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Corps, douleur et risque dans le processus menant à privilégier l'accouchement physiologique et le suivi sage-femme

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Corps, douleur et risque dans le processus menant à

privilégier l’accouchement physiologique et le suivi

sage-femme

Mémoire

Anne-Marie Rouillier

Maîtrise en anthropologie

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

© Anne-Marie Rouillier, 2015

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iii

Résumé

Ce mémoire porte sur l’expérience de femmes québécoises ayant accouché à domicile ou en maison de naissance auprès d’une sage-femme. Afin de mettre en lumière leur vécu, vingt mères ayant accouché tout au plus quinze mois auparavant ont été rencontrées lors d’entrevues semi-dirigées. Quatre sages-femmes ont aussi parlé de leur pratique. L’analyse des propos des mères a mis l’accent sur les concepts de corps, de douleur et de risque afin de comprendre la façon dont celles-ci ont vécu et intégré leur dernière expérience périnatale. De ces témoignages ont émergé trois types d’expériences de la naissance auprès d’une sage-femme, laissant entrevoir combien cet événement est aussi unique que la femme qui le vit. Ainsi, pour certaines femmes, l’accouchement auprès d’une sage-femme va de soi, pour d’autres il vise à réparer déceptions, blessures ou traumatismes, et enfin pour certaines, cela permet de s’éloigner des protocoles hospitaliers et des interventions potentielles.

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Abstract

This thesis focuses on the experience of Quebec women who delivered at home or in a birthing center with a midwife. To highlight their experience, 20 mothers who gave birth at most 15 months before we met for semi-structured interviews. Four midwives have also shared their practice. The analysis centers on the mothers’ experiences and focuses on the concepts of body, pain and risk in order to understand how they lived and interpreted their last perinatal experience. From these testimonies, three types of experiences have emerged suggesting how this event is as unique as the woman who lives it. Thus, for some women, childbirth with a midwife is the obvious choice, for others it serves to repair previous disappointment, injury or trauma, and finally for some, it is to get away from the hospital protocols and potential interventions.

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Table des matières

Résumé ... iii

Abstract ... v

Table des matières ... vii

Avant-propos ... xi

Introduction ... 1

CHAPITRE 1 : Mise en contexte ... 5

1.1 Modèles de soins périnataux ... 5

1.2 Périnatalité au Québec : Histoire et politique ... 7

1.3 Les particularités de la pratique des sages-femmes ... 9

CHAPITRE 2 : Cadre conceptuel ... 13

2.1 Le corps ... 13

2.1.1 Le corps-machine, le corps morcelé... 14

2.1.2 L’alliance et le dualisme corps-esprit... 15

2.1.3 Affectivité, émotions et corps ... 16

2.2 La douleur ... 17

2.2.1 Douleur et dualisme corps-esprit ... 17

2.2.2 Sens de la douleur ... 17

2.2.3 Douleur initiatique, douleur sacrée ... 19

2.2.4 Vivre la douleur, soulager la douleur ... 20

2.3 Le risque ... 21

2.3.1 Risque, surveillance et contrôle social ... 22

2.3.2 La responsabilité face au risque ... 22

2.3.3 Le blâme de soi et le blâme d’autrui à l’égard de la prise de risque ... 23

2.4 Proposition de recherche ... 24

CHAPITRE 3 : Cadre méthodologique ... 25

3.1 Stratégie de la recherche ... 25

3.2 Collecte de données ... 27

3.2.1 Échantillonnage et recrutement des participantes ... 27

3.2.2 Technique d’enquête ... 28

3.3 Cadre d’analyse ... 30

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3.4 Considérations éthiques et limites de la recherche ... 31

CHAPITRE 4 : Portrait des participantes ... 33

4.1 Portraits des mères qui ont fait un choix « naturel » ... 34

4.2 Portrait des mères qui ont fait un choix « réparateur » ... 35

4.3 Portrait des mères qui ont fait un choix « réaliste » ... 36

4.4 Conclusion ... 37

CHAPITRE 5 : Accoucher avec une sage-femme, ça va de soi! ... 39

5.1.1 Explorer ses limites ... 40

5.1.2 Donner du sens à la douleur de l’accouchement ... 41

5.1.3 Vivre la douleur entourée de personnes aptes à proposer des méthodes naturelles de soulagement ... 44

5.2 Le rapport au corps construit autour de la confiance des femmes ... 47

5.2.1 La maternité comme un processus normal ... 47

5.2.2 Mon corps peut le faire par lui-même ... 49

5.2.3 Un moment de grande puissance ... 54

5.3 Le rapport au risque : lorsque la confiance est entachée par la peur du milieu hospitalier ... 58

5.3.1 Des femmes confiantes, des lieux rassurants ... 58

5.3.2 Craindre le transfert de soins ... 60

5.3.3 Le risque induit par les intervenants de la santé ... 63

5.4 Conclusion ... 65

CHAPITRE 6 : Accoucher avec une sage-femme pour réparer déceptions, blessures ou traumatismes ... 67

6.1.1 Accoucher sans médication pour vivre pleinement et sans risques la naissance ... 68

6.1.3 Lorsque la douleur est vécue négativement ... 71

6.1.4 Le discours intérieur qui aide à l’acceptation ... 73

6.2 Le rapport au corps bousculé qui appelle à la réparation ... 74

6.2.1 La sage-femme comme facilitatrice de la reconstruction de la confiance au corps ... 74

6.2.3 Le corps et les émotions ... 82

6.3 Le rapport au risque accentué par l’expérience passée ... 83

6.3.1 Le professionnalisme de la sage-femme et la sécurité des lieux qui rassurent ... 83

6.3.2 Une relation continue de confiance comme facteur de protection ... 85

6.3.3 Les risques d’interventions moindres comme élément sécurisant pour les mères ... 87

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ix CHAPITRE 7 : Accoucher avec une sage-femme pour s’éloigner des interventions et protocoles

hospitaliers ... 91

7.1 Le rapport au corps : bâtir sa confiance autour du choix éclairé ... 92

7.1.1 Choix éclairé : connaître les deux côtés de la médaille ... 92

7.1.2 Autonomisation et prise de pouvoir ... 94

7.1.3 Une fierté pour son corps et ses accomplissements très présente ... 98

7.2.1 Une douleur saine qui permet de transiter vers la maternité ... 100

7.2.2 Un douleur positive, une douleur sensée ... 103

7.2.3 L’intensité qui submerge et la peur de ne pas « réussir » l’accouchement sans médication ... 105

7.3 Le rapport au risque au cœur de la réflexion ... 108

7.3.1 La prise de conscience des mesures de sécurité mises en place par les sages-femmes.. 108

7.3.2 L’insécurité : la sienne et celle d’autrui ... 111

7.3.3 Des femmes à l’affut des risques du système de soins médicaux courant ... 113

7.4 Conclusion ... 117

Conclusion ... 119

Références citées ... 123

Annexe 1 : Affiche de recrutement des mères ... 127

Annexe 2 : Affiche de recrutement des sages-femmes... 129

Annexe 3 : Formulaire de consentement ... 131

Annexe 4 : Tableau synthèse des participantes ... 135

Annexe 5 : Schéma d’entretien avec les mères ... 137

Annexe 6 : Schéma d’entretien avec les sages-femmes ... 139

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Avant-propos

« When women’s voices are ignored in the construction of knowledge pertaining to pregnancy and childbirth, they become alienated from the experience. » (Perry 2008 : 5)

Fruit de longues heures de travail et de l’appui indéniable de nombreuses personnes, ce mémoire se veut avant tout un ensemble de voix de femmes. Les vingt mères qui ont accepté de témoigner de leur expérience de grossesse et d’accouchement jusque dans les détails les plus intimes et précieux sont les premières à être remerciées pour leur contribution essentielle à ce projet. De même, les quatre sages-femmes qui ont souhaité témoigner de leur parcours auprès des femmes enceintes, en plus de toutes les autres avec qui j’ai eu la chance d’échanger, ont permis d’ajouter un regard riche à mes propos. Je vous en suis reconnaissante.

Je ne peux passer sous silence l’exceptionnel soutien que m’a accordé ma directrice de maîtrise, Mme Marie-Andrée Couillard, insufflant à chaque rencontre une énergie nouvelle, une motivation à pousser plus loin mes efforts. Je vous remercie d’avoir cru que mon projet pouvait être porteur et que la thématique de l’accouchement et du droit de choisir pour les femmes n’était pas chose du passé, mais plutôt en perpétuel changement. Votre travail et votre bonté de cœur m’ont été de grande valeur.

Un merci plein de tendresse à mes enfants qui ont traversé avec moi les étapes menant à l’achèvement de ce mémoire. Damien, ta naissance aura éveillé en moi une grande curiosité pour l’expérience si puissante de la grossesse et de l’accouchement. Tu as su, à ta façon, me faire voir des choses que je n’aurais pas pu comprendre autrement. Petit enfant mystère, encore dans mon ventre à ce jour, merci de me faire découvrir encore une fois ce qu’être maman veut dire. Produire ce mémoire en même temps que je te créais en mon sein n’a pas été chose facile, mais je suis chanceuse d’avoir été si bien accompagnée par ta douce présence.

Je souhaite aussi remercier les deux hommes de ma vie. Samuel, mon amoureux et complice de tous les jours qui m’a si bien épaulée au cours de ces dernières années, croyant en moi et m’encourageant jusqu’au bout. C’est aussi grâce à toi si je suis aujourd’hui la femme et la mère que je suis. Et papa, toi le premier qui a si bien su me guider vers ce projet d’envergure, me donnant la confiance en mon potentiel, la croyance que je pouvais tout réussir si je m’y engageais avec conviction, merci. Tu as su, il y a longtemps, éveiller en moi la flamme pour le respect des droits de chaque être

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Merci aux trois formidables femmes qui ont pris soin de Damien des heures durant, me permettant de cogiter et de rédiger ; Lorie-Anne, Odette et Nirmala, je vous suis reconnaissante. Je porte aussi une profonde gratitude pour les gens autour de moi qui, à leur manière, avec tout leur amour, par des gestes simples ou par des discussions enflammées qu’on a pu mener, ont rendu mon expérience de mère étudiante plus aisée et plus stimulante : ma maman, Paul, Léandre, Delphine, Alice, Stéphanie Leclerc-Audet, Émilie Guimond-Bélanger et Tricia Arden Caldwell, merci.

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Introduction

La naissance d’un enfant est un évènement marquant et est considérée comme une forme de rite de passage (Davis-Floyd 2003 : 20). Des croyances, des mythes, des valeurs et des peurs entourent la grossesse et l’accouchement (Davis-Floyd et al. 2009 : 298 ; Jordan 1978). L’anthropologie permet une étude approfondie et offre la possibilité d’explorer la place dans la société de la femme enceinte, du nouveau-né et des gens qui gravitent autour d’eux. L’anthropologie permet d’envisager la maternité sous toutes ses formes, de comprendre la pluralité des modes d’accueil et d’éducation d’un enfant selon le milieu dans lequel il vit (Tillard 2002 : 13).

Au Québec, une petite proportion de femmes expérimente la naissance physiologique, c’est-à-dire sans interventions, en laissant le corps faire son travail, auprès de sages-femmes, généralement à domicile ou en maison de naissance plutôt que de se tourner vers les soins médicaux courants. Leur expérience alternative de l’accouchement mérite que l’on s’y attarde, qu’on l’étudie sous ses différentes facettes pour permettre, entre autres, une remise en question des pratiques de santé, spécialement auprès des femmes. Les travaux de recherche envisagés se situent dans la foulée de ceux de Saillant, Desjardins et O’Neill (1985) qui se questionnaient sur les raisons poussant les Québécoises à choisir l’accouchement physiologique avec une sage-femme avant la légalisation de la pratique. Suite à l’arrivée des sages-femmes dans le système de santé public en 1999, le portrait de la situation est certainement différent, mais peu documenté. Ainsi, je me questionne sur le processus qui amène les femmes québécoises qui choisissent le suivi périnatal auprès d’une sage-femme et la naissance physiologique à privilégier cette option.

Le premier chapitre de ce mémoire propose une mise en contexte au fil de laquelle les modèles de soins périnataux seront explicités afin de peindre un portrait général de l’univers de la naissance en Occident. D’une part, celui qui correspond à la tendance générale, que Rothman et al. (2007) appellent le modèle médical et que Davis-Floyd qualifie de technocratique (2003). D’autre part, la voie alternative, le modèle sage-femme (Rothman et al. 2007) ou holistique (Davis Floyd 2003). Ensuite, la périnatalité au Québec sera aussi contextualisée grâce à certains repères historiques et politiques plus précis dont l’élément phare est ici la légalisation de la pratique sage-femme en 1999.

Le second chapitre développe le cadre conceptuel de la recherche élaboré à partir de travaux en sciences sociales qui permettront à cette recherche anthropologique de s’articuler de façon cohérente. Trois concepts intimement liés à l’expérience de la naissance physiologique y sont développés : le corps, la douleur et le risque. C’est entre autres à l’aide de ces concepts que les

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questions posées en entrevues ont été élaborées. Ces derniers ont aussi permis la démarche d’analyse des données recueillies.

Le troisième chapitre est celui du cadre méthodologique qui relate la démarche suivie pour répondre de façon claire et efficace aux intentions de la recherche. Ainsi, la stratégie adoptée, la façon dont la collecte des données a été menée, le cadre d’analyse développé et la démarche permettant cette analyse y sont détaillés. De plus, y sont énoncées les considérations éthiques et limites de la recherche.

Le quatrième chapitre suggère un bref portrait des participantes au projet, 20 mères ayant accouché auprès d’une sage-femme tout au plus 15 mois avant l’entretien. Ces mères sont réparties selon trois groupes qui sont développés au fil des chapitres suivants et qui correspondent à la façon dont elles ont expérimenté le suivi périnatal sage-femme et l’accouchement physiologique. Ainsi, en optant pour une sage-femme, neuf femmes ont démontré un choix « naturel », cinq femmes ont fait un choix « réparateur » et six mères ont fait un choix « réaliste ». En ce sens, les chapitres cinq, six et sept détaillent l’analyse des témoignages des participantes selon les trois groupes précédemment cités. À cela se mêlent les propos des quatre sages-femmes rencontrées qui viennent enrichir les récits et l’analyse grâce à leur savoir issu de la pratique.

Le chapitre cinq est donc voué à ces mères pour qui l’accouchement avec une sage-femme va de soi, pour qui c’est tout naturel. C’est par le biais du rapport à la douleur perçue comme une sensation normale, le rapport au corps qui se construit autour de la confiance des femmes et enfin le rapport au risque qui se caractérise par une crainte du milieu hospitalier que seront étayés les expériences des mères de ce groupe.

Le chapitre six correspond aux femmes qui choisissent de vivre un accouchement auprès d’une sage-femme pour réparer déceptions, blessures ou traumatismes liés à une précédente expérience périnatale éprouvante. Dans ce chapitre, les femmes ont un rapport à la douleur qui se démarque par la compréhension des processus physiologiques permettant de mieux l’accepter. Elles ont, de plus, un rapport à leur corps qui a été bousculé par la précédente expérience périnatale troublante, celui-ci appelle à réparation. Enfin, leur rapport au risque est plus présent dans leur réflexion, prenant une importance particulière considérant l’expérience difficile passée.

Le chapitre sept développe l’expérience des mères qui ont opté pour le suivi sage-femme afin de s’éloigner des protocoles hospitaliers et des interventions potentielles, démontrant une démarche plus « cérébrale » face à leurs options en matière de grossesse et d’accouchement. Dans leur rapport à leur corps, les femmes recherchent vivement l’autonomie, la possibilité de choisir pour elle-même. Les femmes de ce groupe comprennent que la douleur de l’accouchement est normale, mais leur

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3 rapport à celle-ci se vit dans l’intensité. Dans leur rapport au risque, l’insécurité prend une place plus importante, et les possibilités de complications se placent au cœur de leur réflexion dans le choix du type de suivi périnatal.

Éloïse, une sage-femme répondante, a elle-même établi des courants parmi les femmes qui viennent la consulter selon les raisons qui les ont poussées à faire ce choix. Ce qu’elle propose rejoint la présente recherche à un point tel qu’il vaut la peine de présenter ici ses divisions. Tout d’abord, elle propose un groupe qui rejoint celui des mères ayant fait un choix « naturel » présentées au chapitre 5 :

Je pense qu’il y a plusieurs raisons différentes [de choisir une sage-femme] ; il y a presque autant de raisons que de femmes. On voit des courants. […] il y a les couples qui désirent accoucher hors centre hospitalier. Qui portent vraiment ça ou les femmes qui ont déjà une confiance en la nature, une confiance en leur corps assez prononcée que déjà en début de grossesse, elles savent qu’elles désirent accoucher chez elles ou dans un autre espace, un univers qui leur appartienne, dans leurs propres termes. […] [Elles] désirent justement accoucher naturellement pour plusieurs raisons, justement soit par « philosophie de vie », par lien avec leur corps qui est plus large dans le reste de leur vie, que pour elles c’est ça qui a du sens de sentir les choses, de sentir les événements, d’être partie prenante de ce qui se passe. C’est vraiment leur désir d’accoucher naturellement et d’être soutenue là-dedans.

Ensuite, Éloïse développe sur un groupe de femmes qui correspond à celles qui ont fait un choix « réparateur », présentées dans le chapitre 6 :

[On vient me chercher] suite à des accouchements vécus comme non respectés et parfois carrément traumatiques aussi, mais souvent juste d’avoir eu l’impression de cette perte de pouvoir-là, d’avoir été prise en charge, [d’avoir été] non consultées, non consentantes à beaucoup de gestes dans leurs corps. Ça arrive très fréquemment. On travaille beaucoup à déconstruire l’expérience antérieure. […] On parle de confiance en le corps, en la physiologie. Ces femmes-là partent déjà en arrière par rapport aux femmes enceintes d’un premier bébé par exemple, elles partent déjà avec la conviction que leur corps n’a pas été capable. […] Il faut détricoter beaucoup de craintes. […] Le lien au pouvoir de son corps est beaucoup fragilisé.

Enfin, la sage-femme suggère un dernier groupe qui correspond aux mères présentée dans le chapitre 7, celles qui ont fait un choix « réaliste » :

[Il y a] des femmes, qui au contraire, ont des connaissances des bienfaits d’accoucher naturellement, dans le respect de la physiologie et qui ont peur justement du monde médical, du centre hospitalier et qui ont eu assez d’informations pour saisir la difficulté de permettre à la physiologie de l’accouchement de se produire dans le système hospitalier, dans les protocoles médicaux qui, donc veulent venir chercher un soutien, mais qui n’ont pas nécessairement à la base la conviction que leur corps est capable, mais qui ont le goût, qui ont plus ce désir-là de… je pense que c’est « ça » qui me convient, qui me correspond et je veux mettre toutes les chances de mon côté pour pouvoir vivre cette expérience-là. Donc ils viennent chercher ce soutien-là et ce sont des femmes, des

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couples qui viennent chercher le miroir, la réassurance que : « Oui, c’est vrai que ton corps est capable! Oui, on va te le dire, on va te le montrer à travers la grossesse et au moment de l’accouchement. » Ils [les partenaires] ont comme besoin qu’on porte ça avec eux pour qu’ils puissent le porter eux-aussi. (Éloïse)

Éloïse, de par son savoir expérientiel, son expérience de la pratique, vient valider et nuancer mes propres observations qui seront développées au fil des pages du présent mémoire.

Finalement, la conclusion propose un bilan sur les expériences partagées par les mères et les sages-femmes. Cela permettra de revenir sur ce qui s’en est dégagé dans une perspective d’humanisation des naissances au Québec. De plus, certaines ouvertures sur des sujets de recherche connexes à explorer éventuellement sont proposées.

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CHAPITRE 1 : Mise en contexte

Au Québec, comme le démontre un sondage populaire réalisé en 2010 pour la CSN : « […] plus d'une Québécoise sur quatre souhaiterait accoucher, avec une sage-femme, en maison de naissance ou à domicile. […] En réalité, à peine 1,7 % des accouchements se déroulent à l'extérieur des hôpitaux. » (Allard 2013) Le choix d’un accouchement auprès d’une sage-femme gagne en popularité, mais demeure tout de même marginal actuellement. S’intéresser aux femmes qui s’identifient à la pratique des sages-femmes, c’est d’abord se questionner sur les modèles de soins périnataux face auxquels elles se retrouvent a priori. De même, comme l’accouchement physiologique – donc sans interventions médicales, en respect avec les processus naturels du corps – auprès d’une sage-femme s’imbrique dans un ensemble de mouvements sociaux spécifiques, il importe de les survoler avant d’aller plus loin afin d’éclairer cette trame de fond historique et politique qui pourrait avoir un impact sur le choix des femmes.

1.1 Modèles de soins périnataux

Rothman et al. (2007) et Davis-Floyd (2003) ont développé, initialement à une dizaine d’années d’intervalle, des modèles très pertinents quant aux soins entourant la naissance dans les sociétés industrialisées, modèles qu’elles ont revus et adaptés au fil des années. Leurs travaux convergent : il existe dans le milieu, de façon globale, deux univers. D’une part, celui qui correspond à la tendance générale, que Rothman et al. (2007) appellent le modèle médical et que Davis-Floyd qualifie de technocratique1 (2003). D’autre part, la voie alternative, le modèle sage-femme (Rothman et al. 2007)

ou holistique (Davis-Floyd 2003). Ces modèles de soins périnataux illustrent deux conceptions opposées de la naissance qui, selon les cas de figure, peuvent s’amalgamer, créant ainsi d’autres nuances2.

Les soins périnataux en biomédecine qui correspondent au modèle technocratique de Davis-Floyd (2003) considèrent le corps de la femme comme une machine possiblement défectueuse nécessitant une prise en charge médicale (Cheyney 2011 : 15). Dans cette approche, le bébé est conçu comme un produit délivré à l’hôpital, milieu visant l’efficience parfois au détriment de l’accompagnement global des

1 Pour Davis-Floyd (2003 : 44-48), qualifier ainsi les soins périnataux de technocratiques met en exergue la réalité

culturelle dominante de la bureaucratie et de ses dimensions hiérarchiques au sein même d’une médecine empreinte d’efficacité. L’obstétrique s’inscrit, selon elle, au cœur du paradigme technocratique présent dans les sociétés industrialisées et qui valorise la science, la technologie, le patriarcat et les institutions au détriment de la nature, des familles et des femmes.

2 Le titre du professionnel ou de la professionnelle n’est pas garant de son approche de la naissance (Rothman et

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femmes. Selon certains auteurs, le médecin serait un technicien efficace, prêt à agir au cours de la grossesse et de l’accouchement, perçus comme pathologiques (Cheyney 2011 : 14 ; Davis-Floyd 1993 : 282 ; Perry 2008 : 3). L’industrialisation a créé un engouement pour des soins de santé modernes qui sont perçus comme plus adéquats par rapport aux processus physiologiques. Il a été observé que ce modèle de soins a tendance à s’éloigner des besoins des femmes et de leur bébé pour se centrer sur l’efficacité (Perry 2008 : 5). Pour certaines femmes, une prise en charge plus ou moins totale de leur santé est envisageable, voire souhaitée ou nécessaire à leur condition. D’autres, toutefois, recherchent une autre approche.

Le modèle holistique de Davis-Floyd (2003) dépeint le corps féminin comme un organisme sain, capable de donner la vie s’il est entouré de personnes rassurantes (Cheyney 2011 : 15). Le bébé et la mère sont perçus comme une dyade inséparable dont la sage-femme prend soin. Comme le dit Rothman, une différence majeure se pose entre les deux modèles présentés : « The first major difference between the two models is that while medical management organized itself around a search for pathology, the midwifery model approached pregnancy as essentially normal and healthy, a period of psychological as well as physical growth and development. » (Rothman et al., 2007 : 52) En effet, pour les tenants de cette approche, la naissance est un évènement normal qui doit avoir lieu dans un environnement chaleureux comme le domicile ou la maison de naissance. La sage-femme se fait gardienne des processus physiologiques et de l’intimité de la femme (Cheyney 2011 : 14). Le modèle holistique va à l’encontre du rôle passif du patient qui s’est construit dans la pratique médicale et qui est lié à la position d’autorité décisionnelle des médecins, pour plutôt proposer aux femmes d’être actrices de leur processus de santé (Brabant 2001 : 56). Le modèle holistique valorise le choix éclairé et donc pleinement renseigné et sans coercition plutôt que le simple consentement à recevoir des interventions (Thachuk 2007 : 42).

Ainsi, c’est autour de ce modèle holistique qui considère la femme et son bébé dans leur ensemble, autant physique, émotionnel que spirituel que s’est construit le modèle unique de la pratique sage-femme au Québec. Les sages-femmes québécoises sont des professionnelles ayant complété une formation universitaire de quatre ans ou ayant complété avec succès des examens suite à une pratique empirique et appartenant à l’Ordre des sages-femmes du Québec. Elles sont habilitées à offrir un suivi pré, per et postnatal aux femmes qui vivent une grossesse normale, mais peuvent aussi répondre avec efficacité aux urgences obstétricales et néo-natales. Un suivi auprès d’une sage-femme permet un accouchement à l’hôpital, à la maison de naissance ou au domicile, et ce, au choix de la mère (Brabant 2001 : 64-68). Les sages-femmes proposent des façons de vivre la douleur naturellement, selon le contexte de chaque accouchement, que ce soit par l’homéopathie, les massages, le travail dans l’eau, etc., tout en étant alertes aux signaux de la mère et de l’enfant portant

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7 à croire qu’une intervention médicale serait bénéfique. La sage-femme est là pour préserver le processus naturel, s’assurer que les besoins et désirs de la femme soient comblés et qu’elle et son bébé soient en sécurité. La sage-femme est flexible et jongle avec les spécificités de chaque famille (Davis-Floyd et al. 2009 : 422).

Les scientifiques et les activistes pour la naissance humanisée s’entendent. Les revendications pour l’humanisation de la naissance, pour lesquelles les sages-femmes jouent un rôle important, postulent que la trajectoire du système courant de soins périnataux est une forme potentielle d’aliénation des femmes face à leur corps à cause de la façon dont celui-ci est conçu dans le milieu. Le modèle holistique propose plutôt une prise de pouvoir des femmes sur leur corps et leurs droits reproductifs pour que ces dernières réalisent leur projet de naissance, bref qu’elles puissent faire des choix éclairés selon leurs valeurs pour leur grossesse et leur accouchement.

D’ailleurs, la littérature entourant les choix se référant au projet de naissance déterminé par les parents, et spécialement par les mères, se développe en sciences sociales (Chasteen Miller et Shriver 2012 ; Cheyney 2011a ; Craven 2007 ; Lazarus 1994 ; Macdonald 2006 ; Malacrida et Boulton 2012 ; Perry 2008 ; Rothman et al. 2007 ; Thachuk 2007 ; Wilson et Sirois 2010). Les préférences des femmes à l’égard de la grossesse et de l’accouchement, notamment en ce qui concerne la professionnelle ou le professionnel qui effectuera le suivi périnatal, sont particulièrement présentes. Les auteurs se sont penchés, entre autres, sur l’intérêt de l’accouchement « naturel » comme moyen de préserver les processus physiologiques et de respecter la femme et l’enfant, le corps féminin et l’importance hors du commun d’une naissance.

1.2 Périnatalité au Québec : Histoire et politique

Depuis les années 1965-1970, une part importante des énergies collectives du mouvement des femmes et d’alliés de la cause a été consacrée à la santé, au respect et au bien-être des mères et des bébés pendant la grossesse et l’accouchement. Au Québec, plusieurs recherches ont mis en exergue le processus de médicalisation de la naissance et l’augmentation de l’importance d’interventions techniques au détriment des facteurs humains au moment de la prise de décision des professionnels de la santé (Laurendeau 1983 ; Saillant et al. 1985 ; Saillant et al. 1987 ; O’Neill et al. 1990). Plusieurs femmes chercheront des issues à cette déshumanisation des soins. Certaines alternatives en matière de santé, telles que la pratique sage-femme ou l’accompagnement à la naissance, ont été encouragées par le mouvement des femmes comme étant plus respectueuses des personnes.

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Les luttes des femmes et celles des sages-femmes se recoupent, faisant front commun pour le respect et l’équité. Comme le souligne Giroux (2008 : 15) : « La lutte pour la reconnaissance des sages-femmes au Québec s’inscrit donc dans cette longue lignée de luttes collectives du mouvement des femmes et est fortement liée aux revendications concernant l’humanisation des naissances et la réappropriation du pouvoir des femmes face à leur santé. » De 1975 à 1990, la pratique sage-femme, bien qu’illégale et tout de même marginale, existe et se développe. Certaines sages-femmes sont formées à l’étranger, d’autres ont appris leur métier par la pratique, mais dans les deux cas, leurs clientes acceptent une absence de cadre légal et assument les frais reliés à leurs services. Les revendications des femmes pour l’humanisation de la naissance deviennent de plus en plus claires au fil des années (Giroux 2008 : 10). Les femmes ont un sentiment d’injustice, une privation dans l’éventail de possibilités qui s’offrent à elles pour mettre leur enfant au monde (Giroux 2008 : 61-62). Les sages-femmes, elles, luttent pour leur reconnaissance, cherchant à faire valoir leurs expériences, leurs compétences de même que les savoirs transmis par des générations de femmes dans un contexte d’inégalités de genres (Stewart 2004 : 131).

Puis, de 1990 à 1998, sous le regard attentif de l’État, en plein cœur du virage ambulatoire visant à écourter les visites à l’hôpital et à offrir plus de soins à proximité des milieux de vie, les sages-femmes participent à des projets-pilotes permettant d’appliquer leur pratique dans un cadre institutionnel. Cette expérimentation d’une pratique normée pour les sages-femmes mènera le conseil d’évaluation des projets-pilotes à produire le « Rapport final et recommandations sur la pratique des sages-femmes » qui cautionnera le développement de la pratique québécoise (Ministère de la Santé et des Services sociaux, 1997). Les sages-femmes qui souhaitent continuer à exercer leur métier dans ce cadre balisé qui, entre autres, excluait les accouchements à domicile, ont du prouver leur savoir par le biais d’examens officiels menant à une accréditation ou refuser de s’y astreindre et poursuivre leur travail dans l’ombre (Giroux 2008). En 1999, la reconnaissance et la légalisation officielle de la profession, de même que l’intégration des sages-femmes au système de santé québécois fut un tournant majeur qui ne s’est pas fait sans obstacles. (Giroux 2008 ; Brabant 2001) Les années qui ont suivi la légalisation de la pratique sage-femme au Québec, de même que les expériences ailleurs dans le monde, ont démontré à quel point les pratiques entourant l’accouchement physiologique ont été modelées par les spécificités des femmes et des familles, mais aussi par les jeux politiques entourant la pratique sage-femme (Macdonald 2006 : 235 ; Kitzinger 1988 : 17). En effet, la naissance est un évènement intensément personnel, mais aussi d’ordre social et politique, comme le démontrent les luttes qui l’entourent (Kitzinger 1988 : 17).

Au Québec, selon les propos des sages-femmes elles-mêmes, les femmes ont recréé la profession, elles l’ont façonnée selon leurs souhaits de vivre des naissances humanisées sans

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9 toutefois être dans la marginalité. En fait, la sage-femme croit en la capacité de la femme à mettre au monde son enfant et à la normalité des processus physiologiques de la reproduction. Elle partage l’expérience de la naissance avec les femmes et les familles plutôt que de se placer dans un rapport de pouvoir. Nombre de recherches concluent sur un bilan positif de la pratique sage-femme; les femmes qui accouchent à la maison ou à la maison de naissance, donc généralement avec une sage-femme, sont l’objet de moins d’interventions et ressentent plus de satisfaction quant à la naissance de leur enfant (Stewart 2004 : 68 ; Wilson et Sirois 2010).

La pratique sage-femme, avec son approche holistique, est une des réponses aux parents qui réclament le droit de choisir entre les alternatives qui leur conviennent et désirent que les interventions systématiques cessent. Selon Davis-Floyd et al. (2009 : 4), un grand nombre de femmes qui ont accès à des soins de santé professionnels dans un cadre institutionnel pour leur grossesse et leur accouchement se sentent déroutées par leurs craintes et leurs interrogations à l’égard des soins qu’elles reçoivent. Parmi elles, plusieurs chercheront à résister à des procédures qu’elles perçoivent comme une intrusion dans leur intimité, leur autonomie. Les mères et les pères souhaitent reprendre du pouvoir sur l’expérience du devenir parent, bref avoir la possibilité de faire des choix éclairés et ainsi constituer le projet de naissance qui leur convient (Brabant 2001 : 57). À la lumière de ce contexte, il semble pertinent d’explorer l’expérience des mères qui choisissent, pour leur grossesse et leur accouchement, l’approche holistique du suivi auprès d’une sage-femme, plutôt que d’emprunter le chemin plus courant du suivi médical.

1.3 Les particularités de la pratique des sages-femmes

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Les sages-femmes, qui sont des professionnelles membres de l’Ordre des sages-femmes du Québec, proposent des suivis périnataux complets pour les mères et leurs bébés qui s’étendent de la grossesse jusqu’à 6 semaines suivant l’accouchement selon une philosophie et des normes de pratiques bien encadrées (voir annexe 7). Au 31 mars 2014, selon les chiffres de l’Ordre des femmes du Québec, il y avait 171 femmes professionnelles. En 2014-2015, 17 nouvelles sages-femmes s’inscriront à l’OSFQ pour la première fois. Les sages-sages-femmes qui pratiquent travaillent au sein de l’une des 17 maisons de naissance ou services de sages-femmes existants4 (Ordre des

3 Toutes ces informations ont été validées sur le site de l’Ordre des sages-femmes du Québec. Consulté sur

Internet (http://www.osfq.org/?lang=fr), juin 2014.

4Laurentides (Centre de santé et de services sociaux de Saint-Jérôme);

Mauricie et Centre du Québec (Maison de naissance de la Rivière); Bas-Saint-Laurent (Maison de naissance Colette-Julien);

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femmes du Québec 2014). Un tel suivi ne requiert généralement pas de rencontres médicales parallèles, à moins qu’une situation particulière survienne, comme une demande de retrait préventif, qui ne peut être signée que par un médecin.

L’Université du Québec à Trois-Rivières est le seul établissement québécois offrant la formation de sage-femme qui s’étend sur quatre années d’études intensives impliquant de nombreuses heures de stage auprès de préceptrices qui ont une bonne expérience de la pratique. Un stage en milieu hospitalier est aussi prévu afin que les étudiantes soient à l’affût des pratiques à l’hôpital, car elles auront à s’y rendre occasionnellement pour des transferts de soins. Des sages-femmes venues d’ailleurs peuvent aussi faire une mise à niveau pour pratiquer au Québec.

Un suivi auprès d’une sage-femme est possible dans le cas d’une grossesse normale et d’un accouchement sans particularités majeures. Une femme enceinte de jumeaux ou dont le bébé est demeuré en présentation du siège5, par exemple, ne pourrait pas vivre un accouchement avec une

sage-femme. Les sages-femmes procèdent aux prises de sang et autres tests routiniers au cours de la grossesse, de même qu’aux soins en cours d’accouchement et en période postnatale à moins qu’une complication demande un transfert hospitalier (par exemple, une déchirure du périnée trop complexe à réparer qui nécessiterait un spécialiste). Lorsque des examens complémentaires sont requis, une échographie, par exemple, la sage-femme fera une prescription à sa cliente6 qui se rendra dans un

centre hospitalier.

En cours de grossesse, la femme enceinte voit sa sage-femme principale une fois par mois jusqu’à 32 semaines. Les rencontres durent environ 1 heure pendant laquelle les paramètres de santé de la mère et du bébé sont mesurés (cœur fœtal, tension artérielle, poids, etc.) et divers sujets sont abordés (malaises courants, nutrition, préparation de la fratrie à l’arrivée du nouveau-né, etc.). À partir

Chaudière-Appalaches (Maison de naissance Mimosa); Estrie (Centre de maternité de l'Estrie);

Montérégie (Maison de naissance du Haut-Richelieu-Rouville); Montréal (Maison de naissance Côte-des-Neiges);

Montréal (Maison de naissance du CSSS de l'Ouest-de-l'Île); Montréal (Service de Sages-Femmes du CSSS Jeanne-Mance); Outaouais (Maison de naissance de l’Outaouais);

Nunavik (Maternité de Puvirnituq); Nunavik (Maternité de Salluit); Nunavik (Maternité d’Inukjuak);

Nunavik (Centre de Santé Tulattavik de l'Ungava);

Saguenay―Lac-St-Jean (Maison de naissance du CSSS de Chicoutimi); Lanaudière, Terrebonne (Maison de naissance CSSS du Sud de Lanaudière).

5 Présentation des fesses du bébé dans le bassin de la mère plutôt que la tête comme c’est généralement le cas. 6 Le terme « cliente » est couramment utilisé dans le réseau de la santé du Québec pour désigner les personnes

qui ont recours aux services de santé. Les sages-femmes l’utilisent elles aussi pour désigner les mères qui bénéficient de leur suivi.

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11 de 32 semaines, les rencontres ont lieu aux deux semaines; la femme enceinte verra sa sage-femme principale, en alternance avec la coéquipière de celle-ci. Cette dyade de travail assure donc une disponibilité 24 heures sur 24 et sept jours sur sept, demeurant joignables en cas d’urgence ou de questionnements. Lorsque le terme de la grossesse est atteint (37 semaines), la femme enceinte aura un rendez-vous par semaine avec l’une ou l’autre de ces sages-femmes coéquipières dans l’optique de créer un lien de confiance avec les deux professionnelles.

En effet, selon le jour de la semaine lors duquel aura lieu l’accouchement, la femme enceinte sera normalement sous les soins de l’une de ces deux sages-femmes qu’elle connait déjà. Au moment où la naissance devient imminente, une seconde sage-femme, qui n’est pas nécessairement connue de la mère, est appelée sur les lieux de l’accouchement. En cas de complication, la sage-femme de garde et cette seconde sage-femme pourront intervenir auprès de la mère et de l’enfant simultanément pour plus de sécurité.

De manière générale, les femmes qui choisissent un suivi sage-femme ont la possibilité d’accoucher à la maison de naissance, à domicile ou à l’hôpital7. Dans ce cas, une chambre est louée

dans l’établissement hospitalier à l’intérieur de laquelle la sage-femme est la responsable des soins de la mère et de l’enfant. La famille doit quitter trois heures après l’accouchement. Pour ce qui est des accouchements à domicile, certains critères doivent être vérifiés au préalable, comme la largeur des portes afin de permettre à une civière de passer en cas d’urgence ou la distance séparant la maison de l’hôpital partenaire. La maison de naissance, elle, est un lieu chaleureux auquel sont rattachées les sages-femmes pour une bonne portion de leurs activités, comme les rencontres prénatales et postnatales, les réunions d’équipe, etc. Quelques chambres d’accouchement sont disponibles avec toutes les commodités nécessaires telles que des bains pour les accouchements et une petite cuisine pour le séjour postnatal. C’est un endroit accueillant qui se veut un lieu sécurisant pour les femmes et les familles.

7 Dans certaines régions, les maisons de naissance ne sont pas encore fonctionnelles, donc les mères ont

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CHAPITRE

2 :

Cadre conceptuel

Nous avons vu que les personnes concernées par le domaine de la périnatalité ont toutes leur approche, leur vision de la façon dont il faut entourer de soins la femme enceinte, la femme qui accouche et la dyade mère-enfant. Les points de vue sont parfois complémentaires, d’autres fois carrément divergents (O’Neill et al. 1990 : 2). À la lumière de ce contexte québécois teinté par les luttes citoyennes pour le droit de choisir parmi les approches de la naissance, nous nous attarderons maintenant sur la littérature scientifique qui nous permettra de situer l’importance accordée par les femmes aux représentations de leur corps, de la douleur et du risque dans le processus menant à l’accouchement physiologique et au suivi auprès d’une sage-femme. La littérature en anthropologie médicale et en anthropologie médicale critique de même qu’en anthropologie du corps offre des précisions conceptuelles permettant de développer ces trois notions de corps, de douleur et de risque dans la présente section. Ce dépouillement de la littérature permet, de surcroît, d’appuyer l’orientation de la cueillette et de l’analyse des données.

2.1 Le corps

Le corps est abordé dans les études anthropologiques sous différents angles. Dans nos sociétés occidentales, le corps est généralement conçu comme une « machine » qui doit être contrôlée, inspectée sous peine de se dérégler, le personnel médical prenant une place de choix dans cette surveillance mécanique et ce calcul de risque. Le commentaire de Le Breton sur la nature du corps apparaît intéressant puisqu’il insiste plutôt sur la mouvance des représentations du corps et sur sa construction symbolique : « Le corps est une réalité changeante d’une société à une autre, les images qui le définissent, les systèmes de connaissance qui cherchent à élucider la nature, les rites qui le mettent socialement en scène, les performances qu’il accomplit sont étonnamment variées, contradictoires même […] » (Le Breton 1995 : 58). Ces propos font écho aux nombreuses facettes de l’expérience corporelle de la grossesse et de l’accouchement. La façon dont les participantes ont souhaité vivre leur projet de naissance est d’ailleurs en lien direct avec la représentation qu’elles se font de leur corps dans le contexte qui est le leur.

Ce corps pluriel, en anthropologie, est souvent abordé sous l’angle de l’incorporation ou, en anglais, embodiment. Des connaissances, découlant de l’expérience, de la pratique, de l’habitude, faisant partie de soi et de notre corps, forment le concept d’incorporation. Cheyney (2011 : 58) et Klassen (2001) font d’ailleurs état d’un embodied knowledge, une connaissance incorporée par l’expérience physique de l’accouchement. Pour Klassen, la naissance s’inscrit dans le corps et l’esprit

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de la femme, suggérant aussi un processus d’incorporation : « Birth sticks with a woman, remaining in her bones and her flesh as an embodied memory long after the baby has left the womb. » (Klassen 2001 : 3-4) Certaines répondantes expriment très clairement ces propos en expliquant combien, au-delà de la douleur, le souvenir de l’accouchement est demeuré marquant, elles se souviennent dans leur corps de cette sensation d’un petit être qui glisse hors d’elles et des puissantes sensations mises en branle par leur corps pour mener à bien le processus. Ici, une nuance importante survient lorsque certaines femmes parlent des procédés mis en place par leur corps pour mener à bien ce qu’il doit accomplir, comme c’est le cas lorsqu’il délivre un certain cocktail d’hormones euphorisantes aux femmes en travail pour leur permettre de traverser les douleurs des contractions. Ces mères suggèrent que leur corps possèderait ses propres compétences, ce qui ne correspond ni à l’idée d’un corps construit ni à l’idée d’un corps symbolique.

2.1.1 Le corps-machine, le corps morcelé

Dans les sociétés occidentales modernes qui ont vu l’industrialisation au 18e et 19e siècle

transformer le quotidien, le champ lexical concernant la machine est commun pour décrire le corps (Scheper-Hugues et Lock 1987 : 306). Mauss qualifiait d’ailleurs le corps comme le premier et le plus authentique des outils de l’homme dans Les techniques du corps (Mauss 1973 in Noland : 50-68). La conception du corps comme une machine sous-tend que « L’organisme est non seulement coupé de l’homme, mais il est privé de son originalité, de la richesse de ses réponses possibles. Le corps n’est plus ici qu’une constellation d’outils en interaction, une structure de rouages bien agencés et sans surprise » (Le Breton 2011 : 98). La métaphore de la machine, objet dénué de sensibilité, permet de conceptualiser le corps de la femme enceinte ou qui accouche. La machine, soit son corps ou son utérus, se doit de rendre, dans un temps délimité, un produit fonctionnel, soit un bébé en santé (Davis-Floyd 1993 : 282). Quéniart renchérit en soulignant que plusieurs femmes enceintes se sentent comme des « objets publics », de simples « porteuses de bébé » voire des « réceptacles » plutôt que des participantes entières de la grossesse (Quéniart 1988 : 128). De plus, Quéniart associe le médecin non pas à un confident ou un aidant, mais comme celui qui surveille le bon déroulement des processus physiques et répare les dégâts causés à la « machine » advenant le cas où la personne aurait échoué à répondre aux normes auxquelles elle devrait se conformer (Quéniart 1988 : 161).

Le Breton soutient que la médecine écarte des soins les spécificités de l’individu, la souffrance, pour se concentrer uniquement sur les processus organiques. L’individu est morcelé pour être soigné, considéré comme une machine biologique sophistiquée. Ne pas considérer le sujet derrière le symptôme serait à la fois une lacune et une raison de l’efficacité de la médecine (Le Breton 2011 : 109-113). Au moment d’interventions médicales majeures, ce sentiment de morcellement est

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15 particulièrement fort. Une partie du corps devient le centre de l’attention, manipulé par l’équipe médicale, comme détaché du reste du corps et des émotions (Martin 1987 : 76).

La médecine moderne aurait une conception éclatée du corps, ne le considérant pas dans sa totalité. En périnatalité, le morcellement du corps, mais aussi l’évacuation de la dimension socio-affective peut engendrer des pratiques qui favorisent la fragmentation du sentiment d’unité d’une naissance et touche profondément les mères et les bébés (Davis-Floyd 1992 ; Martin 1987 ; Rothman

et al. 2007 ; Macdonald 2006). Quéniart soutient l’idée du morcellement en nous livrant que « Le ventre

de la femme enceinte tend à devenir le relais entre le bébé et le médecin, notamment lorsque celui-ci a recourt à des techniques telles que l’échographie et le moniteur fœtal. » (Quéniart 1988 : 149). Pour la majorité des femmes de l’étude, de même que pour les sages-femmes rencontrées, ce morcellement n’est pas souhaitable : « Lutter contre le morcellement lié au suivi de la grossesse constitue un objectif important. En effet, la grossesse est marquée par de multiples examens où les interlocuteurs sont nombreux (sages-femmes, obstétriciens, échographistes, préparation à la naissance, suivi de fin de grossesse et accouchement). […] Pour diminuer ce sentiment de morcellement, un suivi personnalisé par une équipe limitée de professionnels peut être proposé. » (Nisand et Mirinsky 2010 : 1126) Plusieurs mères semblent justement rechercher le lien de confiance et la diminution du nombre d’intervenants en choisissant un suivi qui se veut plus continu auprès d’une sage-femme.

2.1.2 L’alliance et le dualisme corps-esprit

Le corps peut être conçu dans un raisonnement cartésien, en référence aux écrits de René Descartes. C’est la construction du corps selon ce raisonnement qui introduit une séparation entre les pensées et sentiments et le fonctionnement du corps (Blackman 2008 : 4). C’est sur ces prémisses que la médecine classique se serait bâtie (Le Breton 2011).

Le corps peut aussi être compris comme une construction sociale et culturelle, matière de symbole, objet de représentations et d'imaginaires (Le Breton, 2011). Cette alliance du corps et de l’esprit met en jeu une sensibilité, dévoilant l’unicité de chaque individu (Le Breton 2011). En effet, plusieurs anthropologues considèrent le corps et l’esprit comme intimement liés. Scheper-Hughes et Lock (1987 : 297) conçoivent le corps au-delà de sa présence matérielle dans le monde impliquant une représentation pluridimensionnelle : « […] an assumption of the body as simultaneously a physical and symbolic artifact, as both naturally and culturally produced, and as securely anchored in a particular historical moment. » (Scheper-Hughes et Lock 1987 : 297).

Dans la transition vers la maternité, il y a une quête pour faire valoir le corps et l’esprit comme un tout puisque, comme le souligne Martin (1987 : 159), malgré la diversité des personnes et des

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valeurs, un thème demeure récurrent : il s’agit de la recherche d’un sentiment d’unité, d’harmonie entre les besoins physiques et émotionnels. Malgré tout, Martin (1987) affirme que les femmes peuvent envisager leur corps comme séparé de leur esprit à certains moments charnières de leur vie. À titre d’exemple, elle souligne que les contractions de l’accouchement semblent être plus souvent décrites comme subies passivement, traversant le corps, démontrant une séparation corps-esprit, plutôt que comme une force avec laquelle la femme travaillerait activement (Martin 1987 : 86). Certaines répondantes, minoritaires toutefois, ont en effet fait état de sensations venues de l’extérieur d’elles-mêmes pour décrire les contractions. Celles-ci les laissaient plutôt démunies, terrassées. Les répondantes qui percevaient les contractions comme une force de leur propre corps semblaient plus enclines à les concevoir comme positives.

2.1.3 Affectivité, émotions et corps

Les émotions ressenties par le corps apparaissent comme une composante permettant une compréhension plus approfondie, plus riche de ce dernier dans sa perspective holistique. Ce corps sensible qu’est le corps qui ressent (feeling body) est perméable à ce qui se passe autour de lui, aux émotions qui le traversent. Selon Sheets-Johnston (1992 : 141), le corps est touché par les autres corps, l’atmosphère, les saisons, l’air, l’eau, le milieu urbain, etc. Ainsi, il est plus qu’une masse de chair, il est vif (vitalist body) (Blackman 2008 : 10). Le corps fait état d’une intelligence de la chair, il est un corps affectif (affective body) qui vit des émotions. Il est le théâtre d’un langage de l’affectivité : le corps peut donner et recevoir d’autrui (Blackman 2008 : 56-57).

En ce sens, Davis-Floyd et al. soulignent un élément qui est généralement éludé. Le sexe et la naissance sont inextricablement liés. Ces moments impliquent les émotions au-delà de l’expérience corporelle : « There was no way to escape the evidence that was becoming incontestable: sex and birth are physiologically parallel events, but are interpreted as entirely separate. […] As in sex, there’s much more in human birth than you can find in the measurements of the body. A new dimension in birth was opened to me – the impossibility of dissociating feeling and emotions from the known physiological aspects of labor and birth. […] When sexuality emerges with such strength during childbirth it is impossible not to see the uniqueness of the psychological and physiological responses to this event: body and mind inextricably connected. » (Davis-Floyd et al., 2009 : 273) Pour renforcer ce propos, Scheper-Hughes et Lock soulignent que les émotions vécues au cours d’évènements de grande intensité laissant place à la transe, à la sexualité – la naissance d’un enfant, moment culminant de la sexualité, en étant un exemple avec ses moments de plénitude liés aux endorphines – créent un liant entre les facettes du corps. Les émotions vécues donnent une couleur particulière à ces expériences et offrent des possibilités uniques d’analyse du corps conscient (mindful body), et des trois composantes

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17 du corps qu’elles distinguent : « Analysis of these events offers a key to understanding the mindful body as well as the self, social body and body politic. » (Scheper-Hughes et Lock 1987 : 310).

2.2 La douleur

En anthropologie, tout comme le corps est abordé de multiples façons, la douleur peut être conçue selon des angles différents – dans la science on la considère généralement construite. La douleur qui serait symbolique est une autre des voies possibles. Le Breton propose que plus qu’une réaction physiologique du corps, la douleur serait teintée du sens qu’on lui donne : « Parce que la douleur n’est pas un fait biologique brut, mais reçoit toujours l’empreinte de la signification que l’homme lui donne, elle n’est jamais tout à fait hors de son atteinte. » (Le Breton 1995 : 79) Selon les référents de chacun, la douleur est comprise et vécue différemment : « Toutes les sociétés définissent implicitement une légitimité de la douleur qui anticipe sur les circonstances sociales, culturelles ou physiques réputées pénibles. Une expérience cumulée du groupe amène ses membres à une attente de la souffrance coutumière imputable à ces évènements. L’accouchement en est un exemple. » (Le Breton 1995 : 108) Différentes composantes anthropologiques et sociales ont une influence « […] sur la tolérance, l'expression et même la perception de la douleur. Leur interaction donne à la douleur de l'individu sa dimension si personnelle. » (Atallah et Guillermou 2004 : 723) Ainsi, la douleur ne sera pas perçue, acceptée et soutenue (ou tue) de la même façon pour tous, puisqu’elle s’inscrit dans la culture dans laquelle l’individu souffrant a été socialisé (Zborowski 1969).

2.2.1 Douleur et dualisme corps-esprit

La douleur, dans le dualisme cartésien, est davantage conçue comme une manifestation physique, un symptôme en réponse à une lésion (Allué 1997 : 117 ; Atallah et Guillermou 2004 : 723). En Occident, c’est le dualisme cartésien à la base de la biomédecine qui est la toile de fond générale sur laquelle se dessinent les représentations du corps et de la douleur qui le traverse : « […] le savoir biomédical, savoir officiel du corps de nos sociétés occidentales, est une représentation du corps parmi d’autres, efficace et légitime dans les pratiques qu’il soutient. » (Le Breton 1995 : 58)

2.2.2 Sens de la douleur

Alors que certains pensent que la douleur est objective, qu’elle n’est qu’une réponse du cerveau à un stimulus, il convient de proposer qu’elle puisse aussi être porteuse de sens, aussi unique que l’individu qui la vit. C’est à la personne qui vit la douleur de lui accorder un sens qui variera selon les représentations du corps auxquelles l’individu et sa société de référence adhèrent et qui seront influencées par l’époque, la religion, le sexe, l’origine ethnoculturelle, les conditions socioéconomiques,

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l’âge et l’apprentissage, le soutien, etc. (Atallah et Guillermou 2004). Valentino soutient aussi cette conception de la douleur qui prend un sens particulier selon la personne qui l’expérimente et selon le contexte. La douleur est ici conçue au-delà d’un ressenti mécanique : « En matière d’accouchement, les phénomènes mécaniques n’expliquent pas à eux seuls les douleurs que les femmes éprouvent. […] [T]oute douleur est subjective, c’est-à-dire éprouvée par un sujet au filtre de son histoire personnelle, familiale, sociale, de son groupe culturel et de son appartenance religieuse. […] Chaque parturiente produit une douleur qui lui appartient en propre. » (Valentino 2010 : 1019) Une femme qui accouche peut donner un sens aux contractions, ces douleurs transitoires qu’elle expérimente. La douleur de l’accouchement qui correspond à la douleur aigüe en est une qui n’est pas éternelle et est généralement la mieux acceptée individuellement et socialement selon Le Breton (1995) et Allué (1999). Scheper-Hughes et Lock (1987 : 304) soulignent que le corps humain et les substances qu’il produit – sang, liquide amniotique, excréments, lait maternel, etc. – forment une trame de fond pour comprendre les expériences symboliques vécues par le corps humain, dont celle de la douleur. Les répondantes ponctuent d’ailleurs leur récit de détails en ce sens : la surprise ressentie au moment de la rupture de la poche des eaux, la crainte face aux saignements en début de travail, l’inconfort ou l’indifférence de la présence de selles au moment de la poussée, l’abondance du lait maternel, etc.

Selon Le Breton (1995), la douleur peut être destructrice ou constructive : « Il appartient à l’homme que sa souffrance soit un malheur où il se perd tout entier, où il engloutit sa dignité, ou, à l’inverse, qu’elle soit une chance révélant en lui une autre dimension : celle de l’homme souffrant, ou ayant souffert, mais qui regarde le monde les yeux ouverts. » (Le Breton 1995 : 218-219) L’une des sages-femmes rencontrées, Simone, a d’ailleurs affirmé en parlant des mères en travail : « Je vais les accompagner dans la douleur, mais je ne laisserai pas souffrir quelqu’un. » L’aspect de douleur constructive prend tout son sens au moment d’un accouchement « naturel ». La douleur sert de catalyseur aux émotions vives ou enfouies (Brabant 2001 : 264). Elle est vivante à cause de la souffrance qu’elle sous-tend chez la personne qui la vit (Allué 1999 : 126). Cette souffrance induite par la douleur se traduit par la peur, le doute, l’anxiété, l’horreur ressentis de façon confuse par la personne (Allué 1999 : 126). Sans souffrance de l’individu, la douleur n’a plus la même portée, elle est banalisée. La souffrance correspond à une « […] signification affective traduisant le glissement d’un phénomène physiologique au cœur de la conscience morale de l’individu. » (Le Breton 1995 : 13) Donner un sens à la douleur, accepter que celle-ci soit transformatrice, est la clé de son évacuation du corps, sinon elle deviendra cruelle et insensée (Brabant 2001 : 267). La douleur ne serait donc ni une vertu ni une ennemie, mais plutôt une invitation à une quête de sens, une sensation puissante qui appelle à une transformation (Brabant 2001 : 264-265). Cette conception de la douleur revient très fréquemment parmi les répondantes choisissant une sage-femme, car cette quête de sens semble motiver leur choix

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19 d’accepter l’accouchement avec la douleur qu’il implique plutôt que d’anesthésier celle-ci. Une douleur positive et sensée est dite plus facile à traverser, selon les participantes.

2.2.3 Douleur initiatique, douleur sacrée

La douleur peut être consentie dans un contexte de rite de passage, créant un liant social puissant (Atallah et Guillermou 2004 : 725). Ce type d’expériences douloureuses est souvent entouré de joie, de support de la communauté qui reconnait la force de l’individu (Atallah et Guillermou 2004 : 725). La douleur se vit, dans ce cas, comme un passage vers un ailleurs : « La douleur correspond au […] passage d’un univers social à un autre, bouleversant d’un trait l’ancien rapport au monde. » (Le Breton 1995 : 209) Cette douleur, comme une épreuve au sens fécond, permet à l’individu qui expérimente des sensations et expériences inconnues d’accéder à un changement de statut.

Il y a en puissance, dans toute douleur, une dimension initiatique, une sollicitation à vivre plus intensément la conscience d’exister. Parce qu’elle est arrachement à soi, bouleversement de la quiétude où s’enracinait l’ancien sentiment d’identité, la douleur subie est anthropologiquement un principe radical de métamorphose, et d’accès à une identité restaurée. Elle est un outil de connaissance, une manière de penser à la limite de soi, et d’élargir sa connaissance des autres. (Le Breton 1995 : 218)

Les expériences de douleur intense mènent à des limites encore jamais atteintes, poussent à utiliser des ressources insoupçonnées et transforment la personne, marquant le corps et l’esprit à jamais (Brabant 2011 ; Cheyney 2011). Cheyney (2011 : 63) parle ici du corps puissant (powerful

body), pour décrire ce corps qui traverse d’intenses douleurs auxquelles il accorde un sens constructif.

Le Breton va plus loin encore en suggérant que la douleur est un « sacré sauvage », arrachant la personne à son quotidien tranquille pour lui faire vivre une tempête qui s’inscrira dans sa chair, qui la catapultera hors du soi qu’elle connaît, poussant à la métamorphose (Le Breton 1995 : 216-218). La douleur est une brèche vers une autre perception du monde, puisque l’individu se découvre un autre visage, son identité se transforme (Le Breton 1995 : 216-218). Les répondantes sont souvent surprises de la force avec laquelle se déchaînent les sensations du corps au moment de l’accouchement, découvrant un nouveau visage d’elles-mêmes. Les mères sont nombreuses à dire qu’elles ont vécu la douleur comme un passage, un moment d’intensité appelant à la transformation de leur état de femme vers celui de mère. Elles considèrent que de devoir puiser dans leurs ressources les plus profondes est une préparation à ce qu’être responsable d’un nouveau-né requiert comme énergie et capacité d’adaptation.

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2.2.4 Vivre la douleur, soulager la douleur

Malgré l’enracinement culturel, vivre la douleur est une expérience toute personnelle, voire intime, et est difficile à saisir, à comparer (Allué 1999 : 134 ; Attalah et Guillermou 2004). Les répondantes sont d’ailleurs nombreuses à avoir insisté sur le fait que la douleur vécue lors d’un accouchement ne peut se comparer à aucune autre, y allant chacune d’un exemple tel que la fracture d’un os ou l’extraction d’une dent, ou se quantifier sur une échelle.

Toutefois, certains mécanismes sont compris et permettent d’aider à appréhender la douleur, à la traverser et même à la soulager. Le chemin de la douleur emprunte des portes qui la ralentissent, l’amortissent ou accélèrent son passage. D’autres perceptions sensorielles entrent en résonance avec elle et contribuent à la moduler (chaleur, froid, massage, etc.). Certaines conditions l’inhibent (concentration, relaxation, diversion, etc.). D’autres accélèrent sa diffusion et la majorent (peur, fatigue, contraction, etc.). » (Le Breton 1995 : 13) Il s’agit de concepts que les sages-femmes maîtrisent, comme les témoignages le confirment, ces dernières agissant sur les éléments précédemment mentionnés pour créer une ambiance intime et réconfortante et permettre à la mère de se détendre, facilitant ainsi la naissance.

De plus, les personnes qui se succèdent au chevet d’un individu qui expérimente des douleurs modulent la gravité de la douleur (Attalah et Guillermou 2004 : 724). Lorsqu’il est question d’accouchement, il appert que les accompagnants ne sont pas toujours préparés adéquatement à la douleur que vivra la femme en travail : « People often are not fully prepared for just how painful labor can be or how needful the labouring woman may become. The midwife provides reassurance that her condition, however distressing, is normal, and suggests positive ways of coping. » (Simonds et al., 2007 : 69) Les sages-femmes, comme cela est ressorti dans les témoignages des participantes, ont fait office de piliers et ont permis aux mères et aux partenaires de comprendre la normalité du moment et d’être rassurés malgré l’intensité de la douleur. De même, l’ambiance du lieu et le moment de la journée auront un impact sur l’écoute que l’individu aura de son corps (Attalah et Guillermou 2004 : 724). Ceci est un élément qui est apparu comme primordial aux femmes rencontrées, ces dernières expliquant à quel point l’aspect chaleureux de leur domicile ou de la maison de naissance a permis un laisser-aller, une confiance dans l’expérience de l’accouchement. Pour certaines, la possibilité de s’éloigner de l’environnement plus austère de l’hôpital était un élément crucial de leur choix de se diriger vers un suivi sage-femme.

En ce qui a trait à la prise en compte de la douleur, l’option de la soulager ou de la vivre est de manière générale présente. Le choix se fera en fonction de l’individu, mais aussi de l’origine de la douleur. Lors d’un accouchement, la question se pose avec d’autant plus d’acuité qu’elle fait aussi

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21 référence au modèle périnatal qui correspond le plus aux valeurs de la femme, de la famille. Elle peut donc choisir de l’anesthésier plus ou moins complètement selon son confort à l’aide d’outils médicaux ou de la vivre pour les raisons qui lui sont propres. Selon Florence, une sage-femme participante, six raisons principales sont évoquées par les mères pour choisir de ne pas anesthésier la douleur des contractions : le motif écologique (le corps féminin est conçu pour accoucher), le motif de la sécurité (les risques des médicaments contre la douleur sont considérés trop grands), le motif expérientiel (la naissance est un moment mystique à vivre pleinement), le motif transitif (sentir le passage, l’ouverture permettant la naissance), le motif pratique (facilité à se remettre d’un accouchement physiologique) et le choix du lieu de naissance qui oblige à la naissance physiologique (si une femme souhaite accoucher à domicile, par exemple).

L’approche biomédicale, de par la formation du personnel hospitalier, suggère plus facilement une réponse vive et axée sur les interventions médicales, la péridurale par exemple, comme le suggère Maria De Koninck : « La pratique médicale dans le domaine de la reproduction sera donc le fait d’experts dont l’apprentissage aura consisté à intégrer ce modèle axé sur l’agir. […] Le développement de leurs habiletés correspond de plus en plus à l’apprentissage de diverses techniques et à l’utilisation de divers appareils. » (De Koninck 1990 : 35) Le confort des accompagnants face au vécu de la douleur aura un effet sur l’individu. Si les méthodes alternatives pour traverser la douleur sont moins valorisées ou connues, il y a davantage de chance que la médicalisation soit plus présente. Le modèle sage-femme est, de son côté, porteur d’une philosophie qui accorde à la douleur une raison d’être et ne cherchera pas à l’annihiler, mais plutôt à la rendre sensée pour la femme qui accouche. Celle-ci sera habilitée à vivre cette douleur à l’aide d’outils naturels et d’une préparation psychologique préalable.

2.3 Le risque

Le risque est étudié par les anthropologues comme un construit social qui modèle les individus puissamment (Smith-Oka 2012 : 2275). La vie moderne présente de multiples dangers que l’homme tente de minimiser, mais qui sont tout de même à la base de l’idée d’un risque relatif qui nous entoure constamment (Smith-Oka 2012 : 2275). Kaufert et O’Neill (1993) stipulent que le risque est utilisé par les deux univers des soins périnataux. Nombre de médecins s’opposent à l’accouchement hors de l’hôpital pour cause de risque excessif, alors que les sages-femmes abordent les multiples risques des interventions médicales. Donner naissance est un risque en soi (Smith-Oka 2012 : 2277-2278). Choisir l’accouchement avec une sage-femme, c’est penser le risque d’une certaine façon et

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