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CHAPITRE 2. PROBLÈME ET MÉTHODOLOGIE DE RECHERCHE

2.3 C HOIX MÉTHODOLOGIQUES

2.3.1 Le recrutement des participants

La nature même de ma problématique m'a conduite à privilégier un terrain d’enquête que l’on peut considérer microsocial dans la mesure où :

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[il] prend pour unité d’analyse l’individu, les petits groupes […] et les interactions sociales [et] s’appuie […] sur le discours des acteurs sociaux [pour] dégager des pratiques, des interactions entre personnes, des comportements, qui peuvent être analysés comme sociaux, en ce qu’ils relèvent d’allers-retours entre l’individu et d’autres individus ou d’autres objets sociaux (médias, institutions, normes sociales, etc.) (Garabuau-Moussaoui, 2002 : 262).

En toute cohérence avec ma posture qualitative et interprétative, j’ai choisi mes sujets en fonction de la pertinence de leurs caractéristiques par rapport aux objectifs de ma recherche (Maxwell, 2009 : 128 ; Savoie-Zajc, 2007 : 110 ; Pierret, 2004 : 8). « L’acteur social compétent » est ici celui qui se trouve au cœur de la problématique étudiée et les critères permettant de l’identifier découlent de la problématique et des questions de recherche (Savoie-Zajc, 2007 : 103). La valeur scientifique est dès lors liée à la profondeur de l’analyse et à la pertinence de la relation entre l’objet d’étude et le corpus empirique et non pas à la représentativité de l’échantillon (Pirès, 1997 : 122 ; Laperrière, 1997 : 403).

Dans les paragraphes suivants, je vais tenter d’exposer le plus exhaustivement possible les critères qui ont prévalu au choix de mes participants.

Pour participer à l’étude, il importe d’abord que l’immigrant manifeste un certain intérêt pour l’écoute télévisuelle.

Par ailleurs, étant donné que ma problématique fait de la période d’amorcement du processus de resocialisation un moment central, j'ai recruté des individus qui sont installés au Québec depuis une période ne dépassant pas trois années. J'étais consciente que, dans les toutes premières semaines, les nouveaux arrivants seraient moins disponibles pour s’engager dans une telle recherche parce qu’ils sont très occupés par les différentes démarches d’installation et de recherche d’emploi. Endossant l’idée que la resocialisation est un processus à long terme et jamais complètement achevé, j'estime que durant les trois premières années, l’immigrant n’en est toujours qu’au début de sa resocialisation dans le pays d’accueil. Au fil des

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mois, ce dernier trouve progressivement ses repères dans son nouvel environnement de vie. Ses expériences se multiplient et sa perception de la société d’accueil est de plus en plus informée, tout en ayant encore le souvenir vif des expériences des premières semaines, voire des premières journées d’installation, ce qui le rend particulièrement apte à fournir des informations riches sur son rapport à la télévision locale.

Les participants sélectionnés sont tous d’origine tunisienne. C’est un choix que je juge pertinent d’abord parce qu’il s’agit d’un groupe dont l’immigration est relativement récente, mais en constante croissance67, et qui n’a pas fait l’objet

d’études spécifiques au Québec, sauf dans certaines recherches comme membre de la communauté maghrébine (Millette, Proulx et Millette, 2010 : 2).

Qui plus est, les Tunisiens étant d’abord francophones, cela résout le problème de la compréhension des contenus télévisuels. D’aucun pourrait considérer ce biais linguistique comme une limite, mais j’estime plutôt qu’en évacuant la question de la barrière linguistique, qui est sans aucun doute déterminante, je peux concentrer mon analyse sur d’autres aspects du processus de resocialisation, notamment ceux liés à la confrontation des univers référentiels de même qu’à la négociation identitaire et culturelle.

À ce chapitre, d’ailleurs, le choix de sujets tunisiens est d’autant plus intéressant que la société québécoise et la société tunisienne sont très différentes du point de vue religieux, culturel, sociopolitique, historique, climatique, ce qui suppose un grand effort d’adaptation et annonce une confrontation culturelle importante pour les

67 Lors du recensement de 2006, 7 870 personnes se sont déclarées d’origine tunisienne. Deux membres sur

trois de la communauté tunisienne sont nés à l’étranger. Les immigrants d’origine tunisienne sont issus d’une immigration très récente puisque plus de la moitié (55,2 %) d’entre eux se sont installés ici au cours des cinq dernières années, soit de 2001 à 2006. Dans les statistiques du Ministère de l’immigration et des communautés culturelles, les Tunisiens sont intégrés au groupe des immigrants maghrébins. Ce dernier constitue le deuxième plus grand groupe d’immigrants qui débarque au Québec après les Asiatiques. Pendant le premier trimestre de l’année 2010, 20,7 % des nouveaux arrivants au Québec sont nés au Maghreb.

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nouveaux arrivants et ce, même si la société tunisienne, à l’instar de la société québécoise, demeure très hétérogène68.

Privilégier des participants d’origine tunisienne est aussi un choix intéressant dans la mesure où le partage de la langue maternelle et des références socioculturelles facilite considérablement le déroulement de l’étude ainsi que l’analyse des informations. Je me permets de penser que cela accroît mon empathie et ma compréhension. Je pense que cela me rend plus à même d’établir une relation de confiance avec mes informateurs, de les mettre à l’aise et de les inciter à s’exprimer avec spontanéité. Ma situation personnelle d’immigrée m'a effectivement permise d'être plus attentive à certains aspects de l’expérience de mes informateurs qui auraient probablement échappé à quelqu’un n’ayant pas vécu une expérience semblable et n’étant pas issu de la même culture.

Le processus de recherche ainsi que les faits qu’il expose sont considérés comme chargés de valeurs. Au lieu de la situation du détachement du chercheur vis-à-vis des sujets, les approches qualitatives considèrent que les chercheurs eux-mêmes sont des instruments de collecte de données ayant souvent un contact et un rapport profond et soutenu avec leurs sujets, défiant ici davantage les appels à l’objectivité (Guba et Lincoln, 1994 : 107).

Bien au fait que la recherche qualitative insiste sur une prise de conscience de l’influence de la subjectivité sur l’évolution de la recherche (Laperrière, 1997 : 396), je me suis attachée tout au long de l’étude à être attentive à l’imbrication de mes choix et de mes comportements de chercheure avec les éléments relatifs à mon expérience personnelle, mes valeurs ou encore mes émotions.

Cette forme particulière de collecte de données à travers l’interaction sociale entre un chercheur dont la subjectivité est reconnue et un répondant compétent vis-à-vis

68 L’arrivée des vagues d’immigrants tunisiens, maghrébins et musulmans de manière générale a provoqué de

nouveaux enjeux relatifs à l’intégration des immigrants au Québec comme en témoignent, à titre d’exemple, les débats sur le port du voile islamique, la construction de mosquées, les revendications de salles de prières sur les lieux de travail et dans les universités et bien d’autres sujets qui ont été débattus notamment dans le cadre de la commission de consultation sur les pratiques d’accommodements reliés aux différences culturelles en 2007 et plus récemment dans le cadre du débat sur la Charte des valeurs québécoises.

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de l’objet d’étude fait en sorte que les données scientifiques qui émergent de ces échanges sont le fruit d’une co-construction du sens par les deux acteurs.

Pour terminer mes propos sur le choix des participants, je tiens à mentionner que j'ai veillé à composer un groupe diversifié qui permet d’observer différentes expériences et différents rapports à la télévision locale. J'ai interrogé des hommes et des femmes, de tranches d’âge variées ayant immigré au Québec en famille ou individuellement. J'ai mis fin au recrutement lorsque j'ai atteint la saturation des données69.