Ils me posent des questions, ils veulent comprendre pourquoi on pratique certains rituels par exemple. J'ai remarqué aussi qu'ils connaissent beaucoup de choses sur nous, plus que moi j'en connais sur le christianisme, par exemple. C'est probablement parce qu'ils ont grandi à Montréal, qui est une ville multiculturelle, ils se sont habitués à la différence, notamment les gens de ma génération. Alors que moi, jusque-là, je n'ai connu que ma propre culture et mon pays et je constate que je ne suis même pas intéressée d'apprendre sur d'autres cultures. Eux, au contraire, ça les interpelle; ils veulent tout comprendre.

Un autre participant mentionne que l'ouverture des Québécois varie d'un endroit à l'autre. Dans la ville cosmopolite de Montréal, les différentes cultures cohabitent en toute fluidité. Les gens ont une meilleure connaissance des cultures immigrantes et sont habitués à vivre dans ce brassage, tandis que dans d'autres villes québécoises, la différence n'est pas totalement apprivoisée.

L'ouverture des Québécois dépend largement de leur milieu de vie. Les Québécois de Montréal sont à mon avis plus ouverts que les Québécois de Québec qui sont plus ouverts que les Québécois de Sherbrooke, qui sont eux-mêmes plus ouverts que les Québécois de Rivière du loup ou de La Pocatière par exemple84. Toutefois, ce qui est paradoxal, c'est que

les habitants des petites villes et des villages ont l'esprit d'hospitalité et peuvent être plus chaleureux avec un immigrant, alors que les gens des grandes villes sont plutôt individualistes, égoïstes et vivent chacun pour soi dans le respect des différences.

Ce groupe de participants estime que les Québécois sont en général loin d'être racistes. Ce préjugé que certains répondants portent à leur arrivée est de leur avis infirmé par leurs expériences dans la société d'accueil. Ils considèrent que ces idées,

84 En citant ces villes québécoises dans cet ordre, le participant voulait dire que plus la ville est grande, plus il y

a d’immigrants et plus les habitants sont ouverts à leurs égards. Si ce raisonnement en semble un de bon sens, il est sans doute plus prudent de considérer qu’il puisse néanmoins ne pas se vérifier ou, du moins, pas systématiquement.

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largement propagées auprès des Tunisiens, font l’erreur d’assimiler les comportements des Québécois à ceux des Français et de mettre dans le même sac toutes les cultures occidentales.

Ainsi, aux yeux de ce groupe de participants, les comportements défavorables envers les immigrants sont des cas isolés. Ils sont expliqués par le tempérament personnel de l'individu et ne sont pas considérés comme une caractéristique culturelle des Québécois.

Toutefois, certains répondants ont exprimé une certaine incertitude quant aux convictions profondes des Québécois et à la transparence de leurs comportements. Ils se demandent si cette apparente courtoisie ne cache pas plutôt un sentiment d'hostilité envers les immigrants. Quand je leur demande ce qui les conduit à une telle interprétation, leurs réponses demeurent vagues. Elles ne reposent pas sur des faits ou des expériences vécues, mais sur des impressions et sur des histoires qui circulent dans la communauté. Une phrase revient à de multiples reprises : « On dit que les Québécois sont au fond racistes, mais qu’ils ne le montrent pas ».

N’empêche, comme le mentionne l'un des participants, que pour ce qui est des institutions officielles, la loi garantit l'égalité des chances pour tous les citoyens même s'ils sont issus de l'immigration. De même, « la vie politique est ouverte aux immigrants qui peuvent gravir les échelons jusqu'à atteindre les postes les plus élevés de l'État comme le poste de ministre ou de député », précise-t-il en donnant des exemples de politiciens issus de l'immigration vus à la télévision.

Ce qui est merveilleux dans ce pays, c'est que tous les citoyens sont égaux devant la loi et que celle-ci ne favorise personne. Un immigrant a les mêmes chances qu'un natif de gravir l'échelle sociale. Certaines personnes ont réussi à s'imposer même dans la politique comme Amir Khadir ou Sam Hamad. Cela nous donne la preuve que les Québécois sont ouverts d'une certaine manière.

D'un point de vue diamétralement opposé, quelques autres répondants estiment que les Québécois manifestent de l'indifférence envers les étrangers. Cette indifférence

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se traduit selon eux de plusieurs manières. Tout d'abord, pour certains, les Québécois ont une connaissance limitée des cultures étrangères. Au-delà de leur propre réalité, ils ne sont pas curieux d'apprendre sur les sociétés et les cultures. Ce manque de connaissance provoque un sentiment de méfiance envers les immigrants et bloque tout dialogue. L'un des participants explique que, « depuis leur enfance, les Québécois ont appris à ne jamais faire confiance à un étranger. Devenus grands, ils traitent les immigrants comme des inconnus imprévisibles vis- à-vis desquels il faut agir avec méfiance ».

Le manque de culture générale n'est pas la responsabilité des seuls individus, selon un autre répondant. C'est aussi la conséquence du système médiatique qui favorise une information locale ignorant le monde extérieur. Dès lors, les connaissances des Québécois sur les cultures immigrantes se restreignent aux stéréotypes et aux idées préconçues. Quelques participants ont déclaré avoir été surpris par des questions telles que : « Est-ce que les femmes en Tunisie sont battues ? Y a-t-il des gens qui se déplacent à dos de chameau chez vous ? », ou encore, dans le cas d'une immigrante, « Comment cela se fait-il que vous ne portiez pas le voile ? » De l’avis de ces participants, une telle conception stéréotypée des cultures immigrantes pose souvent un obstacle aux échanges entre Tunisiens et Québécois.

Un autre participant considère que les Québécois sont froids. « Même lorsqu'on les aborde, ils répondent avec le minimum », explique-t-il. D'autres vont jusqu'à dire que les Québécois sont racistes, certains comportements traduisant selon eux leur intolérance vis-à-vis des autres cultures, particulièrement la culture musulmane. Deux femmes voilées ont raconté qu'elles étaient la cible de regards et de propos désagréables et méprisants de la part de Québécois à cause de leurs foulards.

Parlant des relations professionnelles, un immigrant a raconté que ses collègues n'agissent pas avec un esprit de collégialité, mais bien plutôt avec un esprit de concurrence. Au fond, dit-il, « la présence des immigrants les dérange parce qu'ils les considèrent comme des concurrents sur le marché de l'emploi ». Ils leur

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reprochent aussi d'être à l'origine de la baisse des salaires notamment dans le secteur de l'informatique qui emploie beaucoup de Tunisiens. Ce participant considère qu'il y a une certaine discrimination envers les immigrants et un favoritisme entre les Québécois qui évoluent plus rapidement dans les carrières professionnelles que les immigrants.