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ARTheque - STEF - ENS Cachan | L'imaginaire périodisateur

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Academic year: 2021

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L'IMAGINAIRE PERIODISATEUR

Henri MONIOT

u.F.

de Didactique des Disciplines, Université de Paris 7

MOTS-CLES: PERIODE - CONFIGURATION.

RESUME : La périodisation conjugue un principe de rangement et un principe d'interprétation. L'interprétation est double: la suite des périodes fait sens, le portrait de chaque période fait sens. L'imaginaire configure sur ces deux lignes, plus visionnaire que rigoureux.TIpasse vite la mainàla fantaisie ouàla révérence scolaire.

SUMMARY : Making periods is together to arrange and to give meaning. The meaning is twofold : by the succession of the periods and by the picture of each period. The creative imagination shapes in these two fields. But the fancy or the reverent repetition soon take over from il.

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1. PERIODISATION ET IMAGINAIRE

Appelons périodisation cette façon de découper, d'ordonner et d'embrasser, en quelques époques successives, un objet quelconque - tout objet susceptible d'être pensé historiquement: l'histoire dite universelle, la France ou l'Eglise, le costume ou l'attitude devant la mort en Occident, les investissements européens outre-Mer au XXèmes ou la didactique des disciplines. Cette procédure se rencontre d'abord chez les historiens qui périodisent à foison - l'increvable bande des quatre (Antiquité, Moyen Age, Temps modernes, Epoque contemporaine) n'étant que la plus célèbre d'une ribambelle de périodisations passées, présentes et à venir, à toute échelle. Mais les romanciers et les essayistes n'en dédaignent pas l'usage, ni nous tous dans l'exposé de nos expériences ou la fresque de nos représentations. Et plus d'un "scientifique" s'y engageà l'occasion, s'agissant de l'histoire de l'univers, de la terre, de la vie, de l'homme ou des sciences.

Je concède que la périodisation n'est souvent qu'une commodité platement scolaire ou une marotte culturelle - l'antithèse de ce que le beau nom d'imaginaire peut convoquer. Mais ce n'est pas son lot nécessaire, ni son visage premier. Elle commence par une pensée vive: un jour, quelqu'un forge une nouvelle configuration sensée des choses dans le temps, par une initiative hardie, inventive. Il a fallu d'ailleurs, pour le périodiser, concevoir d'abord un objet qui ait à la fois une homogénéité d'ensemble, à quelque titre, une originalité distinctive, à quelque titre, et des modifications remarquables, à quelque titre.... ; et ce sont là plus ou moins des postulats (sur lesquels la pensée vive peut prendre son essor), plus ou moins des présomptions (que la périodisation va tester et faire fructifier), plus ou moins des résultats (que la périodisation élabore, met en forme, rend visibles de façon simple et forte). C'est bien l'exercice de l'imaginaire que mobilisent les risques et l'initiative de cette opération.

Mais, à peine est-elle énoncée et acceptée, la périodisation passe dans les synthèses, les cours, les manuels, les conversations, les programmes... car elle a pour plaire (cf infra). Elle devient pensée morte, référence, institution, case naturelle. Si l'on a encore envie alors, de parler d'imaginaire, c'est dans un tout autre sens: celui de l'illusion mentale qui attribue aux artefacts de l'historien une réalité directement tirée du passé, par retrouvaille, et qui nous fait "voir" la cohorte de nos ancêtres passer d'un lieu temporel qui serait l'Antiquité à un autre qui serait le Moyen Age, habités chacun à leur tour, et qui nous ferait passer de-là ensuite avec eux à la Renaissance... à peu près comme nous passons par la pensée de France en Suisse et de Suisse en Italie, en nous remémorant les dernières vacances ou en préméditant les prochaines. Mais cette question fascinante n'est pas propre à la périodisation, elle est celle de la sorte de connaissance qu'est la connaissance historique, celle du degré auquel la vie sociale et individuelle supporte ou ne supporte pas d'avoir avec le passé un rapport intellectuel désenchanté, ou une connivence joueuse mais lucide, ou une crédulité toute mitonnée dans les enjeux du présent - elle est celle aussi de la "spatialisation" de nos représentations temporelles. On ne s'arrêtera pas ici sur un point qui mènerait si loin!

La périodisation nous repasse une troisième fois un plat qu'on peut nommer "imaginaire". Les périodes, nées comme pensées vives, ne circulent pas seulement comme des cases toutes faites, elles peuvent revivre et rejouer dans tout public et en toute occurrence, selon les pentes, les conunodités et

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les appels des représentations courantes. Les expressions publiques de l'histoire, l'histoire enseignée, l'histoire vulgarisée, la science vulgarisée, voire l'histoire savante dans ses marges imprudentes, font des périodisations installées des usages ou des reprises qu'on dira imaginaires ou fantaisistes, selon l'humeur.

2. POSITIONS

La périodisation conjugue deux principes : un principe de rangement et un principe d'interprétation. Les deux ne sont pas si foncièrement distincts: ranger suppose déjà une logique à l'oeuvre, et interpréter met de l'ordre dans le chaos foisonnant. Mais on sent bien qu'il y a là deux ambitions qui ne sont pas de même sorte, et que les périodisations rencontrées sont inspirées plutôt par l'une ou par l'autre: soit une prétention d'exposé construit et calibré, à laquelle l'ordre de succession se prête bien, soit une prétention d'intelligibilité que la périodisation sait mettre en scène.

La périodisation a bien des ressorts et bien des fonctions, ce qui fonde son succès. Savants: heuristiques, synthétiques, récapitulatifs... Idéologiques et psychologiques: réduire l'angoisse et l'incertitude en disant d'où nous venons et où nous allons. Pédagogiques et culturels: ossature des histoires scolaires, pense-bêtes ou bonnes formes du savoir social, mode de rangement parmi d'autres du contenu des livres encyclopédiques....

Une périodisation repose sur une référence majeure, un ingrédient fondamental: un lot de données disponibles sur lesquelles on greffe un sens beaucoup plus large (ainsi les pierres de la "préhistoire", exemple choisi parK. POMIAN,1984, p.159-161), ou un principe qu'on répute porteur d'une intelligibilité globale (les modes de production), ou une tonalité générale intuitivement accordée à des moments choisis (Rome antique, le siècle de Louis 14), ou les mesures beaucoup plus soigneuses et continues de phénomènes, dont les fluctuations montrent des ruptures, des accélérations, des modifications ou des "tournants" (qu'il s'agisse de mouvement des prix ou de christianisation)....

Mais le trait le plus fort de la périodisation est ailleurs encore.

3. L'ACTE PERIODISATEUR

Dans sa part interprétative, la périodisation joue sur deux tableaux: la suite des périodes fait sens, le portrait signalétique de chaque période a du sens (en gros, et pour dire cela de façon simplette: "Moyen Age" signifie, à la fois de venir après l'Antiquité et avant la Renaissance, et d'avoir son signalement "médiéval"). Loin d'être une machine seulement temporelle, la périodisation court sur les deux lignes qui sous-tendent un peu partout nos efforts de connaissance:

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-typologie - analyse structurelle - système,

la ligne récit succession enchaînement engendrement mutation processus genèse -évolution.

Mais elle butineà convenance sur chacune des deux lignes. Cest une pratique plus visionnaire que rigoureuse. Visionnaire et nécessaire, si elle reste avouée et contrôlée : la connaissance historique, entièrement construite par nos soins présents, repose sur un travail, constant et toujours ouvertàreprises diverses, de configuration du réel, une double configuration narrative et structurelle, qui tente de nouer des régularités, mais sectorielles, et des évolutions globales, mais faites de leurs rencontres hasardeuses en.lilldes possibles (les "noces de la loi et de l'aléa", selon l'expression de L-CL.PERROT,1981, p.6). Un tel travail est général en histoire, la périodisation en est une forme simple, libre et forte. Mais elle est moins réellement "imaginative", si elle penche surtout du coté du souci de rangement, ou si elle louche trop du côté de la "chronosophie", porteuse d'un discours sur l'histoire et sur son sens global, qui accompagne plus d'une fois les procédures réellement critiques, chez des historiens, depuis presque deux siècles d'un tel métier, qui devient alors aussi celui de "maîtreàpenser" (les "scientifiques" connaissent également cela).

4. DERIVES

Parmi les dérives les plus fortes de l'imagination périodisatrice, il y a la mise sur une même ligne d'histoires qui sont plutôt coulissantes l'une dans l'autre, et les passages complaisants de relais. La préhistoire, dont le nom se prête si bienàce qu'on en parle vraiment "comme on veut, quand on veut", est un terrain fréquent de la première dérive. Quand elle n'est pas exclue d'une histoireàla porte de laquelle on la fait piaffer avec des arguments bien contingents, elle est traitée avec des audaces vertigineuses - que ce soit parce qu'il faut réunir dans un premier chapitre scolaire "les connaissances essentielles", ou pour montrer une fumeuse "accélération de l'histoire", ou par l'emploi démagogique d'une écriture dite de vulgarisation, ou pour des "argumentations" autour des origines... Alors le Proconsul, Lucie, les facteurs de galets aménagés, les décorateurs de Lascaux, les premières sociétés agricoles, quand ce ne sont pas les Bochimans... sont enfilés les uns après les autres comme les moments enchaînés d'un même récit, les acteurs du même théâtre, les états successifs d'un même objet historique. L'Afrique de l'Est, "berceau de l'humanité" devient aussi la première période de l'histoire de l'Afrique noire (et ce serait une consolation maigre et trompeuse que d'y voir un juste retour des choses après le mépris portéàdes Africains supposés "sans histoire" : les deux "argumentations" historiques sont à la fois dérisoires dans leur base factuelle et effarantes dans leur principe même). Il n'y a pas un début de l'histoireàpartir duquel on pourrait égrener tout ce qu'on sait et tout ce qu'on a à dire. Il y a , pour chaque objet qu'on sache explicitement se représenter et construire, des moments à partir desquels on peut en traiter, dans les formes qui lui conviennent spécifiquement. L'histoire de mon quartier coulisse dans celle de ma ville qui coulisse de plusieurs façons dans celle de mon pays, qui coulisse de plusieurs façons dans celle des sociétés agricoles de l'Europe.... , qui coulisse quelque part dans celle des Primates, et celle-ci dans bien d'autres, mais le

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Big Bang n'est pas le premier moment connu de l'histoire de mon quartier.

C'est par une complaisance ou une inconscience cousines que dans les fresques générales d'histoire (sinon dans les études savantes, trop pointues pour cela), on procède à des monopolisations de ftIiation et à des constructions idéologiques et sentimentales où, par exemple,le déroulement des exposés semble faire tout naturellement de la Grèce et de Rome une première étape de notre histoire occidentale:ilest clair que beaucoup de nos "sources" sont là, les témoignages en abondent, simplement ce ne sont pas les seules et nous n'en sommes pas la seule "descendance", pas plus que l'opposition fonement intériorisée Occident/Orient ne coule réellement de ce lointain passé (Th. HENTSCH, 1988). Les besoins d'un enchâssement global des récits historiques dans des manuels généraux, et les usages culturels du passé, nous font plus d'une fois sauter d'un train dans un autre à la faveur du passage dans de mêmes gares. C'est l'imaginaire social, et non plus l'imaginaire savant, qui s'exerce ici.

5.PROTECTIONS

Comment préserver les publics, scolaires et adultes, des dérives fantaisistes aussi bien que des fIxations référentielles des périodisations ?

On peut d'abord espérer des historiens, des auteurs et des professeurs en tout genre, une explicitation, même discrète dans la forme, de leur machinerie périodisatrice : ne se pique-t-on que de ranger ou de rendre intelligible? sur quel objet, clairement, porte tout au long la périodisation ? quel en est l'ingrédient foncier, et à quelles conditions? quelle compréhension apporte cette mise en forme?

On peut quelquefois concevoir des exercices qui donnentàl'élève lui-même une posture périodisatrice - des thèmes s'y prêtent et un lot de manuels peut donner des matériaux. L'intérêt n'étant évidemment pas dans le caractère novateur (pour l'historien) des périodisations produites mais dans la position momentanément occupée (novatrice pour l'élève) où l'on éprouve pratiquement ceci: que mettre en ordre sensé des données, c'est un exercice où l'on prend des responsabilités, où l'on rencontre des exigences et des implications, et que c'est licite pour tout le monde.

On peut aussi fréquenter des périodisations de fiction, qui, portées par le "pacte de lecture" qui est celui du roman, hors de la révérence induite par la majesté de la vérité historique et du savoir historien savant, donneront prise sur le jeu intellectuel de la "mise en signification" de l'histoire, à partir de cas où les données sont bien contraintes, comme elles le sont en histoire historienne, sans être contraignantes, du moinsàla façon dont elles le sont dans cette même histoire. VoyezLe Turbot,de Günter GRASS 1979, réécriture historique du conte "Le pêcheur et sa femme", qui raconte un âge de pierre, temps du matriarcat et des femmesàtrois seins, suivi d'un âge de fer, matriarcal encore mais aux femmes

à

deux seins, puis neuf moments de l'histoire, autour des neuf femmes qui ont accompagné les neuf vies du pêcheur confIdent d'un turbot parleur - chaque moment est situé dans le temps et l'espace et par des événements significatifs. C'est une histoire du passage du pouvoir des femmes aux hommes et du maintien par celles-ci d'un pouvoir culinaire effIcace, une

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histoire plantée résolument dans le problème actuel des rapports entre sexes, et un récit nouéà divers niveauxà des parodies de schèmes périodisateurs pillés dans l'histoire, l'anthropologie et la politique "sérieuses" .

On peut, on doit enfin subvertir la périodisation elle-même et reeourir à d'autres machineries. Refonnuler toujours ses problèmes pour rester attentif à l'objet même qu'on prétend saisir, cela peut ameneràdonner aux "origines" leur aspect de "représentation-problème" et non celui de "première étape", doncà les traiter comme une question ouverte et non comme une période. Cela peut aussi ameneràfaire voler en éclat les fonnes superficiellement évidentes de l'histoire dudit objet, etàfaire tout autre chose que périodiser : l'histoire des sciences en donne des occasions justement connues, soit sur le mode épistémologique et générai que Canguilhem a fonnulé dans quelques textes célèbres, soit sur le mode pratique illustré parA. GIORDANet ses complices (1987) qui remplacent la majesté périodisatrice idéale d'un savoir savant descendant le cours de l'histoire par ses moments dispersés de construction : des positions de problèmes, des formulations conceptuelles, des sensibilités théoriques, des cheminements individuels tordus.

6. BIBLIOGRAPHIE

GIORDAN CA)dir., 1987.. Histoire de la biologie. Ed. Lavoisier, coli.Tee et Doc, Paris, Tome1. GRASS (G), 1979. - Le turbot. Ed.LeSeuil, Paris, trad. (00. allemande originale, 1977). HENTSCH CT.), 1988. - L'Orient imaginaire. Ed. de Minuit, Paris.

PERROT (J.Cl.), 1981. - Le présent et la durée dans l'oeuvre de F. Braudel. In Annales,

Economies, Sociétés, Civilisations, 36ème année, l, janvier-février, 3-15.

Références

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