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CHAPITRE 3. L’EXPÉRIENCE D’IMMIGRATION

3.2 L’ EXPÉRIENCE D ’ IMMIGRATION

3.2.3 Les interactions sociales : relations multiples et distances variables

Mon étude a été fondée dès le départ sur le postulat voulant que le processus de resocialisation des immigrants évolue au rythme des interactions de ces derniers avec leur environnement à travers différents agents de resocialisation incluant les médias et la télévision en particulier. La question qui se pose maintenant est d'en savoir plus sur ce qui caractérise les expériences sociales de l'immigrant dans son nouveau milieu. Qui fréquentent les immigrants tunisiens ? Ont-ils pu nouer des relations solides depuis leur arrivée au Québec ? De quel genre de relations s'agit- il ?

D’après les témoignages recueillis, les immigrants ont noué des relations avec trois groupes différents : la communauté d'accueil, la communauté d’origine et la communauté immigrante. Cependant, la nature des relations et la proximité sociale diffèrent en fonction du groupe.

3.2.3.1 Les relations avec la communauté d'accueil : convivialité superficielle Mes répondants déclarent que leurs relations avec les Québécois sont plutôt superficielles, mais conviviales et respectueuses. On parle plus de connaissances que d'amitiés. Dans la majorité des cas, ces relations se limitent au cadre professionnel. C'est le principal endroit où les participants disent interagir réellement avec des Québécois. Les pauses café et déjeuners sont des occasions d'entreprendre des discussions en dehors des sujets de travail.

Quelques répondants mentionnent participer souvent aux 5 à 7, aux sorties au restaurant et aux activités de fin de semaine organisées par les collègues de travail.

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Une participante précise que sa relation avec une de ses collègues est devenue amicale et qu'un lien affectif s'est créé au fil du temps.

En dehors des relations au travail, certains répondants ont d'autres occasions d'entrer en contact avec des Québécois. Deux personnes évoquent leurs relations de voisinage et il appert que loger dans des appartements favorise les contacts sociaux. Une participante raconte qu'elle retrouve régulièrement ses voisines, tant québécoises qu’immigrantes, et qu'elles discutent lorsqu'elles font la lessive dans la buanderie de l'immeuble. Ces petites causeries qui peuvent sembler banales ont une grande influence sur l'immigrante qui affirme en retirer beaucoup d’enseignements sur la vie et la mentalité des Québécois. Un autre participant fait état de sa relation avec son voisin qu'il trouve sympathique, avec qui il a des discussions variées sur le pas de la porte ou dans le stationnement, et qui l'a même aidé à dénicher son premier emploi.

Parmi tous les participants, un seul a eu une expérience de colocation avec un Québécois. Il déclare que leur relation n'était pas intime, mais qu'ils avaient bien cohabité. Leurs horaires de travail les empêchaient de se rencontrer souvent, mais ils se retrouvaient parfois le soir dans la cuisine où ils échangeaient brièvement.

Par ailleurs, une répondante m'a parlé de sa relation conviviale avec son médecin. Au fil des rencontres, ils ont beaucoup échangé à propos de sa vie actuelle au Québec et antérieure en Tunisie. Elle trouve cette personne gentille, serviable et attentionnée. Leur relation a évolué et, après un certain temps, elle estime ne plus être traitée comme une simple patiente, affirmant par exemple être favorisée dans l'obtention de rendez-vous.

Les participants ayant fréquenté des Français auparavant ont fait la comparaison entre les relations avec les Québécois et les Français. Ils estiment que ces derniers sont plus chaleureux et plus sociables et que la communication est plus facile entre un Tunisien et un Français puisqu'il y a une certaine proximité culturelle et une

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meilleure connaissance réciproque. « Contrairement à la société québécoise, les Tunisiens connaissent bien la société française, ses artistes, ses politiciens et ses sportifs, ce qui nous offre des sujets de discussion avec les Français et facilite l'échange entre nous », explique l'un des participants.

De manière générale, les participants estiment que les relations avec les Québécois se caractérisent par l'acceptation et le respect mutuel des différences culturelles, mais que ces relations demeurent futiles. Ils trouvent difficile de nouer des amitiés avec des Québécois parce que, disent-ils, ces derniers « ne s'investissent pas trop dans les relations sociales et ne s'attachent pas facilement aux autres ». L'un des participants explique que pour les Québécois, les relations sont circonstancielles. « Si le motif qui réunit deux personnes n'est plus, la relation disparait ». Il donne l'exemple des personnes qu'il a fréquentées de près parce qu'ils travaillaient sur le même projet. Une fois le projet achevé, ils ne lui adressent presque plus la parole. Certains répondants se demandent même si les Québécois sont distants de nature ou s'ils le sont en particulier avec les immigrants.

Une seule participante dit avoir eu une mauvaise aventure avec une collègue de travail québécoise. À force de passer du temps ensemble, les deux femmes se sont rapprochées et sont devenues amies et confidentes. Elle lui a beaucoup parlé de la religion musulmane et a osé critiquer devant elle certains aspects de la société québécoise, notamment au sujet de l'éducation des enfants. Bien qu'elle ait jusque- là fait preuve de tolérance, la collègue québécoise a alors réagi violemment en défense de sa culture. Cela a provoqué une grande dispute et conduit à mettre un terme à leur relation.

Ainsi donc, les participants s'accordent-ils pour dire qu'ils ont des relations superficielles, mais correctes et conviviales avec les Québécois. Ils estiment que les motifs pour lesquels ces relations sont limitées tiennent soit au caractère distant des Québécois, soit au fossé culturel entre Tunisiens et Québécois.

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Un cas, parmi les participants, est vraiment atypique. Cette personne, en effet, a déclaré que c'est elle qui, à son arrivée, refusait d'approcher les Québécois et de nouer des amitiés. Elle était déstabilisée par le changement et la séparation de sa famille et avait du mal à accepter sa nouvelle vie au Québec. La situation lui pesait d’autant plus que ses collègues de travail étaient tous des Québécois alors que son mari, qui travaille dans une entreprise qui emploie plusieurs Tunisiens, avait rapidement tissé un réseau d'amitiés. Ressentant très fortement le besoin d'être avec des personnes de sa culture pour s'épanouir et étant au surplus de nature timide, elle a alors préféré s'isoler et éviter tout contact avec les Québécois. Elle a donc passé plusieurs mois d'angoisse durant lesquels ses contacts avec les Québécois se limitaient au strict nécessaire, tant au travail que dans la vie sociale en général.

Le premier poste que j'ai décroché était bien intéressant, sauf qu'il y avait deux contraintes. D'une part, il fallait faire beaucoup de déplacements et ça n'a pas été facile à concilier avec la vie familiale. D'autre part, j'avais des difficultés à m'intégrer dans le groupe. J'étais la seule immigrante dans la boite. Tous mes collègues étaient Québécois. Je me sentais seule. Ma famille me manquait, mes amis, mes anciens collègues, ma ville. L'hiver était très froid et ennuyant, et l'ambiance générale était lourde au bureau. Je n'arrivais pas à nouer de relations. Je n'ai même pas essayé de m'approcher de mes collègues, le contact se limitait aux discussions de travail. Ma situation était totalement différente de celle de mon mari qui travaille dans une grande boite d'informatique employant des personnes de plusieurs nationalités : des Espagnols, des Français, des Tunisiens, etc. Tous les jours, mon mari faisait de nouvelles rencontres et élargissait son réseau de connaissances, alors que moi, j'étais seule toute la journée. J'étais carrément jalouse de lui. Il faut dire que je suis de caractère timide, et cela n'aide pas beaucoup. En gros, la première année, mes relations étaient très difficiles. C'est probablement moi qui ai refusé de m'intégrer, je ne sais pas ! Je sentais, en tous cas, un vide dans ma vie sociale et beaucoup d'ennui. Après 15 mois, je ne supportais plus la situation. J'ai commencé à chercher du travail ailleurs et j'ai eu la chance de trouver un poste dans la même entreprise que mon mari. Depuis, je me sens beaucoup mieux. Mes collègues sont agréables, les Québécois comme les immigrants. On organise souvent des 5 à 7, on va manger ensemble à midi, etc. Je ne m'ennuie plus comme avant, c'est certain.

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3.2.3.2 Les relations avec la communauté d’origine : réconfort indispensable

Toutes les personnes interrogées ont déclaré avoir des relations d'amitié avec des Tunisiens qu'ils ont connus à travers d'autres amis, dans le cadre du boulot ou qu'ils ont rencontrés par hasard dans des circonstances variées.

Une répondante m'a raconté qu'elle a connu une de ses amies dans un centre d'achat. Le contact fut très facile et spontané. Elles ont commencé à sympathiser parce qu'elles se sont reconnues musulmanes grâce à leur hijab. La relation a évolué au fil du temps jusqu’à ce qu'elles deviennent amies. Un autre répondant raconte avoir fait la connaissance de Tunisiens et d'autres musulmans dans la mosquée. Ce lieu de recueillement se transforme en un lieu de sociabilité où on peut rencontrer des personnes qui partagent la culture arabo-musulmane.

Dans plusieurs cas, les relations sociales des immigrants se limitent à la communauté tunisienne. Ces relations sont assez développées dans le sens où les personnes se rencontrent fréquemment et se rendent mutuellement visite. Elles organisent souvent des activités collectives et célèbrent les fêtes religieuses ensemble. Le besoin de sociabilité de l'immigrant est comblé par ces relations intracommunautaires.

D'autres personnes déclarent que les relations sociales de façon générale sont très limitées même avec la communauté tunisienne, et ce, par manque de temps. Le rythme de vie intensif ne laisse pas trop de place aux activités sociales et il devient difficile, dans ces conditions, d'entretenir les relations d'amitié. Néanmoins, dans la majorité des cas, la communauté d’origine occupe une place importante dans la vie de l'immigrant. Les amis d'origine tunisienne jouent un rôle primordial dans l'orientation de l'immigrant dès son arrivée et constituent un relais entre l'immigrant et sa nouvelle société.

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3.2.3.3 Les relations avec la communauté immigrante : rapprochement par identification

Les discussions avec les participants ont révélé que ces derniers ont également des relations avec d'autres immigrants d’origines variées. Étant tous dans la même situation, les rapprochements sont plus faciles qu'avec les Québécois. Même s'ils ne partagent pas la culture d'origine, les immigrants s'identifient les uns aux autres par leur expérience commune dans la société d'accueil. Le besoin de socialiser et de partager son expérience les rend plus ouverts les uns aux autres. Les participants m'ont ainsi parlé de relations avec des Français, des Iraniens, des Libanais et des Maghrébins. Belabdi (2010 : 247) est parvenu au même constat, les immigrants marocains ayant aussi tendance à nouer des relations avec des immigrants d'autres origines auxquelles ils s'identifient plus facilement et avec lesquelles ils partagent des objectifs et, surtout, des préoccupations.

Pour récapituler, retenons que les immigrants tunisiens ont des relations plus nombreuses et intimes avec leur communauté d'origine. En second lieu, ils ont des relations avec d’autres immigrants d'origines variées. Ces relations permettent de combler le besoin de sociabilité de l'immigrant, favorisent son épanouissement et diminuent la solitude et la nostalgie provoquées par l'éloignement. En revanche, ces relations centrées sur la communauté ou d’autres immigrants diminuent les occasions de nouer des relations solides et durables avec des Québécois avec qui, comme l’indiquent les résultats, les relations demeurent superficielles, bien que respectueuses et conviviales.

3.2.4 Les perceptions des Québécois et de la société québécoise : mœurs