APPRENDRE LE LANGAGE TECHNIQUE
À
L'ÉCOLE.Antoine ZAPATA
Rectorat de Strasbourg
RÉSUMÉ: Les sociétés occidentales s'enfoncent dans un techno-système, que le citoyen maîtrise
avec de plus en plus de difficultés.
Orle "pouvoir de disposer du monde" passant par le pouvoir de le
verbaliser, nous pouvons nous interroger sur les conditions dans lesquelles la culture technique estacceptée comme fait culturel
àpart entière,
àtravers
laplace que l'École
faitaux langages
technico-scientifiques et
àleur apprentissage.
SUMMARY : The western societies sink into a technological system which is mastered with more
and more difficulties by the citizen. Now, as the power of "having the world at one's disposaI" is linked to the power of verbalising it, one may question oneself aboul the condition in which the technical culture is accepted as a full cultural facr, through the place which is given by School te the technological and scientific languages, and[0the leaming of !hem.1.
INTRODUCTION
Nos sociétés développées sont de plus en plus dépendantes de la teçhnologie. Orparallèlement àcette dépendance nous constatons une désaffection croissante des parents et des élèves pour les filières professionnelles et technologiques. On peut s'interroger sur l'influence de l'Ecole sur cette attitude. En effet, bien que le discours officiel soitàla prise en compte des réalités technologiques, le vécu et le fonctionnement de notre système scolaire, favorise-t-il la familiarité avec lefait technologique?
Par delà les analyses sociologiques, constatant
laprédominance d'enfants de classes
défavorisées dans les vnies technologiques et professionnelles, la scission entre le "technique" et le
"général" n'est-elle pas présente, aussi, dans la place faite au niveau scolaire
àce vecteur de
communication qu'est le langage technique?
Or notre vie quotidienne s'enrichit d'auxiliaires domestiques ou de loisir, dont la complex.ité de mise en oeuvre, met son utilisateur en demeure de maîtriser le langage teetlIlique. Parallèlement, les postes de travail nécessitent, aujounl'hui plus que parle passé, des compétences d'usage de la langue, que cela soit pourdela communication, comme pour l'organisation des processus de production ou les opérationsàmener avecle matériel.Cedécalage existant entre lelieu dela citoyenneté et le lieu de la fonnation n'est-il pas de nature à briser notre "pouvoir de disposer du monde"?
Je vais m'efforcer au cours de cette intervention de montrer que le langage technique, quoique outil spécifique, est néanmoins partie intégrante de la Langue. D'autre part je montrerai la situation actuelle de son apprentissage en classe. Enfin je proposerai des pistes d'action permettant de faire évoluer la situation actuelle vers une prise en compte des contraintes et caractéritiques essentielles du langage technique.
2. IL N'Y A PAS OPPOSITION ENTRE LA "LANGUE" ET LE LANGAGE
TECHNIQUE
Lorsque l'on cherche
à
différencier le texte technico-scientifique du texte littéraire, l'existence d'un lexique spécifique au milieu technique obère les autres dimensions du texte technico-scientifique. Or ce lexique d'ordre technique ne représente au mieux que 17 à 22% du lexique total, sans oublier la difficulté importante de son recueil, car de nombreux mots de la langue véhiculaire peuvent dans le contexte spécifique d'une communication technique ou scientifique acquérir un sens différent et plus "professionnel".2.1 Fonctions
Suivant leur nature ( notice technique, compte-rendu de recherche, communication scientique ou article de vulgarisation), les textes techniques et scientifiques font appelànuis des fonctions du langage courant. Ainsi, Heslot J., Astolfi J.P. et Monureux M.F. leur assignent d'abord une
fonction descriptive, qui fait le récit soit de l'expérimentation menée et des résultats obtenus, soit de la démarcheà suivre et de ses conséquences. La seconde fonction, argumentative, sert à légitimer les options prises. les choix réalisés. elle commente l'action décrite, la replace dans un contexte. La troisième fonction. explicative, en est l'élément central, elle modélise, elle théorise.
2.2 Structure
Pour PetroffAl,la structure des discours teehnico-scientifiques, aussi bien à l'oral qu'à l'écrit, se composede trois unités. La première sen à actualiser les connaissances du lecteur. elle est le point de départ s'appuyant sur le connu du destinataire du message; la seconde de ces unités lance des ponts vers l'inconnu, elle contient en fait l'élément nouveau, irréductible que le texte teeh.nique ou scientifique est censé transmettre. Ces deux unités constituent le noyau conceptuel. La troisième unité pennet la lecturedel'ensemble, elle est structurante, elle va indiquer la hiérarchie des faits ou idées présentés, ainsi que le cheminement et les étapesdu raisonnement, dans l'ordre logique, elle fait appel à des structures syntaxiques de causalité, de hiérarchisation, de temporalité.
2.3
Aspect cognitifMais, à elle seule, la maîtrise de cet outillage linguistique ne résoud pas l'ensemble des difficultés auxquelles sont confrontés les élèves. Par exemple DuvalR. constate que par la lecture, des élèves de
6
2peuvent accéder à des connaissances mathématiques nouvelles, mais qu'ils sont freinés dans ce processus par "une dénivellation trop grande entre leurs connaissances sur le sujet traité et les connaissances présupposées dans l'élaboration du texte", Les textes mathématiques nécessitent la mise en oeuvre d'opérations cognitives beaucoup plus difficiles, qui placent les élèves en situation d'échec faceà la lecture.2.4
SchématisationAlors que le rexte courant ou littéraire existe sous une forme exclusivement scripturale, le texte technico-scientifique fail généralement appel très largement au schéma ou au dessin. Le schéma ne posséde que deux fonctions: descriptive d'une part, synthétique d'autre part. Il se compose d'une sélection de concepts-clés et de leurs attributs, organisés en vue de mettre en évidence les relations d'ensemble, ce qui permet à Dalcq A. E, (1986) de lui attribuer un rôle de médiateur, Pour Weill-Fassina A. (1973), Cuny X. et Boyé M. ( 1981) les schémas descriptifs permettent une meilleure explication des phénomènes et une meilleure évaluation de solutions.En revanche les schémas synthétiques, figurant les fonctions interrelationnelles d'un ensemble donné. seraient plus heuristique. Ainsi le schéma a aussi un rôle de résolution de problème, parce qu'il aide au traitement des informations en les organisant
2.5 En conclusion, face à un texte technico-scientifique il est nécessaire, non seulement de posséder l'outillage linguistique correct,tant du point de vue lexical que syntaxique, maîs il est, de plus, primordial de posséder des structures de connaissance du sujet suffisamment proches des prérequis implicites de l'auteur du texte pour pouvoir en tirer un quelconque bénéfice cognitif.
3. LE
LANGAGE TECHNIQUE ET
LES OUTILS DE COMMUNICATION
TECHNIQUE
Alors qu'il semble logique, face à notre immersion dans un monde technologique où la science
tient une
grandeplace. que l'école Conne au langage teehnico-scientifique, force est
deconstater qu'il
n'en est rien. En effet dans les fonnations professionnelles et technologiques, contrairement
àce que
l'on
pourraitimaginer, le terme de communication technique, ne recouvre que l'utilisation d'outils de
communication normalisés (dessin technique et schémas struetw'el, fonctionnel, diagrammes ete... ).
Les futurs techniciensetouvriers sont censé, dominer la gestion de documentations complexes ou étendues. sans qu'à aucun momentilne soit fait référence au contenu de ces documentations,
à
leurfonne,
àl'accessibilité du message. Ainsi, la rédaction de notices d'utilisation, de procédures
d'exploitation,derapports d'essais ne sont le plus souvent que des caricatures stéréotypées. La lecture
de
carners de commande client ignorée.Plus grave, les enseignants des disciplines littéraires sont totalement démunis dans le domaine du langage technique. Ainsi dans les Lycées Technologiques, ce sont
des
titulaires duCAPES Lettres
qui enseignent le français, tandis que dans les Lycées Professionnels les enseignements généraux. sont confiés
à
des professeurs bivalents, très rarement fonnés au texte technique ou scientifique.La formationàla communication rechnique est abandonnée au professeur technique,qui,lui,ne posséde aucune compétence en linguistique.De
même, dans la plupart des IUT,lesCOUTSdeCommunication étant axés sur l'utilisation de l'infonnatique, et non sur l'élaboration et la transmission des informations etdesconcepts sur lesquels travaillent les étudiants.Pourtant il semble possible de proposer des stratégies de formation au langage technique.
4. QUELQUES STRATÉGIES DE FORMATION AU LANGAGE TECHNIQUE
4.1 Familiariser avec les étapes de la pensée
Pour Astolfi J.P. ( 1986)ilest important de fonner les élèvesàdistinguer les différents modes de fonctionnement du discours, afin de permettre une meilleure compréhension et une meilleure réflexion scientifique.Ilsuggère de faire travailler les élèves sur la sOUcturation progressive des démarches de recherche
par
de l'écrit, afin de pennettreà
l'élève d'éprouver les interactions encre langage et pensée qui sont le ferment du développement cognitif. De plus le travail d'analyse de notices techniques.dedescriptifs professionnels, serait un moyendefamiliariseravec
la forme et les styles des textes technico-scientifiques.4.2
D()nner desoutils de
synthèseDe
leur côté les travaux de Dalcq A.E. nous incitent à proposer une utilisation de la démarche de schématisation, même faceà
des textes littéraires. Cette démarche ayant pour objectif d'amenerà
modéliser,àextraire l'essentiel. En effet au cours de travaux destinés à la comparaison des effets de différents supports ou langages conceptuels sur l'apprentissage de notions, Vezin J.F. (1974 et
1986) constate que la meilleure efficacité est réalisée lorsqu'il y
a
correspondance entre letypede schéma et le type de texte,Par
exemple si le schéma est abstrait et si le texte ne compone pas d'exemple.L'aide à apporter aux. élèvespoUfaugmenter l'efficacité de leur apprentissage passe par l'utilisationde démarches de schématisation. Ainsi Joshua (1984) constate que la réalisation d'un
montage
électtique simple (va
et vient)en
disposant du matériel etde
la possibilité de tatônner pour réaliser la tâche, aboutità une forte proportion d'échec parmi des élèves de Lycée. alors que lamiseà disposition d'un schéma même incorrect entraîne une augmentation très significative du nombre de réussites. Donc le schéma, par la miseen
relation d'un nombre considérable de données, intensifie l'activité d'étude du lecteur, cette activité se conservantàunhaut niveau même lorsque le sujet revient auxreprésentations
concrètescorrespondantes.
4.3
Reconstruire ses représentationsPour sa part Vezin considère que le type de représentation utilisée n'est pas seulement un moyen de véhiculer la connaissance que le sujet aura
à
s'approprier, elle est au contraire un facteur essentiel dutypede connaissance que le sujet aura assimilé. En effet la connaissanceà s'approprier n'est pas constituée d'une suite de connaissances élémentaires qui vont s'enchaîner boutà bout pour parvenir à une connaissance supplémentaire. mais au contraire d'ensembles conceptuels cohérents qui devront s'articuler en ensembles plus vastes. et dont le médium privilégié de transmission sera le langage. ses symboles et ses procédures facilitantes. On peutfaire l'hypothèse que la structure de schéma. étant trés proche de la structuration cognitive, entraîne une fonction d'économie.S. LE LANGAGE TECHNIQUE NE DOIT PAS DEVENIR UNE DISCIPLINE
SCOLAffiE SUPPLÉMENTAIRE
S'il semble, au travers de ce qui a été développé plus haut. nécessaire de former au langage technique en tant que vecteur de la construction du savoir, il ne me semble en revanche pas pertinent de le faire à travers la création d'une discipline scolaire supplémentaire. En revanche, il est plus tentant d'introduire des textes techniques, comme éléments culturels et objet de travail; dans l'apprentissage de la langue. Cette introduction ne devant pas uniquement se faire dans l'enseignement technique et professionnel, mais aussi dans les collèges et les lycées, puisque le texte technique n'est qu'un cas particulier de tex.te.
Certes cela n'est possible que si les enseignants n'en ont plus peur, ce qui nécessite qu'ils se rendent familier.; de ce type de productions.
Par
exemple en utilisant, comme support de production de texte, des situations techniques ou professionnelles, des objets techniques familiers... Par ailleurs une pratique volontariste. au sein des lUFM en création, serait certainement un fennent dans ce sens.BIBLIOGRAPHIE
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